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Décisions

CA Agen, 1re ch. civ., 24 novembre 2021, n° 20/00515

AGEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Trois Fontaines (SAS)

Défendeur :

Chateau de la Comte RCS de Cahors (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaté

Conseillers :

M. Benon, M. Faure

TGI Cahors, du 12 juin 2020, n° 18/00082

12 juin 2020

FAITS :

La SCI Château de La Comte, dont les associés sont John C. et Sheila F. épouse C., est propriétaire d'un ensemble immobilier à usage de camping à Carlucet (46), exploitée par la SARL La Comte Leisure.

La SARL La Comte Leisure a fait l' objet d'un contrôle fiscal en juin 1996 à l'issue duquel l'administration fiscale lui a infligé un redressement d'un montant de 353 000 Euros.

Cette société a fait l' objet d'une liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Cahors, ensuite étendue à la SCI Château de La Comte et à M. C..

Le passif total des sociétés en liquidation a été arrêté à la somme de 136 178,97 Euros et le liquidateur a entamé la procédure de vente du château et de ses dépendances.

Par acte sous seing privé établi le 25 février 2014 intitulé 'protocole d'accord', la SAS Les Trois Fontaines a prêté à M. C. la somme de 180 000 Euros, remboursable dans le délai d'un an avec intérêts au taux de 10 %, porté à 0,5 % mensuel en l'absence de remboursement au terme.

Il a été mentionné :

'M. C. déclare que les fonds seront exclusivement utilisés dans le cadre de l'apurement du passif de la SARL La Comte Leisure et de la SCI Château de La Comte et M. C. à titre personnel, dans le but d'obtenir (de) la clôture de la procédure de liquidation judiciaire dont ils font l' objet , par extinction du passif, en ce compris les honoraires de Me Guy-Alain L. de S., du cabinet M. S., depuis le début de la procédure de liquidation.

Les fonds seront versés sur le compte Carpa de Me Guy-Alain L. de S., du cabinet M. S. (...).'

Il a également été mentionné à cet acte que dès la clôture de la liquidation judiciaire, les époux C. deviendraient propriétaires de l'ensemble immobilier qu'ils 's'engagent à céder ledit immeuble à une SCI à constituer composée de leurs enfants. En application du présent article, les enfants des époux C. s'engagent à créer une SCI dont l' objet social sera notamment la propriété, l'administration et l'exploitation par bail du camping sis à Carlucet'.

Il a été mentionné que le prix de cession du bien immobilier serait affecté au remboursement de l'emprunt souscrit.

Les époux C. ont affecté les fonds empruntés au paiement du passif de la liquidation judiciaire.

Par jugement rendu le 15 décembre 2014, le tribunal de commerce de Cahors a prononcé la clôture de la liquidation judiciaire pour extinction du passif de la SARL La Comte Leisure et de la SCI Château de La Comte.

Le remboursement de l'emprunt souscrit le 25 février 2014 n'est pas intervenu au terme fixé au 25 février 2015.

Par acte sous seing privé intitulé 'avenant au protocole d'accord du 25 février 2014" établi le 16 juillet 2015, il a été stipulé l'engagement suivant :

'La SCI Château de la Comte s'engage par le présent acte à rembourser solidairement le prêt octroyé par la SAS Les Trois Fontaines dans les termes et conditions financières du protocole d'accord du 25 février 2014.

La SCI Château de la Comte reconnaît sa qualité de co-emprunteuse solidaire et de co-contractante de la SAS Les Trois Fontaines aux côtés de M. C..'

Il y a été précisé que la SCI Château de la Comte s'engageait à céder le château et ses dépendances, pour permettre le remboursement, à une société Brookland Leisure Ltd gérée par M. C., et que la SAS Les Trois Fontaines pourrait inscrire une hypothèque sur le château et ses terres.

La propriété n'a pas été vendue et l'emprunt n'a pas été remboursé.

Le 10 mai 2016, un second 'avenant au protocole d'accord du 25 février 2014" a été établi en vertu duquel un mandat a été donné à Pierre L., liquidateur amiable de la SCI Château de la Comte, afin qu'il fasse évaluer la propriété, la mette en vente, et inscrive l'hypothèque conventionnelle.

Il a également été convenu que le château et ses dépendances devraient être vendus au plus tard le 31 décembre 2016, date à laquelle le terme du remboursement de l'emprunt a été décalé.

Après une première lettre de relance du 10 août 2017, par lettre du 18 décembre 2017, la SAS Les Trois Fontaines a vainement mis en demeure les époux C. de procéder au remboursement de l'emprunt.

Par acte délivré le 22 janvier 2018, la SAS Les Trois Fontaines a fait assigner la SCI Château de la Comte, prise en la personne de son liquidateur amiable Pierre L., ainsi que les époux C. afin de les voir condamner solidairement à lui payer la somme de 296 401,02 Euros au titre des sommes restant dues.

Les époux C. se sont opposés à cette demande au motif qu'ils avaient été victimes d'un vice du consentement du fait de leur mauvaise compréhension de la langue française ; et qu'ils avaient accepté de rembourser une somme sans proportion avec leurs revenus dans le seul but d'éviter la vente aux enchères de l'immeuble entamée par le liquidateur judiciaire.

Ils ont également opposé l'irrégularité du prêt, non conforme à l' objet social de la SAS Les Trois Fontaines et irrégulier au regard du monopole des établissements bancaires.

Par jugement rendu le 12 juin 2020, le tribunal judiciaire de Cahors a :

- mis hors de cause la SCI Château de la Comte,

- prononcé l'annulation pour défaut de consentement des époux C. du protocole du 25 février 2014 signé entre eux et la SAS Les Trois Fontaines,

- dit et jugé en conséquence de cette annulation, seul le capital prêté, soit la somme de 180 000 Euros est dû à la société demanderesse, avec intérêts au taux légal à compter de sa mise à disposition en date du 25 février 2014,

- condamné les époux C. au paiement de cette somme,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- accordé aux débiteurs pour se libérer un délai de 12 mois à compter de la signification du jugement,

- autorisé l'exécution provisoire,

- condamné la SAS Les Trois Fontaines à payer aux époux C. la somme de 4 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et dit qu'elle supportera la charge des entiers dépens de la procédure.

Le tribunal a retenu que le prêt était licite, le prêteur n'octroyant pas des emprunts à titre habituel ; que les époux C. vivaient dans le Lot depuis de nombreuses années et avaient eu toute possibilité de se faire assister d'un interprète s'ils l'avaient jugé utile ; mais qu'il ne faisait guère de doute que les époux C. ne pouvaient se résoudre à la vente aux enchères de la propriété par le liquidateur, ce qui aurait conduit à leur ruine et leur générait un état de faiblesse et d'anxiété, et les a conduit à souscrire un emprunt déséquilibré et quasi léonin au profit du prêteur, générateur d'une erreur sur l'économie globale de l'accord ; qu'ils ne pouvaient être ainsi tenus que du remboursement du capital ; et que la SCI Château de la Comte devait être mise hors de cause compte tenu qu'elle n'avait pas la qualité d'emprunteur et que les stipulations des avenants devaient être tenues pour non écrites.

Par acte du 24 juillet 2020, la SAS Les Trois Fontaines a régulièrement déclaré former appel du jugement en désignant Les époux C. et la SCI Château de la Comte, prise en la personne de Pierre L., en qualité de parties intimées et en indiquant que l'appel porte sur la totalité du dispositif du jugement, qu'elle cite dans son acte d'appel.

La clôture a été prononcée le 7 juillet 2021 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 13 septembre 2021.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 21 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SAS Les Trois Fontaines présente l'argumentation suivante :

- Les emprunteurs n'ont été victimes d'aucun vice du consentement :

* les époux C. ont souscrit l'emprunt en connaissance de cause de l'obligation et de ses modalités de remboursement.

* la création d'une nouvelle SCI acquérant la propriété n'avait aucun caractère certain et ne pouvait pas être la cause de l'obligation.

* le tribunal a fondé sa décision sur des suppositions d'un état d'anxiété et de faiblesse qui n'était pas invoqué par les époux C., qui maîtrisent parfaitement la langue française comme les courriers produits aux débats en attestent, et dont les connaissances juridiques leur permettent de signer des contrats.

* l'emprunt octroyé leur a permis de conserver le château d'une valeur supérieure au montant emprunté, situation exclusive de toute contrainte économique ou de dépendance.

- L'emprunt a été souscrit régulièrement :

* les engagements ont été souscrits à titre professionnel excluant la qualité de consommateur.

* seul le liquidateur judiciaire pouvait opposer à M. C. la règle du dessaisissement du fait de son placement en liquidation judiciaire.

* l'engagement de la SCI a été approuvé par ses deux associés qui l'ont signé, et qui, par définition connaissaient les statuts.

- Sa créance est certaine :

* il lui est dû 296 401,02 Euros au 8 novembre 2017, intérêts échus inclus.

* la SCI Château de la Comte est également débitrice en vertu de son engagement solidaire et a été mise hors de cause sans motif valable par le tribunal.

* aucun délai ne peut être accordé dès lors que la SCI Château de Comte est propriétaire du camping qu'elle exploite et que la dette est ancienne.

* le tribunal a accordé un délai pour permettre aux époux C. de vendre l'immeuble alors qu'ils n'en sont pas propriétaires et ne justifient pas de leur situation actuelle.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

- réformer le jugement,

- condamner solidairement la SCI Château de la Comte et les époux C. à lui payer la somme de 296 401,02 Euros selon décompte arrêté au 8 novembre 2017, outre intérêts capitalisés au taux contractuel,

- les condamner solidairement à lui payer la somme de 10 000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens en ce compris les frais de sûretés judiciaires.

Par dernières conclusions notifiées le 1er juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, John C., Sheila F. épouse C. et la SCI Château de la Comte présentent l'argumentation suivante :

- Contexte du litige :

* de nationalité anglaise, les époux C. se sont installés en France en 1990 et ont fait l'acquisition de la propriété qu'ils ont ensuite apporté à la SCI Château la Comte qu'ils ont créée.

* ils n'ont fait que suivre les conseils et montages juridiques de leur conseil de l'époque, Henry F., qui se sont révélés désastreux et ont entraîné un redressement fiscal puis une liquidation judiciaire.

* leur conseil les a alors mis en relation avec la SAS Les Trois Fontaines afin qu'ils obtiennent un prêt destiné à éviter la vente de la propriété.

- Leur consentement a été vicié :

* le protocole a été conclu dans un contexte économique difficile pour eux, exclusif de tout consentement libre et éclairé, et ils ont d'autant moins pris conscience de son impact qu'ils n'ont qu'une compréhension très approximative de la langue française et qu'ils étaient psychologiquement fragiles.

* ils ont accepté un remboursement à un taux presque usuraire alors qu'ils n'avaient ni économies ni revenus.

* la promesse de vente mise à leur charge est nulle car ils ne pouvaient conférer des droits sur un bien immobilier dont ils n'étaient pas propriétaires et pour laquelle l'autorisation du liquidateur était requise.

* la cause du prêt n'était ainsi pas licite.

* le jugement qui a prononcé la nullité du protocole doit être confirmé, avec restitution du capital, mais sans capitalisation des intérêts.

- L'emprunt n'entre ni dans l' objet social du prêteur, ni dans celui de la SCI Château de la Comte :

* la SAS Les Trois Fontaines n'a pas pour objet social l'octroi de crédits, activité réservée aux établissements de crédit en application de l'article L. 571-1 du code monétaire et financier et le prêt en question contrevient à son intérêt eu égard à des conditions de remboursement irréalisables.

* l' objet social de la SCI Château de la Comte ne lui permettait pas de participer à une situation de prêt.

- Le protocole et ses avenants contiennent des clauses abusives :

* la SAS Les Trois Fontaines doit être considérée comme un professionnel au sens du code de la consommation, et les époux C. comme des consommateurs, ce qui leur permet d'invoquer l'article L. 212-1 du code de la consommation.

* la clause de remboursement dans un délai de seulement une année alors qu'ils n'avaient ni patrimoine ni revenus a créé un déséquilibre significatif à leur détriment.

* le taux d'intérêts et les pénalités de retard sont disproportionnés, et la vente de l'immeuble leur a été imposée pour un montant dérisoire.

* le taux d'intérêts doit être considéré comme usuraire.

- Ils doivent bénéficier d'un délai de paiement :

* ils ont procédé à des divisions parcellaires pour vendre des terrains, faute de pouvoir vendre l'ensemble de la propriété, bien atypique.

* la crise sanitaire a paralysé toute possibilité de trouver un acquéreur.

Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement, sauf sur les points suivants :

- rejeter les demandes présentées par la SAS Les Trois Fontaines,

- leur accorder les plus larges délais de paiement,

- subsidiairement, déclarer déséquilibré le protocole d'accord, abusives les clauses relatives aux taux d'intérêts, aux promesses de vente, et aux modalités de paiement, et non susceptibles de produire effet,

- rejeter les demandes présentées par la SAS Les Trois Fontaines,

- en tout état de cause :

- rejeter les demandes en paiement et la réclamation portant sur la capitalisation des intérêts,

- dire que tout paiement s'imputera en priorité sur le capital,

- leur accorder les plus larges délais de paiement,

- condamner la SAS Les Trois Fontaines à leur payer la somme de 4 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

MOTIFS

:

1) Validité de l'acte du 25 février 2014 :

a : considérations liminaires :

Il convient de constater que dans cet acte, seul M. C. a emprunté la somme de 180 000 Euros auprès de la SAS Les Trois Fontaines.

Son épouse n'a pas souscrit l'emprunt en litige, même si elle est présente à l'acte et les avenants ultérieurs ne l'ont pas instituée co-emprunteur.

Par conséquent la demande de condamnation présentée à l'encontre de Mme C. doit être rejetée.

b : objet social du prêteur :

Le protocole du 25 février 2014 a été signé, pour la SAS Les Trois Fontaines, par Philippe B., son président.

L'article L. 227-6 du code de commerce dispose que dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l' objet social .

Ainsi, seule cette société pourrait se prévaloir d'un éventuel dépassement de l' objet social commis par M. B..

En outre, la contrariété à l' objet social du prêt octroyé par la SAS Les Trois Fontaines à M. C. dans ce protocole, à la supposer avérée, n'entraînerait pas en elle-même la nullité de l'acte.

Il résulte de ces éléments que les co-contractants de la SAS Les Trois Fontaines ne peuvent se soustraire aux obligations qu'ils ont souscrites au motif que M. B. aurait outrepassé l' objet social de la société qu'il dirigeait.

c : caractère illicite de l'activité de prêteur :

Les intimés invoquent les dispositions de l'article L. 571-3 du code monétaire et financier.

Mais ce texte sanctionne pénalement la méconnaissance des interdictions prescrites aux articles L. 511-3 et L. 511-8 du même code qui ne concernent que les personnes qui se livrent à titre habituel à des opérations de crédit sans avoir le statut d'établissement de crédit.

Tel n'est pas le cas du prêt en litige qui ne constitue pas, en lui-même, une opération de crédit, a fortiori exercée à titre habituel, au sens de l'article L. 511-3.

Aucune irrégularité n'est caractérisée sur ce point.

d : objet social de la SCI Château de la Comte :

Vu l'article 1849 alinéa 1er du code civil,

En premier lieu, la référence à l' objet social de cette société est inopérante à la validité du protocole d'accord du 25 février 2014.

En effet, la SCI Château de la Comte n'est pas partie à cet acte et, par suite, n'y a souscrit aucune obligation.

Seul M. C. y a la qualité d'emprunteur.

En second lieu, s'agissant du protocole établi le 16 juillet 2015 dans lequel la SCI Château de la Comte s'est engagée solidairement avec M. C. au remboursement de l'emprunt souscrit auprès de la SAS Les Trois Fontaines, celui-ci a été signé tant par son liquidateur amiable que par les époux C., ses deux seuls associés.

Toutefois, les statuts de la SCI Château de la Comte définissent ainsi son objet social :

'La société a pour objet en France et à l'étranger :

- la propriété, l'administration, l'exportation par bail de tous biens immobiliers qui seront apportés à la société au cours de la vie sociale ou acquis par elle.

- l'acquisition et éventuellement la vente de tous immeubles et de tous terrains,

- l'administration et l'exploitation, par location ou autrement de tous biens.

- l'entretien et éventuellement l'aménagement de ces biens, et généralement toutes opérations se rattachant directement ou indirectement à cet objet, à la condition que ces opérations ne modifient pas le caractère essentiellement civil de la société.

Pour réaliser cet objet, la société pourra acquérir par voie d'apport, s'il y a lieu, les immeubles et tous biens et droits immobiliers et éventuellement immobiliers nécessaires, et contracter tous emprunts avec ou sans garantie.'

L'engagement en qualité de co-emprunteur dans l'acte du 16 juillet 2015, pour l'emprunt souscrit à titre personnel par M. C. le 25 février 2014, était ainsi étranger à l' objet social de la SCI Château de la Comte et n'avait ni contrepartie ni intérêt pour elle.

Au contraire, il aboutissait à remettre à sa charge un montant supérieur au passif qui avait conduit à sa liquidation judiciaire, et qui avait été remboursé au moyen de l'emprunt souscrit auprès de la SAS Les Trois Fontaines, de sorte qu'il la remettait dans la position de faire l' objet d'une nouvelle liquidation judiciaire dans l'hypothèse où l'emprunteur principal n'exécuterait pas son obligation de remboursement.

Ainsi, le protocole du 16 juillet 2015 compromettait l'existence de la SCI Château de la Comte.

Cet acte ne peut donc recevoir aucune exécution, même s'il a été signé par les associés de la SCI Château de la Comte, et la demande de condamnation présentée par l'appelante à l'encontre de cette société doit être rejetée.

Le jugement qui a mis hors de cause cette société au lieu de rejeter les demandes présentées à son encontre sera réformé.

e : absence d'autorisation du liquidateur judiciaire :

Les intimés mettent en cause le fait que la SCI Château de la Comte était en liquidation judiciaire lors de l'établissement du protocole portant prêt le 25 février 2014.

Mais dès lors que, comme indiqué plus haut, cette société n'était pas partie à cet acte et qu'elle n'y a souscrit aucune obligation, l'argument est sans portée.

En tout état de cause, la règle du dessaisissement du débiteur de par le prononcé de la liquidation judiciaire étant instaurée dans le seul intérêt des créanciers, M. C. ne peut être admis à l'invoquer pour se soustraire à ses engagements.

f : vice du consentement :

En premier lieu, c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a écarté l'argumentation des époux C. sur le fait qu'ils maîtriseraient mal la langue française.

Il suffit de préciser qu'ils ne prétendent pas que l'acte du 25 février 2014 ne correspondrait pas à la volonté des parties.

Au contraire, il est acquis qu'ils avaient pour objectif d'emprunter les fonds leur permettant de solder le passif de la SCI Château de la Comte et ainsi d'éviter la procédure de vente aux enchères du château qui venait d'être entamée par le liquidateur, de sorte que cet acte est exactement conforme à leur volonté.

En deuxième lieu, pour ce même motif, il est difficile de saisir en quoi M. C. aurait pu être victime d'un vice du consentement.

L'acte du 25 février 2014 est clair et précis sur l'emprunt souscrit de sorte qu'il a eu une parfaite connaissance de la portée de son engagement à remboursement, d'ailleurs simple à comprendre, tout emprunteur ayant par définition pour obligation le remboursement des sommes prêtées.

Il s'agit d'un acte synallagmatique générant des obligations de part et d'autre, exclusif de tout déséquilibre, le taux d'intérêt, licite, ayant pu être librement négocié par les parties.

A supposer même que M. C. n'ait pas, à l'époque de la souscription de l'emprunt, les fonds et le patrimoine lui permettant de le rembourser au terme convenu, cet élément n'est pas de nature à entraîner la nullité de son engagement.

C'est d'ailleurs parce qu'il ne disposait pas lui-même des fonds permettant de solder le passif de la SCI Château de la Comte, qu'il lui était nécessaire de les emprunter.

Il est en outre paradoxal que les époux C. reprochent à la SAS Les Trois Fontaines de leur avoir accordé les fonds dont ils reconnaissent qu'ils avaient le besoin impératif et qu'ils lui ont eux-mêmes réclamés.

Ensuite, dans cet acte, il a été mentionné que les époux C. seraient propriétaires du château après clôture de la liquidation judiciaire, ce qui n'était pas en soi impossible, et qu'ils le céderaient à une nouvelle société civile immobilière à créer avec leurs enfants, lesquels emprunteraient auprès d'un établissement bancaire la somme de 300 000 Euros.

Il y a été précisé que le produit de la vente du château serait affecté au remboursement de l'emprunt souscrit auprès de la SAS Les Trois Fontaines.

Ces modalités de remboursement de l'emprunt étaient soumises à des aléas, comme par exemple l'acceptation de la demande de financement à présenter par les enfants C. auprès d'un établissement bancaire.

Elles ne constituaient pas un engagement définitif et sont distinctes de l'obligation de remboursement souscrite par M. C. de sorte que les contestations des intimés sur ces modalités sont sans aucune incidence sur cette obligation.

Il en est de même pour les modalités convenues dans les avenants, qui n'ont pas modifié l'obligation personnelle de M. C. et se sont limitées à prévoir la vente du château afin de permettre le paiement des sommes empruntées, engagement que les époux C. n'ont pas tenu.

En troisième lieu, l'absence de mention de la somme empruntée en toutes lettres ou de façon manuscrite par M. C., et de la formule 'lu et approuvé' n'a aucune incidence sur la validité de l'emprunt souscrit.

Le protocole d'accord est valide et le jugement doit être infirmé.

2) Sur l'existence de clauses abusives :

Les époux C. se qualifient de 'consommateurs' au sens du droit de la consommation et invoquent l'article L. 212-1 du code de la consommation relatif aux clauses abusives.

Mais lorsqu'il a emprunté la somme de 180 000 Euros, M. C. était gérant de la société de droit anglais Brookland Leisure Limited, ainsi que de la SARL La Comte Leisure qui exploitait le camping.

Il a souscrit l'emprunt en litige afin d'apurer le passif tant de la société d'exploitation que de la SCI Château de la Comte, propriétaire des lieux, et de pouvoir mettre un terme à une liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Cahors pour poursuivre ensuite l'activité professionnelle exercée au sein du domaine.

Il ne peut donc revendiquer la qualité de consommateur instituée par ce texte et au sens du code de la consommation, de sorte que son argumentation doit être écartée.

Finalement, M. C. doit être condamné à rembourser la somme qu'il a empruntée avec les intérêts au taux contractuel, et capitalisation année par année en application de l'ancien article 1154 du code civil, applicable à l'obligation souscrite et prévue au contrat.

3) Sur la demande de délais de paiement :

Il est constant que M. C. n'a procédé à aucun remboursement alors que le terme initial de l'emprunt était fixé au 25 février 2015, c'est à dire il y a plus de 6 ans.

Il admet devoir rembourser le capital prêté, mais n'a également sur ce point procédé à aucun versement.

En outre, il est toujours domicilié au Château de la Comte dont les fonds prêtés ont évité la vente aux enchères.

Dans ces conditions, aucun délai de paiement ne peut être accordé.

L'équité permet d'allouer à l'appelante la somme de 5 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, à l'exclusion des autres parties.

Enfin, l'appelante demande également que les dépens incluent les frais d'inscriptions de sûretés judiciaires, mais n'indique pas lesquels et ne justifie pas avoir engagé de tels frais de sorte que cette demande sera rejetée.

PAR CES MOTIFS :

- la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

- INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

- STATUANT A NOUVEAU,

- REJETTE la demande de remboursement d'emprunt présentée par la SAS Les Trois Fontaines à l'encontre de la SCI Château de la Comte et de Sheila F. épouse C. ;

- CONDAMNE John C. à payer à la SAS Les Trois Fontaines la somme de 296 401,02 Euros avec intérêts, capitalisés année par année, au taux de 10,5 % l'an calculés à compter du 8 novembre 2017 ;

- REJETTE la demande de délai de paiement présentée par John C. ;

- REJETTE la demande de prise en charge de frais d'inscriptions de sûretés judiciaires présentée par la SAS Les Trois Fontaines ;

- CONDAMNE John C. à payer à la SAS Les Trois Fontaines la somme de 5 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit d'autres parties ;

- CONDAMNE John C. aux dépens de 1ère instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement par la Selarl Cad Avocats pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.