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Décisions

CA Caen, ch. soc. sect. 3, 12 mai 2022, n° 19/01815

CAEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Plasticaen (SAS), Urssaf de Normandie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chaux

Conseillers :

Mme Acharian, M. Le Bourvellec

TGI Caen, du 29 avr. 2019

29 avril 2019

EXPOSE DU LITIGE

La société Plasticaen (la société) a fait l' objet le 4 octobre 2016 d'un contrôle comptable d'assiette portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.

Selon lettre d'observations du 4 octobre 2016, l'inspecteur du recouvrement a conclu à un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS d'un montant de 45 674 euros portant sur le point 'assujettissement et affiliation au régime général : présidents et dirigeants des SAS et des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées' ainsi qu'à une observation pour l'avenir sur le code réservé à la déclaration des salaires des mandataires sociaux.

La société a formulé des observations par courrier du 28 octobre 2016 auquel l'inspecteur du recouvrement a répondu le 30 novembre 2016 en maintenant le redressement.

L'URSSAF de Basse-Normandie (l'URSSAF), devenue URSSAF de Normandie, a notifié à la société une mise en demeure émise le 8 décembre 2016 de payer la somme de 52 151 euros au titre des cotisations du régime général dues pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 (45 674 euros à titre principal et 6 477 euros au titre des majorations de retard).

Contestant les décisions de rejet implicite et explicite en date du 23 mai 2017 rendues par la commission de recours amiable de l'URSSAF à l'égard de sa contestation soulevée contre le redressement, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Calvados par requêtes des 6 avril et 19 juillet 2017.

Par jugement du 29 avril 2019, le tribunal de grande instance de Caen, à qui a été transféré le contentieux du tribunal des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019 :

- a ordonné la jonction des deux affaires,

- a déclaré le recours de la société recevable mais mal fondé,

- a confirmé la décision de la commission de recours amiable de l'URSSAF rendue le 23 mai 2017 et notifiée le 9 juin 2017 ainsi que la décision de la commission de recours amiable de l'URSSAf en date du 30 novembre 2016 ayant conduit à la mise en demeure du 8 décembre 2016,

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de remise des majorations de retard et de CSG-CRDS,

- a débouté la société de sa demande de dommages et intérêts ainsi qu'au titre des frais irrépétibles,

- a condamné la société aux dépens.

La société a interjeté appel de cette décision, notifiée le 23 mai 2019, par déclaration du 18 juin 2019.

Par dernières conclusions déposées le 8 février 2022, soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société demande à la cour :

- de juger que le redressement doit être annulé en raison de son irrégularité,

- d'infirmer le jugement déféré,

- d'ordonner le remboursement de la somme de 52 151 euros correspondant au principal (45 674 euros) et majorations de retard (6 477 euros),

- de condamner l'URSSAF au paiement des intérêts de retard au taux légal 'à compter du jour du paiement de la somme correspondant au redressement et majorations, soit la somme de 52 151 euros',

Subsidiairement :

- de déclarer le redressement injustifié,

- d'infirmer le jugement déféré,

- d'ordonner le remboursement de la somme de 52 151 euros correspondant au principal (45 674 euros) et majorations de retard (6 477 euros),

- de condamner l'URSSAF au paiement des intérêts de retard au taux légal 'à compter du jour du paiement de la somme correspondant au redressement et majorations, soit la somme de 52 151 euros',

En tout état de cause :

- de constater 'l'effet dévolutif de l'appel en réformation du jugement déféré',

- de rejeter les dernières demandes de l'URSSAF,

- de constater que la rémunération du président du conseil de surveillance ne peut supporter deux fois la même contribution,

- d'ordonner à l'URSSAF de rembourser la CSG-CRDS réclamée à tort sur la rémunération du président du conseil de surveillance pour les années contrôlées,

- de condamner l'URSSAF au paiement de la somme de 7 000 euros au titre des divers préjudices subis compte tenu du maintien abusif du redressement,

- de condamner l'URSSAF au paiement de la somme de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Aux termes de ses dernières écritures déposées le 13 janvier 2022, soutenues oralement à l'audience par son conseil, l'URSSAF de Normandie demande à la cour :

- de la déclarer recevable en son intervention,

- de confirmer le jugement déféré,

- de rejeter les demandes et contestations de la société,

Y ajoutant :

- de condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de statuer ce que de droit pour le surplus.

Il sera renvoyé aux conclusions pour un exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur le redressement relatif à l'assujettissement et à l'affiliation au régime général des présidents et dirigeants des sociétés par action simplifiées

Aux termes de la lettre d'observations du 4 octobre 2016, l'inspecteur du recouvrement de l'URSSAF a retenu, qu'en sa qualité de président du conseil de surveillance, M. Eugène L. qui a bénéficié d'une rémunération annuelle de 25 000 euros en 2013, 2014 et 2015, faisait partie des dirigeants de la SAS , que les conditions d'assujettissement de cette personne au régime général par détermination de la loi étaient donc remplies.

L'article L. 242-1 alinéa 1er du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire. La compensation salariale d'une perte de rémunération induite par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme une rémunération, qu'elle prenne la forme notamment, d'un complément différentiel de salaire ou d'une hausse du taux de salaire horaire.

L'article L. 311-2 du même code prévoit que sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.

L'article L. 311-3, dans sa version applicable au litige, précise que sont notamment compris, parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation prévue à l'article L. 311-2, même s'ils ne sont pas occupés dans l'établissement de l'employeur ou du chef d'entreprise, même s'ils possèdent tout ou partie de leur outillage nécessaire à leur travail et même s'ils sont rétribués en totalité ou en partie à l'aide de pourboires: (....)

23°) les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées.

L'article L. 227-5 du code de commerce prévoit que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. L'article L. 227-6 impose seulement l'existence d'un président investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société dans la limite de l' objet social et titulaire du pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.

Il est admis que le dirigeant est celui qui exerce à titre habituel une activité de direction à travers des actes positifs d'administration et de gestion.

En l'espèce, les statuts de la société, mis à jour suivant décision de l'assemblée générale extraordinaire du 2 juillet 2012 , prévoient que celle -ci prend la forme d'une société par actions simplifiée à la suite d'une décision de l'assemblée générale extraordinaire du 20 décembre 2001 et qu'elle est gérée par un président dont la gestion est contrôlée par un conseil de surveillance.

Mme Fabienne L. exerce les fonctions de présidente de la SAS , M. Eugène L., celles de président du conseil de surveillance.

Il convient de relever que les dispositions de l'article L. 311-3 23° invoquées par l'URSSAF pour fonder le redressement litigieux, ne visent pas les présidents de conseil de surveillance des sociétés par actions simplifiées.

L'URSSAF soutient que M. L. dispose de la qualité de dirigeant de la société au motif :

- qu'il dirige en toute indépendance le conseil de surveillance, organe de contrôle rattaché à la direction de la société,

- qu'il donne son autorisation au président pour la cession ou l'acquisition d'immeubles et de participations, la constitution de sûretés ainsi que de cautions, avals et garanties, ce qui caractérise l'accomplissement habituel d'actes positifs d'administration ou de gestion,

- que la rémunération des membres des conseils de surveillance des sociétés anonymes est soumise à cotisations par application de l'article L. 137-15 du code de la sécurité sociale,

- que le montant élevé de sa rémunération confirme que son activité ne se limite pas au contrôle de la gestion du directoire,

- que les statuts prévoient qu'il est un 'fondé de pouvoir'.

Conformément au code de commerce, les statuts de la société ont fixé les conditions dans lesquelles la société est dirigée.

En l'espèce, l'article 14 des statuts prévoit que la société est gérée par un président.

L'article 16 précise que le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société, qu'il les exerce dans la limite de l' objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi et les statuts aux associés.

S'agissant du conseil de surveillance, l'article 15 des statuts prévoit que :

- le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion du président et du ou des directeurs généraux délégués outre les pouvoirs qui lui sont conférés par les statuts,

- la cession d'immeubles par nature, la cession totale ou partielle de participations ou leur acquisition, la constitution de sûretés ainsi que les cautions, avals et garanties font l' objet d'une autorisation du conseil de surveillance,

- à toute époque de l'année, ce conseil gère les vérifications et effectue les contrôles qu'il juge opportuns et peut se faire communiquer à première demande les documents qu'il estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

- une fois par trimestre, le directoire (le président de la société ou le ou les directeurs généraux délégués) présente au conseil de surveillance un rapport qui peut être oral,

- le conseil est informé par le président: des garanties, cautions, aval et engagements hors bilan, des lettres de confort à mettre en place, des investissements et désinvestissements, des emprunts, de la création de sociétés ou d'entreprise, de la réalisation d'apport, de l'octroi d'un gage réel ou non, et plus généralement de toutes décisions nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise.

L'article 15 bis stipule :

- qu'aucun membre du conseil de surveillance ne peut être président ou directeur général ou directeur général délégué,

- que le conseil de surveillance élit pour la durée de son mandat en son sein un président du conseil de surveillance obligatoirement personne physique,

- que le président de ce conseil convoque le conseil et en dirige les débats, qu'il dispose du pouvoir de représentation de la société à l'égard des tiers, que c'est un fondé de pouvoir,

- que le conseil détermine la rémunération de ses membres, qu'il est compétent pour révoquer le président du conseil de surveillance de son mandat.

Ainsi, M. Eugène L., en sa qualité de président du conseil de surveillance, a le pouvoir de convoquer ce conseil, d'animer et de diriger les débats, de participer à la mission de contrôle et de surveillance du président et du directeur général.

Contrairement à ce que soutient l'URSSAF, le conseil de surveillance, dont les décisions sont prises à l'unanimité de ses membres et non par le président seul, ne fait qu'autoriser le président de la société à consentir des cautions ou des sûretés mais n'engage pas la société à l'égard des tiers. Seuls le président de la société et ses directeurs généraux disposent de ce pouvoir.

Par ailleurs, le président du conseil de surveillance ne dirige pas ce conseil. Il le convoque, arrête l'ordre du jour et dirige les débats mais les membres de ce conseil prennent leur décision en toute indépendance.

En outre, si le président du conseil de surveillance dispose du pouvoir de représentation de la société à l'égard des tiers, cela ne signifie pas qu'il a le pouvoir d'engager la société à l'égard des tiers.

De plus, les statuts prévoient que les membres du conseil de surveillance fixent leur rémunération, qu'ils peuvent recevoir une rémunération correspondant soit à des jetons de présence soit à une rémunération exceptionnelle pour les missions ou mandats confiés à des membres de ce conseil, soit à un contrat de travail effectif avec la société.

Il n'est pas soutenu que la rémunération de M. L. aurait été accordée de façon irrégulière par le conseil de surveillance et qu'elle ne correspondrait pas aux tâches effectuées, l'URSSAF ne mettant en exergue que son montant annuel.

En outre, les dispositions de l'article L. 137-15 du code de la sécurité sociale prévoyant que doivent être soumises à cotisations les rémunérations versées aux membres des conseils de surveillance ne sont applicables qu'aux sociétés anonymes et non aux sociétés par actions simplifiées aussi bien que les dispositions de l'article L. 225-38 concernant les diverses autorisations préalables à certaines conventions.

Il doit être également souligné que, selon la réglementation fiscale, sa rémunération relève du régime fiscal des revenus de capitaux mobiliers.

Enfin, pour la première fois en première instance, l'URSSAF se prévaut des dispositions des statuts, prévoyant que le président du conseil de surveillance est un fondé de pouvoir, pour soutenir qu'en cette qualité il dispose du pouvoir de gestion, de direction par délégations de pouvoir du ou des représentants légaux.

C'est à juste titre que la société fait valoir que cet élément n'est pas visé dans la lettre d'observations pour fonder le redressement opéré et qu'elle n'a pu y répondre que devant les tribunaux. Toutefois, bien que cette mention figure dans les statuts de l'entreprise, l'URSSAF ne démontre aucunement de actes positifs de gestion pris par M. L..

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a confirmé la décision de la commission de recours amiable de l'URSSAF en date du 23 mai 2017. Il conviendra d'annuler le point 1 du redressement intitulé 'assujettissement et affiliation au régime général : présidents et dirigeants des SAS '.

Le remboursement de la somme de 52 151 euros (45 674 euros en principal outre 6 477 euros au titre des majorations de retard) due par l'URSSAF sera assorti de l'intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

- Sur la demande de remboursement de la CSG/ CRDS

La société demande qu'il soit ordonné à l'Urssaf de lui rembourser la CSG-CRDS qui lui a été réclamée à tort sur la rémunération du président du conseil de surveillance, sur les années contrôlées.

La société ne produit aucune pièce justifiant du versement qu'elle prétend avoir effectué au titre de la CSG - CRDS. Elle sera donc déboutée de sa demande et le jugement déféré infirmé en ce qu'il a relevé l'incompétence de tribunal de grande instance pour statuer sur ce point.

- Sur la demande en paiement de dommages et intérêts

La société demande une somme de 7000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de divers préjudices subis par elle, ayant été contrainte de solliciter un conseil, pour saisir la commission de recours amiable puis le tribunal des affaires de sécurité sociale, de consacrer du temps à ce dossier et de verser plus de 50 000 euros depuis près de 6 ans.

C'est à juste titre que l'URSSAF fait valoir que le recours qu'elle a formé n'est pas abusif, qu'en interjetant appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance, elle n'a fait qu'user du droit de toute partie à un double degré de juridiction.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'URSSAF qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel, le jugement déféré étant infirmé sur ce point, et sera déboutée de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire droit à la demande présentée sur le même fondement par la société.

L'URSSAF sera donc condamnée à verser à la société la somme de 3000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts au titre de divers préjudices,

Le confirme sur ce point,

Statuant à nouveau :

Annule le redressement fondé sur la lettre d'observations du 4 octobre 2016, en son point 1 'assujettissement et affiliation au régime général : présidents et dirigeants des SAS ',

Condamne l'URSSAF de Normandie venant aux droits de l'URSSAF de Basse-Normandie à rembourser à la société Plasticaen la somme de 52 151 euros (45 674 euros en principal outre 6 477 euros au titre des majorations de retard),

Dit que ces sommes produiront intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

Déboute la SAS Plasticaen de sa demande de remboursement de la CSG - CRDS afférente aux années 2013, 2014 et 2015,

Condamne l'URSSAF de Normandie venant aux droits de l'URSSAF de Basse- Normandie aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne l'URSSAF de Normandie venant aux droits de l'URSSAF de Basse- Normandie à payer à la société Plasticaen la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute l'URSSAF de Normandie venant aux droits de l'URSSAF de Basse- Normandie de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.