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Décisions

CA Papeete, ch. com., 24 décembre 2015, n° 14/00594

PAPEETE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

South Pacific Golf and Resort Development (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blaser

Conseillers :

M. Ripoll, Mme Tissot

CA Papeete n° 14/00594

24 décembre 2015

PROCEDURE :

Par requête du 18 mars 2013, la SA G. INTERNATIONAL a demandé au tribunal mixte de commerce la condamnation de la SAS SOUTH PACIFIC GOLF AND RESORT DEVELOPMENT (SPGRD) à lui payer la somme de 1 496 168 347 FCP ultérieurement ramenée à 1 379 652 990 FCP en exécution d'un marché de travaux du 31 juillet 2007 pour la construction et l'entretien du parcours de golf de Moorea ayant donné lieu à une reconnaissance de dette du 26 mars 2012, enregistrée le 3 avril 2012, et à une ordonnance autorisant une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire en date du 28 janvier 2013 sur divers immeubles appartenant à la débitrice.

Une procédure de redressement judiciaire de la SAS SPGRD a été ouverte par jugement du 22 avril 2013. La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 2 avril 2013.

Par jugement du 26 septembre 2014, le tribunal mixte de commerce a :

- fixé la créance de la SA G. INTERNATIONAL au passif de la SAS SPGRD à la somme de 1 379 652 990 FCP à titre privilégié,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- dit que chaque partie conserverait la charge des frais engagés en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française,

- condamné la SAS SPGRD aux dépens.

Par requête enregistrée le 17 novembre 2014 au greffe de la cour, la SAS SPGRD a interjeté appel de ce jugement.

Elle soutient que l'administrateur judiciaire aurait dû être appelé en la cause, nonobstant la seule mission d'assistance qui lui avait été réservée par le jugement du 22 avril 2013 ; que son absence entraîne la nullité du jugement du 26 septembre 2014 ; que le montant de la créance a été réduit par une cession de créance enregistrée le 23 janvier 2013 de telle sorte qu'elle doit venir en déduction de la somme fixée à hauteur de 906 774 645 FCP.

Elle demande en conséquence à la cour de :

- prononcer la nullité du jugement,

- à défaut, son infirmation uniquement sur le montant fixé,

- évoquant, dire que la SA G. INTERNATIONAL est titulaire de la créance de 906 774 645 FCP détenue par la SAS SPGRD contre la SNC MOOREA TEMAE en raison de la cession de créance intervenue et enregistrée le 23 janvier 2013,

- dire que cette cession de créance vaut paiement partiel et réduit la créance de la SA G. INTERNATIONAL à hauteur de 906 774 645 FCP,

- fixer la créance de la SA G. INTERNATIONAL à la somme de 472 878 345 FCP.

M. Patrick A., ès qualité de représentant des créanciers de la SAS SPGRD, soutient que :

- le jugement du 26 septembre 2014 est nul, en ce que l'administrateur judiciaire de la SPGRD n'a pas été appelé en cause,

- subsidiairement, la cession de créances du 21 janvier 2013 est frauduleuse en ce qu'elle a été convenue entre deux personnes morales ayant des intérêts communs, la SA G. INTERNATIONAL étant l'associé majoritaire de la SPGRD, quelques semaines avant la déclaration de cessation des paiements de cette dernière, et quelques jours avant d'obtenir du président du tribunal de première instance une hypothèque judiciaire provisoire sur la totalité de la créance de 1 496 168 645 FCP, et alors qu'il n'est pas démontré que ces deux sociétés aient respecté les formalités prévues pour les conventions réglementées tant pour le protocole du 26 mars 2012 que pour la cession de créances du 21 janvier 2013,

- la créance de la SA G. INTERNATIONAL sur la SPGRD s'analyse en un compte courant d'associé et ne pouvait être garantie, à la veille du dépôt de bilan, par une hypothèque sur le principal actif de la société au détriment de la masse des créanciers, sauf à constituer un abus du crédit de la société,

- la SA G. INTERNATIONAL n'a pas élu domicile en Polynésie française en violation de l'article 296 du code de procédure civile de la Polynésie française.

En conséquence, il demande à la cour de :

- à titre principal, annuler le jugement du 26 septembre 2014,

- subsidiairement, constater le non-respect du formalisme attaché aux conventions réglementées intervenues entre des sociétés ayant des associés et dirigeants communs ; constater le caractère frauduleux et l'abus de droit entachant la cession de créance du 21 janvier 2013 et le protocole du 26 mars 2012 intervenus entre les sociétés SPGRD et SA G. INTERNATIONAL ; constater que ni la requête aux fins d'autorisation d'inscrire une hypothèque judiciaire provisoire, ni l'ordonnance, ni l'acte de signification de celle-ci ne comporte élection de domicile sur l'île de Tahiti,

- dire que, en vertu de l'adage « Fraus omnia corrumpit », la cession de créances du 21 janvier 2013 et le protocole du 26 mars 2012 sont nuls et, en tout état de cause, inopposables à la procédure collective,

- déclarer nulle l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite,

- dire que la créance éventuelle de la SA G. INTERNATIONAL ne dispose pas de caractère privilégié,

- condamner la SA G. INTERNATIONAL à verser à M. A. ès qualité la somme de 350 000 FCP au titre des frais irrépétibles,

- la condamner aux dépens.

M. Serge C., ès qualité d'administrateur judiciaire de la SPGRD, reprend le moyen de nullité développé par M. A. et tiré de l'absence d'appel en cause de l'administrateur en première instance, qui ne peut être régularisé par une assignation en cause d'appel, cette mise en cause ne résultant pas de l'évolution du litige. Il demande en conséquence à la cour de juger nul et non avenu le jugement du 26 septembre 2014 et de condamner la SA G. INTERNATIONAL à lui payer la somme de 200 000 FCP au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens.

La SA G. INTERNATIONAL soutient que :

- la SAS SPGRD ne justifie pas de sa recevabilité à agir dès lors que seul le président du conseil d'administration, dûment mandaté, peut représenter en justice une SAS à l'égard des tiers ;

- l'article L. 621-41 du code de commerce n'impose pas au créancier, à peine de nullité, d'appeler en cause l'administrateur ou le représentant des créanciers ; ce dernier, dûment assigné, a bien appelé en la cause, sans l'assigner, l'administrateur qui a fait le choix de ne pas intervenir ; la mission d'assistance confiée à l'administrateur n'emportait pas celle de représenter en justice l'entreprise débitrice ; le tribunal de commerce n'a pas invité les parties à régulariser et n'a pas sursis à statuer ;

- il appartenait au représentant des créanciers de soulever en première instance les irrégularités affectant la procédure d'inscription d'hypothèque ou découlant de l'absence d'intervention de l'administrateur, en application des articles 36 et 37 du code de procédure civile de la Polynésie française,

- il appartenait au représentant des créanciers d'élever une contestation relativement à la déclaration de créance dans le délai de l'article L. 621-103 du code de commerce, ce qu'il n'a pas fait,

- subsidiairement, l'article 296 du code de procédure civile de la Polynésie française ne prévoit que la sanction de la forclusion dans l'hypothèse où la requête en inscription serait présentée à l'occasion d'une instance déjà engagée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et non l'annulation de l'inscription d'hypothèque,

- très subsidiairement, la perte du caractère privilégié n'affecte pas l'existence de la créance dont l'aveu du bien-fondé résulte de la demande de fixation présentée par le représentant des créanciers.

Elle demande en conséquence à la cour de :

- déclarer les appels à titre principal et incident irrecevables et mal fondés,

- rejeter les exceptions et demandes nouvelles du représentant des créanciers,

- rejeter les demandes de l'administrateur judiciaire,

- confirmer le jugement entrepris,

- subsidiairement, constater que la déclaration de créance privilégiée effectuée par la SA G. INTERNATIONAL n'a fait l' objet d'aucune contestation dans les délais de l'article L. 621-103 mais d'une fixation à la demande du représentant des créanciers,

- en conséquence, fixer la créance de la SA G. INTERNATIONAL à 1 496 168 347 FCP à titre privilégié,

- à titre infiniment subsidiaire, fixer la créance à la somme de 1 496 168 347 FCP,

- condamner M. A. au paiement d'une somme de 226 000 FCP au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

MOTIFS :

I. L'appel a été interjeté par requête de la SAS SPGRD, représentée par son président, M. Jean-Louis G.. En application de l'article L. 227-6 du code de commerce , le président d'une société par actions simplifiée est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l' objet social . La SA G. INTERNATIONAL, représentée par son président, M. Xavier G., apparenté au premier, ne démontre pas que M. Jean-Louis G. ne disposait pas des pouvoirs que lui donne la loi.

Par ailleurs, il n'est soutenu par aucune des parties que l'appel interjeté par la SAS SPGRD est irrecevable dès lors que, par assignation du 21 novembre 2014, la société a appelé en la cause M. Serge C. en sa qualité d'administrateur judiciaire, qui a constitué avocat par acte du 6 janvier 2015 , et a conclu par acte du 22 janvier 2015.

L'appel principal de la SAS SPGRD est donc recevable.

II. Le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la SAS SPGRD qui a désigné M. Serge C. «avec mission d'assistance», sans limiter cette mission à certains actes de gestion de l'entreprise, a pour effet, conformément à l'article L. 621-23 du code de commerce, de soumettre l'exercice de tous les droits et actions de l'entreprise à l'intervention conjointe de l'administrateur judiciaire et du débiteur en redressement.

Dès lors que la SAS SPGRD, qui était assignée en paiement par la SA G. INTERNATIONAL depuis le 14 mars 2013, a été placée en redressement judiciaire par jugement du 22 avril 2013, elle devait appeler en la cause son administrateur judiciaire afin qu'il poursuive avec elle l'action en défense de l'entreprise. A défaut, le jugement est entaché d'irrégularité.

En vain la SA G. INTERNATIONAL soutient-elle qu'il appartenait au représentant des créanciers d'appeler l'administrateur judiciaire en la cause et qu'il ne l'a pas assigné. Elle ne saurait imputer la défaillance de la SAS SPGRD à d'autres parties. Si les écritures du représentant des créanciers en première instance, seul appelé en cause par la SA G. INTERNATIONAL, mentionnent l'appel en cause de l'administrateur judiciaire, la cour constate que celui-ci n'a jamais été assigné en première instance, alors que son intervention forcée nécessitait cette assignation.

Par ailleurs, si les parties présentes en première instance ne sont plus recevables à soulever, en cause d'appel, la nullité résultant de l'absence d'appel en cause de l'administrateur judiciaire en première instance, en application de l'article 37 du code de procédure civile de la Polynésie française, il en va autrement de ce dernier qui a soulevé cette cause de nullité avant toute défense au fond dès son appel en cause devant la cour.

Le jugement rendu le 26 septembre 2014 en l'absence de M. Serge C., qui devait nécessairement assister la SAS SPGRD dans son action, viole une règle essentielle de la procédure relative à la capacité d'ester seul en justice pour les actions relevant du patrimoine de l'entreprise, à la suite du jugement du 22 avril 2013. Le jugement sera donc annulé.

III. En application de l'article 353 du code de procédure civile de la Polynésie française, l'évocation de l'affaire par la cour à la suite de l'annulation est facultative. Au regard de la nécessaire évolution de la procédure collective depuis le jugement annulé, la cour n'entend pas exercer cette faculté et laisse à la partie la plus diligente le soin de ressaisir le premier juge.

En conséquence, il ne sera pas statué sur le subsidiaire des parties relatif à la cession de créances du 21 janvier 2013, au protocole du 26 mars 2012, ainsi qu'au montant ou au caractère privilégié de la créance fixée au passif de la SAS SPGRD.

IV. Il est équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais qu'elle a exposés à l'occasion de l'instance d'appel. Les dépens seront compensés.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement ;

Reçoit l'appel ;

Prononce la nullité du jugement du 26 septembre 2014 ;

Dit n'y avoir lieu à évocation ;

Dit n'y avoir lieu à statuer en conséquence sur les autres demandes des parties ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;

Dit que les dépens seront compensés conformément à l'article 406 du même code.