CA Paris, Pôle 6 ch. 2, 28 avril 2011, n° 10/03857
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
CSF Champion France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Taillandier
Conseillers :
Mme Bézio, Mme Cantat
Avocats :
Me Ravez, Me Farzam-Rochon
Statuant sur l'appel formé par M.. Sidi DALA à l'encontre de l'ordonnance de référé en date du 20 avril 2010 par laquelle le conseil de prud'hommes de Paris, en sa formation de départage, a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M.DALA et a renvoyé ce dernier à se pourvoir devant le juge du fond;
Vu les conclusions remises et soutenues par M.DALA, à l'audience du 10 mars 201, tendant à ce que la Cour, infirmant l'ordonnance entreprise, constate la nullité de son licenciement en date du 26 décembre 2008, ordonne sous astreinte la poursuite de son contrat de travail et condamne la société CSF FRANCE à lui payer les sommes provisionnelles de 75 800 euros , au titre des salaires dus depuis janvier 2009, et de 7580 euros à titre de congés payés afférents, outre 3500 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Vu les écritures développées à la barre par la société CSF FRANCE qui sollicite la confirmation de la décision déférée et la condamnation de M. DALA à lui payer la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 2000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE, LA COUR
Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que M. DALA est salarié, depuis 1978, de la société CSF FRANCE, entreprise du secteur de la grande distribution appartenant au Groupe CARREFOUR et juridiquement constituée sous la forme d'une société par actions simplifiée (SAS) ;
Qu'alors qu'il était salarié protégé, M. DALA a été licencié, pour faute grave, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 26 décembre 2008, après que le ministre du travail eut annulé, le 17 décembre précédent, la décision de refus d'autorisation de licenciement, rendue par l'inspecteur du travail le 13 juin 2008 ;
Que la lettre de licenciement -dont M. DALA affirme qu'elle ne lui a pas été notifiée personnellement puisqu'il déclare ne pas être le signataire de l'avis postal de réception- était signée de M. PINEL, directeur de magasin ;
Qu'à défaut , selon lui, de lettre de licenciement , M.DALA, le 10 septembre 2008, a saisi le conseil de prud'hommes, statuant en référé, à l'effet de voir ordonner sa réintégration; que par la suite, il a également invoqué devant les premiers juges, au soutien de cette demande de réintégration, le moyen essentiel repris devant la Cour, tiré de la nullité de la lettre de licenciement pour défaut de qualité de son signataire, au motif que le signataire de la lettre de licenciement aurait agi en l'absence de délégation régulièrement consentie, conformément aux dispositions de l'article L 227-6 du code de commerce;
Que c'est dans ces conditions qu'est intervenue l'ordonnance dont appel -le conseil de prud'hommes retenant, d'une part, que la délégation contestée était conforme aux dispositions de l'article L 227-6 , qui autorise, selon lui, un salarié à recevoir une délégation et n'interdit pas les subdélégations, et d'autre part, que les statuts de la société CSF FRANCE prévoient la possibilité de délégation et confèrent aux directeurs généraux les mêmes pouvoirs que ceux du président, lequel a le pouvoir de donner toutes délégations de pouvoir à tous tiers pour un ou plusieurs objets déterminés;
Considérant que M.DALA fait plaider que l'article L 227-6 du code de commerce ne permet au président d'une SAS de déléguer son pouvoir de représentation à l'égard des tiers qu'à la double condition que les statuts de la SAS prévoient cette faculté de délégation et que la personne délégataire porte le nom de directeur général ou de directeur général délégué; qu'en conséquence , en l'absence de disposition statutaire, la loi interdit au président d'une SAS de déléguer à un tiers, quel qu'il soit, ses pouvoirs de représentation;
Que son licenciement résulte d'une lettre signée d'un directeur de magasin, alors que celle-ci elle ne pouvait émaner que du Président de la SAS CSF FRANCE; que son licenciement est donc nul -faute pour cette société de démontrer que les statuts autorisent son président à déléguer ses pouvoirs- ou à tout le moins inopposable, en application des dispositions de l'article R 123-54 du code de commerce qui prescrivent la publication au registre du commerce du nom des tiers qui engagent la société, à l'égard des tiers, à titre habituel;
Considérant que la société CSF FRANCE sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise , estimant que la formation des référés ne saurait « analyser, interpréter les dispositions du code de commerce pour en tirer d'éventuelles conséquences sur la régularité formelle du licenciement de M.DALA « qu'elle objecte, en tout état de cause, que, conformément aux deux arrêts rendus le 19 novembre 2010 par la chambre mixte de la Cour de cassation, les dispositions de l'article L 227-6 du code de commerce n'excluent pas la possibilité pour les représentants légaux de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés, tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise ;
Considérant que l'article L 227-6 du code de commerce énonce, s'agissant de la société par actions simplifiées :
La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l' objet social .
Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l' objet social , à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.
Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.
Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers.
Considérant que, parmi les dispositions ci-dessus, celles prévoyant la possibilité statutaire de confier au directeur général ou directeur général délégué, le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers, n'étaient pas initialement prévues par la loi du 3 janvier 1994 à l'origine de la création de la SAS et ont fait l' objet d'une adjonction législative par l'effet de la loi du 1er août 2003 ;
Que, si le président de la SAS avait eu, aux termes de l'article L 227-6 dans sa rédaction initiale et en sa seule qualité de président, le pouvoir de déléguer son pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers, force est de constater, comme le soutient l'appelant, que la modification législative intervenue en 2003 n' eût pas été nécessaire et que l'adjonction résultant des dispositions de la loi 1er août 2003 eût été dépourvue d' objet ;
Que l'intervention du législateur en 2003 est donc la preuve manifeste que le fonctionnement de la SAS déroge à celui des autres sociétés, notamment en ce que la loi renvoie aux statuts pour l'organisation et la répartition des pouvoirs à l'intérieur de cette forme de société, ne rendant, en définitive, obligatoire que la seule fonction de président légalement investi du pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers ;
Considérant qu'ainsi, il n'apparaît pas contestable que la volonté du législateur a été de traiter la SAS , différemment des autres formes de sociétés ; qu'il s'ensuit, aussi, que les grandes et inhabituelles liberté et souplesse laissées par la loi aux associés de la SAS dans l'organisation interne de la société, trouvent leur limite dans la conception stricte qu' a le législateur, du représentant de la société à l'égard des tiers ;
Mais considérant que la société CSF FRANCE objecte que tout titulaire d'un mandat a le pouvoir de déléguer les pouvoirs qu'il tient de celui-ci, à condition que la délégation ait trait à un acte déterminé ;
Et considérant que l'intimée verse aux débats une délégation de pouvoirs de son président en date du 1er juillet 2005 et d'une chaîne de subdélégations au niveau opérationnel, régional et local ;
Que si ces éléments méritent d'être examinés par le juge du fond, singulièrement au regard des dispositions particulières qui, comme dit ci-dessus, régissent la SAS , ils n'en constituent pas moins une apparence régulière qui ne permet pas à la Cour de juger, avec l'évidence requise en référé, que ces délégations traduiraient une violation manifeste des dispositions légales en cause ;
Que les demandes de la société CSF FRANCE ne peuvent en conséquence qu'être renvoyées à l'appréciation du juge du fond, ainsi qu'en a décidé Conseil de prud'hommes dont la décision sera dès lors confirmée ;
Considérant que, pour autant, l'appel exercé par M. DALA ne saurait être qualifié d'abusif de sorte que la demande de dommages et intérêts reconventionnelle formée par la société CSF FRANCE sera rejetée ;
Considérant enfin que l'équité et la situation respective des parties commandent de laisser à la société CSF la charge de ses frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts de la société CSF FRANCE ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'appelant aux dépens.