CA Grenoble, ch. soc., 27 septembre 2010, n° 09/05078
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
M. Lescot
Défendeur :
Lafprom (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delpeuch
Conseillers :
Mme Combes, Mme Rauly
Avocats :
Me Thiebault, Me Geller
Le 23 septembre 2008, il a été convoqué par Emmanuel Durand,' DRH groupe', à un entretien préalable au licenciement.
Par courrier du 8 octobre 2008, signé Emmanuel Durand, Jean-Christophe Lescot s'est vu notifier son licenciement au motif de son refus de ses nouvelles attributions et de ses propos déplacés et outrageants.
Le salarié a saisi le conseil des prud'hommes de Valence en contestation de son licenciement.
Par jugement du 18 novembre 2009, le conseil des prud'hommes de Valence a débouté Jean-Christophe Lescot de toutes ses demandes.
Jean-Christophe Lescot a interjeté appel de la décision.
Par conclusions régulièrement déposées, Jean-Christophe Lescot demande à la Cour de constater que son licenciement est nul pour avoir été notifié par une personne n'ayant pas la qualité de représentant de la SAS LAFPROM, ni investie du pouvoir de licencier au nom de la personne morale, et sollicite la condamnation de la SAS LAFPROM au paiement d'une somme de 32.760 € de dommages-intérêts.
Subsidiairement, il demanda la Cour de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et sollicite la condamnation de la société à lui payer 32.760 € de dommages-intérêts, outre 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir doivent figurer au registre du commerce les noms et prénoms des associés et tiers ayant le pouvoir d'engager la société par actions simplifiées, que la lettre de licenciement a été signée par Emmanuel Durand, présenté comme le DRH du groupe, alors que seul le président était habilité à le faire.
À titre subsidiaire, il fait valoir que la société a souhaité l'affecter à des tâches différentes de celles qu'il occupait à la parfaite satisfaction de son employeur, à la suite de l'embauche d'un nouveau designer,
que sans qu'il ait répondu à cette proposition, la société a renoncé à cette modification de son contrat de travail et lui a annoncé son licenciement pour raisons économiques, compte tenu de la suppression imminente du service dans lequel il était affecté.
Il conteste avec la plus grande vigueur les propos qui lui sont imputés.
Il souligne que la société est d'autant moins fondée à soutenir que c'est en raison de tels propos qu'elle aurait procédé à son licenciement, alors qu'il résulte de la lettre de licenciement que ces propos auraient été tenus au moment de la remise la convocation.
Par conclusions régulièrement déposées à l'audience, la société LAFPROM sollicite la confirmation du jugement et le débouté de M. Lescot de l'ensemble de ses demandes ainsi que sa condamnation à lui payer 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle pas valoir que la société à la faculté de déléguer à certaines personnes certains pouvoirs, que la faculté de délégués et subdéléguer le pouvoir de licencier est indépendante de la forme sociale de l'employeur,
qu'il est constant qu'un salarié peut avoir été investi du mandat de licencier, qu'aucune disposition légale n'exige que ce mandat soit formalisée par une délégation de pouvoirs écrite, de sorte qu'en application de la théorie du mandat apparent, quelque soient les fonctions que le signataire de la lettre de licenciement exerce dans l'entreprise, il suffit qu'il agisse au nom de l'employeur pour que la procédure soit régulière.
Elle souligne que l'absence de qualité à agir du signataire du courrier de licenciement ne saurait être sanctionnée par la nullité du licenciement, qu'il ne pourrait s'agir que d'une irrégularité de procédure.
Elle fait en outre valoir que M. Lescot n'a jamais remis en cause la délégation de pouvoirs consentie à M. Durand, qu'il a contesté son licenciement par lettre recommandée du 30 octobre, sans en invoquer la nullité,
qu'en tout état de cause, M. Joffard a délégué à Emmanuel Durand, des pouvoirs pour procéder au licenciement de Monsieur Lescot.
Sur le bien-fondé du licenciement, elle estime que M. Lescot a abusivement refusé d'accomplir ses nouvelles tâches, qu'il ne démontre pas que la décision de la société de changer ses conditions de travail a été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise, ou bien été mise en oeuvre dans les conditions exclusives de sa bonne foi contractuelle,
Sur les propos déplacés ou outrageants, elle fait valoir qu'elle verse au débat plusieurs attestations aux termes desquelles M. Lescot a eu un comportement très grossier.
MOTIFS
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;
Attendu que la société LAFPROM est une société par actions simplifiées ( SAS ) ;
Qu'en application l'article L 227-6 al. 1 et 3 du code de commerce :
'La Société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l' objet social .
Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article' ,
le seul organe prévu par la loi pour représenter la société est son président ;
que cependant les statuts de la société peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général, ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés au président ;
Attendu que l'article 15-10 du Décret du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés prévoit que : 'doivent être déclarés, pour figurer à ce registre, notamment les noms, prénoms... des associés et tiers ayant le pouvoir d'engager la Société'.
Attendu qu'en conséquence, non seulement les statuts de la société LAFPROM devaient expressément autoriser son président à consentir une délégation de pouvoirs, mais celle-ci, pour être valable, devait :
- d'une part, être consentie conformément aux dispositions de l'article L 227-6 al. 1 et 3 du code de commerce en ce qui concerne les fonctions de la personne choisie (de directeur général, ou de directeur général délégué)
- d'autre part, respecter la publicité donnée à cette délégation ;
Attendu qu'en l'espèce, la SAS LAFPROM ne justifie pas que ses statuts permettaient à d'autres personnes que le président d'exercer ses pouvoirs ;
qu'elle ne justifie pas davantage de la qualité de directeur général ou de directeur général délégué, du signataire de la dette de licenciement ; qu'il y a lieu de remarquer que la lettre de licenciement est signée ' Emmanuel Durand, DRH Groupe ' ;
que la SAS ne justifie enfin d'aucun enregistrement d'une délégation de pouvoirs au profit de celui-ci au registre du commerce et des sociétés ;
Attendu que force est de constater l'absence de qualité du signataire de la lettre de licenciement ;
Attendu par ailleurs que le salarié est juridiquement un tiers par rapport au contrat entre les associés et leurs organes de direction ;
que l'apparence d'habilitation de la personne signataire ne saurait par conséquent pallier cette nullité ;
Attendu que le défaut de qualité du signataire de la lettre de licenciement constitue un défaut de validité d'une formalité substantielle de la procédure entraînant sa nullité ;
que le manquement à cette règle est insusceptible de régularisation ; qu'en conséquence, le licenciement est nul ;
Attendu que le salarié ne sollicite pas sa réintégration ;
Attendu que lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à une indemnité réparant l'intégralité de son préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égal à celle de l'article L. 1235 - 3 sans qu'il y ait lieu de statuer sur les motifs du licenciement ;
Attendu qu'en considération de l'ancienneté de Christophe Lescot au sein de la Société LAFPROM soit près de quatre ans et de sa situation actuelle de designer indépendant en portage salarial, son préjudice sera fixé à la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que l'équité commande d'allouer à Christophe Lescot la somme de 1.600 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement du 18 novembre 2009 du conseil des prud'hommes de Valence.
Statuant à nouveau
Dit le licenciement de Christophe Lescot nul.
Condamne la SAS LAFPROM à payer à Christophe Lescot :
- 25.000,00 euros à titre de dommages-intérêts
- 1.600,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SAS LAFPROM aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.