CA Aix-en-Provence, 1re et 9e ch. réunies, 3 mars 2022, n° 19/07658
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ellipse (SA)
Défendeur :
Comptable du Pole de Recouvrement
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thomassin
Conseillers :
Mme Pochic, Mme Tarin-Testot
Faits, procédure et prétentions des parties :
La société Ellipse exerçant une activité de concession automobile, vente, réparation et entretien de véhicules automobiles, a fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité par le pôle recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes sur les années 2014 à 2017, qui a abouti à des rappels d'impôts au titre de l'impôt sur les sociétés et de taxes, notamment TVA, la formation professionnelle continue, l'effort de construction et d'apprentissage, des taxes sur les surfaces commerciales, pour une somme totale de 2 670 589 euros.
La société Ellipse a cessé toute activité à compter du 28 avril 2017, cédé les fonds de commerce qu'elle exploitait à Nice et Antibes, au prix de 2 100 000 euros et de 900 000 euros.
Saisi sur requête par l'administration fiscale, le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Nice a, par ordonnance en date du 03 avril 2018, sur le fondement des articles L.511.1, R.511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, autorisé le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes, à :
- saisir à titre conservatoire, entre les mains de maître B., avocat à Nice, les fonds provenant de la cession des fonds de commerce de Nice et Antibes,
- saisir à titre conservatoire les fonds appartenant à la société Ellipse et détenus par la Lyonnaise de Banque, agence du Var Côte d'Azur, à Nice,
- fixer à 2 670 589 euros le montant pour lequel ces mesures seront prises.
Deux procès-verbaux distincts de saisie conservatoire de créances ont ainsi été dressés le 24 avril 2018 par l'huissier instrumentaire et dénoncés le 25 avril à la société Ellipse, l'un à destination de maître B., l'autre à destination de la société Lyonnaise de Banque.
La société Ellipse a, par assignation en date du 28 mai 2018, fait citer le comptable pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice afin d'obtenir la rétractation de l'ordonnance du 03 avril 2018 autorisant les saisies conservatoires précitées, et subsidiairement, de substituer 'la saisie pratiquée' par l'inscription d'une hypothèque conservatoire sur le bien appartenant à la SCI Daya, dont monsieur A., président de la société Ellipse est le gérant, sur un bien immobilier, situé sur la commune de Ramatuelle et ce pour le même montant que celui fixé par l'ordonnance, à charge pour le débiteur de supporter les frais d'inscription de l'hypothèque conservatoire.
Le 25 avril 2019, par jugement déféré, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice a débouté la société Ellipse de l'ensemble de ses demandes, dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Ellipse, à qui le jugement a été notifié le 26 avril 2019, en a interjeté appel le 09 mai 2019.
L'affaire initialement fixée à l'audience du 14 mai 2020, qui n'a pu être tenue eu égard à la période de crise sanitaire, a, devant le refus de l'appelant d'un audiencement de la procédure sans débats, été renvoyée à l'audience du 11 mars 2021, puis renvoyée de nouveau à l'audience du 13 janvier 2022, à la demande des parties.
Dans ses conclusions enregistrées par RPVA le 03 janvier 2022 auxquelles il convient de se référer, la société Ellipse demande à la cour, au visa de l'article L.512-1 du code des procédures civiles d'exécution de :
- Infirmer le jugement dont appel,
statuant à nouveau :
- à titre principal :
-ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance le 03 avril 2018,
- à titre subsidiaire :
-'voir ordonner que la saisie pratiquée par exploit d'huissier à Nice le 24 avril 2017 à hauteur de 2 333 171 euros entre les mains de la Lyonnaise de Banque'
- et de substituer la saisie par la garantie suivante et l'inscription d'une hypothèque conservatoire sur le bien appartenant à titre personnel à la SCI Daya, pris en la personne de son gérant associé, monsieur Yan Maurice A., président de la SA Ellipse, dont le bien immobilier est situé sis sur la commune de Ramatuelle,
- dire que l'inscription portera sur le même montant que celui fixé par ordonnance du juge de l'exécution de Nice le 03 avril 2018 soit 2 670 589 euros, et que les frais d'inscription seront supportés par le débiteur,
-laisser les dépens à la charge de la société Ellipse.
L'appelante fait valoir que la créance déclarée par le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes n'est pas un titre exécutoire, en ce qu'elle a été fixée arbitrairement par le Trésor public, à la suite d'une procédure de vérification.
Elle indique que cette procédure de contrôle peut à l'issue n'aboutir à aucune procédure au fond.
Elle relève qu'elle a contesté les conclusions de ce contrôle en présentant une réclamation contentieuse avec demande de sursis de paiement pour les sommes exigibles et en poursuivant la discussion sur les sommes restantes qui n'ont pas encore fait l'objet d'une remise en recouvrement.
Elle précise que le Trésor public a régulièrement déclaré sa créance et régularisé opposition dans le cadre de la cession du fonds de commerce intervenu.
Elle sollicite de voir substituer la mesure conservatoire par la prise d'une garantie réelle sur un bien immobilier du président de la société, le bien immobilier disposant d'une valeur bien supérieure au montant des rappels fiscaux réalisés par le Trésor public.
Elle indique qu'elle dispose des autorisations de l'assemblée générale de la SCI Daya et d'un compromis de vente permettant d'avoir une valorisation réelle.
Elle reconnaît que le bien est grevé d'hypothèques mais estime que la valeur résiduelle permet de couvrir les sommes dues au Trésor public.
Elle estime que le maintien en l'état de la saisie conservatoire des fonds issus de la cession du fonds de commerce appartenant à la société Ellipse entraîne une gêne excessive en raison de l'indisponibilité frappant les comptes bancaires de la société Ellipse ouverts à la Lyonnaise de Banque.
Les créanciers qui ont fait opposition sont nombreux et attendent de pouvoir être payés sur le prix de vente.
Dans ses conclusions enregistrées par RPVA le 02 avril 2021 auxquelles il convient de se référer le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes, demande à la cour de :
- débouter la société Ellipse de l'ensemble de ses demandes et ce faisant de confirmer le jugement dont appel,
- condamner la société Ellipse aux dépens et à verser la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'essentiel l'intimé fait valoir qu'il justifie d'une créance fondée en son principe et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Il indique que pour solliciter une mesure conservatoire le créancier n'est pas tenu de disposer d'un titre. Le juge n'a pas à rechercher un principe certain de créance mais seulement d'une créance fondée en son principe et la réclamation avec demande de sursis de paiement ne remet pas en cause ce principe de créance.
Il expose que le bien proposé à titre de substitution de garantie est grevé à la date du 13 juin 2018 pour plus de 5 900 000 euros d'inscriptions hypothécaires, alors même qu'il a été acquis pour la somme de 2 200 000 d'euros, qu'aucune valorisation sérieuse du dit bien n'est donnée, que le compromis qui n'a pas abouti à la vente, porte sur une somme de 6 millions d'euros, de sorte que la mise en jeu de l'éventuelle garantie consentie par la SCI Daya aurait pour effet de faire disparaître la totalité du patrimoine de la SCI.
Il ajoute qu'il n'existe aucune garantie que depuis la levée de l'état hypothécaire, la société Ellipse n'ait pas proposé la même sûreté réelle à tous les autres créanciers ayant fait opposition au prix de vente des fonds de commerce.
Enfin, il estime que la garantie proposée ne répond pas aux exigences de la jurisprudence, en ce qu'il n'est pas la propriété de la société Ellipse, mais celle d'une SCI dont le gérant est le président de la société Ellipse. Pour aboutir il conviendrait au préalable que la SCI Daya se porte caution solidaire de la société Ellipse, ce qui nécessite l'autorisation de l'unanimité des associés, et le cautionnement ne devrait pas avoir pour effet d'entraîner la vente de tout le patrimoine de la SCI et donc sa disparition totale.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 janvier 2022.
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
* Sur la demande de rétractation de l'ordonnance du 03 avril 2018 :
L'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que : 'toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge, l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.'.
Ainsi le texte n'exige pas de celui qui sollicite du juge de l'exécution l'autorisation de diligenter une saisie conservatoire d'être détenteur d'un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible, mais simplement de justifier d'une créance paraissant fondée en son principe.
La proposition de rectification adressée à la société Ellipse le 20 mars 2018 aboutissant à des rappels en matière d'impôt sur les sociétés et différentes taxes pour une somme de 2 670 589 euros, proposition de redressement confirmée par l'administration fiscale, le 17 mai 2018, après le recueil des observations du représentant légal de la société, suffit à fonder un principe de créance, lequel n'est pas altéré par la demande de sursis au paiement formalisée lors de réclamations contentieuses émises postérieurement à la mise en recouvrement effective d'une fraction des créances visées dans la procédure de vérification.
A cet égard, il y a lieu d'observer que l'absence de suite envisagée par l'appelante dans ses conclusions s'agissant de la procédure de contrôle, est démentie par les faits.
En tout état de cause, à supposer que les montants finalement mis en recouvrement soient inférieurs à ceux qui ont été notifiés, les saisies prises à titre conservatoires ne pourraient dans ce cas être converties que pour le montant finalement mis en recouvrement.
Enfin, l'opposition régularisée par le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des Alpes-Maritimes, lors de la cession du fonds de commerce, n'est pas de nature à le priver de la poursuite de garantie telle que la mesure querellée.
La saisie conservatoire est justifiée tant au regard du principe de créance, que du risque pesant sur son recouvrement, caractérisé par la cession des fonds de commerce de la société Ellipse, l'ayant conduit à cesser toute activité, par les nombreuses oppositions à la dite cession par ses créanciers, dont l'un déclare une somme d'un million d'euros.
* Sur la demande de substitution de titre :
En application de l'alinéa 2 de l'article L.512-1 du code des procédures civiles d'exécution, 'à la demande du débiteur, le juge peut substituer à la mesure conservatoire initialement prise, toute autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties.'.
Deux mesures conservatoires ont été autorisées et ont donné lieu à deux procès-verbaux distincts de saisie conservatoire en date du 24 avril 2018, l'un entre les mains de maître B., alors conseil de la société Ellipse et selon l'ordonnance du 03 avril 2018, détenteur des fonds provenant de la cession des fonds de commerce de Nice et d'Antibes, l'autre entre les mains de la Lyonnaise de Banque sur les comptes de la société Ellipse.
Aux termes de cette mesure, la banque a déclaré ne pas détenir d'avoir saisissable, de sorte qu'il n'est pas établi que l'indisponibilité des comptes bancaires constitue une gêne excessive telle qu'alléguée par l'appelante.
En revanche, il n'est pas contesté que les fonds, d'abord en possession de maître B., en qualité de séquestre, ont été confiés à compter du 30 juin 2018 à maître Nino P., actuel conseil de l'appelante.
Si la saisie conservatoire effectuée entre ses mains empêche effectivement la distribution des fonds auprès des autres créanciers, il ne peut en être fait grief à l'administration fiscale en l'état du principe de créance dont elle dispose et du risque de non recouvrement pesant sur celui-ci, d'autant que l'impossibilité de convertir la saisie conservatoire en saisie définitive vient de la réclamation avec demande de sursis de paiement formée le 24 septembre 2018 par la société Ellipse, qui a entraîné la suspension de l'exigibilité des impositions ainsi contestées.
Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier que le bien immobilier proposé à titre de garantie de substitution, n'est pas la propriété de la société dont l'administration fiscale poursuit le redressement.
Il s'agit en effet de la propriété de la SCI Daya, qui est gérée par monsieur Yan A., par ailleurs détenteur de 20% des parts de la société civile immobilière et président de la société Ellipse.
Certes, selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 10 octobre 2018, les associés de la SCI Daya ont autorisé à l'unanimité le gérant à consentir sur les sommes dont la société Ellipse pourrait être débitrice vis à vis du Trésor public un cautionnement solidaire d'un montant de 2 679 589 euros outre les frais évalués à 20 000 euros, ainsi qu'une prise d'hypothèque sur le bien immobilier appartenant à la SCI sis à Ramatuelle.
Cependant, sous réserve qu'un tel cautionnement soit autorisé par les statuts de la société Daya, ce qui n'est pas établi, sa légalité reste à démontrer.
En effet, les éléments versés aux débats ne permettent pas d'écarter le risque pour la société Daya d'être privée de son patrimoine immobilier dans l'unique intérêt de la société Ellipse avec laquelle il n'est pas établi d'autre lien que celui d'être présidée par l'un de ses associés.
Enfin, il n'est pas contesté qu'au 13 juin 2018 les inscriptions grevant le bien proposé à titre de garantie s'élevaient à la somme de 5 604 000 euros ; cette somme représente selon le compromis de vente versé aux débats, du 24 mai 2017 auquel il n'a pas été donné de suite, à peine moins que le prix proposé au titre de l'acquisition du seul bien immobilier, fixé à 5 800 000 euros.
L'inscription d'hypothèque provisoire n'est donc pas de nature à garantir le recouvrement de la somme de 2 670 589 euros pour laquelle les mesures de saisies conservatoires ont été autorisées par l'ordonnance querellée.
* Sur les demandes accessoires :
Succombant en son appel la société Ellipse sera tenue aux entiers dépens et condamnée à verser la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles engagés par l'intimé, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Ellipse à payer la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à monsieur le Comptable du pôle recouvrement spécialisé des Alpes Maritimes,
CONDAMNE la société Ellipse aux dépens.