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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 octobre 2022, n° 21/17926

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

ID Beauty International Distribution (SAS)

Défendeur :

Otto-Robert Fuchs Consulting & More GMBH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Etevenard, Me Gurfein, Me Pelit-Jumel, Me Paulus

T.J. Paris, du 28 sept. 2021, n° 20/0740…

28 septembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société ID Beauty International Distribution (ci-après société ID Beauty) est une société de droit français spécialisée dans la fabrication de parfums et de produits de beauté.

La société Otto-Robert Fuchs Consulting & More GMBH (ci-après société Fuchs) est une société de droit allemand, immatriculée en Allemagne, spécialisée dans le conseil.

Au cours de l'année 2011, la société ID Beauty a confié à la société Fuchs la mission de développer certaines marques, dont la marque Rexaline, sur les marchés allemand et autrichien.

En 2011, la société Fuchs a assisté la société ID Beauty dans la mise en place d'un contrat de distribution avec la société Douglas, à la tête d'un réseau de parfumeries. C'est ainsi qu'un contrat de vente exclusif portant sur la marque Rexaline a été conclu, au mois de mars 2012, entre la société ID Beauty et la société Douglas pour une durée s'achevant à la fin de l'année 2015.

Le 21 juin 2012, la société Fuchs et la société ID Beauty ont conclu un contrat intitulé " contrat de conseil d'affaires indépendant " pour une durée de cinq ans soit jusqu'au 21 juin 2017. Au terme de ce contrat, il était prévu que la société Fuchs soit rémunérée à concurrence d'un pourcentage sur les ventes réalisées par la société ID Beauty grâce à son intermédiation.

En 2015, le contrat de vente exclusif entre la société ID Beauty et la société Douglas portant sur la marque Rexaline a été prorogé jusqu'à la fin de l'année 2019.

En 2018, un litige est survenu entre la société ID Beauty et la société Douglas relatif au volume minimum d'achat pour l'année 2019.

Le 6 mars 2020, la société Fuchs a établi une facture d'un montant de 80.016,16 euros correspondant à une rémunération de 8% du prix de vente des produits acquis par la société Douglas auprès de la société ID Beauty pour l'année 2019 et le début de l'année 2020. La société ID Beauty a refusé de s'acquitter de cette facture.

Par acte du 12 août 2020, la société Fuchs a assigné la société ID Beauty devant le tribunal judiciaire de Paris en vue d'obtenir le paiement de cette facture ainsi qu'une indemnisation au titre de la rupture des relations contractuelles.

Par des conclusions d'incident du 8 mars 2021, la société ID Beauty a soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence matérielle du tribunal judiciaire de Paris au profit du tribunal de commerce de Paris.

Par conclusions en réplique du 10 juin 2021, la société Fuchs a contesté l'exception d'incompétence soulevée par la société ID Beauty.

Par ordonnance du 28 septembre 2021 le juge de la mise en état du tribunal de judiciaire de Paris a :

-requalifié la mission exercée par la société Otto-Robert Fuchs Consulting & More GMBH au profit de la société ID Beauty International Distribution, résultant du contrat signé le 21 juin 2012 intitulé "contrat de conseil d'affaires indépendant ", en contrat d'agent commercial régi par les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,

-rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ID Beauty International Distribution,

-condamné la société ID Beauty International Distribution aux dépens exposés au titre de l'incident,

-condamné la société ID Beauty International Distribution à verser à la société Otto-Robert Fuchs Consulting & More GMBH la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 23 novembre 2021 pour conclusions en défense.

Par déclaration du 13 octobre 2021, la société ID Beauty International Distribution a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA du 13 octobre 2021, la société ID Beauty International Distribution demande à la cour de :

Vu les articles 75 et 771, 1° du code de procédure civile ;

Vu l'article L.721-3 du code du commerce ; :

-infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 28 septembre 2021 ;

Et, statuant, à nouveau :

-déclarer le tribunal judiciaire incompétent pour connaître de la demande formée par la société Otto Robert Fuchs Consulting & More GMBH à l'encontre de la société ID Beauty International Distribution suivant assignation en date du 12 août 2020 ;

-dire que, par application de l'article L.721-3 du code du commerce, cette demande relève de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris ;

-renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris ;

-condamner la société Otto Robert Fuchs Consulting & More GMBH à verser à la société ID Beauty International Distribution la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA du 24 mars 2022, la société Otto Robert Fuchs Consulting & More GMBH demande à la cour de :

A titre principal

-déclarer mal fondé l'appel principal de la société ID Beauty International Distribution ;

-rejeter l'appel ;

-confirmer l'ordonnance du 28 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;

-débouter la société ID Beauty International Distribution de l'intégralité de ses fins, moyens et conclusions ;

-condamner la société ID Beauty International Distribution à verser à la société Otto Robert Fuchs Consulting & More GMBH la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner la société ID Beauty International Distribution aux entiers frais et dépens de la procédure ;

A titre subsidiaire

-déclarer le tribunal judiciaire de Paris matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris pour connaitre de la demande formée par la société Otto Robert Fuchs Consulting & More GMBH à l'encontre de la société ID Beauty - International Distribution suivant assignation en date du 12 août 2020 ;

-dire et juger que le dossier sera transmis au tribunal de commerce de Paris conformément à l'article 82 du code de procédure civile ;

-dire et juger que les demandes relatives aux frais irrépétibles et aux dépens suivront le sort du principal.

MOTIFS

Sur la compétence

La société ID Beauty soutient que le litige relève du tribunal de commerce de Paris. Elle fait valoir que quand bien même le contrat la liant à la société Fuchs serait qualifié de contrat d'agent commercial, qualification qu'elle conteste, la juridiction commerciale serait compétente s'agissant d'un litige opposant deux commerçants. Elle affirme en effet que la société Fuchs est une personne morale commerçante par la forme puisqu'elle a la forme d'une "GMBH" (Gesellschaft Mit Beschränkter Haftung) et qu'elle est inscrite au registre du commerce et des sociétés du tribunal de région (Amtsgericht) compétent. Par conséquent, elle estime que la société Fuchs aurait dû saisir le tribunal de commerce de Paris par application de l'article L.721-3 du code de commerce.

La société Fuchs réplique que le contrat la liant à la société ID Beauty s'analyse en un contrat d'agent commercial et que la nature de l'activité exercée par un agent commercial est civile. En outre, elle prétend que les sociétés GMBH ne font pas partie de la liste des sociétés commerciales par la forme issue de l'article 210-1 du code de commerce de sorte que l'article L.721-3 du code de commerce ne peut pas recevoir application.

L'article L. 721-3 du code de commerce attribue compétence aux tribunaux de commerce pour connaître :

" 1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux;

2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes. "

Ainsi les tribunaux de commerce sont compétents pour connaître de tout litige opposant deux commerçants.

En l'espèce, il est constant que la société ID Beauty est une société française qui exerce sous la forme d'une société par actions simplifiée.

L'article L. 210-1 du code de commerce définit les sociétés commerciales ainsi qu'il suit : " Le caractère commercial d'une société est déterminé par sa forme ou par son objet.

Sont commerciales à raison de leur forme et quel que soit leur objet, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions. "

Ainsi la société ID Beauty, étant une société par actions, doit être qualifiée de commerçante.

La société Fuchs est une société de droit allemand qui a la forme d'une " Gesellschaft mit beschränkter Haftung (GmbH) ". La société Fuchs ayant son siège social en Allemagne, il convient de se référer au droit allemand pour déterminer si la société Fuchs est ou non un commerçant.

Or le droit allemand connaît des sociétés commerciales par la forme. Ainsi les sociétés de capitaux en droit allemand sont soumises au droit commercial en vertu à la fois de l'alinéa 1 (étant selon les lois spéciales les régissant des Handelsgesellschaften (cf article 3 alinéa 1 et 278 alinéa 3 AktG, article 13 alinéa 3 GmbHG)) et de l'alinéa 2 de l'article 6 HGB (ces mêmes lois spéciales leur reconnaissant expressément la qualité de commerçant (Kaufmann)), et ce peu important leur objet social. Au regard du droit allemand, est ainsi commerçante, en raison de sa forme, la Gesellschaft mit beschränkter Haftung (GmbH). La société Fuchs doit donc être qualifiée de commerçant.

En conséquence, le litige opposant deux commerçants relève de la compétence du tribunal de commerce de Paris.

Il sera souligné que la cour est saisie de l'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence relevant des dispositions des articles 83 à 89 du code de procédure civile et que l'appel porte donc exclusivement sur la compétence peu important le fait que la décision attaquée ait préalablement statué sur une question de fond pour déterminer sa compétence.

Or il résulte de ce qui précède que la cour, pour déterminer la juridiction compétente, n'a pas eu, au préalable, à procéder à la qualification du contrat liant la société ID Beauty et la société Fuchs ; cette qualification étant susceptible, le cas échéant, de faire l' objet d'un débat devant le tribunal de commerce. Il sera à cet égard relevé que le juge de la mise en état n'a qualifié le contrat liant la société ID Beauty et la société Fuchs que dans le cadre de l'examen de l'exception d'incompétence soulevée devant lui.

L'ordonnance entreprise sera dès lors infirmée tant en ce qu'elle a requalifié la mission exercée par la société Otto-Robert Fuchs Consulting & More GMBH au profit de la société ID Beauty International Distribution, résultant du contrat signé le 21 juin 2012 intitulé " contrat de conseil d'affaires indépendant ", en contrat d'agent commercial régi par les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce qu'en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ID Beauty International Distribution.

L'affaire sera renvoyée devant le tribunal de commerce de Paris.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Fuchs succombe à l'instance d'appel sur la compétence. Les dispositions de l'ordonnance entreprise relative aux dépens et aux frais irrépétibles seront infirmées. La société Fuchs sera condamnée aux dépens de l'incident et d'appel. Elle sera également condamnée à payer à la société ID Beauty une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de la société Fuchs au titre des frais irrépétibles sera écartée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,

Infirme l'ordonnance entreprise,

Statuant à nouveau,

Déclare le tribunal judiciaire de Paris matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris pour connaître de la demande formée par la société Otto Robert Fuchs Consulting & More GMBH à l'encontre de la société ID Beauty - International Distribution suivant assignation en date du 12 août 2020 ;

Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris ;

Condamne la société Otto-Robert Fuchs Consulting & More GMBH à payer à la société ID Beauty International Distribution une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande de la société Otto-Robert Fuchs Consulting & More GMBH au titre de ses frais irrépétibles ;

Condamne la société Otto-Robert Fuchs Consulting &amp ; More GMBH aux dépens de l'incident ainsi qu'aux dépens de l'appel sur compétence.