CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 14 février 2022, n° 21/006711
BASSE-TERRE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Holding Barbara (Sté)
Défendeur :
Société Val de France Immo (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desjardins
Conseillers :
Mme Cledat, Mme Defoy
Avocats :
Me Win Bompard, Me Albina Collidor
FAITS ET PROCEDURE
Par acte du 11 juillet 2012, les époux [X] ont cédé en réméré à la SAS Val de France Immo les 500 parts sociales constituant le capital de la SCI Lorient Camaruche, qui est propriétaire d'une villa à [Localité 4].
Par actes du 12 juillet 2017, puis du 20 février 2018, la SAS Val de France Immo a conclu avec la SCI Holding Barbara, constituée par les époux [X], une promesse de cession des 500 parts sociales de la SCI Lorient Camaruche. Au terme du dernier acte, la date limite de levée de la promesse par le bénéficiaire était fixée au 30 avril 2018.
Le 26 avril 2018, la SCI Holding Barbara a fait part de sa volonté de lever l'option, afin d'acquérir les parts sociales.
Un litige étant survenu entre les parties au sujet de cette acquisition, la SCI Holding Barbara a assigné la SAS Val de France Immo devant le tribunal de proximité de Saint-Martin par acte du 19 novembre 2020 afin de voir ordonner la réalisation forcée de la cession des 500 parts sociales intervenue à la date de la levée d'option et d'obtenir l'indemnisation de divers préjudices.
Dans le cadre de cette instance, la société Val de France Immo a soulevé un incident tendant à voir constater l'incompétence du tribunal de proximité de Saint-Martin au profit du tribunal judiciaire de Versailles, dans le ressort duquel est situé son siège social.
Par ordonnance du 10 mai 2021, le juge de la mise en état a :
- déclaré incompétent territorialement le tribunal de proximité de Saint-Martin près le tribunal judiciaire de Basse-Terre pour statuer sur le litige au profit du tribunal judiciaire de Versailles,
- dit que l'entier dossier serait transmis sans délai par le greffe au greffe du tribunal judiciaire de Versailles,
- condamné la SCI Holding Barbara à payer à la SAS Val de France Immo la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens.
La SCI Holding Barbara a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 18 juin 2021 et a été autorisée à assigner à jour fixe à l'audience du 13 décembre 2021 par décision du 23 juin 2021.
L'assignation a été délivrée le 23 juillet 2021 à la société Val de France Immo qui a régularisé sa constitution d'avocat le 6 septembre 2021.
Les deux parties ayant conclu, l'affaire a été appelée à l'audience du 13 décembre 2021, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 14 février 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ La SCI Holding Barbara, appelante :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 novembre 2021 par lesquelles l'appelante demande à la cour :
- d'infirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
- de la recevoir dans l'intégralité de ses moyens et prétentions,
- de débouter la société Val de France Immo de l'ensemble de ses demandes et prétentions,
- de prononcer la compétence du tribunal de proximité de Saint-Martin et Saint-Barthélémy pour connaître de ses demandes,
- de condamner la société Val de France Immo au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.
2/ La SAS Val de France Immo, intimée :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 octobre 2021 par lesquelles l'intimée demande à la cour:
- de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,
- de condamner la SCI Holding Barbara à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.
Motifs
#1 MOTIFS DE L'ARRET
Sur l'exception d'incompétence :
Conformément aux dispositions de l'article 42 du code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
L'article 43 précise que le lieu où demeure le défendeur s'entend, s'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie.
La société Holding Barbara reproche au juge de la mise en état d'avoir fait application de ces textes pour conclure à l'incompétence du tribunal de proximité de Saint-Martin au profit du tribunal judiciaire de Versailles, lieu du siège social de la société Val de France Immo, alors que selon elle :
- la promesse de cession de parts sociales du 20 février 2018 contenait une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de situation de l'immeuble, en l'espèce [Localité 4],
- que cette clause était valable car les deux sociétés contractantes avaient la qualité de commerçantes,
- que même à supposer que cette clause soit réputée non écrite, la compétence découlait de l'article 44 du code de procédure civile qui dispose qu'en matière réelle la juridiction compétente est celle du lieu où est situé l'immeuble,
#2 - qu'en tout état de cause, le tribunal de proximité de Saint-Martin était compétent au regard de l'article 46 du code de procédure civile qui dispose que le demandeur peut saisir, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.
Sur la validité de la clause attributive de compétence :
L'article 48 du code de procédure civile dispose que toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.
En l'espèce, l'article 9 de la promesse de cession de parts sociales conclue le 20 février 2018 entre la société Val de France Immo et la société Holding Barbara, intitulé "Droit applicable", indiquait expressément : "Tous différents, nés ou à naître en relation avec la promesse et, de façon plus générale, tous différends, quels qu'en soient l'objet et le fondement, se rattachant à la promesse ou qui en seraient la suite ou la conséquence, seront de la compétence exclusive du tribunal du lieu de situation de l'immeuble".
Si la SAS Val de France Immo est une société commerciale par la forme en vertu de l'article L.210-1 alinéa 2 du code de commerce, la société Holding Barbara est une société civile immobilière par la forme.
Elle soutient néanmoins qu'elle dispose de la qualité de commerçante en raison de son objet puisqu'elle a acheté une parcelle située à [Localité 4] afin d'y édifier une villa puis de revendre l'ensemble, cette acquisition ayant donc été faite dans une intention spéculative.
S'il est constant que la société Holding Barbara a acheté une parcelle non bâtie à [Localité 4] le 24 octobre 2006, distincte de la parcelle détenue par la société Lorient Camaruche, aucun élément ne permet de démontrer qu'elle aurait fait édifier une construction sur ce terrain puis revendu l'ensemble, et donc qu'elle se serait livrée à un acte de commerce. Elle échoue dès lors à démontrer qu'elle était animée d'une intention spéculative lors de cette acquisition et il est donc parfaitement indifférent sur ce point qu'elle ait été assujettie à l'impôt sur les sociétés, et non à l'impôt sur le revenu.
#3 En tout état de cause, l'assujettissement d'une société civile immobilière à l'impôt sur les sociétés ne constitue pas la preuve qu'elle se livre à une activité commerciale. En effet, si cet assujettissement s'impose dans un tel cas, une société civile immobilière peut également opter volontairement pour cet assujettissement sans perdre sa nature civile conformément aux dispositions de l'alinéa 3 de l'article 206 et de l'article 239 du code général des impôts. En conséquence, en l'absence de tout élément permettant d'apprécier les raisons de l'assujettissement de la société Holding Barbara à l'impôt sur les sociétés, ce moyen n'est pas de nature à démontrer qu'elle exercerait une activité commerciale.
Par ailleurs, l'examen de ses statuts produits en pièce 33 de son dossier permet de constater que son objet social est :
"-la construction de logement, l'acquisition des terrains destinés à supporter ces constructions, l'acquisition d'immeuble, la location non meublée de son patrimoine immobilier,
- les activités de holding, à savoir prise de participation dans toutes sociétés ou entreprises françaises ou étrangères quel que soit leur objet social et leur activité, la gestion des titres et valeurs mobilières, l'investissement pour son compte ou pour celui de tiers par tout procédé que ce soit notamment par voie d'acquisition, augmentation de capital, absorption ou fusion.
#4 Et généralement toutes opérations pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social ou susceptibles d'en favoriser le développement, pourvu qu'elles ne modifient pas le caractère civil de la société".
Au-delà du fait que les activités énumérées dans cet objet social ne relèvent pas de la liste limitative des actes que l'article L.110-1 du code de commerce répute actes de commerce, la dernière phrase de l'objet social exclut qu'elle puisse se livrer à des opérations pouvant modifier son caractère civil.
S'il est de jurisprudence constante que la cession de l'ensemble des parts d'une société s'analyse en une cession de contrôle constituant un acte de commerce, cette règle n'est applicable qu'à la cession des parts de sociétés commerciales, et non à la cession des parts de sociétés civiles.
Dans ces conditions, c'est à bon droit que le juge de la mise en état a considéré que la clause attributive de juridiction contenue dans l'acte du 20 février 2018, qui n'avait pas été signée par deux parties ayant contracté chacune en qualité de commerçante, était réputée non écrite.
Sur la compétence liée au lieu de situation de l'immeuble :
#5 L'article 44 du code de procédure civile dispose qu'en matière réelle immobilière, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble est seule compétente.
#6 Sur le fondement de ce texte, la société Holding Barbara soutient que dans la mesure où la cession des parts sociales de la SCI Lorient Camaruche concernait une société à prépondérance immobilière située à [Localité 4], qui ne détenait que la parcelle cadastrée [Cadastre 2] située à [Localité 4], cette cession concernait in fine une propriété sise à [Localité 4].
Elle indique par ailleurs que, sur le plan fiscal, la cession de titres d'une société à prépondérance immobilière est soumise à la formalité de l'enregistrement, à la plus-value immobilière et taxée comme une cession d'immeuble. Elle fait enfin valoir que les dispositions de l'article L.213-1 du code de l'urbanisme relatives au droit de préemption s'appliquent, comme pour tout immeuble.
#7 Néanmoins, la cession de parts sociales constitue au regard du droit civil une action mobilière et ni l'objet social de la société Lorient Camaruche, ni les règles particulières précédemment évoquées ne sont de nature à modifier la nature de l'action qui fait l'objet du litige opposant la SAS Val de France Immo et la SCI Holding Barbara. Il est également indifférent sur ce point que la promesse de cession de parts sociales du 20 février 2018 ait prévu une condition suspensive relative à l'exercice du droit de préemption prévu par le conseil territorial de la collectivité de [Localité 4].
L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a considéré que l'article 44 du code de procédure civile n'était pas applicable en l'espèce.
Sur la compétence liée au lieu d'exécution du contrat :
L'article 46 du code de procédure civile dispose que le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;
- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
- en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble ;
- en matière d'aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier.
Sur le fondement de ce texte, la SCI Holding Barbara soutient qu'eu égard à la nature contractuelle du litige, elle pouvait au choix saisir la juridiction du siège social de la défenderesse ou celle du lieu de livraison de la chose ou d'exécution du contrat, que cette livraison ou cette prestation aient ou non été effectuées.
S'il n'est pas contestable qu'en l'espèce le litige est bien relatif à l'exécution d'une obligation contractuelle, la réalisation forcée d'une cession de parts sociales ne constitue ni la livraison d'une chose, ni l'exécution d'une prestation de service au sens de l'article 46 précité.
Il est par ailleurs inopérant que la cession de parts sociales ait concerné une société à prépondérance immobilière dès lors que cette cession n'impliquait aucune livraison effective de l'immeuble.
Dès lors, l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a considéré que l'article 46 du code de procédure civile n'était pas applicable en l'espèce et que la juridiction compétente était celle du lieu dans lequel se trouve le siège social de la SAS Val de France Immo, soit en l'espèce le tribunal judiciaire de Versailles.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
#8 La SCI Holding Barbara, qui succombe dans toutes ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Elle sera également condamnée à payer à la SAS Val de France Immo la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa propre demande à ce titre.
Enfin, les dispositions de l'ordonnance contestée seront confirmées.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme l'ordonnance du 10 mai 2021 dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SCI Holding Barbara à payer à la SAS Val de France Immo la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La déboute de sa propre demande à ce titre,
Condamne la SCI Holding Barbara aux entiers dépens de l'instance d'appel.