Livv
Décisions

Cass. com., 8 mars 2011, n° 09-13.830

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Avocats :

Me Foussard, Me Le Prado

Cass. com. n° 09-13.830

8 mars 2011

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 mars 2009) que, par contrat du 12 novembre 2007, la société Beneteau Entreprises Corporation (la société Beneteau) s'est portée acquéreur auprès de la société Panagia Odigitria (la société Panagia) du navire "Mastrogiorgis" battant pavillon panaméen ; que le 25 décembre 2007, la société Panagia a notifié à la société Beneteau la résiliation du contrat au motif que le prix n'aurait pas été réglé dans le délai convenu ; que, faisant valoir que la société Panagia n'avait pas respecté ses obligations, la société Beneteau a saisi un tribunal arbitral londonien conformément à la clause d'arbitrage prévue dans le contrat et a fait procéder à la saisie conservatoire du navire "Mastrogiorgis", en vertu de l'autorisation d'un juge grec ; que le 31 mars 2008, la société Panagia a obtenu du tribunal de première instance du Pirée, après débat contradictoire entre les deux parties, la mainlevée de cette mesure ; que le 9 mars 2009, sur demande de la société Beneteau, le président du tribunal de commerce de Rouen a autorisé la saisie conservatoire du "Mastrogiorgis", présent au port de Rouen ; que la société Panagia ayant assigné en référé la société Beneteau pour voir rétracter cette décision, le président du tribunal de commerce de Rouen a, le 16 mars 2009, confirmé son ordonnance en ce qu'elle avait autorisé la saisie conservatoire du navire ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Beneteau fait grief à l'arrêt d'avoir infirmé l'ordonnance du 16 mars 2009, rétracté l'ordonnance du 9 mars 2009 et ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur le navire "Mastrogiorgis", alors, selon le moyen, qu'une mesure de contrainte, supposant le concours de l'autorité étatique ou d'un délégataire de l'autorité étatique, aurait-elle un caractère provisoire, telle qu'une saisie conservatoire, n'a d'effet que sur le territoire de l'autorité qui la prescrit ; qu'il en va de même d'une décision portant mainlevée dès lors que la mesure visée par la mainlevée n'avait elle-même d'effet que sur le territoire de l'autorité qui l'a prescrite ; qu'en l'espèce, tout comme la décision ayant autorisé en Grèce la saisie conservatoire du navire "Mastrogiorgis", la décision du tribunal de première instance de Pirée du 31 mars 2008 n'avait d'effet que sur le territoire grec ; qu'en décidant le contraire, pour considérer que le jugement du 31 mars 2008 s'opposait à une mesure conservatoire sollicitée auprès du juge français, le navire étant en France, les juges du fond ont violé l'article 31 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, ensemble le principe suivant lequel les mesures de contrainte relevant du monopole de l'Etat local n'ont d'effet que sur le territoire national ;

Mais attendu que, saisie d'une demande de mesure conservatoire préalablement rejetée par une décision rendue dans un autre Etat membre, qu'elle était tenue de reconnaître en vertu de l'article 33, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, c'est à bon droit que la cour d'appel, refusant de substituer son appréciation sur le bien fondé de cette demande à celle déjà faite, a retenu qu'il ne pouvait être soutenu que la décision grecque n'aurait qu'une portée limitée au territoire grec ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, réunis :

Attendu que la société Beneteau fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une décision étrangère, quand bien même serait-elle reconnue par le for, ne peut s'opposer à une demande que si les conditions de l'autorité de chose jugée sont remplies ; que l'exception de chose jugée doit être écartée dès lors que le droit étranger, sur la base duquel le juge étranger s'est prononcé, est distinct, quant aux conditions qu'il pose, du droit du for sur le fondement duquel la demande est présentée ; qu'en effet, en pareille hypothèse, l'identité de cause fait défaut ; qu'en opposant l'autorité de chose jugée attachée au jugement grec du 31 mars 2008, quand il constatait que les conditions de la saisie conservatoire étaient différentes, en droit grec et en droit français, les juges du fond ont violé l'article 1351 du code civil, ensemble les règles gouvernant l'autorité de chose jugée attachée aux jugements étrangers ;

2°/ que si les juges du fond ont considéré que l'une des deux conditions requises pour qu'il y ait saisie conservatoire – créance paraissant fondée en son principe – étaient communes au droit grec et au droit français, ils n'ont pas recherché si le juge grec s'étant prononcé au regard du droit grec des contrats cependant que le juge français se prononce en pareil cas au regard du droit français, cette circonstance n'excluait pas en toute hypothèse l'identité de cause ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué encourt à tout le moins une censure pour défaut de base légale au regard de l'article 1351 du code civil, ensemble les règles gouvernant l'autorité de chose jugée attachée aux jugements étrangers ;

3°/ qu'un jugement étranger ne peut produire dans le for qui l'accueille, plus d'effet qu'un jugement similaire rendu par une juridiction du for qui l'accueille ; qu'en droit français, la décision rendue par le président du tribunal de grande instance ou le président du tribunal de commerce, pour autoriser une saisie ou en prescrire la mainlevée n'a qu'une autorité provisoire ; qu'une nouvelle demande peut être présentée en présence d'un fait nouveau ; qu'en décidant que la décision du 31 mars 2008 faisait par principe obstacle à une demande d'autorisation de saisie, quand en droit français une décision similaire laisse place à la formulation d'une demande postérieure dès lors qu'elle peut se réclamer d'un fait nouveau, les juges du fond ont violé la règle suivant laquelle la décision étrangère ne peut produire plus d'effet qu'une décision similaire rendue dans l'ordre du for, ensemble l'article 488 du code de procédure civile ;

4°/ que faute d'avoir recherché si, le navire étant désormais en France, et l'autorisation de saisie relevant par suite du droit français, la demande d'autorisation ne devait pas être regardée comme fondée sur un fait nouveau, les juges du fond ont en tout état de cause privé leur décision de base légale au regard de l'article 488 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt relève que le juge grec, qui a statué sur le même litige, entre les mêmes parties, pour la saisie conservatoire par la société Beneteau du même navire sur le fondement de la même créance alléguée, a ordonné la mainlevée de la saisie après avoir estimé, d'une part, qu'il n'existait pas de risque menaçant le recouvrement de la créance, condition non exigée en droit français, et, d'autre part, qu'il n'était pas établi que la société Panagia ait violé ses obligations contractuelles à l'égard de la société Beneteau ; que l'arrêt relève encore que la violation de ces obligations par la société Panagia est le fondement de la créance invoquée par la société Beneteau à l'appui de sa requête en saisie conservatoire du navire présentée devant le juge français ; qu'ayant ainsi concrètement vérifié que la demande qui lui était présentée la conduisait à statuer sur un point précis déjà apprécié par la décision du juge grec, la cour d'appel, devant qui n'était pas invoquée l'existence d'un fait nouveau, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.