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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re et 9e ch. réunies, 2 mars 2023, n° 22/05596

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

BPCE Lease (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Denjoy

Conseillers :

Mme Pochic, M. Tatoueix

Avocats :

Me Tollinchi, Me Pellequer, Me Gassend, Me Manissier

JEX Toulon, du 22 mars 2022, n° 21/02316

22 mars 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Par actes sous seing privé conclus entre juillet 2009 et décembre 2012, la société NATIXIS LEASE, devenue BPCE LEASE, a consenti à la société PROVENCE MANUTENTION, dont M. [T] [V] était le président et sa fille, [D] [V], directrice générale, 34 contrats de crédit-bail dans le cadre d'opérations de lease-back.

Par jugement en date du 14 janvier 2013, la société PROVENCE MANUTENTION a été placée en liquidation judiciaire.

Reprochant aux dirigeants de la société PROVENCE MANUTENTION d'avoir établi de faux contrats de location et mis en œuvre des doubles financements sur des matériels identiques auprès de différents établissements financiers, en ce compris la société NATIXIS LEASE, afin d'obtenir le double voire le triple règlement des chariots objets du contrat de crédit-bail, la société NATIXIS LEASE a déposé une plainte avec constitution de partie civile le 23 mai 2013 pour faux, usage de faux, escroquerie et abus de confiance contre M. [T] [V] et sa fille [D], qui a donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire à la suite de laquelle le Procureur de la République a requis le renvoi de M. [T] [V] devant le tribunal correctionnel des chefs de faux, escroquerie et banqueroute.

Par ordonnance sur requête en date du 7 décembre 2020, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulon a autorisé la SA BPCE LEASE à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur les biens immobiliers sis à Ollioules et à Sanary sur Mer dont est propriétaire M. [T] [V], pour garantie d'une somme de 500 000 €.

Par exploit en date du 4 mai 2021, M. [T] [V] a fait assigner la SA BPCE LEASE devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulon aux fins de voir prononcer la nullité de l'acte de dénonce de dépôt de l'inscription d'hypothèque provisoire du 6 mars 2021, voir déclarer caduque l'inscription d'hypothèque et ordonner sa mainlevée, voir rétracter l'ordonnance sur requête du 7 décembre 2020 et ordonner en conséquence mainlevée de l'inscription d'hypothèque, voir prononcer la nullité de l'acte de dénonce, déclarer caduque l'hypothèque judiciaire provisoire et ordonner sa mainlevée, outre condamnation de la société BPCE LEASE au paiement d'une somme de 2500 € à titre de dommages et intérêts et 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par jugement du 22 mars 2022 dont appel du 14 avril 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulon a :

- Rejeté la demande en nullité de l'acte de dénonce de dépôt de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ainsi que la demande en caducité et en mainlevée de ladite hypothèque,

- Débouté M. [T] [V] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamné M. [T] [V] à payer à la SA BPCE LEASE la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Le juge de l'exécution énonce en ses motifs :

- sur le moyen tiré de la compétence exclusive du mandataire liquidateur pour engager des poursuites pénales à l'encontre de M. [V], le juge de l'exécution n'est pas compétent pour statuer sur la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile de la société NATIXIS LEASE,

- la société BPCE LEASE justifie d'une apparence de créance en l'état des contrats signés avec la société PROVENCE MANUTENTION qui ont permis l'admission de ses créances à hauteur de 2 800 000 € et des faits délictueux commis par M. [V] que celui-ci a reconnu pénalement,

- compte tenu de l'ampleur des faits délictueux qui ont été commis, de leur gravité exceptionnelle, de leurs conséquences sur le plan financier et du nombre de parties civiles dans l'ordonnance de non-lieu partiel de renvoi devant le tribunal correctionnel de Toulon de M. [V], les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance de la SA BPCE LEASE sont avérées,

- la plainte avec constitution de partie civile suivie d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel constitue la mise en œuvre de la procédure destinée à obtenir un titre exécutoire puisqu'elle a pour objet d'obtenir notamment des dommages-intérêts.

Vu les dernières conclusions déposées le 27 avril 2022 par M. [T] [V], appelant, aux fins de voir :

- Infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau,

- Prononcer la nullité de l'acte de dénonce de dépôt d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire en date du 6 mars 2021, déclarer caduque l'hypothèque judiciaire provisoire prise sur les biens immobiliers sis à [Localité 5] et à [Localité 6] et ordonner sa mainlevée,

- Constater l'absence de créance fondée en son principe à l'égard de M. [T] [V], rétracter en conséquence l'ordonnance sur requête du 7 décembre 2020 et ordonner sa mainlevée,

- Constater le non-respect par la société BPCE LEASE de l'obligation d'introduire une action au fond dans le délai d'un mois, prononcer en conséquence la nullité de l'acte de dénonce de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire en date du 6 mars 2021, déclarer caduque l'hypothèque judiciaire provisoire prise sur les biens immobiliers sis à [Localité 5] et à [Localité 6] et ordonner sa mainlevée,

En toutes hypothèses,

- Condamner la société BPCE LEASE au paiement d'une somme de 2500 € à titre de dommages et intérêts et 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [T] [V] fait valoir :

- que la requête ne comporte pas l'indication précise des pièces invoquées, ce qui prive le débiteur d'avoir une connaissance complète des éléments sur lesquels le requérant fonde le principe de créance allégué, comme l'a déjà jugé le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Digne-les-Bains à l'occasion de la requête déposée dans les mêmes termes à l'encontre de la fille de M. [V] par jugement du 28 mai 2014 confirmé par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 9 octobre 2015 contre lequel le pourvoi formé par la société NATIXIS LEASE a été rejeté par arrêt du 1er décembre 2016,

- que l'intervention " en lieu et place" de la société NATIXIS LEASE ne permet pas d'en déduire automatiquement que la société BPCE LEASE, qui ne justifie pas avoir régularisé son intervention dans le cas de la procédure pénale comme dans le cadre des procédures commerciales, dispose d'une quelconque qualité de créancier,

- que les créances revendiquées par la société BPCE LEASE dans le cadre de la procédure collective ne se confondent pas avec les préjudices distincts qui pourraient être subis par les créanciers de cette procédure dans l'hypothèse où M. [V] serait condamné, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

- que toute poursuite directement contre M. [V] est irrecevable dès lors qu'elle se heurte au monopole du mandataire liquidateur fondé sur l'égalité des créanciers et la société BPCE LEASE n'a entrepris aucune action civile distincte et directe à l'encontre de ce dernier et ne justifie surtout d'aucun préjudice distinct de celui revendiqué dans le cadre de la procédure collective,

- que la société BPCE LEASE, qui entretient une confusion entre les créances revendiquées contre M. [V] à titre personnel et contre lui ès-qualités de dirigeant de la société PROVENCE MANUTENTION, n'a introduit aucune action au fond contre M. [V] à titre personnel dans le délai d'un mois et la plainte déposée en 2013 n'est pas une formalité suffisante compte tenu de la complexité du dossier et de la jurisprudence de la Cour de Cassation.

Vu les dernières conclusions déposées le 19 mai 2022 par la SA BPCE LEASE, intimée, aux fins de voir confirmer le jugement entrepris et débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes, outre sa condamnation au paiement d'une somme de 6000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La SA BPCE LEASE fait valoir :

- que les décisions judiciaires rendues dans le cadre de la procédure de contestation de l'hypothèque inscrite contre Mme [D] [V] en 2013 ne sont pas opposables à la présente procédure qui n'a pas été engagée dans des termes identiques à celle-ci puisque les pièces qui sont invoquées ne sont pas les mêmes,

- que la nature et les dates des documents invoqués apparaissent tant dans le corps de la requête litigieuse que dans le bordereau qui y est annexé et les contrats sont mentionnés dans les actes de procédure produits en pièces 5 et 6 annexées à la requête,

- que NATIXIS LEASE correspondant simplement à l'ancienne dénomination sociale de la société BPCE LEASE, celle-ci justifie avoir la qualité de partie civile, victime de faits délictueux au titre desquels M. [V] est poursuivi,

- que M. [V] a reconnu les faits délictueux dénoncés au titre des 34 contrats concernés par les déclarations de créance et les ordonnances d'admission, de sorte que la société BPCE LEASE justifie avoir la qualité de créancier à l'égard de ce dernier,

- qu'une plainte avec constitution de partie civile contre une personne dénommée constitue la mise en œuvre d'une procédure destinée à l'obtention d'un titre exécutoire lorsqu'elle permet au plaignant d'obtenir des dommages et intérêts, comme au cas d'espèce.

Vu l'ordonnance de clôture du 20 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Conformément à l'article R 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution est seul compétent pour statuer sur la contestation d'une mesure conservatoire qu'il a autorisée.

En l'état d'un simple changement de dénomination sociale, la société NATIXIS LEASE, devenue BPCE LEASE justifie de sa qualité de créancier et le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile visant M. [V] personnellement a satisfait à l'obligation prévue à l'article R 511-7 du code des procédures civiles d'exécution qui dispose que le créancier doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire.

Il résulte de la combinaison des articles R 532-5 du code de procédure civile d'exécution et 495 du nouveau code de procédure civile dont les exigences sont destinées à faire respecter le principe de la contradiction, que le créancier saisissant est tenu, lorsqu'il signifie au débiteur la décision du juge de l'exécution qui l'autorise à inscrire une hypothèque provisoire, de remettre une copie de cette requête comportant l'indication précise des pièces invoquées.

Dans le corps de sa requête en date du 7 décembre 2020, pour justifier d'une créance apparemment fondée en son principe, la société NATIXIS LEASE, devenue BPCE LEASE, fait notamment état de 194 contrats de sous-location sur lesquels aucune indication n'est donnée alors qu'il est soutenu que 164 d'entre eux seraient des faux réalisés et signés de la main des dirigeants de la société PROVENCE MANUTENTION ainsi que de 34 contrats de crédit-bail, de factures de matériel et des procès-verbaux de livraisons correspondants, sans qu'une liste détaillée en soit même fournie, ce qui a pu, dans le cadre d'une requête déposée le 8 août 2013 et rédigée pour partie dans les mêmes termes, légitimement conduire à l'annulation de la dénonce d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise le 1er octobre 2013 en vertu d'une ordonnance du juge de l'exécution du 14 août 2013, entraînant la caducité et la mainlevée de l'hypothèque judiciaire prise le 27 septembre 2013 à l'encontre de Mme [D] [V] par jugement du juge de l'exécution de Digne-les-Bains en date du 28 mai 2014 confirmé par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 9 octobre 2015 contre lequel le pourvoi formé par la société NATIXIS LEASE a été rejeté par arrêt de la Cour de Cassation en date du 1er décembre 2016.

Mais depuis, à la suite à la plainte déposée à l'encontre de M. [V] pour ces faits le 11 février 2013 par la société NATIXIS LEASE du chef d'escroqueries, M. [V], mis en examen dans le cadre de l'information ouverte le 21 mars 2014, a reconnu devant le juge d'instruction, comme il l'avait fait dans le cadre de l'enquête préliminaire confiée à la division économique et financière de la DIPJ de Marseille, l'établissement de fausses factures de fabricants à partir de vraies factures pour la fabrication de faux contrats de sous-location, au préjudice de plusieurs organismes de crédit dont la société NATIXIS LEASE, précisant que ces pratiques frauduleuses avaient commencé dans les années 2000, comme cela résulte du réquisitoire définitif de renvoi de M. [V] devant le tribunal correctionnel des chefs notamment d'escroqueries au préjudice notamment de la société NATIXIS LEASE en date du 11 mai 2020, réquisitoire joint à la requête du 7 décembre 2020 et qui contient une description détaillée des pièces, nombreuses, sur lesquelles reposent les manœuvres frauduleuses dont M. [V] s'est reconnu personnellement l'auteur, de même qu'un tableau synthétique des sommes escroquées par victime, dont la société NATIXIS LEASE devenue BPCE LEASE, laquelle y figure pour un montant de 2 834 831 €, soit autant d'éléments permettant à M. [V] de connaître précisément ce sur quoi la société BPCE LEASE fonde le principe apparent de créance allégué et de satisfaire ainsi au principe du contradictoire.

Et en l'état de ces éléments, la société BPCE LEASE justifie d'une créance apparemment fondée en son principe au sens de l'article R 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'importance des sommes en jeu, la résistance au paiement de M. [V] et l'incertitude quant à la situation de ce dernier au regard des peines encourues constituant par ailleurs autant de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance.

Le jugement dont appel doit être en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [T] [V] à payer à la société BPCE LEASE la somme de 5000 € (cinq mille euros) ;

Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples ;

Condamne M. [T] [V] aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.