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Décisions

Cass. crim., 7 décembre 2022, n° 22-80.874

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

Mme Fouquet

Avocat général :

M. Bougy

Avocat :

Me Occhipinti

Versailles, du 25 janv. 2022

25 janvier 2022

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Entre 2010 et 2011, M. [L] [H], gérant de la société [1] (la société [1]) a déposé trois plaintes avec constitution de partie civile à l'encontre de membres de sa famille. Il a notamment dénoncé des faits de violences, menaces, extorsion, séquestration, tentative de meurtre commis à son encontre, ainsi que des faits d'abus de biens sociaux, abus de confiance et escroquerie qui auraient été commis au préjudice de la société [1] par sa soeur, Mme [V] [H], épouse [C] et son mari, M. [I] [C] afin de privilégier les intérêts d'une autre société, la SARL [2] (la société [2]).

3. Une information judiciaire a été ouverte des chefs de tentative de meurtre, séquestration avec torture ou acte de barbarie, torture ou acte de barbarie sur personne vulnérable, extorsions de signature, menace pour déterminer une victime à ne pas porter plainte, violences en réunion avec incapacité totale de travail inférieure à huit jours, abus de faiblesse d'une personne vulnérable, abus de biens sociaux, escroquerie et abus de confiance.

4. Le 21 novembre 2014, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu.

5. Par arrêt du 21 mai 2015, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise des chefs de tentative de meurtre, séquestration avec actes de torture ou de barbarie sur personne vulnérable, extorsion de signature, abus de faiblesse, violences volontaires et a ordonné la poursuite de l'information pour le surplus.

6. Par arrêt du 11 janvier 2017, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision (Crim., 11 janvier 2017, pourvoi n° 15-83.772).

7. Le 15 avril 2021, le juge d'instruction a rendu une nouvelle ordonnance de non-lieu.

8. M. [H] et la société [1] ont interjeté appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les quatrième et cinquième moyens

9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur les premier, deuxième et troisième moyens

Enoncé des moyens

10. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à supplément d'information et a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise, alors « que les juridictions d'instruction ont l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte, sous toutes les qualifications possibles ; que la chambre de l'instruction, dans son arrêt du 21 mai 2015, la chambre de l'instruction avait confirmé partiellement l'ordonnance de non-lieu sur les chefs de tentative de meurtre, séquestration, extorsion de signature, abus de faiblesse et violences volontaires et ordonné la poursuite de l'information pour le surplus, après avoir constaté que les faits de menaces de mort devaient être précisés ; que la chambre de l'instruction, en ne statuant pas sur ces faits dont elle était saisie, a violé les articles 85 et 86 du code de procédure pénale. »

11. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à supplément d'information et a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise, alors :

« 1°/ que le délit d'abus de biens sociaux est constitué lorsqu'un gérant de société fait, des biens de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ; que les exposants faisaient valoir, pièces à l'appui, que Mme [C] avait fait réaliser des paiements par la société [1] pour couvrir des dépenses propres à la société [2], qu'elle dirigeait ; qu'en ne répondant pas à ces articulations déterminantes du mémoire des exposantes, la chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que les exposantes faisaient valoir que le mari de Mme [C] avait également reçu des sommes de la part de la société [1], sans aucune raison ; qu'en ne répondant pas à ces articulations déterminantes du mémoire des exposantes, la chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

12. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à supplément dïnformation et a confrmé l'ordonnance de non-lieu entreprise, alors « que les juridictions d'instruction ont l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte, sous toutes les qualifications possibles ; que les faits de menaces et surtout de chantages sur victime mais aussi sur témoin (en la personne de M. [E] [P]) avaient clairement été dénoncés et donc devaient être précisés ; que la chambre de l'instruction, en ne statuant pas sur ces faits dont elle était saisie, a violé les articles 85 et 86 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 80, 85 et 593 du code de procédure pénale :

13. Il résulte des deux premiers de ces textes que la chambre de l'instruction doit prononcer sur chacun des faits dont le juge d'instruction est saisi par la plainte de la partie civile ou les réquisitions du ministère public.

14. Il résulte du dernier que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

15. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que par arrêt définitif du 21 mai 2015, la chambre de l'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque des chefs de tentative de meurtre, séquestration avec actes de torture et de barbarie sur personne vulnérable, extorsion de signature, abus de faiblesse, violences volontaires aggravées, énonce que l'information s'est poursuivie sur le surplus des délits d'atteintes aux biens visés aux réquisitoires introductifs, soit sur les faits d'abus de confiance, d'escroquerie, et d'abus de biens sociaux.

16. Les juges relèvent que le 25 mars 2018, Mme [C] a été placée sous le statut de témoin assisté de ces chefs, le juge d'instruction estimant qu'il n'existait pas suffisamment d'indices graves ou concordants pour la mettre en examen et qu'au terme de l'information, les investigations n'ont pas davantage permis de caractériser l'une ou l'autre de ces infractions.

17. Ils retiennent que, comme l'ont indiqué le magistrat instructeur et le conseil du témoin assisté, il n'existe aucun élément constitutif des délits d'escroquerie et d'abus de confiance.

18. Ils ajoutent, quant aux faits d'abus de biens sociaux, qu'outre qu'aucun élément précis ne vient accréditer les allégations de concurrence déloyale et notamment d'éventuels détournements de fournisseurs ou de clientèle, comme l'a d'ailleurs relevé le tribunal de commerce dans son jugement du 24 septembre 2014, les prêts consentis par la société [1] à la société [2] pour les montants de 300 000 et 130 000 euros les 21 janvier 2008 et 8 avril 2008 ne paraissent pas davantage susceptibles de constituer des abus de biens sociaux.

19. Ils précisent à cet égard que, d'une part, ces deux prêts ont été octroyés pour des durées inférieures à un an, moyennant un taux d'intérêt de 5 %, d'autre part, ces prêts ont été intégralement remboursés à l'issue des délais prévus avec paiement des intérêts, ce qui a donc profité à la société [1], par ailleurs, ces prêts correspondaient à un fonctionnement usuel des sociétés familiales, la société [1] ayant elle-même bénéficié d'un prêt similaire de la part d'une autre société familiale à hauteur de 210 000 euros en 2007, en outre ces prêts correspondent à chaque fois à un besoin de liquidités par une société devant financer ses activités et notamment des opérations d'achat/revente de la part d'une autre société disposant au même moment de telles liquidités, enfin, ces prêts ont été réalisés avec l'accord des deux gérants et aucun élément ne vient démontrer que l'autorisation de M. [H] lui aurait été extorquée, un non-lieu définitif ayant d'ailleurs été prononcé du chef d'extorsion de signature.

20. La cour d'appel en conclut que les faits d'abus de biens sociaux ne sont pas caractérisés.

21. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui, d'une part, a omis de statuer sur les délits de menaces de mort et de menaces pour déterminer une victime à ne pas porter plainte ou à se rétracter dont elle était toujours saisie par la plainte de M. [H] et le réquisitoire introductif du procureur de la République, d'autre part, n'a pas répondu aux articulations essentielles du mémoire des parties civiles, qui invoquaient, au titre des abus de biens sociaux commis au préjudice de la société [1], le paiement de frais concernant la société [2] et l'existence de versements de la société [1] au profit du mari de Mme [C], qui ne travaillait pas pour elle, n'a pas justifié sa décision.

22. La cassation est dès lors encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 25 janvier 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.