CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 31 mai 2023, n° 21/03292
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Noidanaise de Transports Frigorifiques (SARL)
Défendeur :
Euroserum (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Brun-Lallemand, Mme Depelley
Avocats :
Me Pillot, Me Joubert, Me Coulon, Me Schwab, Me Nallet
FAITS ET PROCÉDURE :
La Société Société Noidanaise De Transport Frigorifiques (ci-après "SNTF") représentée par la SCP GUYON-[T], intervenant par Maître [T] agissant ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SNTF ainsi désignée par jugement du tribunal de commerce de Vesoul-Gray en date du 9 juillet 2019, a pour activité le transport routier, service de transports de marchandises pour le compte d'autrui et la location de véhicules pour transports routiers de marchandises.
Pour les besoins de son activité, la société Euroserum, ayant pour activité la transformation, le traitement et le séchage du lait et de ses dérives et produits, a fait appel aux services de la société BBC Transports courant 2001 jusqu'à janvier 2013, date à laquelle cette activité s'est poursuivie avec la Société Société Noidaise de Transport Frigorifiques (ci-après "SNTF"), société du même groupe.
Le 10 avril 2014, la société Euroserum a informé la SNTF de sa volonté d'arrêter son activité dans l'entrepôt de Noidans-Le-Ferroux, avec effet au 30 septembre 2014 en raison de sa vétusté. Elle a précisé qu'elle était à la recherche d'une solution logistique pour son site industriel situé à [Localité 5] et rappelé qu'elle attendait une proposition portant sur l'entrepôt Maillot situé à[Localité 4]l.
Finalement, la société Eurosérum a adressé le 14 octobre 2014 un second courrier qui a confirmé l'arrêt de la relation commerciale au 28 février 2015 et les modalités de mise en œuvre.
Le 13 février 2015, la SNTF a demandé à la société Eurosérum une indemnisation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales.
Par lettre du 13 mars 2015, la société Euroserum a rejeté cette demande.
Par jugement du 21 janvier 2021, le tribunal de commerce de Nancy, saisi par acte du 11 décembre 2017 de la société EUROSERUM a statué en ces termes :
- Déclare l'intervention volontaire de la SCP GUYON-[T] recevable,
- Déclare la SARL SNTF mal fondée en ses demandes au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, et l'en déboute,
- Déclare la SARL SNTF mal fondée en sa demande d'indemnisation du co0t des licenciements effectués, L'en déboute,
- Condamne la SARL SNTF à payer à la SAS EUROSERUM la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamne la SARL SNTF aux dépens du présent jugement.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 18 février 2021, la société SNTF a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 septembre 2021, la SNTF représentée par son liquidateur demande à à la Cour de :
Vu l'article L.442-6 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019
Vu les articles L237-2 et L641-9 du code de commerce
Vu les articles 9, 16, 329, 330 et 700 du code de procédure civile
Vu les jurisprudences citées
Vu les pièces versées au débat
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 21 janvier 2021 uniquement en ce qu'il a déclaré l'intervention volontaire de la SCP GUYON-[T] recevable
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nancy le 21 janvier 2021 en ce qu'il a :
* Déclaré la SARL SNTF mal fondée en ses demandes au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019,
* L'en a débouté,
* Déclaré la SARL SNTF mal fondée en sa demande d'indemnisation du coût des licenciements effectués,
* L'en a débouté,
* Condamné la SARL SNTF à payer à la SAS EUROSERUM la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
* Condamné la SARL SNTF aux dépens de l'instance
Et statuant à nouveau,
- Juger que la rupture de la relation commerciale à l'initiative de la société EUROSERUM est brutale
- Condamner la société EUROSERUM à payer à la SNTF :
* 344 022 € au titre du préjudice de perte de marge brute subi
* 11.349 € au titre des licenciements effectués
* 8.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance
- Débouter la société EUROSERUM de l'intégralité de ses demandes
- Condamner la société EUROSERUM à payer à la SNTF la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamner la société EUROSERUM aux dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées 8 décembre 2021, la société Euroserum demande à la Cour de :
Vu le jugement déféré du Tribunal de commerce de NANCY du 21 janvier 2021,
Vu l'article 123 du Code de procédure civile,
Vu ensemble les articles 564 et 565 du Code de procédure civile relatifs à la recevabilité en appel des prétentions nouvelles,
Vu l'article 954 du Code de procédure civile relatif à la concentration des moyens et des demandes en appel,
Vu la jurisprudence,
Vu les présentes écritures et les pièces versées aux débats,
- Juger que la demande de la société EUROSERUM tendant à voir réformer le jugement déféré du tribunal de commerce de NANCY du 21 janvier 2021 en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la SCP GUYON-[T] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNTF et, par conséquent, à juger irrecevable le liquidateur judiciaire ès qualité en son intervention volontaire, n'est pas nouvelle.
- Débouter la société SNTF et la SCP GUYON-[T], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNTF, de l'intégralité de leurs demandes.
Vu le jugement déféré du Tribunal de commerce de NANCY du 21 janvier 2021,
Vu l'article L. 641-9, I, alinéa 1 er, du Code de commerce,
Vu ensemble les articles 325, 328, 329 et 330 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence,
Vu le " PAR CES MOTIFS " des conclusions adverses de première instance déposées à l'audience du 13 février 2020,
Vu les pièces versées aux débats et les présentes écritures,
- Déclarer recevable la société EUROSERUM en son appel incident.
- Reformer le jugement déféré du Tribunal de commerce de NANCY du 21 janvier 2021 en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la SCP GUYON-[T] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNTF.
- Juger irrecevable, comme étant mal fondée et n'élevant aucune prétention à son profit, l'intervention volontaire de la SCP GUYON-[T] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNTF.
Vu le jugement déféré du Tribunal de commerce de NANCY du 21 janvier 2021,
Vu l'article L. 641-9, I, alinéa 1er, du Code de commerce,
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées aux débats et les présentes écritures,
- Confirmer le jugement déféré du Tribunal de commerce de NANCY du 21 janvier 2021 en ce qu'il a :
* déclaré la SARL SNTF mal fondée en ses demandes au titre de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, et l'en a déboutée ;
* déclaré la SARL SNTF mal fondée en sa demande d'indemnisation du coût des licenciements effectués, et l'en a débouté ;
En conséquence,
- Débouter la société SNTF et la SCP GUYON-[T], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNTF, de l'intégralité de leurs demandes.
- Condamner la SCP GUYON-[T], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNTF, au paiement de la somme de 10.000,00 Euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel étant distraits au profit de Maître Audrey SCHWAB, avocat au Barreau de Paris, sur son affirmation de droit.
La clôture de l'instruction est intervenue le 31 janvier 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la SCP Guyon- [T] ès qualités de liquidateur judiciaire
La société SNTF représentée par son liquidateur oppose à la demande de la société Eurosérul tendant à voir juger irrecevable le liquidateur ès qualités en son intervention volontaire, le caractère nouveau de la demande.
La société Euroserum rétorque :
- sur le fondement des articles 122, 123 du code de procédure civile que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause,
- que l'intervention volontaire du liquidateur judiciaire de la société SNTF ne constitue pas une "demande nouvelle" au sens de l'article 564 du code de procédure civile,
- que la demande nouvelle est celle qui diffère de la prétention soumise au premier juge par son objet ainsi qu'il résulte de l'article 565 du même code,
- qu'il incombe au plaideur représenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci,
- qu'aux termes de l'article 954 du code de procédure civile les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, la cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examinant les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Elle fait valoir que contrairement à ce que soutient la partie adverse, la demande d'irrecevabilité de l'intervention volontaire du liquidateur judiciaire ne constitue pas une demande nouvelle en ce qu'outre qu'il s' agit d'une fin de non-recevoir, le tribunal l'a expressément tranchée , à titre liminaire dans son jugement et qu'en réalité les appelants n'ont pas concentré l'ensemble de leurs moyens et prétentions au state de leur conclusions soumise de l'article 908 du code de procédure civile, de sorte qu'ils sont réputés avoir abandonné ce chef de demande.
Elle ajoute que ses écritures récapitulatives N°4 ont été diffusées au contradictoire à la barre du tribunal et que le tribunal a renvoyé l'affaire à l'audience du 3 septembre 2020 pour permettre au liquidateur de répliquer. Elle en déduit qu'il n'existe aucun acte de déloyauté, ni violation du contradictoire.
Elle ajoute que même s'il s'agissait d'une " demande nouvelle ", les appelants n'ont pas concentré l'ensemble de leurs moyens et prétentions au stade de leurs conclusions prise en vertu de l'article 908 du code de procédure civile.
De plus, selon elle, le jugement du tribunal de commerce de Vesoul-Gray du 9 juillet 2019 en ouvrant une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société SNTF a entraîné d'office le dessaisissement du débiteur non seulement dans l'administration et la disposition de ses biens, mais encore et surtout dans l'exercice de ses droits et actions concernant son patrimoine, conformément à l'article L. 641-9, I, alinéa 1er du code précité de sorte sue depuis le 9 juillet 2019, la société SNTF est dépourvue de toute qualité et de tout droit à agir, au profit du seul liquidateur judiciaire ès qualités, désormais seul habilité à représenter la société SNTF dans le litige qui l'oppose à la société Euroserum.
Or, la SCP Guyon-[T], ès qualités, a fait déposer des écritures en "intervention volontaire et en reprise de la procédure", motivant son intervention sur le fondement de l'article 330 du Code de procédure civile relatif aux seules interventions à titre accessoire alors que seule une intervention volontaire à titre principal, dûment fondée sur l'article 329 dudit code, était susceptible de permettre au liquidateur judiciaire de reprendre la procédure.
Elle ajoute que cette intervention volontaire est irrecevable faute de "prétention au profit de celui qui la forme".
La SNTF représentée par son liquidateur se fonde sur l'article 329 et 330 du code de procédure civil ainsi que sur l'article L237-2 du code de commerce pour soutenir que la société en liquidation judiciaire continue d'exister bien que ses actions soient exercées par son liquidateur. Selon elle, la SCP Guyon-[T] est intervenue volontairement en première instance à l'appui des prétentions élevées par la société SNTF, lesquelles avaient vocation à bénéficier à la procédure de liquidation judiciaire dont elle est l'un des organes.
Réponse de la Cour,
Force est de constater que la demande portant sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la SCP Guyon-[T] en qualité de liquidateur judiciaire de la société SNTF n'est pas nouvelle puisque le tribunal, par le jugement entrepris, l'a déclarée recevable et que la société Eurosérum a formé appel incident de ce chef.
Par ailleurs la circonstance prise de ce que l'intervention volontaire du liquidateur de la société SNTF serait intervenue à titre accessoire au visa de l'article 330 du code de procédure civile et non à titre principal sur le fondement de l'article 329 du code civil et celle prise de ce qu'il n'aurait pas élevé de prétentions à son profit alors qu'en vertu de l'article L 641-9, I alinéa 1er du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens , les droits et actions du débiteur sur son patrimoine étant exercés pendant la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur, de nature à justifier l'irrecevabilité de l'intervention volontaire du liquidateur, ne peuvent être retenues.
En effet, le liquidateur a pris des conclusions au nom de " La société Noidanaise de Transports Frigorifiques ' représentée par la SCP Guyon-[T] intervenant par Me [T], SCP,'.es-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL La société Noidanaise de Transports Frigorifiques suivant jugement du tribunal de commerce de Vesoul du 9 juillet 2919 ", ce dont il résulte que les demandes de condamnations qu'il forme au profit de la société SNTF sont présentées en sa qualité de liquidateur de cette dernière qu'il représente, ayant seul qualité pour exercer les droits et actions sur le patrimoine de celle-ci. Il sera ajouté, ainsi que l'a justement retenu le tribunal, que la mention de l'article 30 du code de procédure civile relative à l'intervention volontaire accessoire au lieu de l'article 329 relative à l'intervention volontaire à titre principal est à cet égard indifférente.
La fin de non-recevoir est rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La SNTF représentée par son liquidateur invoque la rupture brutale par Euroserum après quatorze années de relations commerciales établies sur le fondement de l'article L.442-6, I 5° du code de commerce.
Elle fait valoir que depuis 2001 et de manière suivie, Euroserum a fait appel à la société BBC Transports pour des prestations de transport, stockage et manutention de marchandises, prestations qui ont donné lieu à des facturations mensuelles, qu'elle a succédé à BBC Transports dans l'exécution de ces prestations à compter du mois de janvier 2013, ce, jusqu'au 28 février 2015.
A cet égard, elle soutient que le 31 janvier 2013, M. [M] [K] qui était le président de BBC Transports ainsi que le gérant de SNTF a indiqué à Euroserum un " changement d'intervenant logistique " et que la société Euroserum a poursuivi, avec elle, la relation commerciale initialement nouée avec BBC Transports, sans élever aucune contestation relative à ce transfert et sans aucune rupture dans les prestations exécutées. Elle estime ainsi que la relation qui s'est poursuivie par SNTF avec Euroserum était stable et prévisible.
Elle soutient que le courrier de cette dernière en date du 14 octobre 2014, qui a mis fin à leur relation commerciale ne tient pas compte de la durée de la relation de 14 ans établie puisqu'un préavis de 14 mois aurait dû lui être accordé, de sorte que la rupture est brutale.
Elle soutient que contrairement à la position prise par le tribunal, le premier courrier du 10 avril 2014 aux termes duquel Euroserum indiquait qu'elle souhaitait arrêter son activité sur le dépôt de "Noidans le Ferroux" avec une échéance annoncée "pour la fin septembre 2014" ajoutant :
"à la recherche d'une solution logistique de proximité d'une capacité de 3 000 tonnes pour notre site industriel de [Localité 5]. Le dépôt des transports MAILLOT à [Localité 4] que nous avons visité début mars pourrait être une solution, sous réserve des travaux en chiffrage, des conditions financières et de la validation de notre direction QHSE.
Car fin avril ou début mai 2014 nous aurons pris un engagement définitif sur une solution alternative », ne doit pas être pris en compte pour déterminer la durée du préavis octroyé à SNTF, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un préavis réel, Euroserum ayant poursuivi les relations au-delà du terme fixé et l'ayant maintenu dans l'incertitude quant à son intention de rompre et ce courrier étant ambigu et imprécis quant à la volonté de la société Euroserum d'arrêter définitivement les relations commerciales.
La SNTF par son liquidateur considère que ce courrier du 10 avril 2014 a seulement ouvert la discussion avec Euroserum pour permettre la continuation de la relation commerciale via une éventuelle solution alternative, telle que l'utilisation d'un nouvel entrepôt à [Localité 4], que face à l'indécision d'Euroserum, elle est restée dans l'expectative de la poursuite des relations commerciales et n'a pas été en mesure de profiter du préavis annoncé pour anticiper la baisse de son chiffre d'affaires et rechercher des marchés de remplacement.
Elle se prévaut du second courrier que lui a adressé Euroserum le 14 octobre 2014 dont l'objet était : "Confirmation de l'arrêt de notre activité sur le dépôt de Noidans Le Ferroux avec rupture contractuelle au 28 février 2015 et modalités de mise en œuvre." aux termes duquel Euroserum évoquait un "compte rendu de la revue d'activité n°4 en date du 19/09/2014" et l'informait de la mise en œuvre de l'arrêt de son activité en mode dégradé sur le dépôt de Noidans Le Ferroux, projetant alors un objectif stock à 0 pour le 28 février 2015. Elle soutient que la société Euroserum a attendu le compte-rendu d'activité n°4 du 19 septembre 2014 pour confirmer, en interne, l'arrêt de sa relation avec elle, rompant le 14 octobre 2014, la relation contractuelle qui les liant.
La société Euroserum rétorque que la relation commerciale directe avec SNTF n'a débuté qu'à compter du 1er février 2013, l'existence de relations commerciales établies entre elle et la société Euroserum depuis 2001, de même que l'existence d'une opération juridique lui permettant de venir aux droits de la société BBC Transports, n'étant pas établies.
A cet égard, elle fait valoir que le contrat n'a pas été cédé ou transféré, que l'article 15 dudit contrat subordonnait la faculté de transférer les droits et obligations qui en sont issus à d'autres personnes que la société BBC Transports, à l'obtention d'un accord préalable et écrit émanant de sa part, accord qui n'est pas produit, ni même allégué.
Selon la société Euroserum, son acceptation de changement de prestataire logistique ne signifie pas acceptation de poursuivre le contrat initialement conclu avec la société BBC Transports en l'absence de toute clause expresse et formelle en ce sens.
Elle considère ainsi, que le point de départ de la relation commerciale qui a été nouée avec la SNTF date du 1er février 2013.
Elle soutient que la notification du courrier du 10 avril 2014 vaut notification de la rupture de la relation commerciale et constitue le point de départ du préavis et qu'à cette date, l'ancienneté des relations commerciales était de 14 mois, que ces relations ne présentaient pas de critère de stabilité prévisible, de sorte que la relation était nécessairement précaire. Elle explique que la relation n'était pas un choix de sa part, mais par la nécessité de ne pas interrompre le flux logistique après le désistement au dernier moment de la société BBC.
Selon l'intimée, il s'agissait dès lors de la gestion d'une situation de transition, par définition provisoire.
Elle ajoute que l'exécution de la prestation a très rapidement été source d'anomalies et de réclamations dont elle ne pouvait se satisfaire.
Elle estime que le préavis auquel la société SNTF aurait en principe été éligible est évaluable entre 1 mois et 2 mois, soit entre ¿ et 1 mois par année d'ancienneté, de sorte que le préavis de 5 mois et ¿, qu'elle lui a octroyé est suffisant.
Elle fait valoir que le courrier recommandé avec accusé de réception du 14 octobre 2014 reprend les termes de l'accord amiable tel qu'évoqué dans le compte-rendu susvisé, accord non dénoncé par la société SNTF tant ce dernier est conforme à la date de prolongation de préavis sollicitée par ses soins.
Selon l'intimée, les parties se sont rapprochées après la notification de la rupture, pour aménager amiablement les modalités de cette dernière et les adapter à la situation particulière de la société SNTF, en cours de procédure collective, avec un effectif réduit et des entrepôts vendus aux enchères.
Réponse de la Cour
La lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2014 adressée par Eurosérum à SNTF avec pour objet " Arrêt de notre activité sur le dépôt de Noisans Le Ferroux avec rupture contractuelle " faisait état de la réclamation de son site en Espagne "pour des excréments de rongeurs sur deux palettes en provenance de votre site de Noidans", de la conclusion de la direction QHSE de sa société, le 25 février 2014 en ces termes : "arrêter le stockage à Noidans le plus rapidement possible. Cet entrepôt ne peut être considéré comme un entrepôt pour des denrées alimentaires périssables" et indiquait "prendre [ses] dispositions pour ne plus avoir de marchandises en stock pour la fin septembre 2014 sur ton site".
Cette lettre ajoutait "Néanmoins nous sommes à la recherche d'une solution logistique de proximité (') pour notre site industriel de [Localité 5]. (') Car fin avril ou début mai 2014 nous aurons pris un engagement définitif sur une solution alternative"
Le 14 octobre suivant, Eurosérum adressait à SNTF une LRAR ayant pour objet :
"Confirmation de l'arrêt de notre activité sur le dépôt de Noidans Le Ferroux avec rupture contractuelle au 28 février 2015 et modalités de mise en œuvre", indiquant notamment "Pour rappel, la vétusté générale de cet entrepôt, son exposition à l'environnement extérieur par manque d'étanchéité et la gestion des intrusions ne permettent plus une exploitation en respectant les contraintes sanitaires actuelles et à venir".
La Cour retient ainsi que le soutient SNTF par son liquidateur que la lettre de rupture est celle du 14 octobre 2014 par laquelle Eurosérum fait part de sa décision définitive d'arrêter son activité sur le dépôt de Noidans Le Ferroux avec rupture contractuelle au 28 février 2015.
Un préavis de 4 mois et 11 jours a donc été accordé à SNTF.
S'agissant de l'ancienneté des relations entre les parties, la circonstance prise de l'identité de personne physique du dirigeant, en l'espèce M [M] [K] , PDG de la société BBC Transports et gérant de la société SNTF ainsi que celle prise de ce que ces deux sociétés sont toutes deux spécialisées dans le secteur d'activité des transports routiers de fret interurbains sont insuffisantes pour justifier l'acceptation par la société Eurosérum de la reprise de l'ancienneté des relations établies entre elle et BBC Transports par SNTF.
A cet égard, il sera observé que l'article 15 du contrat liant Eurosérum à BBC Transports prévoit que cette dernière ne pourra céder ou transférer son activité en totalité ou en partie, à titre gracieux ou onéreux et sous quelque forme que ce soit sans accord préalable et écrit de Eurosérum.
S'agissant de personnes morales distinctes ayant des adresses différentes, il ne saurait être retenu, en l'absence d'accord de la société Eurosérum, que les relations commerciales entretenues par cette dernière avec la société SNTF ont commencé en 2001.
Les relations commerciales entre les parties n'ayant commencé qu'à compter du 1er février 2013, la lettre de rupture du 14 octobre 2014, soit 20 mois et demi plus tard, offrant un préavis de plus de 4 mois, précédé de surcroît d'une lettre du 10 avril 2014 avertissant des difficultés rencontrées, ne revêt aucun caractère brutal sur le fondement de l'article L 442-6, I 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause.
Il sera ajouté à titre surabondant qu'en tout état de cause, la rupture des relations contractuelles est justifié par les manquements de la société SNTF à ses obligations règles sanitaires lui incombant.
A cet égard, ainsi que le fait valoir la société Eurosérum, la société SNTF avait pour obligation essentielle de collecter quotidiennement la production de poudre de lactosérum en sacs, pour la stocker dans un entrepôt respectant tant les exigences liées à l'agrément sanitaire que les normes strictes édictées par les certifications., de sorte qu'en février 2014, consécutivement à la découverte d'excréments de rongeurs sur deux palettes et à l'audit QHSE diligenté, l'insalubrité, la vétusté et plus généralement la non-conformité de l'entrepôt a été mise en évidence.
Le manquement de la société SNTF à ses obligations est d'une gravité suffisante pour justifier le préavis qui lui a été accordé.
Par conséquent, le jugement est confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société SNTF par son liquidateur de ses demandes sur le fondement de la rupture brutale, tant au titre du préjudice de perte de marge invoqué que du coût des licenciements effectués, étant observé qu'en tout état de cause, ainsi que l'a justement retenu le tribunal, cette demande ne résulte pas de la brutalité de la rupture seule réparable sur le fondement de l'article L 442-6, I 5° du code de commerce susvisé.
Sur les dépens et l'article 700 CPC
La SCP GUYON-[T], intervenant par Maître [T] agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNTF qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel. Elle est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et est condamnée à payer à la société Eurosérum la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée à ce titre par le tribunal sauf à dire que la condamnation incombe non pas à la socitété SNTF mais à la SCP GUYON-[T], intervenant par Maître [T] agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNTF
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions qui lui sont soumises, sauf à dire que la condamnation à payer à la SAS EUROSERUM la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile incombe à la SCP GUYON-[T], intervenant par Maître [T] agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNTF ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE la SCP GUYON-[T], intervenant par Maître [T] agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société Noidanaise de Transport Frigorifiques de ses demandes ;
LA CONDAMNE aux dépens d'appel et à payer à la société Eurosérum la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.