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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 juin 2023, n° 22/19474

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BBI (SARL)

Défendeur :

Ockenfels Group GmbH & Co. KG (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Bataille, Me Martin, Me Moisan, Me Assémat

CA Paris n° 22/19474

6 juin 2023

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL BBI a pour activité la vente en gros de chaussures, textiles et prêt à porter.

La société OCKENFELS GROUP, anciennement dénommée Birkenstock & Co KG, est une société de droit allemand ayant pour activité en gros de chaussures, textiles et prêt à porter.

La société BBI a été liée à compter du 1er aout 2007 par contrats successifs de distribution à la société allemande Betula-Schuh, laquelle a été absorbée par la société de droit allemand Birkenstock Sales, succursale de la société Birkenstock & Co KG.

Le 21 septembre 2016 la société Birkenstock Sales informait la société BBI de sa décision de mettre fin au contrat de distribution du 21 septembre 2012 à la date du 31 décembre 2016, en faisant application de l’article 12.1 dudit contrat pour le résilier 3 mois avant son terme.

Le même jour, la société Birkenstock Services informait la société BBI de sa décision de mettre fin à leurs relations commerciales au 31 décembre 2016.

Un litige relatif au paiement d’une facture a opposé la société BBI et la société Birkenstock Services devant les juridictions allemandes, créance demeurée contestée et impayée par la société BBI suite à sa condamnation.

Par acte du 17 février 2020, la société BBI a assigné la société Birkenstock & Co KG devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir le paiement de dommages-intérêts, consécutifs à une rupture brutale de relations commerciales établies.

Par jugement du 10 novembre 2022 le tribunal de commerce de Marseille a :

Déclaré que le litige opposant la société BBI à la société Birkenstock & Co KG actuellement dénommée Ockenfels Group ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce de Marseille ;

Renvoyé les parties à mieux se pourvoir, conformément aux dispositions de l’article 81 du code de procédure civile ;

Laissé à la charge de la société BBI les dépens, liquidés à la somme de 74,18 euros.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 25 novembre 2022 la société BBI a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance sur requête, elle a été autorisée à assigner à jour fixe la société de droit allemand Ockenfels Group à l’audience du 1er mars 2023.

A la demande des parties, cette affaire a fait l’objet d’un renvoi à l’audience du 19 avril suivant.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 mars 2023, la société BBI demande à la Cour de :

Vu les articles 7 et 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

Vu les articles 83 et suivants et 699 et suivants du code de procédure civile,

Vu les motifs exposés,

INFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Marseille rendu le 10 novembre 2022 (RG 2020F00267) en ce qu’il a :

Déclaré que le litige opposant la société BBI SARL à OCKENFELS GROUP GMBH & CO. KG ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce de Marseille

Renvoyé les parties à mieux se pourvoir

Laissé les dépens, liquidés à la somme de 74,18€, à la charge de BBI

Statuant à nouveau,

A titre principal

DECLARER le tribunal de commerce de Marseille compétent ;

RENVOYER l'affaire devant le tribunal de commerce de Marseille.

A titre subsidiaire

SURSOIR A STATUER et interroger la Cour de justice européenne, avec la question suivante :

« Si les conditions posées par l’article 25 du Règlement Bruxelles I bis pour déroger aux règles de compétence prévues dans l’article 7 du même Règlement sont réunies dans une situation où la convention attributive de juridiction invoquée par l’une des parties au litige et stipulé dans un contrat conclu entre l’autre partie au litige et un tiers, sans qu’un accord des parties au litiges d’appliquer cette clause entre elles ait fait l’objet d’un consentement exprimé (i) de manière claire et précise au litige, (ii) dans une des forme édictées par l’article 25 du Règlement Bruxelles I bis et (iii)suivant le formalisme imposé par le contrat contenant la clause attributive de juridiction invoquée. »

En tout état de cause,

CONDAMNER la société OCKENFELS GROUP GMBH & CO. KG, anciennement dénommée Birkenstock GmbH & Co KG, à payer à la société BBI la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société OCKENFELS GROUP GMBH & CO. KG, anciennement dénommée Birkenstock GmbH & Co KG aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 3 avril 2023, la société Birkenstock & Co KG, dont la nouvelle dénomination est Ockenfels GmbH & Co KG demande à la Cour de :

Vu le règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (le « règlement Bruxelles I bis »),

CONFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Marseille rendu le 10 novembre 2022 (RG n° 2020F00267) en ce qu’il a :

- Déclaré que le litige opposant la société BBI S.A.R.L. à la Société BIRKENSTOCK GmbH & Co. KG actuellement dénommée OCKENFELS GROUP GmbH & Co. KG ne relève pas de la compétence du Tribunal de Commerce de Marseille ;

- Renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

- Laissé les dépens, liquidés à la somme de 74,18€, à la charge de BBI.

DEBOUTER la société BBI de toutes ses demandes et notamment de sa demande de question préjudicielle.

CONDAMNER la société BBI à verser à la société BIRKENSTOCK KG dont la nouvelle dénomination sociale est OCKENFELS GROUP GMBH & CO. KG la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du CPC ;

CONDAMNER la société BBI aux dépens d’appel.

MOTIVATION

La société BBI soutient que la compétence juridictionnelle doit être déterminée en vertu de l’article 7 règlement Bruxelles I bis qui désigne le tribunal de commerce de Marseille, et ce quelle que soit la nature du litige opposant les parties.

Ainsi, selon elle, si l’on devait considérer que le litige qui l’oppose à la société Birkenstock a une nature contractuelle, l’article 7 alinéa 1 b) second tiret du règlement précité l’autorise à assigner la société de droit allemand devant les tribunaux compétents de son siège en tant que lieu où les services ont été fournis, en l’espèce le tribunal de commerce de Marseille ;

De même, si l’on devait considérer que le litige est de nature délictuelle ou quasi-délictuelle, le tribunal de commerce de Marseille serait également compétent en vertu de l’article 7 alinéa 2 dudit règlement, le préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales ayant été subi à son siège social de Marseille.

Elle ajoute que les parties n’ont prévu aucune dérogation aux dispositions édictées par le règlement Bruxelles I bis, les conditions de l’article 25 ne sont pas remplies.

Elle soutient ainsi :

- Qu’aucune convention attributive de juridiction n’a été conclue entre elle et la société Birkenstock Co & KG,

- Que cette société ne peut se prévaloir d’une clause issue d’un contrat qu’elle a conclu avec une société tierce, en l’espèce la société Betula Schuh, dès lors que la clause du contrat de distribution conclu avec cette dernière donnant compétence au tribunal de Coblence (Allemagne) est strictement limitée à la relation entre ces deux sociétés, que les parties avaient expressément prévu qu’aucun droit ne pouvait être transmis à un tiers, que toute modification devait se faire par écrit, et qu’elle n’a jamais donné son accord écrit à une extension de cette clause,

- Que l’intimée confond relations commerciales et relations contractuelles,

- Qu’en tout état de cause la clause attributive de juridiction invoquée ne s’applique pas aux litiges portant sur une rupture brutale.

Subsidiairement, la société BBI demande d’interroger la CJUE d’une question préjudicielle relativement à l’interprétation de l’article 25 du règlement.

En réponse la société Birkenstock & Co KG nouvellement dénommée Ockenfels GmbH & Co KG rétorque que l’article 25 du règlement de Bruxelles I bis permet de déroger à la compétence générale par le biais d’une clause attributive de juridiction, que la société BBI aurait accepté la clause attributive de compétence convenue avec la société Betula-Schuh et l’exécution de cette relation contractuelle régie par cette clause, par la société Birkenstock Co & KG. En effet, selon elle, il n’y avait de relations commerciales entre les parties que pour les besoins, dans le cadre et aux conditions du contrat conclu par la société Betula Schuh (devenue Birkenstock Sales) et que la société BBI a accepté, par ses relations avec la société Birkenstock & Co KG, le transfert du contrat la liant à la société Betula Schuh.

Elle ajoute n’y avoir lieu à procéder à une interprétation restrictive de l’applicabilité des clauses attributives de juridiction en matière de rupture brutale et que le litige découle bien du contrat contenant la clause.

Enfin, s’agissant de la saisine de la CJUE, elle estime qu’un renvoi préjudiciel n’est ni pertinent ni nécessaire pour statuer dans la présente affaire.

Réponse de la Cour

Selon l’article 25 du règlement Bruxelles 1 Bis,

« I- Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :

a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;

b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; où

c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

(…) »

En l’espèce, la relation de distribution exclusive liant le distributeur BBI au fabriquant Betula Schuh, société de droit allemand, a fait l’objet de quatre contrats successifs, à partir de 2007, contenant tous une clause attributive de juridiction.

Le dernier contrat, conclu le 21 septembre 2012 pour une période allant jusqu’au 31 décembre 2015, renouvelable annuellement sauf résiliation trois mois avant l’échéance par lettre recommandée, stipule en son article 14 alinéa 6 :

« Cette convention est exclusivement soumise au droit allemand. Le lieu de l’exécution est Linz am Rhein, Allemagne. La juridiction compétente pour tous les litiges nés de ce contrat, en ce compris toutes les obligations liées à l’exécution de ce contrat ou au contrat lui-même est COBLENCE, Allemagne. ».

Par courrier électronique du 12 novembre 2014, la société Betula Schuh a informé la société BBI de ce que la société Birkenstock & Co. KG Services reprendrait rétroactivement au 1er octobre 2014, les opérations de facturation et d’expédition.

Le 21 mai 2015, la société de droit allemand Birkenstock Sales qui avait conclu en octobre 2013 un accord de contrôle et de transfert de ses bénéfices au profit de la société de droit allemand Birkenstock Co. KG, a absorbé la société Betula Schuh.

Après confirmation le 26 février 2016 par la société Birkenstock & Co. KG Services de la commande effectuée par de la société BBI pour la saison 2016 dans le cadre du contrat de distribution, cette dernière a ouvert le 29 avril 2016 une lettre de crédit relative à la saison 2016 au profit de la société BirkenstockCo. KG Services. La société BBI a accepté ensuite les livraisons organisées par cette société. Elle a ainsi manifesté de manière non équivoque sa volonté de voir la relation se poursuivre avec Birkenstock Co. KG aux conditions contractuelles conclues avec la société Betula.

C’est vainement que la société BBI invoque l’inapplicabilité de la clause d’élection de for au motif que Birkenstock Co. KG aurait imposé ses propres conditions faisant état de modifications à compter de 2013 alors que l’intéressée n’est intervenue dans la relation qu’à compter du mois de novembre 2014.

Par ailleurs, il ne saurait se déduire de l’envoi préventif de deux lettres de rupture adressées à BBI, l’une par Birkenstock & Co. KG, l’autre par Birkenstock Sales, une quelconque incidence sur l’application de la clause d’élection de for.

Ainsi, la société BBI, signataire du contrat conclu avec la société Betula contenant la clause attributive de compétence, a accepté ensuite l’exécution du contrat régie par cette clause avec la société Birkenstock Co. KG.

Au vu de ces éléments, le tribunal a justement retenu que les relations commerciales entre les sociétés BBI et Birkenstock KG s’étaient poursuivies dans le cadre et aux conditions du contrat conclu avec la société Betula Schuh aborbée par la société Birkenstock sales, relevant en outre que la société BBI avait elle-même fait état d’une relation commerciale établie d’abord avec la société Betula et ensuite en continuité avec la société Birkenstock Gmbh & Co. KG, depuis 2007, aux termes de son assignation.

Ce contrat attribuant compétence aux juridictions allemandes « pour tous les litiges nés de ce contrat, … », le tribunal a justement retenu que la clause était rédigée de façon suffisamment large pour s’appliquer à des litiges découlant de la relation contractuelle et ainsi à des faits allégués de rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties.

Le tribunal a également précisé à bon droit que la clause attributive de compétence avait vocation à s’appliquer à la rupture des relations commerciales établies, quand bien même des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient applicables au fond du litige.

Enfin, s’agissant du renvoi préjudiciel sollicité, la Cour n’y fera pas droit, la CJUE n’ayant pas pour attribution d’étudier une situation factuelle soumise aux juridictions nationales mais d’interpréter le droit de l’Union.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

La société BBI supportera les dépens d’appel et sera condamnée au paiement d’une somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les demandes de BBI seront en conséquence rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement ;

Condamne la société BBI aux dépens d’appel et à payer la somme de 3 000 € à la société Ockenfels Group GmbH & Co.KG sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.