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Décisions

Cass. crim., 18 janvier 2023, n° 22-82.465

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Wyon

Avocat général :

M. Courtial

Avocat :

SCP Delamarre et Jehannin

Riom, du 7 avr 2022

7 avril 2022

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 25 mai 2016, le procureur de la République a diligenté une enquête concernant les agissements de M. [Z] [W], gérant et associé majoritaire de la société [1] ([1]), à la suite du placement en liquidation judiciaire de celle-ci le 10 février 2012.

3. A l'issue des investigations, M. [W] a été cité devant le tribunal correctionnel des chefs, d'une part, d'abus de biens sociaux pour avoir entre le 31 août 2010 et le 18 juin 2011, étant gérant de droit ou de fait de la société [1], en l'espèce, conservé son compte-courant personnel dans une situation volontairement débitrice, d'autre part, de banqueroute par dissimulation d'actif, faits commis entre le 27 juillet 2010 et le 4 avril 2012.

4. Le tribunal correctionnel, après avoir constaté la prescription de l'action publique concernant l'ensemble des faits reprochés au demandeur, a déclaré recevable la constitution de partie civile du liquidateur et l'a débouté de ses demandes par jugement du 5 mai 2020, à l'encontre duquel le ministère public a interjeté appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable des faits d'abus de biens sociaux, l'a condamné à six mois d'emprisonnement totalement assorti du sursis et l'a condamné au paiement d'une amende de 5 000 euros, alors :

« 1°/ qu'en matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; que le délit d'abus de bien sociaux est une infraction instantanée consommée lors de chaque usage abusif des biens de la société et la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ; qu'en l'espèce, du chef d'abus de biens sociaux, M. [W] était poursuivi pour avoir, entre le 31 août 2010 et le 18 juin 2011, conservé « son compte courant personnel dans une situation volontairement débitrice » dans la société [1] ; qu'il est constant que la position débitrice du compte courant de M. [W] pendant la période de la prévention figurait dans les comptes sociaux régulièrement déposés au greffe du tribunal de commerce, en sorte que cette position débitrice, seule visée par la prévention, n'a jamais fait l'objet d'une quelconque dissimulation ; que pour retenir que le point de départ de la prescription de l'action publique devait être fixée au mois de mars 2016, la cour d'appel a considéré « que malgré des demandes, les premiers éléments comptables n'ont été adressés que le 22 mars 2016 : grand livre des exercices 2010 et 2011 puisqu'auparavant la comptabilité n'avait pas été remise au liquidateur. Si lors de l'enquête, l'expert-comptable a évoqué un problème de serveur, il est apparu que M. [W] disposait de la comptabilité puisqu'il a été capable de produire celle-ci et les justificatifs de frais » (arrêt, p. 6, antépénultième alinéa) ; que, même à l'admettre, le fonctionnement du compte courant en position débitrice était mentionné sur les comptes régulièrement déposés au greffe du tribunal de commerce, en sorte que ce seul fait visé par la prévention n'avait jamais été dissimulé puisqu'une simple consultation des comptes déposés permettait de le constater ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans aucunement caractériser une quelconque dissimulation du fait visé par la prévention, la cour d'appel a donc privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 8 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, ensemble l'article 593 de ce code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 8, 9-1 et 593 du code de procédure pénale :

7. La prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société.

8. Pour rejeter l'exception prise de la prescription de l'action publique du délit d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l'article 9-1 du code de procédure pénale, relève qu'en cas de dissimulation, la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.

9. Les juges ajoutent que, malgré des demandes, les premiers éléments comptables, à savoir le grand livre des exercices 2010 et 2011, n'ont été adressés que le 22 mars 2016, la comptabilité n'ayant pas auparavant été remise au liquidateur, que si, lors de l'enquête, l'expert-comptable a évoqué un problème de serveur, il est apparu que M. [W] disposait de la comptabilité, a été ensuite capable de la produire, ainsi que les justificatifs des frais, et que c'est donc seulement en mars 2016 que le mandataire liquidateur a été en mesure de constater les faits susceptibles de constituer un abus de bien social et d'informer le procureur de la République, lequel a ordonné une enquête la même année par un soit-transmis régulièrement suivi d'autres actes interruptifs de prescription, laquelle n'est donc pas acquise.

10. En prononçant ainsi, sans vérifier, comme l'affirmait le prévenu dans ses conclusions, si le compte courant débiteur apparaissait dans les comptes annuels et si ces derniers avaient été présentés et à quelle date, le seul fait pour le prévenu de ne pas avoir remis la comptabilité au liquidateur étant insuffisant pour caractériser la dissimulation, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

11. La cassation est en conséquence encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 7 avril 2022, mais en ses seules dispositions relatives au délit d'abus de biens sociaux et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.