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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 20 mars 2008, n° 06/04553

AMIENS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grandpierre

Conseillers :

Mme Corbel, M. Damulot

Avoués :

SCP Le Roy, SCP Tetelin Marguet Et De Surirey

Avocats :

Me Lepretre, Me Marguet

TGI Amiens, du 8 nov. 2006

8 novembre 2006

DECISION :

Vu les conclusions déposées pour M. Philippe X... le 17 août 2007 ;

Vu les conclusions déposées pour Mlle Fanny Y... le 13 juin 2007 ;

Attendu que, par acte reçu le 6 décembre 1991 par Maître Pierre Z..., notaire associé à Amiens, M. X... et Mlle Y... ont acquis conjointement et solidairement, chacun pour moitié indivise, une maison à usage d'habitation sise à Vaux- sur- Somme (Somme),... avec jardin, cour et garage, le tout cadastré lieudit «... », section AB no 82 et divers éléments mobiliers la garnissant ; qu'il y est inséré une clause aux termes de laquelle les susnommés sont convenus, « d'une part, qu'ils jouiront en commun, pendant leur vie, de l'immeuble vendu, d'autre part, à titre de clause aléatoire, que le premier mourant d'entre eux sera considéré comme n'ayant jamais eu un droit à la propriété de cet immeuble, lequel appartiendra en totalité au survivant, sur la tête duquel cette propriété sera censée avoir toujours reposé depuis le jour de son acquisition ; la présente clause conférant ainsi à chacun des acquéreurs la propriété de l'immeuble tout entier à partir du jour de cette acquisition, sous condition suspensive de sa survie et sous condition résolutoire de son prédécès, et en vertu de la rétroactivité de la condition, celui de M. X... ou de Mlle Y... qui survivra étant censé tenu directement et dès l'origine ses droits du vendeur ; la présente clause est exclusive, sauf en ce qui concerne la jouissance, qui aura lieu ainsi qu'il a été stipulé ci- dessus en commun, d'une indivision relativement à l'immeuble vendu entre les acquéreurs. En conséquence, tant que M. X... et Mlle Y... seront en vie, aucun d'eux ne pourra réclamer le partage et la licitation et, seul, leur commun accord pourra permettre l'aliénation de l'immeuble, la disposition sous quelque forme et à quelque titre que ce soit de la constitution sur ce bien d'un droit réel quelconque » ;

Qu'ils ont également acquis, par acte reçu le 28 juin 1996 par Maître Elisabeth A..., notaire à Warloy- Baillon, chacun pour moitié indivise une parcelle de terrain sise à Vaux Sur Somme..., cadastrée section AB no 86 ; qu'il y est stipulé une clause d'accroissement identique à celle précitée ;

Attendu que, par acte sous seing privé du 11 juin 1999, il a été stipulé entre les parties que Mlle Y... s'engageait à vendre à M. X... sa part étant de moitié indivise dans les deux biens désignés ci- dessus, moyennant le prix de 192 500 francs, payable comptant le jour de la signature des actes de vente ; qu'il est mentionné : « lesdits actes devant être régularisés au plus tard le 31 août 1999 après récupération par Mme Y... des biens mobiliers lui appartenant et paiement par M. X... d'une partie du mobilier à Mme Y..., soit 45 000 francs » ; qu'au dessus de sa signature, M. X... a porté la mention « bon pour achat 192 500 F » et au dessus de celle de Mlle Y..., celle- ci a porté la mention « bon pour vente à M. X... à 192 500 F » ;

Attendu que, par assignation du 13 décembre 2005, Mlle Y... a saisi le tribunal de grande instance d'Amiens d'une demande contre M. X... en paiement d'une indemnité d'occupation pour les deux biens en cause à compter de 1997, et sur la base d'une valeur locative qu'elle estimait de 762, 25 euros par mois ;

Attendu que, par jugement rendu contradictoirement le 8 novembre 2006, le tribunal de grande instance d'Amiens :

· Constate que l'acte en date du 28 juin 1996 ne comporte pas de clause aléatoire ;

· Dit que la parcelle de terrain qui en est l'objet pourra être partagée ;

· Constate la nullité de l'acte sous seing privé du 11 juin 1999 ;

· Dit que Mlle Y... a droit à une indemnité au titre de la jouissance privative par M. X... de l'immeuble sis... à Vaux- sur- Somme acquis avec clause d'accroissement ;

· Avant dire droit sur le montant de cette indemnité, ordonne une expertise confiée à Mme Sandrine B... avec pour mission d'évaluer l'immeuble et de déterminer sa valeur locative ;

· Réserve les dépens et les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que M. X... conclut à l'infirmation de ce jugement ; qu'il reproche au premier juge la violation du principe du contradictoire en ce qu'il a prononcé la nullité de l'acte sous seing privé du 11 juin 1999 alors que Mlle Y... n'avait invoqué que sa caducité ; qu'il demande de déclarer parfaite la vente intervenue entre les parties par cet acte et de condamner Mlle Y... à régulariser la vente à son profit de ses parts indivises dans les deux immeubles dont s'agit dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt et ce, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard pendant trois mois et qu'à défaut d'exécution dans ce délai, l'arrêt vaudra vente et sera publié aux hypothèques ; qu'il demande de lui donner acte de ce qu'il ne s'oppose pas à la récupération du mobilier à Mlle Y... et de ce qu'il a consigné en CARPA la somme de 6 860, 20 euros (45 000 francs) ; que subsidiairement, il conclut à la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a constaté que l'acte du 28 juin 1996 ne comporte pas de clause aléatoire et pourra faire l'objet d'un partage, et demande de dire que l'expert aura également pour mission de déterminer le montant des travaux effectués postérieurement à la promesse de vente du 11 juin 1999, de déterminer la plus- value en résultant, de chiffrer la valeur de gardiennage des meubles assumé par lui depuis juin 1999 ;

Attendu que Mlle Y... conclut à la confirmation du jugement entrepris et au rejet des prétentions de M. X... ;

Attendu que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'acte de vente du 28 juin 1996 comporte une clause d'accroissement ; que le jugement sera réformé en ce qu'il a dit que la parcelle de terrain sise à Vaux Sur Somme..., cadastrée section AB no 86, pouvait faire l'objet d'un partage ;

Attendu qu'aucune des parties ne conteste la possibilité, nonobstant la clause d'accroissement, d'une cession des droits de l'une à l'autre dans les immeubles dont il s'agit ;

Qu'en revanche, elles divergent sur la nature de l'acte sous seing privé du 11 juin 1999 dont les termes ont été rappelés en tête du présent arrêt et par suite sur le point de savoir si cet acte vaut cession à M. X... des droits de Mlle Y... dans lesdits immeubles ;

Attendu que M. X... soutient que l'acte litigieux constate la cession des droits de Mlle Y... à son profit ; qu'il rappelle qu'une condition suspensive repose sur un événement incertain ; qu'il fait valoir que la récupération préalable des meubles et le paiement par lui d'une somme de 45 000 francs ne peuvent être assimilés à des conditions suspensives ou potestatives et sont en réalité des modalités du partage relatives au mobilier qui, en aucun cas, ne pouvaient remettre en cause l'accord des parties sur la cession des droits indivis ; qu'il ajoute que même si l'acte prévoyait la régularisation de la vente avant le 31 août 1999, il n'était pas conditionné à la réalisation des événements sus énoncés ; qu'il indique qu'il a toujours été disposé à régler la somme de 45 000 francs et qu'il justifie avoir eu des disponibilités nécessaires pour s'acquitter de toutes les obligations mises à sa charge, prix compris ; qu'il prétend que Mlle Y... n'a jamais demandé à récupérer ses meubles qu'il a été contraint d'entreposer dans une pièce de la maison en attendant qu'elle veuille bien les reprendre ; que, subsidiairement, il considère que seule la condition potestative de reprise des meubles par Mlle Y..., à la supposer considérée comme telle, doit être annulée et non l'ensemble de l'acte ; que, surtout, il y aurait lieu de faire application de l'article 1178 du code civil en considérant comme remplie la condition qui n'a pas été réalisée du seul fait du comportement de Mlle Y... ;

Que Mlle Y... soutient, au contraire, que le premier juge a considéré avec raison que la récupération des meubles et le paiement par M. X... de la somme de 45 000 francs constituent des conditions suspensives, et qu'étant soumises au pouvoir arbitraire des parties, elles revêtent un caractère potestatif qui rend nul l'acte litigieux ; qu'elle conteste même qu'il y ait eu accord sur la chose et sur le prix dès lors que les conditions posées n'ont pas été remplies ; qu'à titre subsidiaire, elle fait valoir que ces conditions étant défaillies, la promesse est devenue caduque ; qu'elle prétend que M. X... n'a jamais voulu se présenter pour signer l'acte authentique de vente ; qu'elle souligne qu'il a lui- même considéré l'acte litigieux comme caduc en proposant d'acquérir les droits en cause à un prix supérieur à celui convenu dans ledit acte ;

Attendu que l'acte sous seing privé du 11 juin 1999 constitue une promesse synallagmatique valant vente conformément aux prescriptions de l'article 1589 du code civil, en ce que les parties se sont mises d'accord sur la chose et sur le prix, sans qu'il résulte des termes de l'acte ni d'autres éléments, une volonté des parties de déroger au principe du consensualisme posé par l'article 1583 du Code civil aux termes duquel la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas été livrée ni le prix payé, en érigeant une formalité supplémentaire en élément constitutif de la vente ;

Que, s'il est stipulé que l'acte de vente devait être réitéré par acte authentique avant le 31 août 1999 après récupération par Mlle Y... des biens mobiliers lui appartenant et paiement par M. X... d'une partie du mobilier à Mme Y..., soit 45 000 francs, il s'agit là d'événements futurs mais certains comme étant convenus entre les contractants et qui ne sauraient dès lors être qualifiés de conditions, lesquelles se définissent par le caractère incertain de leur réalisation ;

Que, tout au plus, si les parties avaient entendu subordonner la conclusion effective de la vente à l'exécution préalable des modalités prévues pour la restitution des meubles, il se serait alors agit d'un terme et non d'une condition, s'agissant d'un événement futur qu'ils s'engageaient à réaliser avant la date prévue pour la passation de l'acte authentique ; que, pour être considéré comme une condition, l'événement doit avoir été subjectivement envisagé par les parties comme incertain dans sa réalisation, ce que n'était pas dans leur esprit la simple réitération de l'acte, qui est une obligation née du compromis, ni l'exécution d'obligations à laquelle elles s'engageaient et qui dépendait de leur propre volonté ;

Que, toutefois, tel n'est même pas le cas en l'espèce, la vente étant déjà conclue par le simple échange des consentements ; que la restitution des meubles et le paiement de la somme de 45 000 franc ne constituent que des obligations acceptées par chacune des parties, qui auraient dû être exécutées par elles avant la date prévue pour la réitération de la vente et dont l'exécution peut être obtenue après mise en demeure selon les règles applicables en droit commun des obligations ;

Que la date « butoir » indiquée pour régulariser les actes de vente constitue une simple modalité d'exécution de la vente ; que le dépassement du terme fixé pour procéder à la réitération par acte authentique n'entraîne la caducité du contrat que si les parties ont conventionnellement prévu cette sanction, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'il s'ensuit que la vente est formée dans les conditions ordinaires et qu'elle doit produire ses effets ;

Attendu que la circonstance que postérieurement à la promesse synallagmatique de vente du 11 juin 1999 M. X... a fait de nouvelles offres d'achat pour amener sa co- contractante à réaliser la vente n'est pas suffisante pour anéantir un contrat déjà formé, sans établir la volonté de l'intéressé de renoncer au bénéfice de la vente, ce qui ne peut se déduire de ses tentatives de conciliation pour trouver une solution amiable ; que de même, la force obligatoire du contrat qui fait la loi des parties ne disparaît pas par l'inaction de M. X... qui n'a pas tenté d'obtenir l'exécution forcée du contrat avant l'introduction de l'instance par Melle Y... ; qu'il n'est pas démontré qu'il aurait refusé de réitérer la vente même s'il n'a pas pris les initiatives nécessaires pour y parvenir ;

Attendu qu'en conséquence, les parties doivent exécuter les obligations auxquelles elles se sont engagées ; que, dès lors que la date prévue pour l'acte authentique n'est pas une condition du transfert de propriété, chaque partie peut, en cas de résistance de l'autre, obtenir une décision judiciaire constatant la vente ;

Attendu que Mlle Y... sollicite à titre subsidiaire la rescision pour lésion de la vente conclue le 11 juin 1999, en exposant que la valeur actuelle du terrain et de l'immeuble a augmenté par rapport à ce qu'elle était en 1999 ; que M. X... oppose à juste titre à cette prétention la prescription biennale édictée à l'article 1676 du code civil, dont le point de départ est la date de la vente, soit en l'espèce, le 11 juin 1999, date de la promesse synallagmatique de vente, en l'absence de condition suspensive ; que ce moyen n'ayant été invoqué que dans le cadre de l'instance introduite le 13 décembre 2005, est donc irrecevable ;

Attendu qu'il s'ensuit que la vente étant parfaite, il convient d'accueillir les demandes de M. X... tendant à la constatation de celle- ci et à la condamnation de Mlle Y... à la régulariser par acte authentique selon les modalités prévues au dispositif ;

Attendu que par l'effet de la vente, M. X..., devenu propriétaire des lieux dès le 11 juin 1999, ne saurait devoir une indemnité d'occupation postérieurement à cette date ;

Que, pour la période antérieure, M. X... oppose à juste titre la prescription quinquennale édictée par l'article 815- 10 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006, applicable en la matière dès lors que les actes de vente des 6 décembre 1991 et 28 juin 1996 confèrent à chacune des parties une jouissance en commun des immeubles ; que la demande n'ayant été formée que le 13 décembre 2005, aucune indemnité d'occupation ne peut plus être réclamée pour la période antérieure au 13 décembre 2000 ; que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à M. X... la charge de ses frais non compris dans les dépens ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 8 novembre 2006 par le tribunal de grande instance d'Amiens ;

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable comme prescrite la demande en rescision pour lésion de la vente ;

Déclare parfaite la vente intervenue entre les parties par l'acte sous seing privé du 11 juin 1999 ;

En conséquence, condamne Mlle Y... à régulariser au prix convenu dans l'acte sous seing privé du 11 juin 1999, la vente de ses parts indivises dans l'immeuble sis à Vaux- sur- Somme (Somme),..., cadastré lieudit «... », section AB no 82 ainsi que dans la parcelle de terrain sise à Vaux- sur- Somme,..., cadastrée section AB no 86, par acte authentique dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt et ce, sous peine d'une astreinte provisoire de 15 euros par jour de retard pendant trois mois après quoi il sera de nouveau statué ;

Dit qu'à défaut d'exécution dans ce délai, le présent arrêt vaudra vente et sera publié à la conservation des hypothèques dont dépend les biens ci- avant décrits ;

Donne acte à M. X... de ce qu'il ne s'oppose pas à la récupération du mobilier par Mlle Y... et de ce qu'il a consigné en CARPA la somme de 6 860, 20 euros (45 000 francs) ;

Déboute Mlle Y... de sa demande en paiement d'indemnités d'occupation pour la période postérieure à la vente et déclare cette même demande prescrite pour la période antérieure ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mlle Y... aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.