Livv
Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 5 avril 2022, n° 21/02716

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

AG Corporation (SARL), Celso (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pellefigues

Conseillers :

M. Darracq, M. Magnon

T. com. Montauban, 28 juin 2017

28 juin 2017

Par acte du 5 avril 2016, Lionel L. a assigné Me Jean-Claude E. es qualité de liquidateur judiciaire de la société CELSO SERVICES, la SARL AG CORPORATION prise en la personne de son représentant légal et Agnès T. directrice générale de la société CELSO SERVICES aux fins de :

- ordonner avant dire droit la production par Maître Jean-Claude E. es qualité de liquidateur judiciaire de la société CELSO SERVICES, des documents comptables certifiés conformes par un expert-comptable, établissant l'état de cessation des paiements,

- ordonner avant-dire droit la production par la société CELSO et la société AG CORPORATION de grands livres clients, des bilans et comptes de résultats détaillés certifiés conformes par un expert-comptable,

- constater l'existence d'un abus de majorité,

- constater la révocation abusive de Monsieur L. commise par la société CELSO SERVICES,

Par conséquent

- condamner la société AG CORPORATION à verser 3000 € de dommages et intérêts à Monsieur Lionel L. en réparation de ses préjudices résultant de l'abus de majorité,

- condamner la société AG CORPORATION à verser 40'000 € de dommages intérêts à Monsieur Lionel L. sur le fondement de sa révocation abusive,

- condamner Madame T. à verser 10'000 € de dommages et intérêts à Monsieur Lionel L. sur le fondement des fautes de gestion,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- ordonner l'inscription au passif de la liquidation de la société CELSO SERVICES de la créance à titre de dommages et intérêts s'élevant à 20'000 € pour révocation abusive,

- condamner la société AG CORPORATION et Maître Jean-Claude E. en qualité de liquidateur judiciaire, à verser la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par jugement du 28 juin 2017, le tribunal de commerce de Montauban à :

- rejeté la demande d'irrecevabilité des demandes de Monsieur Lionel L.,

- rejeté la demande de communication des pièces comptables,

- condamné la société AG CORPORATION à verser à Monsieur Lionel L. la somme de 30'000 € au titre des dommages intérêts pour abus de majorité,

- condamné la société AG CORPORATION à verser à Monsieur Lionel L. la somme de 20'000 € à titre de dommages et intérêts pour révocation abusive,

- condamné Madame Agnès T. à verser à Monsieur Lionel L. la somme de 10'000 € au titre des dommages et intérêts pour faute de gestion,

- condamné la société AG CORPORATION à verser à Monsieur Lionel L. la somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Madame Agnès T. à verser à Monsieur Lionel L. la somme de 1000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum la société AG CORPORATION et Madame Agnès T. aux entiers dépens,

- rejeté toutes les autres demandes

- prononçé l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 27 juillet 2017, la SARL AG CORPORATION , Agnès T., la SASU CELSO ont interjeté appel de la décision.

Par arrêt du 28 août 2019, la cour d'appel de Toulouse a :

- confirmé le jugement du tribunal de commerce de Montauban du 28 juin 2017 en toutes ses dispositions,

- débouté les appelants de l'ensemble de leurs demandes et prétentions contraires,

- dit n'y avoir lieu à ordonner la communication des pièces sollicitées en première instance,

- condamné in solidum la société AG CORPORATION et Madame Agnès T. à payer à Monsieur Lionel L. la somme de 3000 € pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel

- condamné in solidum les sociétés AG CORPORATION , CELSO et Agnès T. aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Béatrice L. C..

Agnès S. épouse T., la société AG CORPORATION, la SAS CELSO ont formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 2 juin 2021 la Cour de cassation a:

- Cassé et annulé l'arrêt sauf en ce qu'il a rejeté la demande de communication de pièces comptables formée par Monsieur L.

- Remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Pau.

La Cour de cassation se fondant sur les articles L622-20 et L641-4 du code de commerce, a :

- accueilli le moyen présenté tiré de l'irrecevabilité des demandes indemnitaires formées par Monsieur L. au motif que la cour d'appel avait privé sa décision de base légale en déduisant que l'exercice d'une telle action n'entrait pas dans le monopole du liquidateur sans distinguer selon que l'action de Monsieur L. tendait à réparer seulement une fraction du préjudice subi par la collectivité des créanciers ou par la société débitrice, une action individuelle étant dans ce cas irrecevable, ou à indemniser un préjudice personnel, une action individuelle étant alors recevable.

Dans leurs conclusions sur renvoi après cassation, la SARL AG CORPORATION, Agnès T. née S. et LA SASU CELSO sollicitent :

- in limine litis et à titre principal :

- dire et juger irrecevables les demandes de Monsieur Lionel L..

- À titre subsidiaire :

- le débouter de l'ensemble de ses demandes

- à titre infiniment subsidiaire :

Vu le principe de réparation intégrale du préjudice :

- réduire à de plus justes proportions le montant des sommes allouées à Monsieur Lionel L.

En tout état de cause :

- condamner Monsieur Lionel L. à payer 5000 € à Madame Agnès T., 5000 € à la société AG CORPORATION et 2000 € à la société CELSO sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Lionel L. sollicite :

- se voir déclarer recevable et bien fondé en son action et en ses demandes,

- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Montauban du 28 juin 2017 et statuant à nouveau :

- fixer à une somme globale de 80'000 € le montant des dommages-intérêts à lui octroyer en réparation de ses préjudices découlant des fautes et manquements reprochés à la société AG CORPORATION d'une part et à Madame Agnès T. d'autre part

- condamner in solidum la société AG CORPORATION et Agnès T. à lui payer une indemnité de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens d'appel.

SUR CE

La SASU CELSO est une société spécialisée dans la transformation de mousses techniques et de matériaux cellulaires destinés notamment à l'industrie aéronautique. Elle a pour société holding la SARL AG CORPORATION dont la gérante est Agnès T., directrice générale de la SASU CELSO.

Lionel L. ancien responsable-achats de la société STELIA AEROSPACE, spécialisée dans la conception et la fabrication d'aéro-structures, de sièges pilote et de fauteuil passagers s'est associé en 2014 avec Agnès T. pour mettre en commun leurs compétences.

C'est ainsi que la (société par actions simplifiées) SAS CELSO SERVICES a été créée le 3 novembre 2014, entre la société AG CORPORATION représentée par Agnès T. d'une part et Lionel L. d'autre part, dont le capital social était détenu à 70 % pour la première et 30 % par le second qui, pour ce faire, a effectué un apport personnel de 30'000 €.

La société AG CORPORATION a été désignée présidente de la société CELSO SERVICES, Agnès T. directrice générale et Lionel L. directeur général délégué.

Le 12 novembre 2015, Lionel L. a envoyé à Agnès T. une lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, lui faisant part de ses difficultés à développer l'activité de la SAS CELSO SERVICES, du fait notamment, de son exclusion des décisions importantes et de ses relations conflictuelles avec la destinataire, laquelle exprimait devant le personnel ses critiques envers lui.

Le 13 novembre 2015, la société AGC , représentée par Agnès T., a convoqué une assemblée générale ordinaire de la SAS CELSO SERVICES avec pour ordre du jour la présentation de la situation financière de la société et les décisions à prendre en conséquence, en joignant à cette convocation, la résolution soumise au vote relative à la constatation de l'état de cessation de paiement, ainsi qu'un document justifiant cet état.

Lors de l'assemblée générale du 30 novembre 2015, il a été pris acte de l'opposition de Lionel L. au vote de cette résolution, et décidé qu'il serait procédé à la déclaration de cessation des paiements de la SAS CELSO SERVICES.

Le 8 décembre 2015, la SAS CELSO SERVICES a été mise en liquidation judiciaire, avec arrêt immédiat de l'activité, la cessation des paiements étant fixée au 30 novembre 2015 et Monsieur E. désigné comme liquidateur.

Lionel L. a assigné en réparation de ses préjudices, le liquidateur de la SAS CELSO SERVICES, la société AGC et Agnès T..

Ces derniers ont soulevé l'irrecevabilité des demandes de Lionel L. pour défaut de qualité à demander réparation des préjudices allégués, en application de l'article L641-4du Code de commerce.

La demande de Lionel L. tendant à obtenir communication des pièces comptables ne sera pas examinée, l'arrêt de la Cour de cassation n'ayant pas cassé l'arrêt de la cour d'appel sur la confirmation du jugement du tribunal de commerce rejetant la demande de communication de pièces comptables formée par Lionel L..

Sur la recevabilité des demandes de Lionel L. :

Les appelants font valoir que les demandes présentées sont irrecevables en se prévalant des dispositions de l'article L641-4 du code de commerce suivant lesquelles seul le liquidateur judiciaire peut intenter une action pour le compte de la masse des créanciers et le cas échéant recouvrer des fonds pour les distribuer selon l'ordre prévu par les textes, toute entorse à ce principe étant de nature à porter atteinte au principe d'unicité de la procédure collective et à l'égalité des créanciers.

Lionel L. réplique qu'il n'agit pas en qualité de créancier de la société CELSO SERVICES à laquelle il ne réclame rien et envers laquelle il n'invoque aucune créance mais qu'il agit en tant que personne physique associé minoritaire et directeur général adjoint de la société CELSO SERVICES à l'encontre principalement de la société AG CORPORATION, son associée majoritaire et présidente, laquelle ne saurait donc revêtir la qualité de tiers, en vue de solliciter la réparation de ses préjudices découlant d'un abus de majorité commis à son encontre, de manœuvres abusives ayant eu pour objet de favoriser la société CELSO au détriment de la société CELSO SERVICES et ayant conduit à la liquidation judiciaire de la société ainsi qu'à sa révocation abusive. Il précise que ces fautes, reprochées principalement à l'associée majoritaire et présidente d'AG CORPORATION, trouvent leur fondement dans les dispositions de l'ancien article1382 du Code civil, devenu l'article 1240 du Code civil.

Il indique agir par ailleurs à l'encontre d'Agnès T. à titre personnel en raison de ses fautes de gestion en citant l'article L225-251 du code de commerce prévoyant que : « les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, des fautes commises dans leur gestion. »

Il considère qu'il s'agit donc bien de la responsabilité personnelle d'Agnès T..

L'instance qu'il diligente n'a donc nullement pour objet la réparation des préjudices liés à la perte de chance et de gain de l'associé du fait de la procédure collective mais il s'agit de soulever un abus de majorité et de contester la révocation abusive qui en a découlé en réclamant des dommages et intérêts en réparation des préjudices économiques consécutifs.

L'article L622-20 du Code de commerce, dispose que : « le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seule qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. »

Il en découle qu'un associé ou un créancier ne sont pas recevables à agir au nom des créanciers pour solliciter d la réparation du préjudice résultant de l'aggravationdu passif.

Il s'agit d'une fin de non recevoir d'ordre public.

En revanche, le représentant des créanciers ne pouvant agir que dans l'intérêt collectif des créanciers, le créancier qui invoque un droit qui lui est propre, ne peut être représenté par lui.

Il est de jurisprudence constante que le préjudice invoqué doit être personnel, particulier et distinct de celui éprouvé par l'ensemble des créanciers de la procédure collective. Ainsi un créancier n'est pas recevable à demander au liquidateur la réparation de sa fraction personnelle d'un préjudice subi par l'ensemble des créanciers alors que l'action dans l'intérêt collectif des créanciers ne peut être exercée que par le liquidateur.

La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société concernée par une procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute de dirigeant séparable de ses fonctions. (Com.7 mars 2006).

L'article L641-4 du code de commerce vient préciser l'étendue des pouvoirs du liquidateur

Ainsi le liquidateur a qualité pour exercer une action en paiement de dommages et intérêts contre toute personne , fût elle titulaire d'une créance ayant son origine antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, coupable d'avoir contribué par des agissements fautifs à la diminution de la valeur ou de l' aggravation du passif dès lors que le préjudice subi par l'associé résulte non d'une faute délictuelle du prêteur mais directement de la défaillance de la société.

Lionel L. en tant qu'associé minoritaire, accuse la société AG CORPORATION en sa qualité d'associée majoritaire et présidente de la société CELSO SERVICES d'avoir, par ses actions et manœuvres, conduit la société à être déclarée en état de cessation des paiements pour entraîner sa liquidation judiciaire et profiter ainsi à CELSO qui a poursuivi l'activité de CELSO SERVICES sans avoir à lui régler la dette qu'elle lui devait.

Il considère que les informations comptables à disposition lors de l'assemblée générale ne reflétaient en rien la réalité économique de la société CELSO SERVICES.

Il s'agit d'interpréter la notion de préjudice personnel et distinct de celui subi par la masse des créanciers et par la société débitrice elle-même. Or s'agissant des fautes de gestion et d'un abus de majorité il s'agit là de préjudices imputables à la gestion de la société CELSO SERVICES qui ont conduit selon Lionel L. à sa perte.

Dès lors il s'agit de préjudices qui intéressent l'intérêt collectif des créanciers représentés par le mandataire liquidateur et la société débitrice elle-même mais non d'un préjudice personnel à Lionel L. même si celui-ci prétend agir non pas en tant que créancier mais à titre personnel.

En poursuivant Agnès T., son ancienne associée, gérante de la société AG CORPORATION et directrice générale de la société CELSO SERVICES dont il était le directeur général délégué, Lionel L. lui reproche des fautes qui ne sont pas détachables de ses fonctions de dirigeante de la société puisqu'il invoque des irrégularités dans la gestion de la société CELSO SERVICES en gérant la société non dans l'intérêt de la société mais dans son propre intérêt.les préjudices qu'il invoque sont de nature à porter atteinte à la collectivité des créanciers et à la société liquidée elle-même.

Les demandes de réparation de son préjudice au titre de l'abus de majorité reproché à la société AG CORPORATION et au titre des fautes de gestion d'Agnès T. seront donc rejetées comme irrecevables.

En revanche il s'agit d'examiner sa demande portant sur sa révocation abusive pour laquelle il demande réparation d'un préjudice personnel à la société AG CORPORATION .Cette demande l'indemnisation d'un préjudice personnel est recevable.

- Sur la révocation abusive :

Selon l'article 22 des statuts de la SAS CELSO SERVICES, le directeur général délégué est révocable pour un motif grave, par simple décision du président. Toute révocation intervenant sans qu'un motif grave soit établi ouvrira droit à une indemnisation.

Lionel L. n'a fait l'objet d'aucune révocation formelle.

Cependant, il considère n'avoir plus les moyens de travailler et d'accomplir sa mission de directeur général délégué depuis le 30 novembre 2015. Il en veut pour preuve l'attitude non équivoque d'Agnès T. qui aurait démontré sa volonté de le révoquer de ses fonctions de directeur général délégué. Ces faits sont contestés par la partie adverse au motif qu'il ne prouve pas ses allégations et qu'aucun témoignage n'est fourni à l'appui de ses dires.

Lionel L. soutient que la directice générale de la société CELSO SERVICES lui a demandé à l'issue de l'assemblée générale du 30 novembre 2015 de restituer les clés du bâtiment donnant accès à son bureau ainsi que le badge autoroute et la carte carburant.

Dès le 1er décembre 2015 il n'avait plus accès à l'informatique du réseau CELSO SERVICES ni à l'ensemble des devis établis en 2015, alors que la lettre de mise en demeure qu'il a adressée le 3 décembre 2015 à ce sujet n'a donné lieu à aucune réponse des organes de direction, ce qui est reconnu par Agnès T.. Elle explique d'ailleurs n'avoir pas répondu compte tenu « du caractère parfaitement délirant des propos rapportés ».

Dans la lettre recommandée avec accusé de réception que Lionel L. avait adressée le 3 décembre 2015 à Agnès T. il indiquait très précisément :« à l'issue de cette assemblée générale, vous avez exigé que je vous restitue mes badges autoroute ma carte carburant ainsi que la clé du bâtiment donnant accès à mon bureau. Vous avez également déclaré qu'à compter de ce jour 10 heures (1er décembre 2015) l'atelier, les commandes et les livraisons de Celso services seraient gérées par Celso ; que le personnel Celso loué à Celso service ne serait plus et qui ne travaillerait que pour Celso qui prendre le relais.

Je me suis présenté à l'entreprise le lendemain matin, je me suis rendue compte que la totalité des devis que j'avais établis en 2015 avais disparu de mon bureau. Par ailleurs, j'ai constaté que je n'avais plus aucun accès informatique sur le réseau Celso services, ni d'accès internet. Par vos agissements non équivoque ajoutés à vos affirmations depuis ces quelques semaines selon lesquelles je me ferai bientôt plus partie de la société je constate que je n'ai plus les moyens de travailler et par conséquent d'accomplir la mission de directeur général délégué' ces faits caractérisent une volonté manifeste de votre part de me révoquer de mes fonctions de directeur général délégué».

Contrairement à ce qui est prétendu par la partie adverse, ces courriers ne contiennent pas de propos délirants mais des faits précis et le fait de ne pas y répondre donne crédit à ces allégations.

En exigeant la restitution des clés de l'entreprise ainsi qu'en le privant de la possibilité d'accéder à son bureau et de disposer des prérogatives attachées à sa fonction, Agnès T. a de fait révoqué sans délai et sans motif Lionel L. de ses fonctions de directeur général délégué de la société CELSO SERVICES.

La circonstance que Lionel L., lors de l'assemblée générale du 30 novembre 2015, se soit opposé au vote de la résolution relative à la constatation de l'état de cessation de paiement de la société, ne saurait constituer un motif de révocation de son mandat social pas plus que le fait d'exprimer ses désaccords sur la gestion de la société.

Lionel L. décrit le contexte dans lequel cette révocation est intervenue alors qu'il faisait l'objet de critiques et de dénigrements de la part de Madame T., laquelle, par cette attitude non équivoque a démontré sa volonté de le démettre de ses fonctions de directeur général délégué.

Le 12 novembre 2015, il lui avait adressé une lettre recommandée avec accusé de réception faisant part des difficultés à développer l'activité de la SAS CELSO SERVICES, du fait notamment de son exclusion des décisions importantes et de ses relations conflictuelles avec la destinataire, laquelle exprimait devant le personnel des critiques envers lui.

Il rapportait les insultes proférées en présence des employés : « vous êtes incapable, bon à rien, incapable de livrer à l'heure », « vous ne méritez pas votre salaire de 4000 €, n'importe qui pourrait faire votre travail pour moins que ça », «je demande à ce qu'on vous interdise tous les accès au réseau de CELSO »,« je vous demande de démissionner immédiatement je vous fais révoquer pour manquement et faute grave », « nous n'avons pas besoin de vous pour faire ce point de production, laissez-nous tous les éléments on va se débrouiller ».

Agnès T. n'a pas contesté les éléments rapportés par Lionel L. dans cette lettre, versée aux débats, à laquelle elle n'a pas répondu .

Elle ne démontre pas pas l'existence des motifs graves justifiant la mise à l'écart et de fait la révocation de Lionel L. dont le caractère fautif et abusif ouvrant droit à réparation pour Lionel L. est dès lors établi.

La révocation des fonctions qui est intervenue dans les suites immédiates de l'assemblée générale du 30 novembre 2015 est antérieure au dépôt de bilan et ne peut donc en être la conséquence.

En effet la SAS CELSO SERVICES a été mise en liquidation judiciaire le 8 décembre 2015 avec arrêt immédiat de l'activité la cessation des paiements étant fixée au 30 novembre 2015 avec désignation de M. E. en qualité de liquidateur

Sur le préjudice allégué :

Lionel L. a sollicité une augmentation des sommes allouées en première instance en portant le montant global des dommages intérêts à 80'000 € et en demandant 70'000 € au titre de l'abus de majorité et de sa révocation abusive à la charge de la société AG CORPORATION.

Il verse aux débats son curriculum vitae montrant son parcours en ingénierie, production commerce achats et ses compétences ainsi que ses expériences professionnelles.

Il décrit les difficultés qui ont été les siennes pour retrouver un emploi alors qu'il était installé depuis plusieurs années en Charente-Maritime avec sa famille qu'il a fait déménager pour s'installer en Tarn-et-Garonne et s'associer avec Madame T. en abandonnant un emploi qu'il occupait près de 20 ans puisqu'il était salarié de la société STELIA depuis 1997.

Il est allé jusqu'à s'expatrier en Roumanie, loin de sa famille qu'il ne voyait qu'une fois par mois puis a dû accepter un emploi en Suisse allemande. Il ne peut plus participer à la vie quotidienne de la famille et a subi des impacts sur sa santé mentale et physique . Il produit à cet effet des attestationsde ses collègues de travail évoquant son mal-être et son désespoir de se trouver dans cette situation.

Compte tenu de ces éléments une somme de 30'000 € lui sera allouée au titre de son préjudice moral et la société AG CORPORATION condamnée à lui verser cette somme .

La somme de 3000 € lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2021,

Infirmant le jugement du tribunal de commerce de Montauban du 28 juin 2017,

Déclare irrecevables les demandes d'indemnisation présentée par Lionel L. à l'encontre de la société AG CORPORATION et d'Agnès T. au titre de l'abus de majorité et des fautes de gestion.

Déclare recevable sa demande d'indemnisation du préjudice personnel résultant de sa révocation abusive.

Condamne la société AG CORPORATION à payer à Lionel L. la somme de 30'000 € en indemnisation de sa révocation abusive au titre de son préjudice moral.

Condamne la société AG CORPORATION à payer à Lionel L. la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec distraction au profit de Maître D..