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Décisions

CJUE, 5e ch., 8 juin 2023, n° C-455/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Regan

Juges :

M. Gratsias, M. Ilešič, M. Jarukaitis

Avocat général :

Ćapeta

Avocats :

Me Palenciuc, Me Stănciulescu, Me Boanţă, Me Doibani, Me Postolachi, Me Greco

CJUE n° C-455/21

7 juin 2023

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant OZ à Lyoness Europe AG, au sujet de certaines clauses figurant dans les conditions générales d’un contrat portant sur l’affiliation à un système de fidélisation permettant d’obtenir certains avantages financiers lors de l’acquisition de biens et de services auprès de commerçants tiers.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 93/13

3        Les cinquième, sixième et dixième considérants de la directive 93/13 énoncent :

« considérant que, généralement, le consommateur ne connaît pas les règles de droit qui, dans les États membres autres que le sien, régissent les contrats relatifs à la vente de biens ou à l’offre de services ; que cette méconnaissance peut le dissuader de faire des transactions directes d’achat de biens ou de fourniture de services dans un autre État membre ;

considérant que, en vue de faciliter l’établissement du marché intérieur et de protéger le citoyen dans son rôle de consommateur lorsqu’il acquiert des biens et des services par des contrats régis par la législation d’États membres autres que le sien, il est essentiel d’en supprimer les clauses abusives ;

[...]

considérant qu’une protection plus efficace du consommateur peut être obtenue par l’adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives ; que ces règles doivent s’appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ; que, par conséquent, sont notamment exclus de la présente directive les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, les contrats relatifs au statut familial ainsi que les contrats relatifs à la constitution et aux statuts des sociétés ».

4        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive :

« La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. »

5        L’article 2 de ladite directive est rédigé dans les termes suivants :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;

c)      “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »

6        L’article 3, paragraphe 1, de la même directive prévoit qu’« [u]ne clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et [les] obligations des parties découlant du contrat ».

7        L’article 6 de la directive 93/13 dispose :

« 1.      Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

2.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par la présente directive du fait du choix du droit d’un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres. »

 Le règlement Rome I

8        Les considérants 7 et 25 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6, ci-après le « règlement Rome I »), énoncent :

« (7)      Le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [(JO 2001, L 12, p. 1)] [...]

[...]

(25)      Les consommateurs devraient être protégés par les dispositions du pays de leur résidence habituelle auxquelles il ne peut être dérogé par accord, à condition que le contrat de consommation ait été conclu dans le cadre des activités commerciales ou professionnelles exercées par le professionnel dans le pays en question. [...] »

9        L’article 3 de ce règlement, intitulé « Liberté de choix », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. [...] »

10      Aux termes de l’article 6 dudit règlement, intitulé « Contrats de consommation » :

« 1.      Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après “le consommateur”), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après “le professionnel”), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :

a)      exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou

b)      par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,

et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité.

2.      Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les parties peuvent choisir la loi applicable à un contrat satisfaisant aux conditions du paragraphe 1, conformément à l’article 3. Ce choix ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l’absence de choix, sur la base du paragraphe 1.

[...] »

 Le droit roumain

11      La directive 93/13 a été transposée dans le droit roumain par la Legea nr. 193/2000 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesioniști și consumatori (loi no 193/2000 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs), du 6 novembre 2000  (Monitorul Oficial al României, partie I, no 560 du 10 novembre 2000), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après la « loi no 193/2000 »).

12      Aux termes de l’article 1er de la loi no 193/2000 :

« 1.      Tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur en vue de la vente de marchandises ou de la prestation de services contient des clauses contractuelles claires, non équivoques et qui ne nécessitent pas de connaissances spécifiques pour être comprises.

2.      En cas de doute sur l’interprétation de clauses contractuelles, ces dernières sont interprétées en faveur du consommateur.

3.      Les professionnels ont l’interdiction d’insérer des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. »

13      L’article 2 de la loi no 193/2000 prévoit :

« 1.      On entend par “consommateur” toute personne physique ou tout groupe de personnes physiques constitué en association qui, dans le cadre d’un contrat relevant du domaine d’application de la présente loi, agit dans des buts étrangers à ses activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales.

2.      On entend par “professionnel” toute personne physique ou morale autorisée qui, dans le cadre d’un contrat relevant du domaine d’application de la présente loi, agit aux fins de ses activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales, ainsi que toute personne agissant à ces mêmes fins au nom ou pour le compte de cette première personne. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Le requérant au principal, OZ, est une personne physique qui est ingénieur mécanicien. Il n’exerce pas d’activités commerciales à titre professionnel.

15      OZ a conclu avec la défenderesse au principal, Lyoness Europe, un contrat d’adhésion au système Lyoness (ci-après le « contrat d’adhésion »). Le système Lyoness permet de bénéficier, notamment, de conditions d’achat favorables, sous la forme de remboursements d’achats, de commissions et d’autres avantages promotionnels. Dans le cadre de ce système, les « clients fidèles » ont le droit d’acquérir des biens et des services auprès de commerçants ayant une relation contractuelle avec la défenderesse au principal. Les membres dudit système peuvent également jouer le rôle d’intermédiaires en vue de l’adhésion d’autres personnes à celui-ci. Selon le contrat d’adhésion, le droit applicable à la relation contractuelle entre les parties au principal est le droit suisse.

16      Estimant que plusieurs clauses figurant dans le contrat d’adhésion, intitulé « Conditions générales de vente pour les clients Lyoness » (dans sa version du mois de novembre 2009), ainsi que dans l’annexe de celui-ci, intitulée « Restitutions Lyoness et modalités de paiement », étaient « abusives », au sens de l’article 1er, paragraphe 3, de la loi no 193/2000, le requérant au principal a saisi la Judecătoria Slatina (tribunal de première instance de Slatina, Roumanie) afin que cette dernière constate que ces clauses sont interdites en vertu de cette disposition.

17      Par un jugement du 9 décembre 2020, la Judecătoria Slatina (tribunal de première instance de Slatina) a rejeté le recours du requérant au principal, au motif que le contrat d’adhésion ne relevait pas du champ d’application de la loi no 193/2000 et que, notamment, ce requérant ne satisfaisait pas aux conditions pour être considéré comme un « consommateur », au sens de cette loi.

18      Cette juridiction a jugé que, en vertu du contrat d’adhésion, la défenderesse au principal et ses partenaires constituaient une « association aux fins d’approvisionnement international », au sein de laquelle les participants pouvaient bénéficier de conditions d’achat favorables, sous la forme de remboursements, de commissions et d’autres avantages, la livraison de biens et la fourniture de services étant directement assurées par les partenaires commerciaux ayant une relation contractuelle avec la défenderesse au principal. Elle a, en outre, considéré que, par ses services, la défenderesse au principal se limitait à jouer le rôle d’intermédiaire pour les services de chaque partenaire commercial, à chiffrer pour partie ces services et à commander les « coupons Lyoness » permettant l’acquisition de biens et de services auprès de ces partenaires commerciaux. Enfin, selon la Judecătoria Slatina (tribunal de première instance de Slatina), les parties au principal s’accordent, dans le cadre du contrat d’adhésion, mutuellement des avantages financiers.

19      Le requérant au principal a introduit un appel contre le jugement du 9 décembre 2020 devant la juridiction de renvoi. Il soutient que le contrat d’adhésion relève du champ d’application de la loi no 193/2000 et de la directive 93/13. Il précise que, dans le cadre de ce contrat, il n’a pas agi dans un but lié à des « activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales », au sens de cette loi, et qu’il n’a, à aucun moment, exercé de telles activités à titre professionnel. Il ajoute qu’il n’existe qu’une « association aux fins d’approvisionnement international », au sens dudit contrat, cette association n’ayant pour associés que des sociétés commerciales, à savoir la défenderesse au principal, les sociétés partenaires et les partenaires commerciaux de celle-ci. Les « clients fidèles » auraient le droit de participer à ladite association uniquement en ce qui concerne l’acquisition de biens et de services auprès de ces partenaires commerciaux. Le requérant au principal soutient également qu’il ne ressort pas du contrat d’adhésion que ce dernier stipule des commissions, des rabais et d’autres avantages financiers en faveur de la défenderesse au principal et que, en tant que personne physique, qui n’a pas agi à des fins liées à son activité professionnelle, il n’a d’ailleurs pas la possibilité de proposer des avantages financiers à celle-ci. Par ailleurs, l’exercice d’une telle activité exigerait, au préalable, l’obtention d’autorisations et les enregistrements prévus à cet égard.

20      Dans le cadre de la procédure devant la juridiction de renvoi, la défenderesse au principal soutient que le requérant au principal n’a pas la qualité de « consommateur », au sens de la loi no 193/2000. Elle estime que, conformément au fonctionnement du système Lyoness, le requérant au principal exerce sa propre activité économique, de manière indépendante et systématique, avec ses propres ressources sociales et financières. Ainsi, selon elle, le requérant au principal est impliqué dans des activités commerciales dans le but d’obtenir des bénéfices sous la forme d’un « revenu passif » et ne cherche pas à obtenir exclusivement des rabais. En outre, la défenderesse au principal fait valoir que l’affiliation au système Lyoness est gratuit et que l’activité ultérieure d’un membre dans le cadre de ce système n’est pas subordonnée à un quelconque paiement. Elle précise que les sommes d’argent déposées par les membres dudit système constituent des acomptes sur leurs propres achats futurs et que leur seule obligation est d’utiliser ces sommes dans le cadre du programme de fidélisation ainsi que d’effectuer leurs achats auprès de ses partenaires commerciaux. Le système Lyoness et ses membres constitueraient une communauté d’acquéreurs dans le but d’obtenir des bénéfices réciproques. Selon la défenderesse au principal, le requérant au principal a bénéficié des avantages liés à son affiliation au système Lyoness, à savoir des remboursements sur ses propres achats, des avantages étendus sur les achats des membres recommandés (« prime d’amitié ») et des avantages conférés par le statut de membre.

21      La juridiction de renvoi ne partage pas l’approche adoptée dans le jugement du 9 décembre 2020 en ce qui concerne la qualité de « consommateur », au sens de la loi no 193/2000, du requérant au principal.

22      Dans ces conditions, le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter l’article 2, sous b), de la directive 93/13 en ce sens qu’une personne physique exerçant la profession d’ingénieur mécanicien spécialisé dans les machines hydrauliques et pneumatiques (et qui n’exerce pas d’activités commerciales à titre professionnel, notamment des activités d’acquisition de marchandises et de services destinés à la revente et/ou des activités d’intermédiaire) et qui conclut avec une société commerciale (un professionnel) un contrat d’adhésion en vertu duquel cette personne physique a le droit de participer à l’association aux fins d’approvisionnement mise en œuvre par cette société commerciale sous la forme du système Lyoness (un système promettant des revenus économiques sous la forme de remboursements d’achats, de commissions et d’autres avantages promotionnels), d’acquérir des marchandises et des services auprès de commerçants ayant une relation contractuelle avec ladite société (dénommés “partenaires commerciaux Lyoness”), ainsi que de jouer le rôle d’intermédiaire pour d’autres personnes au sein du système Lyoness (appelées “clients fidèles potentiels”), peut être qualifiée de “consommateur”, au sens de cette disposition, en dépit de la clause contractuelle selon laquelle la relation contractuelle entre Lyoness et le client est exclusivement régie par la loi suisse, indépendamment du pays où le client est domicilié, en vue d’une protection effective du consommateur ?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 2, sous b), de la directive 93/13 en ce sens qu’une personne qui est partie à un contrat à double finalité conclu avec un professionnel, c’est‑à‑dire lorsque ce contrat est conclu à des fins qui entrent partiellement dans le cadre de l’activité commerciale, industrielle ou professionnelle de la personne physique concernée et que la finalité commerciale, industrielle ou professionnelle de l’activité de cette personne physique n’est pas prépondérante dans le contexte global dudit contrat, peut être qualifiée de “consommateur”, au sens de cette disposition ?

3)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question préjudicielle, quels seraient les principaux critères permettant de déterminer si la finalité commerciale, industrielle ou professionnelle de l’activité de la personne physique concernée est prépondérante dans le contexte global du contrat concerné ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

23      Le gouvernement roumain exprime des doutes concernant la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. En effet, les faits du litige au principal seraient exposés par la juridiction de renvoi, dans sa demande, de manière très sommaire, en méconnaissance de l’article 94 du règlement de procédure de la Cour. En outre, cette demande ne contiendrait pas les informations nécessaires à une bonne compréhension de ces faits pour permettre à la Cour de fournir des réponses utiles aux questions posées ainsi qu’aux parties et aux intéressés de formuler des observations pertinentes.

24      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

25      Dans le cadre de cette procédure, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient au seul juge national de constater et d’apprécier les faits du litige au principal ainsi que de déterminer l’exacte portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales. La Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union au regard de la situation factuelle et juridique telle que décrite par la juridiction de renvoi, afin de donner à cette dernière les éléments utiles à la solution du litige dont elle est saisie (arrêt du 13 janvier 2022, Benedetti Pietro e Angelo e.a., C‑377/19, EU:C:2022:4 point 37 ainsi que jurisprudence citée).

26      Dès lors que la demande de décision préjudicielle sert de fondement à ladite procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans cette demande elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir en ce sens, notamment, arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

27      Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, que la juridiction de renvoi est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, ainsi que arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 et jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

28      En l’occurrence, par sa première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 et, plus particulièrement, sur la question de savoir si une personne physique ayant conclu un contrat d’adhésion à un système mis en œuvre par une société commerciale et permettant, notamment, de bénéficier de certains avantages financiers dans le cadre de l’acquisition de biens et de services auprès des partenaires commerciaux de cette société peut être considérée comme un « consommateur », au sens de cette disposition dans le contexte d’un litige dans le cadre duquel le requérant au principal invoque le caractère abusif, au sens cette directive, de plusieurs clauses figurant dans ce contrat d’adhésion, notamment celle désignant le droit suisse comme étant la loi applicable.

29      Ainsi, la première question porte, en substance, sur le champ d’application de la directive 93/13. Cette question est donc pertinente pour la solution du litige au principal.

30      Or, bien que brièvement, la juridiction de renvoi fait état, dans la demande de décision préjudicielle, d’éléments factuels pouvant être considérés comme étant suffisants afin d’apporter une réponse utile à la première question dans le contexte particulier d’un contrat d’adhésion à un système tel que celui en cause dans l’affaire au principal.

31      Dès lors, la demande de décision préjudicielle est recevable en tant qu’elle concerne la première question.

32      En revanche, la demande de décision préjudicielle ne contient pas d’éléments et de motifs suffisants pour permettre à la Cour de donner une réponse utile aux deuxième et troisième questions.

33      En effet, ces deux questions ont trait à un « contrat à double finalité » conclu entre une personne physique et un professionnel, qui serait destiné, pour partie, à l’usage lié à l’activité professionnelle de cette personne physique et, pour partie seulement, à un usage étranger à cette activité professionnelle, sans que la demande de décision préjudicielle comporte d’éléments de nature à suggérer que la juridiction de renvoi est en présence d’un tel contrat. Il convient, en outre, de relever que la juridiction de renvoi semble considérer elle-même que le requérant au principal est partie à un contrat dans le cadre duquel il agit à des fins étrangères à ses activités professionnelles. Par ailleurs, la demande de décision préjudicielle ne contient pas un exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 dans le contexte d’un « contrat à double finalité ».

34      Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle ne respecte pas les exigences de l’article 94, sous a) et c), du règlement de procédure, en tant qu’elle porte sur les deuxième et troisième questions.

35      Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme étant irrecevable en tant qu’elle concerne les deuxième et troisième questions.

 Sur le fond

36      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous b), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne physique ayant conclu un contrat d’adhésion à un système mis en œuvre par une société commerciale et permettant, notamment, de bénéficier de certains avantages financiers dans le cadre de l’acquisition de biens et de services auprès des partenaires commerciaux de cette société.

37      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, en l’occurrence, le contrat d’adhésion contient une clause désignant le droit suisse comme étant la loi applicable.

38      Sur ce point, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I prévoit que, en principe, un contrat de consommation « est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle ». Toutefois, l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement autorise, en principe, le recours à une clause relative au choix de la loi applicable, sous réserve que ce choix ne prive pas le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l’absence dudit choix.

39      Par conséquent, une clause désignant le droit d’un pays tiers comme droit applicable au contrat ne saurait priver un consommateur de la protection que lui assure la directive 93/13. Ainsi, en présence d’une telle clause, il incombe au juge national de veiller à ce que la protection prévue à l’article 6, paragraphe 2, du règlement Rome I et à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 93/13 soit assurée.

40      À cet égard, la Cour a jugé, de manière itérative, que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêt du 3 septembre 2015, Costea, C‑110/14, EU:C:2015:538, point 18 et jurisprudence citée).

41      Eu égard à cette situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à restaurer l’égalité entre ces derniers (arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C‑600/19, EU:C:2022:394, point 36 et jurisprudence citée).

42      En outre, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par la même directive « du fait du choix du droit d’un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ».

43      Par ailleurs, comme l’énonce le dixième considérant de la directive 93/13, les règles uniformes concernant les clauses abusives doivent, sous réserve des exceptions énumérées à ce considérant, s’appliquer à « tout contrat » conclu entre un professionnel et un consommateur, tels que définis à l’article 2, sous b) et c), de cette directive [arrêt du 27 octobre 2022, S. V. (Immeuble en copropriété), C‑485/21, EU:C:2022:839, point 22 et jurisprudence citée].

44      C’est donc par référence à la qualité des contractants, selon que ces derniers agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle, que la directive 93/13 définit les contrats auxquels elle s’applique (arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C‑590/17, EU:C:2019:232, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

45      Il s’ensuit que, lorsqu’une clause désignant le droit d’un pays tiers comme étant la loi applicable figure dans un contrat, conclu entre un professionnel et un consommateur, relevant du champ d’application matériel de la directive 93/13 et que le consommateur a sa résidence habituelle dans un État membre, le juge national doit appliquer les dispositions qui transposent cette directive dans l’ordre juridique de cet État membre.

46      Il appartient donc à ce juge, nonobstant l’existence d’une telle clause, de déterminer si le contractant du professionnel concerné peut être considéré comme étant un « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13. C’est dans cette optique qu’il convient de répondre à la première question.

47      À cet égard, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, est un « consommateur » toute personne physique qui, dans les contrats relevant de cette directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.

48      Ainsi, la qualité de « consommateur » de la personne concernée doit être déterminée au regard d’un critère fonctionnel, consistant à apprécier si le rapport contractuel concerné s’inscrit dans le cadre d’activités étrangères à l’exercice d’une profession [arrêt du 27 octobre 2022, S. V. (Immeuble en copropriété), C‑485/21, EU:C:2022:839, point 25 et jurisprudence citée]. La Cour a en outre eu l’occasion de préciser que la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement (arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C‑590/17, EU:C:2019:232, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

49      Il ressort de la jurisprudence que le juge national saisi d’un litige portant sur un contrat susceptible d’entrer dans le champ d’application de cette directive est tenu de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve et notamment des termes de ce contrat, si la personne concernée peut être qualifiée de « consommateur », au sens de ladite directive. Pour ce faire, le juge national doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, et notamment de la nature du bien ou du service faisant l’objet du contrat en cause, susceptibles de démontrer à quelle fin ce bien ou ce service est acquis (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2015, Costea, C‑110/14, EU:C:2015:538, points 22 et 23, ainsi que du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C‑590/17, EU:C:2019:232, point 26).

50      Il résulte des considérations qui précèdent que, dans le cas d’une personne physique qui adhère à un système tel que celui en cause au principal, il appartient au juge national d’établir, en prenant en considération également la nature des services offerts par le professionnel concerné, si cette personne physique a agi dans le cadre de son activité professionnelle ou si elle a agi à des fins étrangères à cette activité.

51      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en vertu du contrat d’adhésion, le requérant au principal, qui n’exerce pas d’activité commerciale à titre professionnel, a le droit de participer à l’« association aux fins d’approvisionnement » mise en œuvre par la défenderesse au principal, d’acquérir des biens et des services auprès de commerçants ayant une relation contractuelle avec cette dernière, ainsi que de jouer le rôle d’intermédiaire pour d’autres personnes au sein du système en cause au principal. Selon la juridiction de renvoi, ce système « promet » des revenus économiques sous la forme de remboursements d’achats, de commissions et d’autres avantages promotionnels.

52      À cet égard, il convient de préciser qu’une personne physique n’exerçant pas d’activité commerciale à titre professionnel et cherchant essentiellement à bénéficier, par sa participation à un système tel que celui en cause au principal, de conditions avantageuses dans le cadre de l’acquisition de biens et de services à des fins non commerciales auprès des partenaires commerciaux de l’opérateur de ce système ne saurait perdre la qualité de « consommateur » dans le rapport contractuel avec cet opérateur en raison du simple fait qu’elle peut profiter de certains avantages, tels que des remboursements d’achats, des commissions ou d’autres avantages promotionnels, résultant de ses propres acquisitions ou de celles d’autres personnes participant audit système à la suite de sa recommandation.

53      En effet, une interprétation de la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, qui exclurait de cette notion une personne physique agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre d’une activité professionnelle au motif qu’elle tire certains avantages financiers de sa participation au système concerné reviendrait à empêcher que puisse être assurée la protection accordée par cette directive à l’ensemble des personnes physiques se trouvant dans une situation d’infériorité à l’égard d’un professionnel et faisant un usage non professionnel des services offerts par ce dernier.

54      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 2, sous b), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne physique qui adhère à un système mis en œuvre par une société commerciale et permettant, notamment, de bénéficier de certains avantages financiers dans le cadre de l’acquisition, par cette personne physique ou par d’autres personnes participant à ce système à la suite de sa recommandation, de biens et de services auprès des partenaires commerciaux de cette société, lorsque ladite personne physique agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doit être interprété en ce sens que :

relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne physique qui adhère à un système mis en œuvre par une société commerciale et permettant, notamment, de bénéficier de certains avantages financiers dans le cadre de l’acquisition, par cette personne physique ou par d’autres personnes participant à ce système à la suite de sa recommandation, de biens et de services auprès des partenaires commerciaux de cette société, lorsque ladite personne physique agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.