CJUE, 1re ch., 8 juin 2023, n° C-50/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Prestige and Limousine SL
Défendeur :
Área Metropolitana de Barcelona, Asociación Nacional del Taxi (Antaxi), Asociación Profesional Élite Taxi, Sindicat del Taxi de Catalunya (STAC), Tapoca VTC1 SL, Agrupació Taxis Companys
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lenaerts
Vice-président :
M. Bay Larsen
Juges :
M. Xuereb, M. Kumin, Mme Ziemele
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Me de B. Carvajal Borrero, Me Soto Baselga, Me Borrás Ribó, Me M. Baño Fos, Me Baño León, Me Llopis Reyna, Me Pascual Morcillo
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 et de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Prestige and Limousine SL (ci-après « P&L »), qui offre des services de location de véhicules de tourisme avec chauffeur (ci-après les « services de VTC »), à, notamment, l’Área Metropolitana de Barcelona (Aire métropolitaine de Barcelone, Espagne) (ci‑après l’« AMB »), au sujet de la validité d’une réglementation de l’AMB qui exige l’obtention d’une licence afin d’exercer des services de VTC dans l’agglomération de Barcelone et limite le nombre de licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi accordées pour cette agglomération.
Le cadre juridique espagnol
La LOTT
3 L’article 43, paragraphe 1, sous g), de la Ley 16/1987 de Ordenación de los Transportes Terrestres (loi 16/1987 relative à l’organisation des transports terrestres), du 30 juillet 1987 (BOE no 182, du 31 juillet 1987, p. 23451), telle que modifiée par le Real Decreto-Ley 3/2018 (décret-loi royal 3/2018), du 20 avril 2018 (BOE no 97, du 21 avril 2018, p. 41051) (ci‑après la « LOTT »), dispose :
« La délivrance de l’autorisation d’exercer une activité de transport public est subordonnée au fait que l’entreprise demanderesse apporte la preuve que, conformément à ce que la réglementation prévoit, elle respecte les conditions suivantes :
[...]
g) remplir, le cas échéant, les autres conditions spécifiques réglementairement prévues nécessaires pour fournir de manière appropriée les services, eu égard aux principes de proportionnalité et de non‑discrimination, s’agissant de la classe de transport concernée. »
4 Aux termes de l’article 48, paragraphes 1 à 3, de la LOTT :
« 1. La délivrance des autorisations d’exercer une activité de transport public est réglementée de sorte qu’elle ne peut être refusée que si les conditions requises à cet effet ne sont pas remplies.
2. Toutefois, et conformément aux règles des communautés et aux autres dispositions éventuellement applicables, lorsque l’offre de transport public de voyageurs au moyen de véhicules de tourisme est soumise à des limitations quantitatives sur le territoire relevant d’une communauté autonome ou d’une localité, des limitations réglementaires peuvent être apportées à la délivrance tant de nouvelles autorisations d’opérer un service de transport interurbain dans cette classe de véhicules que d’autorisations d’exercer l’activité de location des véhicules avec chauffeur.
3. Sans préjudice du paragraphe précédent, afin de maintenir un juste équilibre entre l’offre des deux modes de transport, il convient de refuser de délivrer de nouvelles autorisations d’exercer l’activité de location de véhicules avec chauffeur lorsque le nombre de celles existant sur le territoire de la communauté autonome dans lequel la domiciliation est envisagée et celui des autorisations d’exercer l’activité de transport de personnes au moyen de voitures de tourisme domiciliées sur ce même territoire dépasse un rapport d’une autorisation de location pour trente autorisations de transport.
Toutefois, les communautés autonomes qui, sur délégation de l’État, ont assumé des compétences en matière d’autorisations concernant la location de véhicules avec chauffeur peuvent modifier la règle de proportionnalité visée à l’alinéa précédent, sous réserve qu’elles appliquent une règle moins contraignante. »
5 L’article 91 de la LOTT prévoit :
« 1. Les autorisations concernant le transport public permettent la prestation des services sur l’ensemble du territoire national, sans restriction tenant à l’origine ou à la destination du service.
Font exception à ce qui précède tant les autorisations d’assurer le transport interurbain de voyageurs au moyen de véhicules de tourisme que celles permettant la location de véhicules avec chauffeur, lesquelles doivent respecter les éventuelles conditions réglementairement prévues concernant l’origine, la destination ou l’itinéraire des services.
2. Sans préjudice du fait que, conformément au point précédent, les autorisations concernant la location de véhicules avec chauffeur permettent la prestation des services sur l’ensemble du territoire national, sans restriction tenant à l’origine ou à la destination du service, les véhicules utilisés pour exercer cette activité doivent être utilisés habituellement pour la prestation de services destinés à répondre à des besoins liés au territoire de la communauté autonome de domiciliation de l’autorisation dont ils relèvent.
[...] »
Le ROTT
6 Conformément à l’article 181, paragraphe 1, du Real Decreto 1211/1990 por el que se aprueba el Reglamento de la Ley de Ordenación de los Transportes Terrestres (décret royal 1211/1990 de mise en œuvre de la loi sur l’organisation des transports terrestres), du 28 septembre 1990 (BOE no 241, du 8 octobre 1990, p. 29406), tel que modifié par le Real Decreto-Ley 1057/2015 (décret-loi royal 1057/2015), du 20 novembre 2015 (BOE no 279, du 21 novembre 2015, p. 109832), et par le décret-loi royal 3/2018 (ci‑après le « ROTT ») :
« La délivrance des autorisations d’exercer l’activité de location de véhicules avec chauffeur est subordonnée au fait que leur demandeur remplisse toutes les conditions prévues à l’article 43, paragraphe 1, de la LOTT, selon les précisions figurant au paragraphe suivant. »
7 L’article 182, paragraphes 1 à 3, du ROTT prévoit :
« 1. Les véhicules couverts par les autorisations d’exercer l’activité de location de véhicules avec chauffeur occupés par des personnes étrangères à l’entreprise titulaire de l’autorisation ne peuvent circuler que s’il est prouvé qu’ils assurent un service préalablement commandé.
À cet effet, le contrat de location de véhicule avec chauffeur doit avoir été complété avant le début de la prestation du service commandé et les documents attestant de ce contrat doivent être tenus à bord du véhicule, conformément à ce qui est déterminé par le ministre du Développement du territoire.
Les véhicules couverts par les autorisations relatives à la location de véhicules avec chauffeur ne peuvent, en aucun cas, circuler sur les voies publiques à la recherche de clients ni tenter d’attirer des clients qui n’ont pas encore commandé le service en restant stationnés à cet effet.
2. Les autorisations relatives à la location de véhicules avec chauffeur permettent la prestation de services tant urbains qu’interurbains sur l’ensemble du territoire national, pour autant que le véhicule ait été préalablement loué conformément aux dispositions du point précédent.
3. Conformément aux dispositions [de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article] 18 de la LOTT, les tarifs de l’activité de location de véhicules avec chauffeur ne sont pas réglementés, mais les entreprises concernées doivent mettre à disposition du public des informations sur les prix pratiqués. »
L’arrêté VTC
8 L’Orden FOM/36/2008 por la que se desarrolla la sección segunda del capítulo IV del título V, en materia de arrendamiento de vehículos con conductor, del Reglamento de la Ley de Ordenación de los Transportes Terrestres, aprobado por Real Decreto 1211/1990, de 28 de septiembre (arrêté FOM/36/2008 d’exécution de la deuxième section du chapitre IV du titre V, concernant la location de véhicules avec chauffeur, du règlement de la loi sur l’organisation des transports terrestres, adopté par le décret royal 1211/1990, du 28 septembre 1990), du 9 janvier 2008 (BOE no 19, du 22 janvier 2008, p. 4283), tel que modifié par l’orden FOM/2799/2015 (arrêté FOM/2799/2015), du 18 décembre 2015 (BOE no 307, du 24 décembre 2015, p. 121901) (ci-après l’« arrêté VTC »), dispose, à son article 1er, intitulé « Caractère obligatoire de l’autorisation », notamment :
« Pour exercer l’activité de location de véhicules avec chauffeur, il est nécessaire d’obtenir, pour chaque véhicule affecté à cette activité, une autorisation permettant la prestation de ce service, conformément à l’article 180 [du ROTT] ».
9 L’article 4 de l’arrêté VTC, intitulé « Objet des autorisations », est libellé comme suit :
« Les autorisations d’exercer l’activité de location de véhicules avec chauffeur permettent la prestation de services, tant urbains qu’interurbains, sur l’ensemble du territoire national, pour autant que le véhicule ait été préalablement loué conformément aux dispositions du présent arrêté. »
10 L’article 5 dudit arrêté, intitulé « Conditions relatives à la délivrance des autorisations », prévoit :
« La délivrance des autorisations relatives à la location de véhicules avec chauffeur est subordonnée au fait que l’entreprise demanderesse prouve qu’elle remplit les conditions visées à l’article 181, paragraphes 1 et 2, du ROTT conformément aux dispositions des articles du présent arrêté. »
11 L’article 14 du même arrêté, intitulé « Délivrance des autorisations », dispose :
« Lorsque toutes les conditions énoncées à l’article 5 sont remplies, l’organisme compétent ne peut refuser de délivrer les autorisations demandées que dans les circonstances énoncées à l’article 181, paragraphe 3, du ROTT. »
Le RVTC
12 Le Reglamento de ordenación de la actividad de transporte urbano discrecional de viajeros con conductor en vehículos de hasta nueve plazas que circula íntegramente en el ámbito del Área Metropolitana de Barcelona del Consejo Metropolitano del Area Metropolitana de Barcelona (règlement d’organisation de l’activité de transport urbain occasionnel de voyageurs avec chauffeur au moyen de véhicules de neuf places maximum circulant exclusivement sur le territoire de l’Aire métropolitaine de Barcelone, adopté par le Conseil métropolitain de l’Aire métropolitaine de Barcelone), du 26 juin 2018 (Boletín Oficial de la Provincia de Barcelona, du 9 juillet 2018, et DOGC no 7897, du 14 juin 2019) (ci-après le « RVTC »), est entré en vigueur le 25 juillet 2018.
13 Le RVTC énonce, aux points 4, 5 et 9 de son préambule :
« 4. [...] la Ley 19/2003 [del Taxi, de la Comunidad Autónoma de Cataluña (loi 19/2003 sur les taxis, de la Communauté autonome de Catalogne), du 4 juillet 2003 (BOE no 189, du 8 août 2003, p. 30708)] (LT), réglemente le transport de passagers au moyen de véhicules de neuf places maximum, y compris celle du conducteur, effectué pour le compte d’autrui contre rémunération, conformément à la modalité appelée “services de taxi”. Le contenu de cette réglementation dans ce secteur se traduit par une intervention administrative, fondée sur le besoin de garantir l’intérêt public dans la réalisation d’un niveau optimal de qualité de la prestation du service, au moyen de la limitation du nombre d’autorisations et de la fixation de tarifs obligatoires, de sorte à garantir l’universalité, l’accessibilité, la continuité et le respect des droits des usagers [...]
5. Ainsi, il s’agit d’une activité définie [...] comme étant d’intérêt général exercée par des particuliers, une telle qualification impliquant qu’elle soit soumise aux mesures de contrôle, de police et d’intervention qui s’imposent, au moyen d’une réglementation sectorielle.
[...]
[...]
9. Les politiques publiques en matière de mobilité et de transport visent le développement durable [des] point[s] de vue environnemental et économique, et, à cet effet, des restrictions concernant la circulation routière dans les villes sont imposées, notamment lors des épisodes de forte pollution. L’aménagement des voies urbaines, la recherche continue de nouveaux espaces pour des usages publics autres que la circulation routière, les alternatives de mobilité à pied ou à bicyclette, ou la priorité accordée aux couloirs de transport public collectif sont des mesures incompatibles avec la promotion de l’augmentation, d’une part, du nombre de véhicules routiers affectés au transport urbain moyennant la location avec chauffeur et, d’autre part, des locations pour un seul usager et pour la capacité totale du véhicule.
Les politiques publiques dans le secteur des taxis se sont fondées sur l’arrêt de l’octroi de nouvelles licences en plus de celles délivrées depuis 1987. En outre, sont favorisées les actions limitant les jours et les heures de circulation des véhicules et l’utilisation de technologies propres, telles que le moteur électrique ou hybride. »
14 L’article 7 du RVTC, intitulé « Soumission à une autorisation préalable », dispose, à ses paragraphes 1, 2 et 4 à 6 :
« 1. L’activité de fourniture du service de transport de voyageurs au moyen de véhicules de neuf places maximum, y compris celle du conducteur, à l’intérieur de la zone de gestion unitaire du transport urbain constituée du territoire de l’[AMB] est un transport urbain et, donc, est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation permettant d’exercer cette activité pour chaque véhicule utilisé à cet effet par son titulaire.
2. Cette autorisation est demandée et, le cas échéant, délivrée à la personne physique ou morale qui à tout moment en est clairement titulaire. Les autorisations d’exercer l’activité sont nominatives et concernent un véhicule donné. Doivent y figurer l’immatriculation du véhicule, le numéro de châssis et les autres données jugées nécessaires à son identification. L’autorisation ne vaut pas autorisation pour tous les véhicules appartenant ou exploités par son titulaire.
[...]
4. Dans le champ d’application territorial du présent règlement, seules les autorisations accordées par l’AMB autorisent à fournir un service, avec origine et destination, sans préjudice des dispositions de la [LOTT] en ce qui concerne l’octroi de cette autorisation ou d’autres y visées.
5. L’autorisation délivrée par l’[AMB] vient en plus des autres autorisations délivrées par d’autres administrations en raison de leurs compétences propres.
6. Le service [VTC] qui n’est pas urbain au sens de l’article 7 [du présent] règlement n’est pas soumis [au présent] règlement ni au régime d’autorisation que [le présent règlement] prévoit. »
15 L’article 9 de ce règlement, intitulé « Régime juridique des autorisations », est libellé comme suit :
« La délivrance de l’autorisation répond au régime juridique suivant :
1. La délivrance de l’autorisation est subordonnée au respect des conditions prévues par la Ley 12/1987 [de regulación del transporte de viajeros por carretera mediante vehículos de motor, de la Comunidad Autónoma de Cataluña (loi 12/1987 de réglementation du transport de voyageurs par route par l’intermédiaire de véhicules à moteur, de la Communauté autonome de Catalogne), du 28 mai [1987 (BOE no 151, du 25 juin 1987, p. 19159)], le Decreto 319/1990 [por el cual se aprueba el Reglamento de regulación del transporte de viajeros por carretera mediante vehículos de motor, del Consejo Ejecutivo de la Generalidad de Cataluña (décret 319/1990 approuvant la réglementation du transport de voyageurs par route par l’intermédiaire de véhicules à moteur, du Conseil exécutif de la Généralité de Catalogne)], du 21 décembre [1990 (DOGC no 1387, du 31 décembre 1990)], et le présent règlement par son demandeur.
[...]
3. L’autorisation ne concerne qu’un seul véhicule et elle peut être exploitée par son titulaire ou par ses salariés employés sous un contrat de travail.
[...] »
16 Aux termes de l’article 10 dudit règlement, intitulé « Détermination du nombre d’autorisations » :
« 1. L’AMB est chargée de fixer, à tout moment, le nombre maximum d’autorisations de fournir les services de transport urbain occasionnel de passagers au moyen de véhicules de location avec chauffeur. Il est déterminé dans le but de garantir une disponibilité suffisante du service dans des conditions optimales pour les citoyens sans préjudice de la garantie de rentabilité économique pour les opérateurs.
2. La création de nouvelles autorisations, permanentes ou temporaires, ou la réduction de leur nombre actuel, exige la prise d’une décision établissant sa nécessité et son opportunité, compte tenu notamment des facteurs suivants :
a) le niveau de l’offre actuelle ;
b) le niveau de la demande actuelle ;
c) les activités commerciales, industrielles, touristiques ou autres exercées dans le champ d’application territorial qui peuvent donner lieu à des demandes spécifiques de service de transport urbain occasionnel au moyen de véhicules de location avec chauffeur.
d) la compatibilité d’introduire de nouvelles autorisations avec les objectifs de durabilité environnementale en ce qui concerne le trafic et la circulation urbaine. »
17 L’article 11 du même règlement, intitulé « Régime de délivrance des autorisations », prévoit :
« 1. Les autorisations sont délivrées conformément aux principes et aux règles établis par la loi 12/1987 [de réglementation du transport de voyageurs par route par l’intermédiaire de véhicules à moteur], le décret 319/1990 [approuvant la réglementation du transport de voyageurs par route par l’intermédiaire de véhicules à moteur] ou le présent règlement et conformément aux procédures administratives édictées en application de ce dernier.
2. L’AMB délivre les autorisations aux personnes physiques ou morales qui remplissent les conditions nécessaires à leur obtention. À cet effet, l’AMB adopte les bases des avis d’ouverture de procédures de délivrance de nouvelles autorisations, lesquels précisent la procédure d’attribution, qui, dans tous les cas, doit garantir le respect des principes de publicité, d’égalité des chances, de libre concurrence et de non-discrimination. L’attribution se fait par tirage au sort parmi les demandes remplissant les conditions requises.
3. Les personnes intéressées par l’obtention d’une autorisation doivent introduire une demande dans laquelle elles prouvent [qu’elles remplissent] les conditions requises et ces personnes seront inscrites sur la liste des candidats, le tout selon les délais et formes déterminés par les avis en cause.
4. La procédure de délivrance prévoit que les intéressés soient entendus et que les organisations du secteur puissent faire valoir ce qu’elles estiment opportun pour défendre leurs intérêts.
5. Cette réglementation s’applique également aux autorisations permettant la prestation du service urbain à caractère saisonnier ou pour des événements déterminés. »
18 Le RVTC contient une « [d]isposition transitoire », libellée comme suit :
« Sont en vigueur les autorisations de transport régies par [le présent] règlement qui ont été délivrées par l’[ancienne] Entidad Municipal Metropolitana de Barcelona (Corporación Metropolitana de Barcelona) [Organisme municipal métropolitain de Barcelone (Corporation métropolitaine de Barcelone)] et par l’Entidad Metropolitana del Transporte [Organisme métropolitain de transport], ainsi que les autorisations délivrées par la Generalitat de Cataluña [Généralité de Catalogne] conformément à l’Orden por la que se desarrolla el Reglamento de la Ley de Ordenación de los Transportes Terrestres, aprobado por el Real Decreto 1211/1990, de 28 de septiembre (arrêté ministériel d’exécution du règlement de la loi sur l’organisation des transports terrestres, adopté par le décret royal 1211/1990, du 28 septembre 1990), du 30 juillet 1998 (BOE nº 192, du 12 août 1998, p. 27466), qui a établi la première limitation selon la proportion d’un trentième par rapport au nombre de licences de taxis, et qui sont actives au moment de l’entrée en vigueur de ce texte, lesquelles demeurent régies et soumises à la présente réglementation. »
19 Aux termes de deux « Dispositions supplémentaires », figurant dans le RVTC :
« Premièrement. Le nombre total d’autorisations se limite à celles octroyées conformément à la disposition transitoire qui précède. Il appartient à l’Instituto Metropolitano del Taxi [Institut métropolitain du taxi] de proposer l’adoption d’une décision déterminant le nombre maximal d’autorisations outre celles prévues par la disposition transitoire. En aucun cas, le nombre d’autorisations en vigueur à un moment donné ne peut dépasser le rapport d’une licence de [VTC] pour trente licences de taxi. Les pouvoirs conférés à l’Institut métropolitain du taxi à l’article 5, paragraphe 2, [du présent] règlement incluent l’avis d’ouverture et la décision concernant la délivrance de nouvelles autorisations, en plus de celles relevant de la disposition transitoire [...]
Deuxièmement. Les pouvoirs attribués à l’Institut métropolitain du taxi à l’article 5, paragraphe 2, [du présent] règlement incluent l’avis d’ouverture et la décision concernant la délivrance de nouvelles autorisations saisonnières et pour des événements individuels. Ces avis sont conformes aux règles suivantes :
a. les avis fixent le nombre d’autorisations qui seront délivrées, selon les critères du présent règlement, sur la base d’une justification motivée et suffisante. Le nombre d’autorisations par demandeur, personne physique ou morale, peut être limité ;
b. les avis prévoient le calendrier de la durée de validité des autorisations et précisent les périodes ou les événements concernant cette durée de validité ;
c. le calendrier annuel de validité des autorisations peut être prolongé ou réduit pour des raisons justifiées par de nouvelles nécessités ou circonstances, l’éventuelle réduction n’ouvrant en aucun cas droit à une indemnisation. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
20 Le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne, Espagne), qui est la juridiction de renvoi, relève que, en 2009, la limitation du nombre de licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi, qui était prévue jusqu’alors par la législation espagnole, a été supprimée. Cette suppression aurait entraîné, jusqu’en 2015, une augmentation significative du nombre de prestataires de ces services dans la zone métropolitaine de Barcelone, phénomène que l’AMB aurait entendu endiguer avec l’adoption du RVTC.
21 Le RVTC vise à réglementer le service de VTC dans l’ensemble de l’agglomération de Barcelone, qui constitue une zone urbaine, aux fins du transport de personnes en taxi ou en véhicule de tourisme avec chauffeur. Pour la prestation de tels services dans cette agglomération, ce règlement exige, notamment, des entreprises disposant déjà d’une autorisation pour fournir des services de VTC urbains et interurbains en Espagne qu’elles obtiennent une licence supplémentaire octroyée par l’AMB. En outre, ledit règlement fait usage de la faculté offerte par l’article 48, paragraphe 3, de la LOTT, de limiter le nombre de licences autorisant les services de VTC à un trentième du nombre de licences accordées pour les services de taxi.
22 P&L est titulaire d’autorisations d’exploitation d’un service de VTC et conteste le RVTC devant la juridiction de renvoi. En effet, P&L et quatorze autres entreprises qui fournissaient déjà des services de VTC dans cette zone à la date d’adoption du RVTC, dont des entreprises liées à des plateformes internationales en ligne, estiment que, compte tenu des limitations et des restrictions qui leur sont imposées par le RVTC, le seul but de son adoption était d’entraver leur activité, et ce à la seule fin de protéger les intérêts du secteur des taxis. P&L et ces autres entreprises demandent ainsi à la juridiction de renvoi de déclarer nul de plein droit le RVTC.
23 L’Asociación Nacional del Taxi (Antaxi) (ci-après l’« ANT »), l’Asociación Profesional Élite Taxi, le Sindicat del Taxi de Catalunya (STAC), Tapoca VTC1 SL et l’Agrupació Taxis Companys sont intervenus dans ce litige au soutien de l’AMB.
24 Le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne) relève que les taxis et les véhicules de tourisme avec chauffeur (ci-après les « VTC ») se trouvent en concurrence en matière de service de transport urbain de voyageurs. Les services de taxi seraient, en tant que « services d’intérêt général », soumis à une réglementation propre et à une limitation du nombre de licences nécessaires à l’exercice de leur activité, et leurs tarifs seraient soumis à une autorisation administrative préalable. Bien que leur champ d’action habituel soit situé en zone urbaine, les taxis pourraient néanmoins fournir des services de transport interurbain, dans le respect des exigences de rigueur.
25 Selon la juridiction de renvoi, les prestataires de service de VTC doivent également obtenir des autorisations pour exercer cette activité, qui sont délivrées en nombre limité. Elle précise que, à l’époque des faits du litige au principal, les VTC pouvaient fournir des services de transport interurbain et urbain sur l’ensemble du territoire national, à des tarifs soumis non pas à autorisation préalable, mais à un système de prix conventionné permettant à l’utilisateur de connaître à l’avance, et éventuellement de payer par Internet, le prix total du service fourni. Contrairement aux taxis, les VTC ne pourraient pas emprunter les couloirs de bus, ne disposeraient pas d’arrêts sur la voie publique et ne pourraient pas prendre des clients directement sur la voie publique si la prestation de service n’a pas été convenue au préalable.
26 La juridiction de renvoi relève que, en 2018, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), a jugé que le rapport de 1 à 30 entre le nombre de licences de services de VTC et le nombre de licences de services de taxi n’aurait jamais été justifié par une quelconque considération objective. Elle en déduit que l’article 48, paragraphe 3, de la LOTT, qui a permis la limitation par le RVTC des licences de services de VTC, peut être qualifié d’arbitraire et qu’il est donc contraire à l’article 49 TFUE en ce qu’il rendrait pratiquement impossible aux entreprises offrant des services de VTC dans l’Union européenne de s’établir dans la zone métropolitaine de Barcelone, et à l’interdiction, prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, d’entraver les échanges au sein de l’Union par l’octroi d’aides d’État.
27 Le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne) nourrit les mêmes doutes quant à la compatibilité avec ces dispositions du droit de l’Union du régime de « double autorisation » auquel ont été soumis les VTC dans la zone métropolitaine de Barcelone. L’article 91 de la LOTT et l’article 182, paragraphe 2, du ROTT ayant prévu, à l’époque des faits du litige au principal, que les autorisations d’exercer l’activité de VTC permettaient de fournir « des services urbains et interurbains sur l’ensemble du territoire national », l’ajout par l’AMB d’une exigence de licence pour pouvoir fournir des services de VTC urbains dans la zone métropolitaine de Barcelone, soumise à des exigences supplémentaires, pourrait être considéré comme une stratégie visant à réduire au minimum la concurrence des services de VTC à l’égard des taxis.
28 Selon la juridiction de renvoi, les justifications du RVTC avancées par l’AMB tiendraient, tout d’abord, au fait que les services de VTC mettraient en danger la viabilité économique des services de taxi, leur feraient une concurrence déloyale et entraîneraient un usage intensif des voies de communication. Ensuite, les 10 523 licences de services de taxi accordées par l’AMB seraient suffisantes pour répondre aux besoins de la population et pour assurer, en même temps, la rentabilité de l’activité des taxis. Enfin, l’AMB insisterait sur la protection de l’environnement.
29 Toutefois, selon cette juridiction, les considérations économiques relatives à la situation des taxis ne sauraient justifier les mesures comprises dans le RVTC. S’agissant des considérations relatives à l’usage des voies de communication, l’AMB aurait omis de mettre en balance l’effet de diminution de l’utilisation de la voiture privée que peuvent produire les services de VTC. En outre, les VTC seraient tenus de disposer d’un local de stationnement et ne pourraient ni marauder à la recherche de clients ni stationner sur la voie publique dans l’attente de ceux-ci. De même, les considérations environnementales feraient abstraction des techniques existantes susceptibles de garantir une prestation de service au moyen de véhicules peu polluants, voire non polluants. En outre, la flotte de taxis serait qualifiée de « propre » sans que soient indiquées les raisons pour lesquelles ce qualificatif ne s’étend pas à la flotte de VTC. Le but essentiel de l’AMB semblerait avoir été, au moyen du RVTC, de préserver ou de protéger les intérêts du secteur des taxis.
30 Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) [L’article] 49 et [l’article] 107, paragraphe 1, TFUE s’opposent-ils à des dispositions nationales – législatives et réglementaires – qui, sans motif valable, prévoient une limitation à raison d’une autorisation d’exercer l’activité de location de [VTC] pour trente licences de taxi, voire moins ?
2) [L’article] 49 et [l’article] 107, paragraphe 1, TFUE s’opposent‑ils à une réglementation nationale qui, sans motif valable, prévoit une deuxième autorisation et des conditions supplémentaires pour les prestataires de services de [VTC] qui souhaitent fournir des services urbains ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
31 L’AMB estime que la demande de décision préjudicielle est irrecevable à trois titres. Tout d’abord, la décision de renvoi ne mentionnerait pas la législation régionale et locale applicable et omettrait de préciser la circonstance qu’il existe une réglementation sur laquelle se fondent les dispositions du RVTC, tant en ce qui concerne la compétence de l’AMB que la justification de ce règlement tenant à la protection de l’environnement. Ensuite, les éléments du litige ne concerneraient qu’un seul État membre et les questions préjudicielles viseraient l’interprétation du droit interne plutôt que celle du droit de l’Union. Enfin, l’AMB souligne la formulation, selon elle, tendancieuse des questions préjudicielles, qui viserait à influencer la Cour sur le fond.
32 P&L relève que la première question préjudicielle vise, outre le RVTC, des dispositions « législatives et réglementaires ». Toutefois, la limite imposée pour l’octroi de licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi résulterait exclusivement du RVTC. Dès lors, cette première question dépasserait le cadre du litige pendant devant la juridiction de renvoi et serait, dès lors, dénuée de pertinence pour la solution de celui-ci.
33 Selon l’ANT, la juridiction de renvoi pose en réalité quatre questions préjudicielles, deux d’entre elles portant sur l’interprétation des dispositions relatives à la liberté d’établissement et les deux autres portant sur l’interprétation de dispositions faisant partie du régime des aides d’État.
34 Les deux questions portant sur la liberté d’établissement devraient être déclarées irrecevables, car la Cour y aurait déjà répondu en ce sens que, toute restriction à la liberté d’établissement devant être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, le juge national devrait, s’il estime, comme la juridiction de renvoi, qu’une telle raison n’existe pas, laisser inappliquée ou annuler la disposition nationale en cause. En outre, si ces questions étaient interprétées en ce sens que la juridiction de renvoi demande si les dispositions du RVTC sont conformes aux exigences de nécessité et de proportionnalité, elles seraient irrecevables, car il serait ainsi demandé à la Cour de se livrer à une analyse qu’il ne lui incombe pas d’effectuer, mais qui relève de l’office de la juridiction nationale. De plus, le Tribunal Supremo (Cour suprême) aurait déjà effectué une telle analyse sans éprouver de doute sur la compatibilité des dispositions nationales en cause avec le droit de l’Union, ce qui prouverait que les questions posées par la juridiction de renvoi ne présentent pas d’utilité pour trancher le litige au principal.
35 De même, les deux questions relatives à l’interdiction des aides d’État seraient irrecevables, car la Cour aurait clairement répondu à des questions similaires dans l’arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9), sans que la juridiction de renvoi ait fourni la moindre explication quant à la nécessité de nuancer ou de clarifier cette jurisprudence en l’occurrence.
36 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C‑339/20 et C‑397/20, EU:C:2022:703, point 56 ainsi que jurisprudence citée).
37 Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C‑339/20 et C‑397/20, EU:C:2022:703, point 57 ainsi que jurisprudence citée).
38 À ce dernier égard, il convient de rappeler que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile au juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 49 et jurisprudence citée).
39 Il résulte ainsi de l’article 94, sous a) et c), du règlement de procédure de la Cour que la demande de décision préjudicielle doit notamment contenir un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi, ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées, de même qu’un exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.
40 En l’occurrence, premièrement, s’agissant de l’objection de l’AMB selon laquelle la décision de renvoi ne mentionnerait pas toute la législation nationale, régionale et locale pertinente, force est de constater que cette décision de renvoi comporte suffisamment d’éléments pour permettre à la Cour de comprendre tant le cadre juridique et factuel du litige au principal que le sens et la portée des questions préjudicielles posées. Il s’ensuit que ladite décision satisfait aux exigences posées par l’article 94, sous a), du règlement de procédure.
41 Deuxièmement, en faisant valoir que les questions préjudicielles se réfèrent à des dispositions nationales législatives et réglementaires, alors même que l’affaire au principal ne porte que sur la légalité du RVTC, P&L invite en réalité la Cour à identifier elle-même les contours précis de la législation nationale applicable, ce qui n’est pas de son ressort.
42 En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi. Dès lors, l’examen d’un renvoi préjudiciel doit être effectué au regard de l’interprétation du droit national fournie par la juridiction de renvoi [arrêt du 20 octobre 2022, Centre public d’action sociale de Liège (Retrait ou suspension d’une décision de retour), C‑825/21, EU:C:2022:810, point 35].
43 Partant, dès lors que la juridiction de renvoi a défini le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose, il n’appartient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude (arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 50).
44 Troisièmement, l’article 94, sous c), du règlement de procédure exige de la juridiction de renvoi qu’elle expose les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union faisant l’objet des questions préjudicielles. Or, la formulation des questions préjudicielles, à supposer même qu’elle viserait, comme le soutient l’AMB, à influencer la Cour, ne saurait à elle seule rendre la demande de décision préjudicielle irrecevable, une telle circonstance ne correspondant à aucune des hypothèses visées au point 37 du présent arrêt.
45 Quatrièmement, à supposer même que, comme le prétend l’ANT, les réponses à apporter aux questions préjudicielles découlent, en l’occurrence, clairement de la jurisprudence de la Cour, il résulte de l’article 99 du règlement de procédure qu’une telle circonstance aurait pour effet non pas de rendre la demande de décision préjudicielle irrecevable, mais d’habiliter la Cour à y répondre par voie d’ordonnance.
46 Cinquièmement, les questions préjudicielles posées portant sur l’interprétation de l’article 49 et de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, c’est à tort que l’ANT prétend que ces questions se bornent à demander à la Cour d’effectuer des appréciations factuelles qui ne sont pas de son ressort.
47 Sixièmement, la circonstance qu’une juridiction suprême nationale a déjà examiné, dans le cadre d’un litige présentant des similitudes avec celui en cause au principal, la pertinence potentielle des dispositions du droit de l’Union visées par la juridiction de renvoi n’est pas de nature à rendre irrecevable un renvoi préjudiciel visant à ce que la Cour se prononce sur l’interprétation de ces dispositions, en conformité avec l’article 267 TFUE. Une telle circonstance ne correspond en effet à aucune des hypothèses d’irrecevabilité rappelées au point 37 du présent arrêt.
48 Septièmement, pour autant que l’AMB relève que tous les aspects du litige au principal sont cantonnés à l’intérieur d’un seul État membre, il convient de rappeler que la juridiction de renvoi a précisé que le recours de P&L fait partie d’un ensemble de quinze recours tendant à l’annulation du RVTC, dont l’un a été introduit par des « plateformes internationales » en ligne, ce qui tend à indiquer que le recours au principal vise à l’annulation de dispositions de droit national qui s’appliquent également aux ressortissants d’autres États membres, de sorte que la décision que la juridiction de renvoi adoptera à la suite du présent arrêt est susceptible de produire des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2013, Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 35).
49 Or, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, lorsque la juridiction de renvoi la saisit dans le cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants des autres États membres, la décision que cette juridiction adoptera à la suite de son arrêt rendu à titre préjudiciel produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants, ce qui justifie que la Cour réponde aux questions qui lui ont été posées en rapport avec les dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales en dépit du fait que tous les éléments du litige au principal sont cantonnés à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 32 et jurisprudence citée).
50 Il découle des considérations qui précèdent que la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur le fond
Sur les questions relatives à l’article 107, paragraphe 1, TFUE
51 Par ces questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande en substance, notamment, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation, applicable à une agglomération, prévoyant, d’une part, qu’une autorisation spécifique est exigée pour exercer l’activité de services de VTC dans cette agglomération, s’ajoutant à l’autorisation nationale requise pour la prestation de services de VTC urbains et interurbains, et, d’autre part, que le nombre de licences de services de VTC est limité à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération.
52 Selon la jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 103 ainsi que jurisprudence citée)
53 S’agissant de la condition relative à l’engagement de ressources d’État, il convient de rappeler que la notion d’aide comprend non seulement des prestations positives telles que des subventions, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du terme, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt du 14 janvier 2015, Eventech, C‑518/13, EU:C:2015:9, point 33 et jurisprudence citée).
54 Par conséquent, aux fins de la constatation de l’existence d’une aide d’État, il doit être établi un lien suffisamment direct entre, d’une part, l’avantage accordé au bénéficiaire et, d’autre part, une diminution du budget étatique, voire un risque économique suffisamment concret de charges grevant celui-ci (arrêt du 14 janvier 2015, Eventech, C‑518/13, EU:C:2015:9, point 34 et jurisprudence citée).
55 En l’occurrence, il suffit de constater qu’il ne ressort nullement de la décision de renvoi que la réglementation en cause au principal implique l’engagement de ressources d’État.
56 En particulier, d’une part, ni l’exigence d’une autorisation délivrée par l’AMB pour exercer l’activité de services de VTC dans l’agglomération de Barcelone ni la limitation du nombre de licences de tels services à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération ne semblent impliquer des prestations positives, telles que des subventions, au bénéfice des entreprises fournissant des services de taxi ni alléger les charges qui grèvent normalement le budget de ces entreprises.
57 D’autre part, ces deux mesures n’apparaissent pas conduire à une diminution du budget étatique ou à un risque économique suffisamment concret de charges grevant celui-ci, qui pourraient bénéficier aux entreprises fournissant des services de taxi.
58 Dans ces conditions, il convient de répondre aux questions posées que l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne s’oppose pas à une réglementation, applicable à une agglomération, prévoyant, d’une part, qu’une autorisation spécifique est exigée pour exercer l’activité de services de VTC dans cette agglomération, s’ajoutant à l’autorisation nationale requise pour la prestation de services de VTC urbains et interurbains, et, d’autre part, que le nombre de licences de tels services est limité à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération, pour autant que ces mesures ne soient pas de nature à impliquer un engagement de ressources d’État au sens de cette disposition.
Sur les questions relatives à l’article 49 TFUE
59 Par ces questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande également, en substance, si l’article 49 TFUE s’oppose à une réglementation, applicable à une agglomération, prévoyant, d’une part, qu’une autorisation spécifique est exigée pour exercer l’activité de services de VTC dans cette agglomération, s’ajoutant à l’autorisation nationale requise pour la prestation de services de VTC urbains et interurbains, et, d’autre part, que le nombre de licences de tels services est limité à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération.
60 L’article 49, premier alinéa, TFUE dispose que, dans le cadre des dispositions qui figurent au chapitre 2 du titre IV de la troisième partie du traité FUE, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre sont interdites.
61 Selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE (arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 61 ainsi que jurisprudence citée).
62 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, en substance, aux points 51 à 55 de ses conclusions, d’une part, l’exigence d’une autorisation spécifique pour l’exercice de l’activité de services de VTC dans l’agglomération de Barcelone, s’ajoutant à l’autorisation nationale requise pour la prestation de services de VTC urbains et interurbains, constitue par elle-même une restriction à l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE, une pareille exigence limitant effectivement l’accès au marché pour tout nouvel arrivant (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2009, Hartlauer, C‑169/07, EU:C:2009:141, point 34 ; voir également, par analogie, arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, EU:C:2002:34, point 29).
63 D’autre part, tel est également le cas de la limitation du nombre de licences de tels services de VTC à un trentième du nombre de licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération, qui doit être qualifiée de restriction à la liberté d’établissement, dès lors qu’une telle limitation restreint le nombre de prestataires de services de VTC établis dans cette agglomération.
64 Selon une jurisprudence constante, de telles restrictions à la liberté d’établissement ne sauraient être admises qu’à la condition, en premier lieu, d’être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elles soient propres à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 65 ainsi que jurisprudence citée).
– Sur l’existence de raisons impérieuses d’intérêt général
65 Il ressort de la demande de décision préjudicielle ainsi que des observations de l’AMB et du gouvernement espagnol devant la Cour que, par les deux mesures en cause au principal, le RVTC vise à assurer, tout d’abord, la qualité, la sécurité et l’accessibilité des services de taxi dans l’agglomération de Barcelone, considérés comme étant un « service d’intérêt général », notamment en maintenant un « juste équilibre » entre le nombre des prestataires de services de taxi et celui des prestataires de services de VTC, ensuite, une bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public au sein de cette agglomération et, enfin, la protection de l’environnement dans ladite agglomération.
66 S’agissant plus particulièrement de l’objectif tendant à assurer la qualité, la sécurité et l’accessibilité des services de taxi, il ressort du dossier dont dispose la Cour, tout d’abord, que l’activité de services de taxi est fortement réglementée, en ce que ces services sont soumis, notamment, à des quotas de licences, à des tarifs réglementés, à une obligation de transport universelle et à une accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Eu égard à ces caractéristiques, les services de taxi sont considérés, notamment par l’AMB, comme étant un « service d’intérêt général » qui mérite d’être préservé, en tant qu’élément important de l’organisation générale des transports urbains de l’agglomération de Barcelone.
67 L’AMB relève, ensuite, que la viabilité économique de l’activité de services de taxi apparaît mise en danger par une concurrence croissante provenant de l’activité des services de VTC. Dans ces conditions, la préservation d’un équilibre entre ces deux formes de transport urbain aurait été perçue par les pouvoirs politiques, au niveau tant national que régional, comme un moyen approprié et proportionné de garantir le maintien des services de taxi, en tant que service d’intérêt général intégré dans un modèle de transport urbain global.
68 Enfin, la juridiction de renvoi et plusieurs parties à la procédure ont relevé que le Tribunal Supremo (Cour suprême) avait considéré, dans un arrêt du 4 juin 2018, que l’organisation et les modes souhaités du transport urbain relèvent du choix des pouvoirs publics, que ces pouvoirs peuvent, dans le cadre d’un tel choix, opter pour le maintien de services de taxi répondant aux caractéristiques rappelées au point 66 du présent arrêt et constituant, dès lors, un « service d’intérêt général », qu’il est, partant, justifié de préserver un équilibre entre ce mode de transport urbain et les services de VTC afin de garantir le maintien de ce service d’intérêt général et que, à cette fin, le fait de prévoir un ratio entre les licences de services de VTC et celles de services de taxi, pouvant aller jusqu’à un pour trente, apparaît, en l’absence d’une alternative moins restrictive, comme étant une mesure appropriée et proportionnée.
69 À cet égard, premièrement, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 75 et 76 de ses conclusions, l’objectif de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public d’une agglomération, d’une part, ainsi que celui de protection de l’environnement dans une telle agglomération, d’autre part, sont susceptibles de constituer des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 2011, Commission/Espagne, C‑400/08, EU:C:2011:172, point 74, ainsi que du 30 janvier 2018, X et Visser, C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, points 134 et 135).
70 Deuxièmement, il est, en revanche, de jurisprudence constante que des objectifs de nature purement économique ne peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité (arrêts du 11 mars 2010, Attanasio Group, C‑384/08, EU:C:2010:133, point 55, et du 24 mars 2011, Commission/Espagne, C‑400/08, EU:C:2011:172, point 74 ainsi que jurisprudence citée). La Cour a notamment jugé en ce sens que l’objectif de garantir la rentabilité d’une ligne d’autobus concurrente, en tant que motif de nature purement économique, ne peut constituer une telle raison impérieuse d’intérêt général (arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb, C‑338/09, EU:C:2010:814, point 51).
71 En l’occurrence, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 61 de ses conclusions, l’objectif d’assurer la viabilité économique des services de taxi doit être considéré, lui aussi, comme étant un motif de nature purement économique qui ne peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt.
72 Il en découle que cet objectif ne saurait être invoqué pour justifier, notamment, la préservation d’un équilibre entre les deux modes de transports urbains en cause au principal ou un ratio entre les licences de services de VTC et celles de services de taxi, qui constituent des considérations de nature purement économique.
73 Troisièmement, ces constatations ne sont pas infirmées par la circonstance selon laquelle les services de taxi sont qualifiés, en droit espagnol, de « service d’intérêt général ».
74 D’une part, ainsi que l’a fait valoir à bon droit la Commission européenne lors de l’audience, l’objectif poursuivi par une mesure restreignant la liberté d’établissement doit, en tant que tel, constituer une raison impérieuse d’intérêt général au sens de la jurisprudence citée au point 64 du présent arrêt, sans que la qualification de cet objectif dans le droit national puisse influer sur l’appréciation à effectuer à ce titre.
75 D’autre part, aucun élément du dossier dont dispose la Cour ne fait apparaître que les prestataires de services de taxi exerçant leur activité dans l’agglomération de Barcelone seraient chargés de la gestion d’un service d’intérêt économique général (ci-après un « SIEG ») au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE ni que l’absence de restriction à la liberté d’établissement des prestataires de services de VTC ferait échec à l’accomplissement en droit ou en fait d’une mission particulière de service public confiée auxdits prestataires de services de taxi.
76 À cet égard, il convient de rappeler que, si les États membres sont en droit de définir l’étendue et l’organisation de leurs SIEG en tenant compte en particulier d’objectifs propres à leur politique nationale et que, à ce titre, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation qui ne peut être remis en cause par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste, ce pouvoir ne saurait être illimité et doit, en tout état de cause, être exercé dans le respect du droit de l’Union (arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, point 95 ainsi que jurisprudence citée).
77 Selon la jurisprudence de la Cour, un service est susceptible de revêtir un intérêt économique général lorsque cet intérêt présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique (arrêt du 7 novembre 2018, Commission/Hongrie, C‑171/17, EU:C:2018:881, point 51 et jurisprudence citée).
78 En outre, pour pouvoir être qualifié de SIEG, un service doit être fourni en application d’une mission particulière de service public confiée au prestataire par l’État membre concerné (arrêt du 7 novembre 2018, Commission/Hongrie, C‑171/17, EU:C:2018:881, point 52).
79 Il importe donc que les entreprises bénéficiaires aient effectivement été chargées de l’exécution d’obligations de service public et que ces obligations soient clairement définies dans le droit national, ce qui présuppose l’existence d’un ou de plusieurs actes de puissance publique définissant de manière suffisamment précise au moins la nature, la durée et la portée des obligations de service public incombant aux entreprises chargées de l’exécution de ces obligations (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, points 72 et 73).
80 Par ailleurs, l’article 106, paragraphe 2, TFUE prévoit, d’une part, que les entreprises chargées de la gestion de SIEG sont soumises aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été confiée et, d’autre part, que le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union. Ainsi, le libellé même de l’article 106, paragraphe 2, TFUE montre que des dérogations aux règles du traité ne sont permises que si elles sont nécessaires à l’accomplissement de la mission particulière qui a été confiée à une entreprise chargée de la gestion d’un SIEG (arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, points 96 et 97).
81 Or, la circonstance que l’activité de services de taxi présente les caractéristiques énoncées au point 66 du présent arrêt et est ainsi fortement réglementée ne permet pas d’établir que l’intérêt que revêt cette activité présente, au sens de la jurisprudence citée au point 77 du présent arrêt, des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités économiques ni qu’une mission particulière de service public aurait été confiée aux prestataires de services de taxi au moyen d’actes de puissance publique suffisamment précis en ce sens.
82 Quatrièmement, si les caractéristiques énoncées au point 66 du présent arrêt font certes apparaître que la réglementation des services de taxi vise notamment à assurer la qualité, la sécurité et l’accessibilité de ces services, au bénéfice des usagers, il apparaît, en revanche, que les mesures en cause au principal ne poursuivent pas, par elles-mêmes, ces objectifs.
83 Eu égard aux considérations qui précèdent, seuls les objectifs de la bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public, d’une part, ainsi que de protection de l’environnement, d’autre part, peuvent être invoqués, en l’occurrence, en tant que raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier les mesures en cause au principal.
– Sur la proportionnalité des mesures en cause au principal
84 S’agissant du point de savoir si ces mesures sont propres à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation des objectifs cités au point 83 du présent arrêt et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre, il convient de distinguer entre l’exigence d’une seconde autorisation pour l’exercice de l’activité de services de VTC et la limitation du nombre de licences de services de VTC à un trentième du nombre de licences de services de taxi.
– Sur la proportionnalité de l’exigence d’une seconde autorisation
85 En ce qui concerne l’exigence d’une autorisation spécifique pour la prestation de services de VTC dans l’agglomération de Barcelone, il résulte d’une jurisprudence constante, tout d’abord, qu’un régime d’autorisation administrative préalable ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions du droit de l’Union, notamment celles relatives aux libertés fondamentales en cause au principal, de leur effet utile (arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, EU:C:2002:34, point 35 et jurisprudence citée).
86 Partant, pour qu’un régime d’autorisation administrative préalable soit justifié alors même qu’il déroge à de telles libertés fondamentales, il doit, en tout état de cause, être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire (arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, EU:C:2002:34, point 35 et jurisprudence citée).
87 Ensuite, ne saurait être considérée comme nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi une mesure instituée par un État membre qui, en substance, fait double emploi avec des contrôles qui ont déjà été effectués dans le cadre d’autres procédures, soit dans ce même État, soit dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, EU:C:2002:34, point 36).
88 Enfin, une procédure d’autorisation préalable ne serait nécessaire que si un contrôle a posteriori devait être considéré comme intervenant trop tardivement pour garantir une réelle efficacité de celui-ci et lui permettre d’atteindre l’objectif poursuivi (arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, EU:C:2002:34, point 39).
89 En l’occurrence, premièrement, l’exigence d’une autorisation préalable peut certes être apte à atteindre les objectifs de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public ainsi que de protection de l’environnement. En outre, compte tenu de la nature du service en cause, impliquant l’utilisation de voitures de tourisme qui, souvent, ne peuvent être distinguées des autres voitures de cette catégorie, utilisées à titre privé, qui plus est sur un vaste territoire urbain, un contrôle a posteriori peut être considéré comme intervenant trop tardivement pour garantir une réelle efficacité de celui-ci et lui permettre d’atteindre les objectifs poursuivis. Il s’ensuit que l’exigence d’une telle autorisation préalable peut être considérée comme nécessaire au sens de la jurisprudence rappelée au point 88 du présent arrêt.
90 Cela étant, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 64 et 86 du présent arrêt, encore faut-il que les critères applicables à l’octroi, au refus et, le cas échéant, au retrait de licences de services de VTC soient propres à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de ces objectifs, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.
91 Deuxièmement, P&L faisant notamment valoir devant la Cour que l’autorité administrative compétente se réserve, en fonction de la situation du marché, le droit d’annuler une licence de services de VTC, il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier, en particulier, si l’exercice du pouvoir d’appréciation conféré, dans le respect desdits critères, à cette autorité est suffisamment encadré, au sens de la jurisprudence rappelée au point 86 du présent arrêt, afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire.
92 Troisièmement, P&L soutenant, par ailleurs, que l’exigence d’une autorisation spécifique pour la prestation de services de VTC dans l’agglomération de Barcelone dupliquerait les procédures et les exigences existantes imposées pour la délivrance de l’autorisation nationale prévue pour exercer cette activité, il y aura lieu pour la juridiction de renvoi, conformément à la jurisprudence rappelée au point 87 du présent arrêt, de s’assurer que les procédures instituées pour la délivrance de cette autorisation spécifique ne font pas double emploi avec des contrôles qui ont déjà été effectués dans le cadre de cette autre procédure dans le même État membre.
93 Lors de l’examen de la nécessité de l’exigence d’une telle autorisation spécifique, la juridiction de renvoi devra apprécier, notamment, si des particularités de l’agglomération de Barcelone justifient la mise en place de cette exigence, qui s’ajoute à celle tenant à l’obtention de l’autorisation nationale, pour atteindre les objectifs de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public ainsi que de protection de l’environnement au sein de celle-ci.
– Sur la proportionnalité de la limitation des licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi
94 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 80 et 81 de ses conclusions, la procédure devant la Cour n’a révélé aucun élément qui permettrait d’établir l’aptitude de la mesure de limitation des licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi à garantir la réalisation des objectifs de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public ainsi que de protection de l’environnement.
95 À cet égard, il semble ressortir tant du point 9 du préambule du RVTC que de l’économie du RVTC, telle qu’elle résulte, en particulier, de ses articles 7 et 9 à 11, que la limitation des licences de prestation de services de VTC constitue l’élément clé par lequel ce règlement vise à atteindre ces objectifs.
96 Or, dans le cadre de la procédure devant la Cour, les arguments avancés par, notamment, P&L, Tapoca VTC1 et la Commission, selon lesquels
– les services de VTC réduiraient le recours à la voiture privée ;
– il ne serait pas cohérent d’invoquer des problèmes de stationnement sur les voies publiques de l’AMB alors que le RVTC impose aux entreprises offrant des services de VTC de disposer de leur propre stationnement et de ne pas stationner sur les voies publiques ;
– les services de VTC pourraient contribuer à atteindre l’objectif d’une mobilité efficace et inclusive, par leur niveau de numérisation et la flexibilité dans la prestation de services, telle une plateforme technologique accessible aux non‑voyants, et
– la réglementation étatique encouragerait le recours à des véhicules utilisant des énergies alternatives pour les services de VTC ;
n’ont été infirmés ni par l’AMB ni par le gouvernement espagnol. En effet, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, ce gouvernement a indiqué n’être au courant de l’existence d’aucune étude de l’impact de la flotte de VTC sur le transport, le trafic, l’espace public et l’environnement dans l’agglomération de Barcelone, ni de celle d’une étude envisageant les effets de la réglementation introduite par le RVTC sur la réalisation des objectifs mentionnés au point 94 du présent arrêt.
97 Dès lors, sous réserve d’une appréciation à effectuer par la juridiction de renvoi, y compris au regard d’éventuels éléments qui n’ont pas été portés à la connaissance de la Cour, la limitation des licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi n’apparaît pas propre à garantir la réalisation des objectifs de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public.
98 Par ailleurs, aucun élément du dossier dont dispose la Cour ne tend à établir qu’une telle limitation des licences de services de VTC ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs.
99 En effet, il ne saurait être exclu qu’un impact éventuel de la flotte des VTC sur le transport, le trafic et l’espace public dans l’agglomération de Barcelone puisse être adéquatement limité par des mesures moins contraignantes, telles que des mesures d’organisation des services de VTC, des limitations de ces services lors de certaines plages horaires ou encore des restrictions de circulation dans certains espaces.
100 De même, il ne saurait être exclu que l’objectif de protection de l’environnement dans l’agglomération de Barcelone puisse être atteint par des mesures moins attentatoires à la liberté d’établissement, telles que des limites d’émission applicables aux véhicules circulant dans cette agglomération.
101 Il appartient néanmoins, ici encore, à la juridiction de renvoi de vérifier s’il est établi devant elle que des mesures moins contraignantes ne permettent pas d’atteindre les objectifs poursuivis.
102 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 49 TFUE
– ne s’oppose pas à une réglementation, applicable dans une agglomération, prévoyant qu’une autorisation spécifique est exigée pour exercer l’activité de services de VTC dans cette agglomération, qui s’ajoute à l’autorisation nationale requise pour la prestation de services de VTC urbains et interurbains, si cette autorisation spécifique est fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, qui excluent tout arbitraire et qui ne font pas double emploi avec des contrôles qui ont déjà été effectués dans le cadre de la procédure d’autorisation nationale, mais qui répondent à des besoins particuliers de cette agglomération ;
– s’oppose à une réglementation, applicable dans une agglomération, prévoyant une limitation du nombre de licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération, dès lors qu’il n’est établi ni que cette mesure est propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation des objectifs de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public de cette agglomération ainsi que de protection de son environnement, ni qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.
Sur les dépens
103 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 107, paragraphe 1, TFUE ne s’oppose pas à une réglementation, applicable dans une agglomération, prévoyant, d’une part, qu’une autorisation spécifique est exigée pour exercer l’activité de services de location de véhicules de tourisme avec chauffeur dans cette agglomération, s’ajoutant à l’autorisation nationale requise pour la prestation de services de location de véhicules de tourisme avec chauffeur urbains et interurbains, et, d’autre part, que le nombre de licences de tels services est limité à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération, pour autant que ces mesures ne soient pas de nature à impliquer un engagement de ressources d’État au sens de cette disposition.
2) L’article 49 TFUE ne s’oppose pas à une réglementation, applicable dans une agglomération, prévoyant qu’une autorisation spécifique est exigée pour exercer l’activité de services de location de véhicules de tourisme avec chauffeur dans cette agglomération, qui s’ajoute à l’autorisation nationale requise pour la prestation de services de location de véhicules de tourisme avec chauffeur urbains et interurbains, si cette autorisation spécifique est fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, qui excluent tout arbitraire et qui ne font pas double emploi avec des contrôles qui ont déjà été effectués dans le cadre de la procédure d’autorisation nationale, mais qui répondent à des besoins particuliers de cette agglomération.
3) L’article 49 TFUE s’oppose à une réglementation, applicable dans une agglomération, prévoyant une limitation du nombre de licences de services de location de véhicules de tourisme avec chauffeur à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour ladite agglomération, dès lors qu’il n’est établi ni que cette mesure est propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation des objectifs de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public de cette agglomération ainsi que de protection de son environnement ni qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.