CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 15 septembre 2022, n° 19/02246
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourrel
Conseillers :
Mme Alquie-Vuilloz, Mme Fillioux
Avocats :
Me Callut, Me Alias
Faits, procédure, prétentions et moyens
Depuis 2003 M. [H] [D] et M. [N] [M] sont bénéficiaires économiques en tant que porteurs de titres de deux sociétés de participation financières ( ci-après les SOPARFI) de droit luxembourgeois: la SA PETROLOG INVESTMENTS, dont chacun détient un tiers des titres ( le tiers restant étant détenu par M. [O]), et la SA SP SOC INVESTMENT, dont ils se partagent à parité le capital.
L'objet social de ces sociétés est de prendre ou céder habituellement des participations ( au sens le plus large du terme) dans des entreprises luxembourgeoises ou étrangères.
Ainsi la société PETROLOG INVESTMENT détenait 90 % de la SAS de droit français PETROLOG, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés d'Aix en Provence; quant à la société SP SOC INVESTMENT, elle détenait 51 % de la SAS de droit français INTERNATIONAL CARGO AIRLINE (ICAR), également immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés d'Aix en Provence.
Ces deux sociétés françaises sont spécialisées dans le secteur de l'affrètement aérien, secteur dans lequel M. [H] [D] et M. [N] [M] exercent également au travers du groupe DYNAMI AVIATION qu'ils ont fondé ensemble ( groupe composé d'une SAS en France constituée en 2005 dont ils sont dirigeants et associés et de filiales à l'international).
Ce montage juridique avait pour effet de masquer la présence de M. [H] [D] et M. [N] [M] au capital des sociétés françaises.
Par quatre actes sous seing privé du 10 janvier 2007 et afin d'assurer la gestion courante des sociétés luxembourgeoises, M. [H] [D] et M. [N] [M] se sont donné réciproquement pour chacune des SOPARFI deux mandats l'un au profit de l'autre pour mener pour le compte et au nom de chaque mandant, toute action nécessaire dans le cadre des sociétés PETROLOG INVESTMENTS et SP SOC INVESTMENT.
Les relations entre M. [H] [D] et M. [N] [M] se sont dégradées à compter de l'année 2010 et ont donné lieu à diverses procédures judiciaires.
Par plusieurs AGE en date des 31 juillet 2010 et 18 août 2010, des augmentation de capital par création d'actions ont été votées par les actionnaires de la société française PETROLOG, de telle sorte qu'à compter du 18 août 2010 la participation de la société PETROLOG INVESTMENTS a été ramenée de 90% à 14%.
De même par plusieurs AGE en date des 17 juin 2010 et 23 juillet 2010, des augmentation de capital par création d'actions ont été votées par les actionnaires de la société française ICAR, de telle sorte qu'à compter du 23 juillet 2010 la participation de la société SP SOC INVESTMENT a été ramenée de 51% à 8%.
Par deux AGE des sociétés PETROLOG et ICAR du 18 octobre 2010, une modification statutaire a été votée en vue d'inclure dans les statuts une clause d'exclusion de plein droit des associés en cas de refus "de tout associé personne morale de justifier sur première demande du président l'identité précise de ses propres associés personnes physiques au terme d'une éventuelle chaîne de participations".
Par une AGE du 28 décembre 2010 de la SA PETROLOG a été constatée l'exclusion de plein droit de la société PETROLOG INVESTMENTS de l'actionnariat de cette société prononcée par le Président en exécution de cette clause statutaire d'exclusion, puis a été votée la sortie du capital de la société PETROLOG de la société PETROLOG INVESTMENTS par rachat puis annulation de ses actions matérialisée par une réduction du capital de la société PETROLOG. A l'expiration du délai d'opposition ce rachat a été constaté par décision du président du 7 février 2011.
De même la société SP SOC INVESTMENT a été exclue de l'actionnariat de la société ICAR suite au rachat, début 2011, de ses actions ICAR.
M. [H] [D] a révoqué les deux mandats donnés à M. [N] [M] le 9 juillet 2015.
Invoquant le fait que M. [N] [M] aurait abusé de manière insidieuse des deux pouvoirs donné en 2007 à ce dernier et aurait sciemment organisé la perte des participations indirectes de M. [H] [D] dans les sociétés PETROLOG et ICAR, pour mieux reprendre ces mêmes participations directement au travers d'une société EBAR HOLDING dont il est président et qui a acquis les parts sociales de ces deux sociétés notamment lors des augmentations de capital successives, M. [H] [D] a par acte d'huissier en date des 26 et 29 février 2016 assigné M. [N] [M] devant le Tribunal de Grande Instance de Marseille en responsabilité.
Aux termes de son acte introductif d'instance il prétendait que la responsabilité de M. [N] [M] était engagée du fait qu'il aurait agi au-delà de ce qui est stipulé dans ses mandats du 10 janvier 2007, sans le consentement préalable de Monsieur [D], qu'il aurait commis un manquement dans l'exercice de ses mandats en omettant de lui rendre compte de sa gestion des mandats du 10 janvier 2007, et qu'il aurait dans l'exercice de ses mandats généraux du 10 janvier 2007, pris des actes de disposition concernant le patrimoine de Monsieur [D] dans le but volontaire de nuire à celui-ci, commettant de ce fait un abus de droit.
En conséquence il sollicitait la condamnation de M. [N] [M] à lui verser à titre de dommages et intérêts :
- pour son préjudice de perte de chance de pouvoir obtenir 33,33% du prix de vente des 90% de participation dans PETROLOG de la société PETROLOG INVESTMENTS, une somme correspondant à un tiers des 90% de participation de la société PETROLOG INVESTIMENTS dans le capital de PETROLOG qui auraient pu être vendu, si Monsieur [M] n'avait pas opéré ses manœuvres frauduleuses, soit 178.937,40 € ;
- pour son préjudice de perte de chance de pouvoir obtenir 50% du prix de vente des 51% de participation dans ICAR de la société SP SOC INVESTMENT, une somme correspondant à la moitié des 51% de participation de la société SP SOC INVESTIMENT dans le capital de ICAR qui auraient pu être vendu, si Monsieur [M] n'avait pas opéré ses manœuvres frauduleuses, soit 161 694,31 € ;
- pour son préjudice moral la somme de 50 000 €.
Il sollicitait également l'octroi d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le prononcé de l'exécution provisoire du jugement à intervenir et la condamnation du défendeur aux entiers dépens.
Par ordonnance d'incident en date du 6 février 2017 le Tribunal de Grande Instance de Marseille s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Marseille et a renvoyé l'affaire devant ce dernier.
En défense M. [N] [M] a notamment soulevé la prescription des actions engagées contre lui et au fond leur rejet.
Par jugement en date du 10 janvier 2019 le Tribunal de Commerce de Marseille a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action de Monsieur [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'augmentation puis la réduction du capital social ;
- déclaré recevable comme non prescrite l'action de Monsieur [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'exclusion des SOPARFI de leur capital ;
- avant dire droit au fond, ordonné une expertise afin de chiffrer le préjudice subi par Monsieur [H] [D] du fait de l'exclusion fautive des SOPARFI du capital des sociétés PETROLOG et ICAR et désigné Monsieur [S] [Z] aux fins d'y procéder,
- condamné Monsieur [N] [M] à payer à Monsieur [H] [D] la somme globale de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- réservé les dépens.
Le tribunal a considéré que s'agissant de la contestation des décisions entérinées lors des assemblées générales extraordinaires des sociétés ICAR et PETROLOG, qui se sont tenues respectivement les 17 juin et 31 juillet 2010 et portant sur le capital social des sociétés concernées, M. [N] [M] n'a fait qu'agir dans le cadre du pouvoir que M. [H] [D] lui avait confié en décidant de ne pas faire participer les SOPARFI aux opérations d'augmentation de capital décidées par les Assemblées Générales Extraordinaires, que M. [H] [D] ne démontre pas ne pas avoir été informé des délibérations desdites AGE, qu'il doit dès lors être considéré comme valablement informé des actes accomplis par M. [M] en vertu du pouvoir qui lui a été confié et que dès lors l'action engagée en février 2016 est prescrite.
Il a en revanche considéré que s'agissant de l'exclusion des SOPARFI du capital des sociétés PETROLOG et ICAR, cette exclusion résultait de l'absence de réponse par M. [M] à la demande d'identification des bénéficiaires effectifs émises par les sociétés PETROLOG et ICAR, et que cette inaction n'était pas constitutive d'un acte de gestion des dites participations, que nonobstant, le pouvoir confié à M. [N] [M] par M. [H] [D] a toutefois été valablement exercé et que dès lors il convenait de fixer le début du délai de prescription à la date à laquelle Monsieur [H] [D] aurait dû être informé des modifications juridiques susvisées. Le tribunal a ainsi retenu comme point de départ de la prescription le 9 juillet 2015, date à laquelle M. [D] a révoqué le pouvoir, étant précisé qu'il ne s'est intéressé à la situation des sociétés que dans le courant de l'année 2015. Le tribunal a donc déclarée recevable comme non prescrite cette action.
Sur le fond le Tribunal de Commerce a dit que M. [N] [M] a engagé sa responsabilité envers M. [H] [D], sur le fondement de l'article 1382 du code civil, en s'abstenant volontairement de répondre aux demandes adressées par les sociétés PETROLOG et ICAR aux SOPARFI de procéder à la déclaration de leurs bénéficiaires effectifs, ce qui a entraîné la mise en oeuvre de la clause d'exclusion du capital social prévue dans les statuts, et a réduit à néant la valeur des participations de Monsieur [H] [D] dans lesdites SOPARFI.
En revanche il a considéré qu'il n'avait pas assez de renseignements pour évaluer la valeur des parts sociales au jour de l'exclusion, et le préjudice subi, et a ordonné une expertise aux fins d'évaluation du dit préjudice.
M. [N] [M] a interjeté appel le 7 février 2019.
Par conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 12 janvier 2021, M. [N] [M] demande à la Cour, vu les articles 2224 et suivants du Code civil, 1984 et suivants du Code civil, 1382 anciens du Code civil, de :
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce du 10 janvier 2019 en ce qu'il a déclaré recevable comme non prescrite l'action de M. [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'exclusion des SOPARFI de leur capital,
- infirmer ledit jugement en ce qu'il a désigné un expert judiciaire, notamment chargé de la valorisation du préjudice de M. [H] [D] résultant de "l'exclusion fautive des SOPARFI du capital des sociétés PETROLOG et ICAR",
- infirmer ledit jugement en ce qu'il a condamné M. [N] [M] à verser 3000 € à Monsieur [H] [D] en application de l'article 700 code de procédure civile,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de M. [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'augmentation puis la réduction du capital social,
Et, statuant à nouveau,
- juger prescrite l'action de M. [H] [D] dirigée contre M. [N] [M],
- juger mal fondées les demandes de M. [H] [D] dirigées contre M. [N] [M] En conséquence,
- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions présentées par M. [D] à l'encontre de M. [N] [M],
- juger abusive l'action de M. [H] [D] dirigée contre M. [N] [M],
En conséquence,
- condamner M. [H] [D] à verser 50 000 € à M. [N] [M] en réparation du préjudice que lui cause la présente action,
A titre subsidiaire
- juger que les fautes contributives de M. [H] [D] à son propre dommage présentent une gravité telle qu'elles exonèrent M. [N] [M] de toute responsabilité et privent M. [H] [D] de tout droit à réparation,
A titre encore plus subsidiaire
- juger que les fautes contributives de M. [H] [D] sont telles qu'elles ont contribué au minimum à hauteur de 70 % à son dommage, de sorte que M. [N] [M] ne pourra être condamné à l'indemniser qu'à un pourcentage maximum de 30% de son dommage,
En tout état de cause
- condamner M. [H] [D] à verser 20 000 € à M. [N] [M] en application de l'article 700 du code de procédure civile ,
- condamner M. [H] [D] aux entiers dépens.
A l'appui de ses demandes l'appelant soutient que contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal de Commerce, l'action en réparation du fait de l'exclusion des deux sociétés luxembourgeoises du capital social des sociétés françaises, est prescrite, le point de départ de la prescription quinquennale se situant au jour de la réalisation du dommage, et aucun motif de report du point de départ de la prescription n'étant démontré. Il rappelle que les deux parties étaient à la fois associées à parts égales des deux SOPARFI luxembourgeoises, et mandataires l'une de l'autre en vertu de pouvoirs réciproques, de telle sorte qu'elles avaient les mêmes pouvoirs et avaient accès aux mêmes informations, et prétend que M. [H] [D] ne s'est jamais intéressé à la gestion des sociétés avant 2015, ce qui n'a pas pour effet cependant de retarder le point de départ de la prescription. Il demande donc l'infirmation du jugement sur ce point et que cette seconde action soit déclarée prescrite.
Sur le fond il soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée en raison d'une part des mandats réciproques consentis entre M. [N] [M] et M. [H] [D], ces mandats portant sur toute décision, exceptionnelle ou non, relative auxdites SOPARFI, de sorte que M. [D] ne peut se prévaloir de l'article 1988 du Code civil, et que l'intimé s'est totalement désintéressé de la gestion des sociétés depuis des années. Il indique en outre qu'est en cause le fonctionnement d'un groupe de sociétés franco-luxembourgeoises et que le litige ne saurait être artificiellement limité à une problématique de mandat, et que ce sont les décisions d'exclusion prises par les sociétés de droit français à l'encontre de leurs associées, les sociétés luxembourgeoises PETROLOG INVESTMENTS SA et SP SOC INVESTMENT SA, qui sont directement contestées par Monsieur [D].
Il rappelle que les sociétés françaises étaient obligées de se soumettre aux exigences de leurs partenaires étrangers, notamment américains, et aux règles de ces derniers en matière de 'Compliance' ( lutte contre le blanchiment d'argent et la corruption), lesquelles imposent aux sociétés de divulguer le nom de leurs actionnaires personnes physiques, y compris au terme de chaînes de sociétés, et que c'est bien l'absence de réponse à cette question par les deux sociétés luxembourgeoises qui a entraîné de plein droit leur exclusion par application des clauses statutaires. Il précise également que les SOPARFI sont des sociétés détenues par titres au porteur, que jusqu'à une réforme intervenue en 2016, la loi luxembourgeoise n'exigeait pas la tenue d'un registre des porteurs des titres de SOPARFI, qu'ainsi, jusqu'à cette réforme législative, les SOPARFI étaient totalement opaques concernant l'identité des propriétaires de leurs titres, et que les exigences de compliance des clients des sociétés françaises excluaient, par nature, une détention du capital des sociétés françaises par des sociétés dont les titres sont "au porteur". De surcroît, il prétend que le choix de la forme juridique des SOPARFI a justement été fait par Monsieur [D] en raison de la spécificité du régime juridique de ces sociétés, pour des motifs fiscaux, de sorte qu'il ne peut en aucun cas contester les exclusions dont il avait tout loisir de s'informer et à propos desquelles il pouvait parfaitement intervenir du fait de son mandat.
M. [N] [M] soutient en outre que le Tribunal a commis une erreur en qualifiant sa présupposée faute pour ne pas s'être opposé à cette exclusion de faute de délictuelle, alors même qu'en application du principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, seule une faute de Monsieur [M] dans l'exécution de son mandat serait susceptible d'engager sa responsabilité.
Enfin il prétend que l'intimé ne justifie d'aucun préjudice, les parts sociales ayant été rachetées par les sociétés françaises et les comptes ayant été approuvés, et demande l'infirmation du jugement au fond en ce qu'il retient une faute et ordonne une expertise.
A titre subsidiaire il invoque les fautes de M. [H] [D] lesquelles seraient exonératoires totalement ou partiellement de responsabilité et subsidiairement demande un partage de responsabilité.
Par conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 7 août 2019, M. [H] [D] demande, au visa des articles 1382, 1984, 1988, 1991, 1992 et 2224 du code civil, de :
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 10 janvier 2019 en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action de M. [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'augmentation puis la réduction du capital social ;
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a déclaré recevable comme non prescrite l'action de M. [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'exclusion des SOPARFI de leur capital ;
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a, avant dire droit, tous moyen des parties demeurant réservés, désigné Monsieur [S] [Z] en qualité d'expert judiciaire avec pour mission de chiffrer le préjudice subi par M. [H] [D] du fait de l'exclusion fautive des SOPARFI du capital des sociétés PETROLOG et ICAR ;
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [N] [M] à payer à Monsieur [D] la somme globale de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
et statuant de nouveau :
- dire et juger que Monsieur [D] est recevable, bien fondé et non prescrit à agir en justice en responsabilité à l'encontre de Monsieur [M] dans le cadre des deux mandats du 10 janvier 2007;
- dire et juger Monsieur [M], en agissant au-delà de ce qui est stipulé dans ses mandats du 10 janvier 2007, sans le consentement préalable de Monsieur [D], engage sa responsabilité;
- dire et juger que Monsieur [M], en omettant de rendre compte à Monsieur [D] de sa gestion des mandats du 10 janvier 2007, commet un manquement dans l'exercice de ses mandats pour lesquels Monsieur [M] engage également sa responsabilité ;
- dire et juger que Monsieur [M], dans l'exercice de ses mandats généraux du 10 janvier 2007, a pris des actes de disposition concernant le patrimoine de Monsieur [D] dans le but de nuire volontairement à celui-ci, commettant de ce fait un abus de droit qui engage aussi la responsabilité de Monsieur [M] ;
en conséquence :
- rectifier l'erreur dudit jugement portant sur le fondement juridique de la responsabilité de Monsieur [M], lequel n'est pas "au visa des dispositions de l'article 1382 du code civil", Monsieur [M] engageant sa responsabilité contractuelle au visa des articles 1991 et 1992 du code civil sur la responsabilité du mandataire à l'égard de son mandant ;
- imputer les frais d'expertise à Monsieur [M] compte tenu de sa responsabilité dans ce préjudice;
A titre subsidiaire, si la Cour ne jugeait pas utile l'intervention d'un expert chargé d'évaluer le préjudice de Monsieur [D] :
- condamner Monsieur [M] à verser à Monsieur [D] à titre de dommages et intérêts pour son préjudice de perte de chance de pouvoir obtenir 33,33 % du prix de vente des 90 % de participation dans PETROLOG de la société PETROLOG INVESTMENTS, une somme correspondant à un tiers des 90 % de participation de la société PETROLOG INVESTIMENTS dans le capital de PETROLOG qui auraient pu être vendu, si Monsieur [M] n'avait pas opéré ses manoeuvres frauduleuses, soit 178.937,40 € ;
- condamner Monsieur [M] à verser à Monsieur [D] à titre de dommages et intérêts pour son préjudice de perte de chance de pouvoir obtenir 50% du prix de vente des 51% de participation dans ICAR de la société SP SOC INVESTMENT, une somme correspondant à la moitié des 51% de participation de la société SP SOC INVESTIMENT dans le capital de ICAR qui auraient pu être vendu, si Monsieur [M] n'avait pas opéré ses manœuvres frauduleuses, soit 161 694,31 € ;
- condamner Monsieur [M] à verser à Monsieur [D] à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral la somme de 50 000 € ;
En tout état de cause :
- débouter Monsieur [M] sur le prétendu caractère abusif de la présente instance et sur sa demande d'indemnité de 50.000 € ;
- condamner Monsieur [M] à verser à Monsieur [D] 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire et juger que les sommes allouées à Monsieur [D] porteront intérêt au taux légal entre particuliers à compter du jugement à intervenir ;
- prononcer l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
- condamner Monsieur [M] aux entiers dépens de l'instance, ces derniers distraits au profit de Maître Pascal ALIAS, avocat sur acceptation de droit.
A l'appui de ses demandes l'intimé rappelle que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance, que l'absence de connaissance, par le mandant, de son dommage résultant de l'inaction du mandataire empêche de faire courir la prescription, et que de même, la prescription d'une action en responsabilité d'un mandataire ne court pas si le mandat de gestion n'est pas résilié. Il prétend qu'en l'espèce la prescription quinquennale applicable commence à courir s'agissant de la réalisation d'un dommage au mandant causé par le mandataire à la date de réalisation effective du dommage, et qu'il n'a jamais eu connaissance des agissements frauduleux de M. [N] [M] destinés à l'évincer du capital des sociétés avant le 21 novembre 2014 par consultation INFOGREFFE pour la SA PETROLOG et en juillet 2015 pour la société SP SOC INVESTMENT. Il indique en effet qu'aucune publication du rachat des parts de la SOPARFI dans la société ICAR n'a été publiée sur INFOGREFFE, de telle sorte que même en consultant ce site il n'aurait pu être informé de cette exclusion.
Il prétend donc que les AGE d'augmentation de capital, de modification statutaire et d'exclusion, et donc le préjudice qui en résulte, n'ont été connus de lui que le 21 novembre 2014 concernant PETROLOG et que le 9 juillet 2015 concernant ICAR et que ces 3 AGE ont été indissociablement nécessaires à Monsieur [M] pour arriver à ses fins, à savoir l'exclusion des SOPARFI car sans les augmentations de capital (et donc les dilutions des SOPARFI), Monsieur [M] n'aurait pas eu la majorité au capital de PETROLOG et ICAR pour décider la modification de la clause statutaire d'exclusion ; et sans cette modification de la clause statutaire d'exclusion, Monsieur [M] n'aurait pas pu exclure les 2 SOPARFI.
Il demande donc que l'ensemble de ses actions soient déclarées recevables, les mandats ayant été résiliés en juillet 2015 et l'action engagée en 2016, et que le jugement soit partiellement infirmé en ce qu'il a déclaré une partie de son action prescrite.
En ce qui concerne la responsabilité de M. [N] [M] dans l'exercice de son mandat, M. [H] [D] prétend tout d'abord que son mandataire a outrepassé ses pouvoirs puisque ne lui étaient conféré qu'un pouvoir général, donc au sens de l'article 1988 du code civil un pouvoir pour passer des actes d'administration et non des actes de disposition mettant en cause la consistance de son patrimoine, ce qui au final a été le cas puisqu'il a perdu une partie de ses droits dans les sociétés françaises. Ensuite il soutient que M. [N] [M] est fautif pour s'être volontairement gardé de rendre compte de l'exercice de son mandat à Monsieur [D] à l'occasion des décisions à prendre pour les sociétés PETROLOG INVESTMENTS et SP SOC INVESTMENT ayant abouti à la dilution de leur participation puis à l'exclusion de ces sociétés luxembourgeoises du capital des sociétés françaises. En revanche il indique que c'est bien sur le fondement de la responsabilité contractuelle et non délictuelle que la responsabilité de l'appelant est engagée, contrairement à ce qu'a indiqué le Tribunal de Commerce.
Ensuite M. [H] [D] prétend que M. [N] [M] a commis un abus de droit, et rappelle que l'utilisation d'un droit pour nuire à autrui constitue un abus de droit qui engage la responsabilité de son auteur, ce qui est le cas en l'espèce puisque l'appelant a abusé du mandat qui lui était confié pour l'évincer des sociétés et réduire à néant ses droits, au regard de la somme dérisoire versée lors des opérations d'exclusion des sociétés luxembourgeoises et du rachat corrélatif de leur participation dans les 2 sociétés françaises.
Enfin M. [H] [D] prétend avoir subi un préjudice puisqu'il se retrouve ainsi actionnaire de deux "coquilles vides" alors qu'elles étaient majoritaires en 2010 dans le capital des sociétés PETROLOG et ICAR et qu'il croyait jusqu'en 2015 qu'elles bénéficiaient des remontées de dividendes chaque année des deux sociétés françaises et reflétaient leur valeur d'entreprise à hauteur, respectivement, des 90% et des 51 % d'actions détenues dans celles-ci. Dans ces conditions, M. [H] [D] estime avoir subi un préjudice tiré du fait que les sociétés SP SOC INVESTMENT et PETROLOG INVESTMENTS n'ont aujourd'hui plus aucune valeur puisqu'elles ne détiennent plus aucune participation dans ICAR et dans PETROLOG. Ainsi son préjudice résulterait de ce que les manoeuvres frauduleuses de Monsieur [M] lui ont fait perdre toute chance de pouvoir tirer un juste prix de ses 30% et 50% dans les 2 sociétés luxembourgeoises si celles-ci avaient pu vendre dans des conditions normales leurs actions.
Il demande à titre principal la confirmation du jugement qui a ordonné une expertise, sauf à mettre le coût de celle-ci à la charge de l'appelant, et à titre subsidiaire propose une évaluation de la valeur des parts sociales litigieuses.
Il s'oppose à tout partage de responsabilité.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 17 mai 2022.
Motifs de la décision
Sur la prescription
L'article 2224 du code civil dispose que : "Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer."
En matière de responsabilité contractuelle, il est constant que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
La présente instance est une action en responsabilité contractuelle engagée par M. [H] [D], mandant, contre M. [N] [M], son mandataire, fondée sur les fautes qui auraient été commises par ce dernier et lui auraient généré un préjudice financier et moral.
Les parties sont d'ailleurs d'accord l'une et l'autre pour dire qu'il s'agit d'une responsabilité contractuelle qui est recherchée par l'intimé, et que c'est à tort que le Tribunal de Commerce a retenu la responsabilité de M. [N] [M] sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l'article 1382 du code civil.
Surtout il s'agit d'une seule et unique action en responsabilité formée contre le mandataire, en raison de diverses fautes de celui-ci, notamment sa prétendue inaction.
Ainsi c'est à tort que le Tribunal de Commerce a distingué une ' action en contestation des décisions des assemblées générales des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'augmentation puis la réduction du capital social' , qu'il a déclarée prescrite, et une ' action en contestation des décisions d'assemblée générales des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'exclusion des SOPARFI de leur capital', qu'il a déclarée recevable comme non prescrite.
Dès lors il convient d'infirmer le jugement sur ce point.
S'agissant de la prescription de l'action contractuelle en responsabilité du mandataire, elle obéit à la règle ci-dessus rappelée. Ainsi, la date de départ de la prescription se situe à la date où est devenu définitif le préjudice de la victime, c'est-à-dire la date de réalisation effective du dommage. Cependant l'absence de connaissance, par le mandant, de son dommage, notamment lorsqu'il résulte de l'inaction du mandataire, empêche de faire courir la prescription. Dans ce cas il appartient au mandant de rapporter la preuve de la date à laquelle il a eu connaissance du dommage pour déterminer le point de départ de la prescription, ou de la date à laquelle il aurait pû avoir connaissance de celui-ci.
En l'espèce le dommage invoqué par M. [H] [D] est réalisé à la date à laquelle les deux SOPARFI dans lesquelles il détenait des titres ont été exclues du capital social des deux sociétés françaises, puisqu'en tant que bénéficiaire économique des sociétés luxembourgeoises, il prétend qu'il a perdu ses droits financiers indirects dans les sociétés françaises.
En ce qui concerne la société PETROLOG, il ressort des pièces versées aux débats par les parties que c'est par assemblée générale du 28 décembre 2010 que l'exclusion de la SA PETROLOG INVESTMENTS a été constatée, puis par décision du Président du 7 février 2011 que, le délai d'opposition des créanciers ayant expiré, le rachat des parts suite à l'annulation des parts a été définitivement constaté et opéré. Il convient donc de retenir la date du 7 février 2011 comme date à laquelle le dommage a été définitivement établi.
En ce qui concerne la société ICAR, il échet de constater que si tant M. [H] [D] que M. [N] [M] reconnaissent que le même montage juridique a eu lieu et que la SA SP SOC INVESTMENT a été exclue du capital social de cette société pour les mêmes raisons, il n'en reste pas moins qu'aucune décision d'assemblée générale constatant cette exclusion n'est produite concernant la société ICAR, ni aucune décision du Président, ni même aucune preuve réelle du rachat opéré, même s'il n'est pas contesté. Il est donc impossible de connaître la date de réalisation du dommage allégué, c'est-à-dire la date de rachat des parts sociales détenues par la SOPARFI, la date de ' fin 2010" invoquée par M. [M] comme correspondant à la date d'envoi par la société ICAR à la SA SP SOC INVESTMENT de la demande de déclaration des personnes physiques porteuses de part ne pouvant être retenue comme date de réalisation du dommage.
M. [H] [D] prétend cependant qu'il n'a pas eu connaissance du dommage à ces dates, et que la prescription n'a commencé à courir que le 21 novembre 2014 pour ce qui concerne la société PETROLOG et le 9 juillet 2015 pour la société ICAR, date de résiliation du mandat.
Il ressort des pièces versées qu'à compter de juin 2010, les relations entre les deux associés se sont dégradées fortement ce qui a eu un impact dans l'ensemble de leurs sociétés et a donné lieu à un important contentieux devant les tribunaux.
M. [H] [D] indique lui-même dans ses conclusions qu'il s'est totalement désintéressé de la gestion des deux SOPARFI pendant de nombreuses années, laissant les administrateurs et M. [N] [M] gérer, ce qui est totalement confirmé par M. [N] [M] dans ses conclusions, puisqu'il invoque même ce désintérêt comme cause d'exclusion de responsabilité.
M. [N] [M] ne peut invoquer pour faire retenir la prescription qu'il soulève l'existence de mandats réciproques, dès lors qu'il reconnaît lui-même que son associé ne s'occupait pas des sociétés.
Sachant pertinemment qu'il était seul informé de ce qui se passait dans les sociétés, M. [N] [M] ne produit aucun document laissant penser que, soit lui, soit les administrateurs des SOPARFI auraient informé directement M. [H] [D] de quelque manière que ce soit des événements qui étaient en cours et ont abouti à l'exclusion des SOPARFI du capital des sociétés françaises.
En revanche il est exact que la publication des décisions des assemblées générales régulièrement publiées les rend opposables au tiers, dont M. [H] [D] fait partie.
Or la décision du Président de la société PETROLOG en date du 7 février 2011 par laquelle celui-ci constate que, le délai d'opposition des créanciers ayant expiré, et la condition suspensive étant réalisée, le rachat des parts suite à annulation des parts est définitif et par laquelle il indique procéder au règlement du prix de cession, a été publiée au RCS d'Aix-en-Provence le 2 mars 2011. A cette date, M. [H] [D] pouvait avoir connaissance du dommage par lui subi du fait de l'exclusion de la SOPARFI du capital social de la société PETROLOG.
Dès lors c'est la date du 2 mars 2011, et non la date du 21 novembre 2014, qui doit être retenue comme point de départ du délai de prescription concernant l'exclusion de la société PRETOLOG INVESTMENTS du capital social de PETROLOG.
Aucune décision d'assemblée générale relative à l'exclusion ou décision du Président actant le rachat des parts n'ayant été publiée concernant la société ICAR, c'est la date du 9 juillet 2015 qui doit être retenue comme point de départ de la prescription pour cette seconde société, date correspondant à une réunion avec M. [T], administrateur des sociétés et à la révocation concomitante des mandats ainsi qu'il ressort des mails échangés entre eux.
L'action en responsabilité contre le mandataire ayant été engagée les 26 et 29 février 2016, cette action n'est pas prescrite. Elle est déclarée recevable et la fin de non-recevoir est écartée.
Sur la responsabilité du mandataire
Aux termes de l'article 1991 du code civil, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
L'article 1992 du code civil dispose que le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. L'alinéa 2 précise que néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire.
Enfin l'article 1993 du code civil prévoit que tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant.
Il appartient au mandant d'établir les fautes de gestion de son mandataire.
Par acte sous seing privé du 10 janvier 2007, M. [H] [D] a confié à M. [N] [M] dans les termes suivants concernant la SA PETROLOG INVESTMENTS :
"Luxembourg le 10/01/2007
Je soussigné [H] [U] (sic), bénéficiaire économique de la Société PETROLOG INVESTMENT S.A., confirme par la présente donner tous pouvoir à Monsieur [N] [M] pour décider en mon nom de toutes les actions nécessaires dans le cadre de PETROLOG INVESTMENTS S.A.
Ce pouvoir couvre toutes les décisions d'Assemblée Générale Ordinaire ou Extraordinaire sans aucune restriction.
Je renonce à toutes les communications avec les administrateurs de PETROLOG INVESTMENTS S.A. [H] [U] ( sic) [+ signature manuscrite]"
Concernant SP SOC INVESTMENT, un second pouvoir a été donné dans des termes quasiment identiques, à savoir :
"Luxembourg le 10/01/2007
Je soussigné [H] [D], bénéficiaire économique de la Société SP SOC Investment S.A., confirme par la présente donner tous pouvoir à Monsieur [V] [M] pour décider en mon nom de toutes les actions nécessaires dans le cadre de SP SOC. Ce pouvoir couvre toutes les décisions d'assemblée générale Ordinaire ou extraordinaire sans aucune restriction.
Je ne renonce à toutes les communications avec les administrateurs de SP SOC.
Pour valoir ce que de droit.
[H] [D] [+ signature manuscrite]"
Il convient de rappeler qu'en sens inverse, M. [N] [M] a donné deux pouvoirs exactement dans les mêmes termes à M. [H] [D].
Les deux bénéficiaires économiques des SOPARFI étaient donc à la fois mandant et mandataires l'un de l'autre.
M. [H] [D] prétend tout d'abord que son mandataire a outrepassé ses pouvoirs puisque ne lui était conféré qu'un pouvoir général, donc au sens de l'article 1988 du code civil un pouvoir pour passer des actes d'administration et non des actes de disposition mettant en cause la consistance de son patrimoine, ce qui au final a été le cas puisqu'il a perdu une partie de ses droits dans les sociétés françaises.
Cependant il convient de rappeler tout d'abord qu'aucun acte positif de disposition des biens de M. [H] [D] au sens strict du terme n'est imputable à M. [N] [M] au titre de l'exécution de son mandat. En effet les droits détenus par M. [H] [D] dans chacune des SOPARFI luxembourgeoises du fait des titres au porteur détenus n'ont jamais été modifiés, et sont restés en sa possession jusqu'à la radiation des sociétés en 2019. Même si l'exclusion des SOPARFI du capital social des sociétés françaises PETROLOG et ICAR a eu pour effet que les SOPARFI sont devenues en quelque sorte des coquilles vides, il n'est pas possible de qualifier cette exclusion décidée par AGE d'une société d'acte de disposition imputable au mandataire.
Par ailleurs M. [N] [M] n'a pas participé au vote des différentes assemblées générales des sociétés françaises, puisqu'il n'en était pas actionnaire. Enfin les mandats réciproques donnés par M. [M] et [D] l'un à l'autre sont des mandats relatifs ' aux décisions à prendre', mais en aucun cas des mandats de représentation pour voter en lieu et place dans les assemblées générales par exemple.
Cette première faute alléguée ne peut donc être retenue.
Ensuite il soutient que M. [N] [M] est fautif pour s'être volontairement gardé de rendre compte de l'exercice de son mandat envers lui à l'occasion des décisions à prendre pour les sociétés PETROLOG INVESTMENTS et SP SOC INVESTMENT ayant abouti à la dilution de leur participation puis à l'exclusion de ces sociétés luxembourgeoises du capital des sociétés françaises.
Enfin M. [H] [D] prétend que M. [N] [M] a commis un abus de droit, en ce que l'appelant a abusé du mandat qui lui était confié pour l'évincer des sociétés et réduire à néant ses droits dans les sociétés françaises.
Il convient de rappeler que l'objet social des SOPARFI, ainsi qu'il ressort des statuts de celles-ci, est la prise de participations sous quelque forme que ce soit, dans des entreprises luxembourgeoises ou étrangères. Elles sont donc amenées à participer aux assemblées générales des sociétés dans lesquelles elles ont des participations.
Il ressort des pièces versées aux débats que les deux SOPARFI ont été convoquées aux diverses assemblées générales des deux sociétés françaises, qu'elles y ont été représentées puisqu'il est indiqué sur tous les procès-verbaux que tous les associés sont présents ou représentés, M. [N] [M] produisant certains des pouvoirs de représentation donnés par les administrateurs, non pas à lui, mais aux autres actionnaires ou au président. Ces deux sociétés SOPARFI ont donc participé aux votes, et ont accepté les augmentations de capital par création d'action, sans exercer leur droit de préférence de rachat.
Par ailleurs, suite au courrier qui a été adressé par le président de la société PETROLOG à la SOPARFI aux fins de connaître les personnes physiques associées directement ou indirectement dans son capital, les administrateurs de la SA PETROLOG INVESTMENTS ont expressément répondu par bulletin réponse signé le 10/12/2010 qu'ils refusaient de communiquer les dits renseignements et acceptaient en exécution de la clause d'exclusion, le rachat des parts qu'elle détenait. Dûment représentée à l'AG du 28 décembre 2010, la SOPARFI a voté pour son exclusion du capital de PETROLOG en exécution de la clause d'exclusion.
En ce qui concerne la SA SP SOC INVESTMENT, actionnaire de la société ICAR, si le même courrier a bien été adressé aux administrateurs le 29/11/2010, ainsi qu'il résulte des pièces produites par l'appelant, le bulletin réponse versé aux débats n'est pas signé ni daté, de telle sorte qu'il n'est pas démontré un refus de répondre, mais à tout le moins une abstention.
Or il ressort des mails échangés en octobre et novembre 2015 entre M. [H] [D] et M. [T], administrateur dans chacune des SOPARFI, que M. [H] [D] écrit :
' J'ai bien compris que vous avez reçu et suivi vos instructions de M. [N] [M] et M. [B] [O] mes coassociés dans ces 2 sociétés de ne pas souscrire aux augmentations de capital d'abord, et de ne pas divulguer ensuite les noms de tous les actionnaires, quand vous avez reçu des sociétés PETROLOG et ICAR la demande de les divulguer sous 15 jours. Me concernant j'ai bien compris aussi que vous vous êtes appuyé sur les pouvoirs que j'ai signé le 10 janvier 2007 donnant tous pouvoirs à M. [M] pour me représenter. Ainsi Mr. [M] s'en est servi pour faire passer ces décisions en mon nom. Ces pouvoirs vous dégageant de la nécessité de me consulter directement par rapport à toutes ces décisions. Il va de soi que sans ces pouvoirs vous étiez déontologiquement, en l'absence de contact avec moi, dans l'obligation de refuser toutes décisions allant à l'encontre de mes intérêts....'
M. [N] [M] ne conteste pas ne pas avoir rendu compte à son mandant des décisions prises par lui au nom de son mandataire concernant les actions des deux SOPARFI, décisions que les administrateurs ont ensuite appliquées lors des votes aux différentes assemblées générales.
La faute constituée par l'omission volontaire de rendre compte de son mandat est donc caractérisée. Cette faute n'est pas vraiment contestée par le mandataire, puisqu'il invoque l'existence de pouvoirs réciproques et la nécessité de se mettre en conformité avec les règles de 'compliance' imposées par certains de leurs partenaires clients.
De même l'abus du mandat qui lui a été confié est également caractérisé, puisque c'est grâce aux pouvoirs qui lui ont été confiés que M. [N] [M] a pu donner des instructions aux administrateurs des deux SOPARFI pour faire voter aux assemblées générales de celle-ci des décisions contraires aux intérêts de celles-ci, et au final de son mandant, puisque d'une part elles se sont retrouvées minoritaires, puis exclues du capital social des sociétés françaises.
Pour tenter d'échapper à toute mise en cause de sa responsabilité, M. [N] [M] soutient que les deux associés se sont confiés des pouvoirs réciproques et identiques, de telle sorte qu'ils étaient mandant et mandataires l'un envers l'autre.
Effectivement il ressort des conclusions de M. [H] [D] lui-même, ainsi que des pièces versées, que celui-ci ne s'est absolument pas occupé de la gestion des deux SOPARFI malgré le mandat dont il bénéficiait, qu'il n'a donc pas exercé son mandat ni sa mission de mandataire, et n'avait aucun contact avec les administrateurs.
Il apparaît également qu'alors que le conflit entre associé est né en [Date naissance 5], l'intimé est parti dans le courant du mois d'août 2010, selon son propre aveu en 2015 à M. [T], en Afrique du Sud, où il réside toujours puisqu'il a quitté le domaine du fret aérien pour exploiter un domaine viticole, qu'il s'est donc totalement désintéressé des deux SOPARFI, et des sociétés françaises, et ce pendant 4 ans puisque ce n'est que fin 2014 qu'il s'y est intéressé à nouveau, d'où la consultation INFOGREFFE.
Cependant ce désintérêt notoire par M. [H] [D] du fonctionnement des sociétés françaises et luxembourgeoises, dans le contexte de conflit s'installant entre les associés, conflit qui a donné lieu à de nombreuses procédures judiciaires engagées en 2010-2011, non seulement n'est pas de nature à exonérer M. [N] [M] de ses obligations de mandataire, mais encore est de nature à renforcer ses obligations, puisqu'il savait pertinemment que les décisions qu'il prenait au nom de son mandant ne seraient pas connues de lui s'il s'abstenait de lui en parler.
Par ailleurs le fait que les diverses décisions prises par les sociétés françaises, à supposer qu'il soit démontré qu'à cette date elles étaient nécessaires pour se mettre en conformité avec les règles de ' compliance' exigées par certains pays et ne pas perdre les clients provenant des dits pays, aient été moralement et juridiquement nécessaires, n'est pas de nature à exonérer M. [N] [M] de sa responsabilité envers son mandat du fait des décisions prises par lui dont il n'a pas rendu compte.
C'est volontairement que M. [N] [M] a d'une part omis de rendre compte de sa gestion à son mandant des décisions prises, et d'autre part a abusé de son mandat pour mettre à néant au final, par une succession de décisions d'assemblées générales, les droits de M. [H] [D] dans les sociétés luxembourgeoises.
En conséquence la responsabilité contractuelle de M. [N] [M] pour manquement dans l'exercice de son mandat doit être retenue.
Le jugement est confirmé pour d'autres motifs.
Sur la demande d'exonération totale ou partielle de responsabilité
Il convient de rappeler que, ainsi que les deux parties le reconnaissent, le litige met en cause la responsabilité contractuelle de M. [N] [M], et non sa responsabilité délictuelle. Dès lors seules les règles relatives à la responsabilité contractuelle trouvent à s'appliquer, et non celles de la responsabilité délictuelle. Or il n'existe pas de partage de responsabilité en matière contractuelle, à la différence de la responsabilité délictuelle.
Le manquement par un contractant à son obligation justifie, au visa des articles 1134, 1146 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations applicable à l'espèce compte tenu de la date des mandats, et 1984 et suivants, la réparation du préjudice subi dès lors que le mandat manque à ses obligations, sans qu'il puisse invoquer la ' faute' de son mandataire comme cause d'exonération totale ou partielle de responsabilité. Seule la cause étrangère, la force majeure ou le cas fortuit sont exonératoires pour le contractant défaillant dans l'exécution de ses obligations. L'existence de mandats réciproques ou le fait que M. [H] [D] s'est désintéressé de la gestion, ne constituent pas une cause d'exonération au sens des articles 1147 et 1148 susvisés.
Ces demandes d'exonération totale ou partielle sont rejetées.
Sur la réparation du préjudice
L'article 1147 prévoit la possibilité d'accorder à l'un des co-contractants des dommages-intérêts en raison de l'inexécution par l'autre de ses obligations.
En application de l'article 1149 du même code, les dommages-intérêts alloués sont en général de la perte que le créancier a subi ou du gain dont il a été privé.
En l'espèce le préjudice subi par M. [H] [D] du fait de l'éviction des deux SOPARFI du capital social des sociétés françaises, est constitué par la perte de chance de pouvoir obtenir, à hauteur des titres qu'il détenait dans les deux SOPARFI ( 30% pour l'une et 50% pour l'autre), sa part du juste prix que les SOPARFI auraient pu obtenir si elles avaient vendu à leur juste prix les participations qu'elles détenaient dans les sociétés françaises. Ce préjudice est en lien direct avec les manquements de M. [N] [M].
Or il échet de constater que les pièces versées, très parcellaires, ne permettent pas de déterminer la valeur des actions de ses sociétés au moment du rachat. En effet ainsi que le souligne l'intimé, l'appelant affirme sans en justifier que les parts sociales auraient été valorisées par les commissaires aux comptes, avant de mentionner seulement par conclusions postérieures que les commissaires aux comptes n'ont pas contesté les comptes. Concernant la société PETROLOG, les actions ont été cédées au prix nominal de celles-ci, mais sans aucune valorisation. Quand à la société ICAR, le prix de cession n'est ni connu ni justifié en l'absence de toute AG ou document relatif à ce rachat.
Dès lors c'est à juste titre qu'une expertise a été ordonnée. L'expertise est confirmée en son principe, ainsi qu'en ce qui concerne la personne de l'expert désigné.
En revanche la mission confiée à celui-ci sera précisée dans les termes du dispositif du présent arrêt.
La provision à valoir sur le coût de l'expertise sera maintenue à la charge de M. [H] [D], qui y a intérêt. Elle devra être versée dans le délai de deux mois à compter de la présente décision, sous peine de caducité de la mission d'expertise.
S'agissant d'une confirmation, le suivi de cette expertise ordonnée en première instance sera effectué par le Tribunal de Commerce qui l'a ordonnée, et statuera au retour du rapport sur le préjudice de M. [D].
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
En vertu des dispositions de l'article 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Si l'intention de nuire n'est pas exigée, encore faut-il caractériser une légèreté blâmable dans l'exercice de l'action en justice.
Le simple fait d'être débouté de ses demandes ne constitue pas en lui-même la preuve du caractère abusif de l'action exercée et donc d'une faute de la part de celui qui l'exerce.
En l'espèce il est fait droit aux demandes de M. [H] [D].
M. [N] [M] est débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement est confirmé en ce qui concerne la réserve des dépens. Toutefois M. [M] est condamné aux dépens d'appel.
M. [M] est également condamné au paiement d'une somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la condamnation prononcée en première instance.
Par ces motifs
La cour statuant publiquement, contradictoirement
Infirme le jugement du Tribunal de Commerce de Marseille du 10 janvier 2019 en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action de Monsieur [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'augmentation puis la réduction du capital social ;
- déclaré recevable comme non prescrite l'action Monsieur [H] [D] en contestation des décisions d'assemblée générale des sociétés PETROLOG et ICAR visant l'exclusion des SOPARFI de leur capital ;
Le confirme pour le surplus;
Statuant à nouveau des chefs infirmés, y ajoutant et l'amendant en ce qui concerne la mission de l'expert,
Rejette l'exception tirée de la prescription de l'action soulevée par M. [N] [M];
Déclare recevable l'action en responsabilité de M. [H] [D] contre M. [N] [M];
La dit bien fondée;
Dit que l'expert désigné aura pour mission de :
- convoquer les parties,
- se faire communiquer tout document utile à ses investigations notamment tout document comptable et financier des sociétés PETROLOG et ICAR,
- entendre tout sachant, et s'adjoindre si besoin tout sapiteur de son choix
- chiffrer la valeur des parts sociales des sociétés PETROLOG et ICAR à la date du 28 décembre 2010, date à laquelle le principe du rachat a été voté
- donner tout élément utile pour déterminer le préjudice subi par M. [H] [D]
- faire toutes observations utiles pour la solution du présent litige;
Dit que la provision à valoir sur le coût de l'expertise mise à la charge de M. [H] [D] devra être versée dans le délai de DEUX MOIS à compter de la présente décision, au greffe du Tribunal de Commerce de Marseille sous peine de caducité de la mission d'expertise;
Déboute M. [N] [M] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;
Condamne M. [N] [M] à payer à M. [H] [D] la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;
Condamne M. [N] [M] aux dépens d'appel.