CA Montpellier, 4e ch. civ., 26 janvier 2023, n° 20/01507
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LMH (SC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
Mme Febvre, M. Graffin
Avocats :
Me Dalil, Me Bertrand, Me Aquila, Me Cambon
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Selon devis du 23 novembre 2016 accepté le 25 suivant, Monsieur [K] [N] - artisan menuisier ébéniste - a commandé des portes fenêtres avec profilé d'assemblage auprès de la Société Nouvelle Matériaux Modernes - exerçant à l'enseigne Gedimat Gedibois - pour un montant de 3.816,77 € afin de réaliser une fenêtre à monter et poser chez une cliente.
La marchandise commandée a été facturée le 31 janvier 2017 pour un montant de 3.824,57 € mais l'artisan a fait savoir que la livraison n'était pas conforme à sa commande car le châssis avait été livré en une partie au lieu de deux, ce qui posait un problème de pose ; en effet, les menuiseries avaient une dimension trop importante pour passer dans la cage d'escalier de la cliente.
La SAS Société Nouvelle Matériaux Modernes a fait l'objet d'une fusion absorption par la société LMH, publiée au BODACC le 29 juillet 2018.
Par acte du 19 décembre 2018, la Société Nouvelle Matériaux Modernes a fait assigner Monsieur [N] en paiement de la facture litigieuse. La société LMH est intervenue volontairement à l'instance pour demander la condamnation de Monsieur [N] à payer la somme de 4.328,69 € en principal.
Vu le jugement contradictoire en date du 17 juillet 2019, par lequel le tribunal d'instance de Béziers a déclaré nulle l'assignation délivrée par la Société Nouvelle Matériaux Modernes pour défaut de capacité d'ester en justice et déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société LMH qu'elle a condamnée aux dépens,
Vu la déclaration d'appel de la société LMH en date du 13 mars 2020,
Vu l'appel incident formé par Monsieur [N] dans ses premières conclusions du 15 mai 2020,
Vu les dernières conclusions du 31 août 2022 par lesquelles l'appelante demande à la cour d'infirmer et réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, en substance, de :
- dire que l'assignation initiale était « parfaitement valide » et que son intervention volontaire était recevable,
- condamner Monsieur [N] à lui payer les sommes suivantes :
- 4.328,69 avec intérêts au taux légal majoré de 10 points à compter du 18 décembre 2018,
- 2.500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- dire que les éventuels frais d'exécution forcée devront être supportés par le débiteur en sus des frais irrépétibles de l'article 700,
Vu les dernières conclusions prises le 10 novembre 2022 pour le compte de Monsieur [N], aux fins de voir en résumé :
- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes,
- infirmer le jugement de ce chef et, statuant à nouveau, dire qu'il devra restituer la marchandise à charge pour l'appelante d'aller la récupérer à son atelier, sous peine d'astreinte, et condamner la société LMH à lui payer les sommes suivantes :
- 1.500 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi,
- 2.500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 novembre 2022,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère au jugement ainsi qu'aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS
Sur l'appel principal
Pour déclarer nulle l'assignation délivrée par la Société Nouvelle Matériaux Modernes pour défaut de capacité d'ester en justice et déclarer irrecevable l'intervention volontaire de la société LMH, le tribunal d'instance de Béziers a constaté que :
- Monsieur [N] soulevait une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la Société Nouvelle Matériaux Modernes et soutenait qu'à la date de l'assignation cette entité avait perdu la personnalité morale tandis que sa créance avait été transférée a la société LMH qui l'avait absorbée ;
- l'irrégularité de la procédure tenant à l'inexistence de la personnalité juridique de la personne qui agit en justice constituait une irrégularité de fond visée à l'article 117 du code de procédure civile ;
- la Société Nouvelle Matériaux Modernes avait effectivement fait l'objet d'une fusion par voie d'absorption publiée au BODACC le 29 juillet 2018 et approuvée par l'assemblée générale du 30 août 2018 ;
- par application des articles L.236-3 et L.236-4 du code du commerce, cette fusion absorption sans création de société nouvelle avait pris effet au 30 août 2018, la Société Nouvelle Matériaux Modernes ayant perdu la personnalité morale à cette date ;
- étant dépourvue de personnalité juridique, cette société n'avait plus la capacité d'ester en justice le 19 décembre 2018, date de l'assignation ;
- l'irrégularité de procédure tenant à l'inexistence de la personne morale qui agit en justice ne pouvait être couverte, si bien que l'intervention volontaire de la société LMH était elle-même irrecevable.
Au soutien de son appel, cette dernière oppose la jurisprudence selon laquelle la dissolution d'une société en cas de fusion absorption n'est opposable aux tiers qu'à compter de sa mention au RCS ainsi que les dispositions de l'article L.237-2 du code de commerce qui confirment cette règle s'agissant des effets de la dissolution d'une société à l'égard des tiers. Elle objecte également que l'annonce publiée au BODAC le 29 juillet 2018 n'était relative qu'à un 'projet de fusion' conformément à l'article L.236-6 du code de commerce et qu'au jour de l'assignation le 19 décembre 2018, la Société Nouvelle Matériaux Modernes disposait toujours de la personnalité juridique et donc de la capacité d'ester en justice, eu égard à une publication réalisée le 20 décembre 2018 avec dépôt au greffe du tribunal de commerce de Béziers le 26 avril 2019. Etant pour sa part intervenue volontairement en cours d'instance pour poursuivre la procédure engagée par la Société Nouvelle Matériaux Modernes aux droits de laquelle elle se trouvait suite à la fusion absorption, la cause de la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [N] - à savoir le défaut de qualité à agir de la demanderesse - avait disparu avant l'évocation de l'affaire devant le tribunal d'instance.
Il convient cependant de rappeler que - comme justement énoncé par le tribunal - la nullité d'une assignation ne peut être régularisée par une intervention volontaire, notamment l'irrégularité de fond affectant une assignation délivrée par le gérant d'une société dissoute - donc par une personne dépourvue de pouvoir pour représenter la personne morale - ne peut être couverte par la reprise de l'instance par une autre partie intervenant volontaire.
Par ailleurs, les effets de l'opération de fusion absorption - seuls en cause - se distinguent de la question de son opposabilité aux tiers - notion destinée à protéger ces derniers face à un changement affectant la personnalité morale avant que changement n'ait été publié (rendu public).
Or, s'agissant de la date de l'opération, les dispositions de l'article L.236-4 du code de commerce sont très claires : 'la fusion (ou la scission) prend effet (en l'absence de création d'une ou plusieurs sociétés nouvelles) à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération sauf si le contrat prévoit que l'opération prend effet à une autre date (...)' - ce qui n'est pas invoqué en l'espèce.
Cette règle a été rappelée par les deuxième et troisième chambres de la Cour de cassation qui ont rappelé que, dans le cas d'une fusion-absorption sans création de société nouvelle, la société absorbée perd la personnalité morale à la date à laquelle les associés ont approuvé l'opération, peu important la date à laquelle est intervenue sa radiation du Registre du Commerce et des Sociétés (Cass. 3e Civ., 17 mai 2006, n° 05-10.936 ; Cass. 2e Civ.. 27 juin 2019, n° 18-18.449).
C'est donc à bon droit et par des motifs que la cour adopte que le jugement a retenu la date du 30 août 2018 correspondant à la dernière assemblée générale, à savoir l'assemblée générale extraordinaire de la société absorbée ayant approuvé l'opération, qui n'entraînait aucune création de nouvelle société.
Les conclusions d'intervention volontaire de la société absorbante font d'ailleurs référence à un 'acte de fusion absorption du 29 juillet 2018" et nullement à un projet, lequel a fait l'objet de cette approbation, tandis que l'extrait K bis de la société absorbée en date du 30 mai 2019 versé aux débats par l'appelante mentionne une 'Radiation du RCS le 26/04/2019 avec effet au 30/08/2018 (...) Suite à fusion-absorption par la société civile LMH (...)'.
Le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a déclaré nulle l'assignation délivrée à Monsieur [N] le 19 décembre 2018 par la société absorbée et irrecevable l'intervention volontaire ultérieure de la société absorbante, cela après avoir justement conféré leur exacte qualification aux faits dont il était saisi (à savoir la dissolution de la société demanderesse à la date de l'assignation), qui ne constituaient aucune cause d'irrecevabilité - qui peuvent être invoqués en tout état de cause et sont susceptibles de régularisation - mais bien un irrégularité de fond, devant être invoquée in limine litis et ne pouvant être couverte.
Sur l'appel incident
Monsieur [N] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes, d'ordonner la résolution de la vente, avec restitution de la marchandise à charge, pour la société LMH venant aux droits de la société absorbée, d'aller la récupérer et ce, sous peine d'astreinte provisoire par jours de retard quinze jours après la signification de la décision à intervenir, et de condamner la société intervenante à lui payer 1.500 € à titre de dommages et intérêts.
L'intimé ne peut cependant à la fois :
- demander la confirmation du jugement qui a déclaré nulle l'assignation de la société absorbée et irrecevable l'intervention volontaire de la société absorbante, ce qui mettait fin à l'instance,
- et faire grief au premier juge de l'avoir débouté de prétentions au fond, notamment d'une demande de restitution et une demande indemnitaire à l'encontre de la partie intervenante.
Par ailleurs, la cour constate que le tribunal n'avait délibérément pas statué au fond puisqu'il avait mis fin au litige par des décisions relatives à l'irrégularité de l'acte de saisine et l'irrecevabilité de l'intervention volontaire ultérieure.
Par suite, l'appel incident n'est fondé.
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société LMH supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer à Monsieur [N] une indemnité au titre des frais par elle exposés dans le cadre de la présente procédure en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire et mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette l'appel incident de Monsieur [N] ;
Condamne la société LMH à payer à ce dernier une indemnité de 2.500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société LMH aux dépens d'appel.