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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 23 juillet 2015, n° 14/05972

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Axone Invest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sommer

Conseillers :

Mme Catry, Mme Grison-Pascail

T. com. Nanterre, 9 juill. 2014, n° 2014…

9 juillet 2014

FAITS ET PROCÉDURE,

La SA Axone invest, créée en 1998, dont le président est M. L., exerce une activité d'ingénierie financière, assistance et conseil en matière financière, d'achat et gestion de biens immobiliers.

Les 24 et 25 mars et 25 mai 2009, M. T.-T. a investi 20 000 euros et 10 000 euros dans la société en participation Optimmo 9 (SEP Optimmo 9) ayant pour objet social l'accompagnement financier de la société Grand bois resort, également présidée par M. L., pour la promotion et la vente d'un programme immobilier portant sur 140 maisons bioclimatiques au titre de l'extension de la [...].

Le remboursement des sommes apportées en jouissance devait intervenir au plus tard le 31 mai 2010, augmenté de la quote-part de résultat réalisée dans la SEP.

La société Grand bois resort, également gérante de la SEP Optimmo 9, a fait l'objet d'un jugement de redressement judiciaire le 5 octobre 2011 qui a donné lieu à un plan de continuation arrêté par un jugement du tribunal de commerce de Nevers en date du 22 mai 2013, le programme immobilier n'ayant pas encore vu le jour. Elle a été finalement placée en liquidation judiciaire en 2014.

M. T.-T. a cherché à récupérer ses fonds investis par l'intermédiaire de la société Axone invest dont il estime qu'elle s'était portée garante de son investissement mais n'a pu obtenir gain de cause, y compris auprès de son assureur, la société AIG, qui lui a indiqué que le risque n'était pas garanti.

Craignant pour le recouvrement de sa créance et reprochant à la société Axone invest des manoeuvres frauduleuses en vue de se faire remettre des fonds dont il pense qu'ils ont eu pour objet de désintéresser des investisseurs sur d'autres programmes immobiliers, M. T.-T. a obtenu le 23 mai 2013 l'autorisation sur requête du président du tribunal de commerce de Nanterre d'effectuer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société Axone invest à hauteur de la somme de 41 840 euros.

Le 24 mai 2013, deux saisies conservatoires ont été pratiquées entre les mains du Crédit du nord et de la société BNP Paribas.

Par ordonnance sur requête du 21 juin 2013, M. T.-T. a été autorisé à pratiquer une nouvelle saisie conservatoire à hauteur de la somme de 30 954,93 euros sur toute somme due par la société Cicabloc Industrie à l'égard de la société Axone invest.

Cette saisie a été pratiquée le 24 juin 2013.

C'est dans ce contexte que la société Axone invest a sollicité la rétractation des deux ordonnances sur requête, contestant le principe de créance invoqué par M. T.-T..

Par ordonnance du 9 juillet 2014, le président du tribunal de commerce de Nanterre a ordonné la jonction des procédures et rejeté les demandes de rétractation de la société Axone invest, déboutant M. T.-T. de sa demande de dommages et intérêts mais lui allouant une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Axone invest a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions du 31 octobre 2014, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens soulevés, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance sauf en ce qu'elle a débouté M. T.-T. de sa demande de dommages et intérêts, et de rétracter les ordonnances sur requête, considérant que M. T.-T. ne justifie à son encontre d'aucune créance fondée en son principe.

Elle sollicite de voir dire et juger que les conditions de validité des saisies conservatoires pratiquées les 24 mai et 24 juin 2013 ne sont pas réunies, qu'aucune procédure au fond ou formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire n'ont été accomplies, de voir dire et juger nulles les saisies conservatoires et d'en ordonner la main levée immédiate, de les juger abusives et de condamner M. T.-T. à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Axone invest invoque essentiellement, au visa de l'article R 511-7 du code des procédures d'exécution, la caducité des saisies conservatoires pratiquées faute de saisine du juge du fond dans le délai requis et l'absence de tout principe de créance, considérant que l'intimé fait une confusion entre la société Grand bois resort, qui a encaissé ses fonds en sa qualité de gérante de la SEP Optimmo 9, et la société Axone invest qui n'a été qu'un simple intermédiaire dans ces relations tripartites. Elle conteste par ailleurs être garant autonome de l'obligation souscrite par la seule société Grand bois resort.

Par conclusions du 7 mai 2015 , auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens soulevés, M. T.-T. demande à la cour de déclarer l'appel de la société Axone invest irrecevable et mal fondé, de la débouter de ses demandes, de confirmer l'ordonnance sauf en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts et de condamner la société Axone invest à lui payer la somme de 5 000 euros pour procédure abusive, outre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimé soutient essentiellement que la formalité en vue de l'obtention d'un titre a été accomplie avec la plainte pénale avec constitution de partie civile qu'il a déposée auprès du tribunal de grande instance de Versailles le 21 juin 2013, réitérée le 24 juillet suivant.

Il se prévaut également d'un principe de créance certain, soutenant que la société Axone invest s'est portée garante des opérations de la société Grand bois resort et qu'il s'agit bien d'une garantie autonome expresse.

MOTIFS DE LA DÉCISION,

I - Sur la demande de rétractation des ordonnances sur requête

Selon l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur le biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

Si l'une des deux conditions de validité prescrites fait défaut, le juge qui a autorisé la requête peut en ordonner la main levée à tout moment, ainsi qu'il en résulte de l'article R 512-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Les parties s'opposent en l'espèce sur l'existence d'un principe de créance.

Comme le souligne la société Axone invest qui a procédé aux formalités d'enregistrement, les souscriptions de M. T.-T. ont été opérées auprès de la SEP Optimmo 9, dont la gérante est la société Grand bois resort.

Les deux attestations 'strictement confidentielles' délivrées à M. T.-T. les 27 mars et 28 mai 2009, 'aux associés Optimmo 9", sont signées de M. L., en sa qualité de président du conseil d'administration.

Les éléments produits aux débats révèlent néanmoins que l'opération immobilière dans son ensemble a été animée par M. L., qui préside les différentes structures créées à cet effet, et notamment : la société Grand bois resort pour assurer la promotion et la vente des 140 maisons, avec une phase de conception préfinancée par des sociétés en participation occultes tels Optimmo 9, dans lesquelles ont investi dans une logique de court terme des particuliers.

Les documents de présentation de l'opération immobilière révèlent que la société Axone invest est garante de la mise en oeuvre du programme immobilier et du contrôle opérationnel de la SA Grand bois resort, qu'elle assure l'ensemble des services administratifs, juridiques, comptables et financiers nécessaires à l'activité de la SA, doit mettre tout en oeuvre pour permettre le remboursement de la totalité de leurs apports aux associés au prorata de leurs droits dans la société, représentant leur compte courant d'associé, indépendamment du résultat devant être réalisé par la société Optimmo 9.

Dans un courriel daté du 20 mars 2009, la société Axone invest présentait à M. T.-T. l'investissement proposé sur une durée limitée 'de maximum 1 an et 2 mois', avec une rentabilité prévisionnelle de 0,8% par mois, en mentionnant 'une garantie de bonne fin Axone invest' au titre d'une opération immobilière 'réalisée par, et sous la responsabilité, d'Axone invest'.

Sans examiner la question du mandat apparent qui n'est pas invoqué par l'intimé dans ses conclusions en appel, il ressort des éléments précités que M. T.-T. justifie d'une apparence de créance fondée en son principe, alors même que la société Axone invest est intervenue dès l'origine pour animer la structure destinée à percevoir les fonds nécessaires à la réalisation du programme immobilier et qu'elle a indiqué à l'investisseur son intention de lui consentir 'une garantie de bonne fin', susceptible de l'engager en cas de défaillance du débiteur dans l'exécution de son obligation de remboursement, laquelle est avérée, conformément aux dispositions de l'article 2322 du code civil, qu'il appartiendra néanmoins au seul juge du fond de qualifier afin d'apprécier l'étendue de cet engagement.

En conséquence, la cour considère que les conditions requises par l'article L 511-1 sont réunies, les circonstances mettant en péril le recouvrement de la créance de M. T.-T. n'étant en l'espèce ni contestées ni contestables, au regard de la situation précédemment exposée de la société Grand bois resort, dont le président, M. Franck L., est également le dirigeant de la socété Axone invest, véritable promoteur du projet, dont il est prétendu que les fonds remis auraient été destinés à désintéresser des investisseurs sur d'autres programmes immobiliers.

Il n'y a donc pas lieu de rétracter les deux ordonnances sur requête du 23 mai et 21 juin 2013.

II - Sur la demande de main levée des mesures de saisies conservatoires pour caducité

Au soutien de sa demande en main levée des mesures de saisies conservatoires de créances pratiquées par M. T.-T., la société Axone invest fait valoir que ces mesures sont caduques.

Selon les articles L 511-4 et R 511-7 du code des procédures civiles d'exécution, sauf dans le cas où le créancier possède déjà un titre exécutoire, il doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires pour obtenir un titre exécutoire.

L'intimé indique dans ses écritures que la compétence du juge consulaire ne doit pas aller au delà de ce que lui concède l'article R 512-2 du code des procédures civiles d'exécution et qu'il ne peut statuer que sur une demande de main levée fondée sur l'absence d'une condition de validité de la mesure autorisée, les autres contestations et notamment celles relatives à l'exécution de la mesure relevant de la compétence du juge de l'exécution.

Il sera rappelé que le président du tribunal de commerce connaît concuremment avec le juge de l'exécution des mesures conservatoires lorsqu'elles tendent à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale et qu'elles sont demandées avant tout procès.

Selon l'article R 512-1, le juge qui a autorisé la mesure peut rétracter son ordonnance et ordonner la main levée de la mesure 'si les conditions prévues aux articles R 511-1 à R 511-8 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas réunies'.

Il entre donc dans les pouvoirs du juge qui a autorisé la requête d'examiner la condition prescrite par l'article R 511-7, le juge de l'exécution étant compétent pour connaître de toutes 'les autres contestations'selon l'article R 512-3.

Au cas d'espèce, deux saisies conservatoires de créances ont été pratiquées le 24 mai 2013 et une le 24 juin 2013.

Il n'est pas contesté qu'aucune procédure n'a été introduite par la délivrance d'une assignation devant le juge du fond en vue de l'obtention d'un titre exécutoire.

M.T.-T. prétend cependant qu'il a satisfait aux dispositions de l'article R 511-7 du code des procédures civiles d'exécution, indiquant avoir déposé en 2013 une plainte avec constitution de partie civile 'conditionnelle' auprès du procureur de la république près le tribunal de grande instance de Versailles , plainte réitérée le 24 juillet 2013, ce qui constitue selon lui la formalité nécessaire à l'obtention d'un titre exécutoire au sens des dispositions précitées.

Pour justifier de ses prétentions, l'intimé vise dans ses écritures une pièce n°41 qui correspond au début d'un courriel, daté du 26 juin 2013, émanant de M. Marc B.-F. et adressé à son avocat, maître Bénédicte de G., dont l'objet évoque une plainte pénale, et qui indique :

' Maître,

J'ai bien reçu la plainte que vous m'avez adressée le 21 juin 2013 au nom de M. Laurent T.-T. des chefs d'escroquerie, abus de confiance et organisation frauduleuse de l'insolvabilité...'.

Une autre pièce n° 34/3 figurant dans le dossier de la société Axone invest est une lettre datée du 23 juillet 2013 de maître de G. adressée au procureur de la république, laquelle indique réitérer la plainte pénale de M. T.-T. 'avec désormais constitution de partie civile' à l'encontre des sociétés Finavia conseil, Axone invest et M. L..

Seule la plainte avec constitution de partie civile contre personne dénommée, qui déclenche l'action publique et qui vise à obtenir l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des infractions dénoncées, constitue la mise en oeuvre d'une procédure tendant à l'obtention d'un titre exécutoire.

La plainte pénale simple, même enregistrée au parquet, est insuffisante.

M. T.-T. croit pouvoir soutenir que la plainte pénale qu'il a déposée devant le procureur de la république suffit, dès lors que l'article 85 du code de procédure pénale impose désormais en matière correctionnelle que la plainte pénale avec constitution de partie civile soit précédée du dépôt préalable d'une plainte simple.

L'article 85 du code de procédure pénale dispose en effet que la plainte avec constitution de partie civile n'est recevable que si la personne justifie qu'au préalable, soit le procureur de la république lui a fait connaître, à la suite d'une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu'il n'engagera pas lui même des poursuites, soit qu'un délai de trois mois s'est écoulé depuis qu'elle a déposé plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou depuis qu'elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire.

Cette formalité préalable obligatoire ne peut être considérée comme constituant la formalité nécessaire à l'obtention d'un titre exécutoire, alors qu'au surplus, le contenu de la plainte, qui n'est pas produite aux débats, reste ignoré et qu'il n'est donc pas démontré qu'une demande de réparation a été effectivement formée.

La cour relève de manière surabondante que M. T.-T., dont le dépôt de plainte remonte au mois de juin 2013, n'a toujours pas cru devoir déposer à ce jour une plainte avec constitution de partie civile, alors qu'il était autorisé à le faire en vertu de l'article 85 précité, passé le délai de trois mois suivant son dépôt de plainte au parquet.

Au demeurant, sa plainte pénale initialement déposée au parquet de Nevers, a fait l'objet d'un classement sans suite par une décision rendue le 23 décembre 2013.

Par conséquent, dès lors que M. T.-T. ne justifie pas avoir introduit une procédure ou accompli une formalité nécessaire à l'obtention d'un titre exécutoire, dans le délai d'un mois suivant l'exécution des mesures opérées en l'espèce les 24 mai et 24 juin 2013, ces mesures doivent être considérées comme caduques.

Il convient donc de faire droit à la demande de la société Axone invest sur ce point et de réformer l'ordonnance déférée, en ce qu'elle a débouté la société Axone invest de ses demandes.

III - Sur les autres demandes

L'article L 512-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que 'lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire'.

La société Axone invest invoque des préjudices commerciaux. Elle fait valoir que la saisie pratiquée entre les mains de la société Cicabloc a porté atteinte à son image de marque auprès de son partenaire et qu'il en est de même concernant les relations commerciales avec les deux banques.

Si l'application de l'article L 512-2 n'impose pas la démonstration d'une faute, il appartient néanmoins à l'appelante de justifier de la réalité du préjudice allégué, preuve qui n'est pas rapportée en l'espèce.

Il n'y a donc pas lieu d'allouer à la société Axone invest les dommages et intérêts réclamés à hauteur de la somme de 5 000 euros.

L'ordonnance déférée sera infirmée, sauf en ce qu'elle a ordonné la jonction des procédures, constaté la communication des pièces et débouté M. T.-T. de ses demandes de dommages et intérêts.

Enfin, M. T.-T. sera condamné à payer à la société Axone invest la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS ;

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance rendue le 9 juillet 2014 sauf en ce qu'elle a ordonné la jonction des procédures, constaté la communication des pièces et débouté M. T.-T. de ses demandes de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à rétracter les ordonnances sur requête en date des 23 mai et 21 juin 2013,

Déclare caduques les saisies conservatoires pratiquées les 24 mai et 24 juin 2013 par M. T.-T. entre les mains de la BNP Paribas, du Crédit du nord et de la société Cicabloc industrie,

Ordonne en conséquence la main levée de ces saisies conservatoires,

Déboute la société Axone invest de sa demande de dommages et intérêts

Condamne M. T.-T. à payer à la société Axone invest la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par M. T.-T. et pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.