CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 28 février 2023, n° 21/15851
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Aequam Capital (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Dubois-Stevant, Mme Constance Lacheze
Avocats :
Me Chartier, Me Seguin, Me Clement
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société par actions simplifiée Aequam Capital a été créée en 2010 et a pour président M. [U] [L].
Elle a embauché M. [X] [H] dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée en qualité de responsable de gestion, du 17 octobre 2016 jusqu'au 10 juin 2018, date de son décès d'une maladie grave. En dépit d'un arrêt maladie à compter du 25 septembre 2017, M. [H] continuait à s'investir dans l'activité de la société.
Durant l'année 2019, se prévalant d'une créance salariale de 883 233 euros principalement liée à l'octroi d'un bonus, Mme [C] [O], sa veuve, leurs quatre enfants mineurs et le fils de M. [H] issu d'une précédente union (les consorts [O]-[H]) ont assigné en paiement la société Aequam Capital devant le conseil de prud'hommes de Paris. Déboutés par jugement du 9 septembre 2020, ils en ont relevé appel toujours pendant devant la cour.
Se prévalant également de la qualité d'actionnaire de M. [X] [H] au sein de la société Aequam Capital à concurrence de 7% du capital social, les consorts [O]-[H] ont fait assigner la société Aequam Capital devant le tribunal de commerce de Paris par acte du 9 décembre 2019.
Par un jugement du 2 juillet 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté Mme [C] [O], Mme [T] [H]-[O], Mme [Z] [H]-[O], M. [N] [H]-[O], M. [Y] [H]-[O] et M. [W] [H] de leurs demandes ;
- condamné Mme [C] [O], Mme [T] [H]-[O], Mme [Z] [H]-[O], M. [N] [H]-[O], M. [Y] [H]-[O] et M. [W] [H] à payer la somme de 3 500 euros à la société Aequam Capital au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;
- condamné Mme [C] [O], Mme [T] [H]-[O], Mme [Z] [H]-[O], M. [N] [H]-[O], M. [Y] [H]-[O] et M. [W] [H] aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 180,10 euros dont 29, 80 euros de TVA.
Par déclaration du 24 août 2021, les ayant droits de M. [H] ont interjeté appel de ce jugement aux fins d'infirmation de la totalité des chefs du jugement critiqué.
Par leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 novembre 2021, Mme [C] [O], Mme [T] [H]-[O], Mme [Z] [H]-[O], M. [N] [H]-[O], M. [Y] [H]-[O] et M. [W] [H] demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
- statuant à nouveau, de déclarer que M. [X] [H] était bien porteur de parts sociales dans la SAS Aequam Capital, pourvu ainsi de la qualité d'associé, en conséquence de ses apports en industrie ;
- d'ordonner à la SAS Aequam Capital de respecter et de mettre pleinement en œuvre les droits d'associé de M. [H], à l'égard de ses ayants droit qui en bénéficient, ici requérants, à l'effet notamment :
'd'être normalement convoqués à l'assemblée générale (article 10 des statuts) et de participer aux bénéfices,
'de bénéficier des divers droits d'accès et de consultation des documents sociaux, dans le respect des dispositions des statuts et du code de commerce,
le tout sous astreinte de 100 euros par jour et par infraction constatée ;
- de se réserver la liquidation de l'astreinte ;
- subsidiairement, de condamner la société Aequam, dont la responsabilité est engagée, à indemniser les ayants droit de M. [X] [H] et, pour y parvenir, sur l'évaluation des préjudices :
- de désigner un expert chargé d'éclairer le tribunal sur la valeur de l'entreprise pour les exercices 2017 et 2018 inclus, et, par voie de conséquence, sur ce que représente financièrement la détention de 7% du capital social, avec une mission habituelle en pareille matière.
- de dire qu'il aura pour mission :
'se rendre sur place (Aequam Capital, [Adresse 3]) après y avoir convoqué les parties ; y faire toutes constatations utiles ;
'dresser l'inventaire des pièces utiles à l'instruction du litige ;
'prendre connaissance de tous documents (contractuels et/ou techniques), tels que plans, devis, marchés et autres ; entendre tous sachants ;
'évaluer les préjudices de toute nature résultant du comportement fautif de la société Aequam Capital ;
'plus généralement, fournir tous les éléments techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction de déterminer les préjudices ;
'répondre aux dires des parties de manière complète, circonstanciée et -si nécessaire- documentée ;
'inviter les parties à transmettre à l'expert, dans un délai de 15 jours à compter de la décision, leurs pièces et conclusions.
- de condamner la société Aequam Capital à payer aux parties requérantes une provision d'un montant de 100 000 euros ;
- de condamner la SAS Aequam Capital à payer aux parties requérantes une somme globale de 7000 euros de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'appel, outre les entiers dépens.
Les appelants soutiennent que M. [X] [H] était associé de la société Aequam Capital à concurrence de 7% du capital de la société, contrepartie de son apport en industrie réalisé en cours de vie sociale, en présence d'un affectio societatis clairement caractérisé, notamment par la participation de M. [H] aux orientations stratégiques de la société jusqu'à son décès et de sa participation aux pertes et aux bénéfices. Cette qualité d'associé peut être reconnue sans qu'il y ait eu de cession de titres à son profit ou d'augmentation de capital à laquelle il aurait souscrit, alors qu'il appartient à la société d'émettre spécialement des titres venant en rémunération de l' en industrie.
A titre subsidiaire, les consorts [O]-[H] se prévalent d'une part, de la promesse de la société Aequam Capital de contracter à l'effet de concrétiser la qualité d'associé et, d'autre part, du refus de régulariser formellement un accord déjà conclu à l'effet de conférer la qualité d'associé.
Le non-respect de cette promesse de contracter engage selon eux la responsabilité de la société Aequam Capital, de même que son refus de régulariser cet accord. Les consorts [O]-[H] considèrent que les dirigeants de la société ont en effet profité de la situation de détresse du défunt pour ne pas honorer formellement leurs engagements caractérisant l'intention de nuire de la société.
Suivant ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 décembre 2021, la société Aequam Capital demande à la cour :
- à titre principal, de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 2 juillet 2021 en ce qu'il a débouté les consorts [O]-[H] de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- de débouter les consorts [O]-[H] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- en tout état de cause, de condamner solidairement les consorts [O]-[H] au versement à la société Aequam Capital d'un euro symbolique à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- de condamner solidairement les consorts [O]-[H] au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner les consorts [O]-[H] aux entiers dépens.
La société Aequam Capital réplique que M. [X] [H] n'était pas associé, faute d'apport de sa part (ni en numéraire, ni en nature, ni en industrie), d'une quelconque modification du capital ou cession d'actions à son profit, de mouvement enregistré au sein du registre des mouvements de titres de la société, ni d'inscription d'une cession d'actions à son profit.
Elle ajoute que les appelants ne rapportent pas la preuve de la qualité d'associé de M. [H] ni de l'existence d'une quelconque promesse en ce sens, l'affectio societatis allégué par les appelants n'étant matérialisé par aucun élément ; l'apport en industrie doit être considéré comme inexistant, à défaut de mention des apports en industrie dans les statuts, d'apport détachable de l'exécution du contrat de travail de M. [H] et de participation aux pertes et aux bénéfices de la société ; il n'est pas démontré l'existence d'une quelconque promesse de cessions d'actions ou d'augmentation de capital.
La société Aequam Capital soutient par ailleurs que la procédure est abusive. En effet, les consorts [O]-[H] ont utilisé les mêmes arguments devant le conseil de prud'hommes, le tribunal de commerce puis la cour d'appel de Paris, sans aucune preuve ni aucun fondement à l'appui de leur argumentation, caractérisant la mauvaise foi des appelants, ce qui justifie selon l'intimée la condamnation des consorts [H] [O] au paiement d'une somme d'un euro symbolique à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 13 décembre 2022.
MOTIFS
- Sur la qualité d'associé de M. [X] [H]
Il résulte de l'article L. 227-1 du code de commerce dans sa version applicable jusqu'au 21 juillet 2019 que, lorsque la société par actions simplifiée émet des actions résultant d'apports en industrie tels que définis à l'article 1843-2 du code civil, les statuts déterminent les modalités de souscription et de répartition de ces actions qui sont inaliénables. Ce même texte impose également aux associés de mentionner dans les statuts le délai au terme duquel, après leur émission, ces actions font l'objet d'une évaluation dans les conditions prévues à l'article L. 225-8 du même code.
Aux termes de l'article 1843-2 du code civil, les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à l'attribution de parts ouvrant droit au partage des bénéfices et de l'actif net, à charge de contribuer aux pertes. L'apport en industrie est, dans ce cas, rémunéré par des actions. Ainsi, la société rémunère l'apport en industrie par l'émission de parts sociales ou d'actions qui ne seront pas incorporées en valeur dans le capital social.
Il se déduit de ces textes que l'émission d'actions d'industrie implique une modification des statuts de la société afin de prévoir les modalités d'émission et de répartition de ces actions.
Par ailleurs, la notion d'apport en industrie est exclusive de toute référence à un quelconque lien de subordination. Ainsi, lorsque l'apport en industrie consiste à effectuer un travail en qualité d'associé, l'apporteur doit diriger en toute indépendance son propre travail, en transmettre le contenu et le résultat, ce travail ne pouvant consister en des tâches d'exécution.
En l'espèce, il est constant que M. [X] [H] était salarié de la société Aequam Capital, démontrant ainsi l'existence d'un lien de subordination.
Les statuts de la société, dans leur dernière version à jour au 14 février 2018, ne font pas état d'actions délivrées en contrepartie d'apports en industrie ; au contraire, il est indiqué que les actions sont toutes de même catégorie et librement négociables, cessibles ou transmissibles, ce qui n'est pas le cas par définition des actions attribuées en contrepartie d'apports en industrie.
Les courriels échangés entre M. [H] et l'intimée ou l'un de ses collaborateurs durant la période d'arrêt maladie de ce dernier, soit les 5 avril, 26 avril, 29 avril, 31 mai et 1er juin 2018 selon les pièces produites, montrent uniquement que M. [H] a participé ponctuellement et à distance à des travaux collectifs sur sollicitation de son employeur, mais ne permettent pas de caractériser une quelconque indépendance de ce dernier dans le travail qu'il pouvait réaliser pour son employeur, ni un quelconque affectio societatis contrairement à ce que prétendent les appelants.
Sur les cartes de visite commandées par la société, il était indiqué que M. [X] [H] était " chief investment officer ", ce à quoi M. [H] ajoutait de son propre chef " Partner" à la signature électronique de ses courriels, mais qui ne démontre pas en soi qu'il avait la qualité d'associé.
L'ajout de la qualité alléguée de " Partner " par M. [X] [H], tout comme la présentation de M. [H] comme " Partner et CIO " sur le site internet GetEmail.io, dont on ignore le nom de l'auteur, sont, en présence d'un contrat de travail, susceptibles de s'analyser comme une technique de communication externe sans conséquence sur le plan juridique.
Compte tenu du fait qu'ils émanent de M. [H] ou de propos tenus par lui, ne prouvent pas que la société Aequam Capital ou ses associés avaient l'intention de conférer la qualité d'associé à M. [X] [H] :
- l'échange de SMS dans lequel M. [H] écrit, le 30 mars 2018, à un destinataire inconnu " car je suis également actionnaire ",
- l'allusion à un gain de cinq millions d'euros qu'aurait permis M. [H], allusion faite par ce dernier par SMS,
- le témoignage de sa belle-mère, Mme [R] [O], mère de Mme [C] [O], qui se limite à relater les déclarations de son gendre.
Dans ces conditions, le seul SMS envoyé par M. [U] [L], président et associé de la société Aequam Capital, qui n’indique « pas Ade ça entre associés " en septembre 2017, ne suffit pas à démontrer que des échanges ont débuté en vue d'une modification statutaire réelle et effective.
Les éléments produits par les appelants ne permettent donc pas de caractériser un quelconque affectio societatis, pas plus que l'existence d'apports en industrie distincts des missions qui étaient celles de M. [H] en vertu de son contrat de travail, et ce en l'absence de toute concrétisation au sein de la société Aequam Capital en vue de permettre la modification des documents sociaux.
En outre, aucune pièce ne fait état de la participation de M. [X] [H] aux pertes ou aux bénéfices contrairement à ce que soutiennent les appelants.
A défaut de caractériser un quelconque apport en industrie, ni un affectio societatis, les appelants ne démontrent pas la qualité d'associé de M. [X] [H] et leurs demandes à ce titre ne sauraient, en conséquence, prospérer.
En conséquence, le jugement mérite confirmation sur ce point.
- Sur la responsabilité contractuelle de la société Aequal Capital
Les échanges ci-dessus évoqués ne démontrent pas l'existence d'une quelconque promesse, au sens juridique du terme, qui aurait été faite à M. [X] [H] et qui serait distincte d'une simple allusion managériale à des fins de motivation du salarié.
En conséquence, le jugement sera confirmé sur ce point.
- Sur la demande tenant au caractère abusif de la procédure
Il n'est pas démontré que les consorts [O]-[H] ont fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice. Cette demande sera donc rejetée.
- Sur l'article 700 et les dépens
Les consorts [O]-[H] succombant en leur appel, ils seront condamnés à payer les dépens. Partie perdante, ils ne peuvent prétendre à l'octroi d'une indemnité au titre de leurs frais irrépétibles.
Compte tenu de la somme allouée en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile (3 500 euros), il y a lieu de condamner Mme [C] [O] à payer à la société Aequam Capital la somme de 500 euros de ce chef au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute la société Aequam Capital de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne Mme [C] [O] à payer à la société Aequam Capital la somme de
500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [C] [O], Mme [T] [H]-[O], Mme [Z] [H]-[O], M. [N] [H]-[O], [Y] [H]-[O] et M. [W] [H] aux dépens d'appel.