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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 17 mai 2023, n° 22/04431

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Axyo (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wyon

Conseillers :

M. Seitz, M. Faivre

Avocat :

SELARL Laffly & Associes - Lexavoue Lyon

T. com. Vienne, du 13 sept. 2018, n° 201…

13 septembre 2018

La société Axyo a vendu un concasseur de type GCV 100 à la société LCF, pour le paiement duquel elle a émis le 27 avril 2012 une facture n°AX04006/m d'un montant de 50.000 euros.

La société Axyo lui a également confié un concasseur de type GCV 80 en dépôt, que la société LCF a revendu sans autorisation, suite à quoi la société Axyo lui a adressé le 30 janvier 2014 une facture n°AX04005/M d'un montant de 156.000 euros.

Par jugement du 15 octobre 2015, le tribunal de commerce de Vienne a :

- condamné la société LCF à payer à la société Axyo la somme de 50.000 euros en principal, outre les intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2014 ;

- condamné la société LCF à payer à la société Axyo la somme de 156.000 euros en principal, outre les intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2013 ;

- condamné la société LCF à payer à la société Axyo la somme de 30.900 euros au titre de la clause pénale ;

- condamné la société LCF à payer à la société Axyo la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par jugement du 06 décembre 2016, le tribunal de commerce de Vienne a placé la société LCF en redressement judiciaire, avant de convertir la procédure en liquidation judiciaire par jugement du 24 janvier 2017.

Par arrêt du 19 juillet 2018, la cour d'appel de Grenoble a fixé les créances de la société Axyo à la procédure collective de la société LCF conformément au jugement du 15 octobre 2015, à l'exception de la clause pénale, ramenée à 100 euros.

Par actes d'huissier signifiés le 9 janvier 2017, la société Axyo a assigné MM. [E] et [R] [G] devant le tribunal de commerce de Vienne, en leur qualité d'associés de la société LCF, afin de les entendre condamner solidairement à lui payer la somme de 241.341,61 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015, outre 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, et 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, avec exécution provisoire.

Par jugement contradictoire du 13 septembre 2018, le tribunal de commerce a débouté la société Axyo de l'intégralité de ses demandes, et l'a condamnée aux dépens, en retenant que la preuve d'une surévaluation des apports au capital social de la société LCF n'était pas rapportée, que le capital social d'une société ne constituait pas le gage de ses créanciers, que l'indication d'un capital social de 500.000 euros ne signifiait aucunement que cette somme fût disponible ou réalisable pour la couverture du passif et que la société Axyo avait manqué de vigilance en considérant que le capital social indiqué représentait la garantie d'être payée.

La société Axyo a interjeté appel de ce jugement le 2 novembre 2018.

Par arrêt réputé contradictoire du 05 décembre 2019, la cour d'appel de Grenoble a :

- confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions, par substitution de motifs, au visa de l'article L. 227-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 09 décembre 2016;

- débouté la société Axyo de sa demande complémentaire fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;

- condamné la société Axyo aux dépens.

La cour d'appel de Grenoble a jugé que la valeur de l'apport en nature des consorts [G] au capital de la société LCF, constitué d'un fichier client et de deux accords de distribution évalués à la somme de 500.000 euros, n'était pas différente de celle retenue par le commissaire aux apports et que les conditions de la responsabilité des associés d'une société par actions simplifiée n'étaient pas réunies au cas d'espèce.

Statuant sur le pourvoi de la société Axyo, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions (Cass. Com, 12 mai 2021, pourvoi n°20612.670), au motif, soulevé d'office, que l'article L. 227-1 du code de commerce ne s'applique que lorsque les statuts de la société ont été signés postérieurement à son entrée en vigueur et qu'il ne pouvait en conséquence servir de fondement à l'examen de la responsabilité des associés de la société LCF, constituée en amont de celle-ci.

Par déclaration du 15 juin 2022, la société Axyo a saisi la cour d'appel de Lyon, désignée cour de renvoi.

Cette déclaration de saisine a été signifiée le 22 juillet 2022 à M. [E] [G] par remise en étude et le 21 juillet 2022 à M. [R] [G], selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile. Les intéressés n'ont pas formé ministère d'avocat.

Aux termes de ses conclusions déposées le 1er août 2022, la société Axyo demande à la cour, au visa des articles 2285 et 1382 ancien du code civil, L. 225-249 alinéa 2 du code de commerce dans sa version applicable à la date de la constitution de la société LCF, L. 223-9 alinéa 4 du même code, dans sa version applicable à la date de la constitution de la société LCF, de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Vienne le 13 septembre 2018 en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens prévus à l'article 695 du code de procédure civile, en les liquidant conformément à l'article 701 du même code de procédure civile,

statuant à nouveau :

- condamner solidairement MM. [E] et [R] [G] au paiement de la somme en principale de 241.341,61 euros outre les intérêts au taux légal depuis le 11 décembre 2015,

- condamner solidairement MM. [E] et [R] [G] au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner solidairement MM. [E] et [R] [G] au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement MM. [E] et [R] [G] aux entiers dépens de première instance et d'appel conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société Axyo rappelle que le capital social d'une société par actions simplifiée constitue le gage commun de ses créanciers et que la responsabilité des associés peut être engagée lorsqu'ils auront créé une fausse apparence de prospérité en surévaluant des apports en nature.

Elle estime que tel est le cas en l'espèce, le fichier client apporté en nature au capital de la société LCF par les intimés revêtant un caractère largement fictif et n'ayant jamais eu la valeur de 500.000 euros déclarée par les intimés, au demeurant non validée par le commissaire aux apports.

S'agissant du fondement de cette responsabilité, la société Axyo soutient qu'il réside dans le droit commun de la responsabilité quasi-délictuelle pour les sociétés par actions simplifiées constituées en amont de l'entrée en vigueur de l'article L. 227-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 09 décembre 2016.

Elle précise que son préjudice tient à son absence de gage véritable, ainsi qu'à l'impossibilité

d'obtenir paiement des sommes dues par la société LCF.

La société Axyo fait valoir que la responsabilité des associés de la société LCF peut également découler de l'article L. 225-249 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions simplifiées à la date de constitution dela société LCF, ou de l'article L 223-9 du même code, applicable aux sociétés à responsabilité limitée, mais transposable aux sociétés par actions simplifiées en l'absence de dispositions spécifiques applicables à celles-ci à la date de constitution de la société LCF, chacune de ces dispositions prévoyant l'engagement de la responsabilité des associés en cas de surévaluation des apports.

Ces conclusions ont été signifiées le 14 décembre 2022 à MM. [E] et [R] [G], selon actes d'huissier remis à personne s'agissant du premier et notifiés les modalités de l'article 659 du code de procédure civile s'agissant du second.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 09 février 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 16 février 2023, à laquelle elle a été mise en délibéré au 17 mai 2023.

MOTIFS

Vu l'article L. 227-1, alinéas 1 et 3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 09 décembre 2016 ;

Vu l'article L. 225.8 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 ;

Vu l'article L. 225-249 du même code ;

Vu l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016; Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile ;

Conformément à l'article L. 227-1, alinéas 1 et 3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 09 décembre 2016 :

' Une société par actions simplifiée peut être instituée par une ou plusieurs personnes qui ne supportent les pertes qu'à concurrence de leur apport.

[...]

Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception des articles L. 224-2,

L. 225-17 à L. 225-126, L. 225-243 et du I de l'article L. 233-8, sont applicables à la société par actions simplifiée. Pour l'application de ces règles, les attributions du conseil d'administration

ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet '.

Selon l'article L. 225-8 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, applicable aux sociétés anonymes :

' En cas d'apports en nature comme au cas de stipulation d'avantages particuliers au profit de personnes associées ou non, un ou plusieurs commissaires aux apports sont désignés à l'unanimité des fondateurs ou, à défaut, par décision de justice, à la demande des fondateurs ou de l'un d'entre eux. Ils sont soumis aux incompatibilités prévues à l'article L. 822-11.

Les commissaires apprécient, sous leur responsabilité, la valeur des apports en nature et les avantages particuliers.

Le rapport déposé au greffe, avec le projet de statuts, est tenu à la disposition des souscripteurs, dans les conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. L'assemblée générale constitutive statue sur l'évaluation des apports en nature et l'octroi d'avantages particuliers. Elle ne peut les réduire qu'à l'unanimité de tous les souscripteurs. A défaut d'approbation expresse des apporteurs et des bénéficiaires d'avantages particuliers, mentionnée au procès-verbal, la société n'est pas constituée '.

Selon l'article L. 225-249 du même code applicable aux sociétés anonymes :

' Les fondateurs de la société auxquels la nullité est imputable et les administrateurs en fonction

au moment où elle a été encourue peuvent être déclarés solidairement responsables du dommage

résultant pour les actionnaires ou pour les tiers de l'annulation de la société.

La même responsabilité solidaire peut être prononcée contre ceux des actionnaires dont les apports ou les avantages n'ont pas été vérifiés et approuvés'.

En vertu de ces dispositions, applicables aux sociétés par actions simplifiées constituées en amont de la loi du 09 décembre 2016, la responsabilité des associés ne peut pas être engagée à raison de l'évaluation des apports en nature, lorsqu'ils ont approuvé l'évaluation faite par le commissaire aux apports.

Ce dernier demeure en ce cas seul responsable de cette évaluation et des fautes éventuellement commises dans l'exercice de sa mission.

En revanche, la responsabilité des associés peut être engagée dans les conditions du droit commun, lorsqu'ils adoptent une valeur différente de celle retenue par le commissaire aux apports, ou lorsque le commissaire aux apports indique ne pas être en mesure d'approuver la valeur déclarée de l'apport.

Il appartient en ce cas à l'actionnaire ou au tiers lésé de démontrer que les associés ont commis une faute en relation causale avec le préjudice enduré.

La société LCF a été enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Vienne le 08 mars 2012, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article L. 227-1 alinéa 7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 09 décembre 2016.

Il s'ensuit que la responsabilité des consorts [G], pris en leur qualité d'associés fondateurs de la société LCF, obéit au régime de responsabilité pour faute, tiré des articles L. 227-1 ancien, L. 225-8, L. 225-249 du code de commerce et 1382 du code civil.

Il ressort du rapport du commissaire aux apports en date du 03 janvier 2012 que le capital social de la société LCF se compose d'un fichier clients apporté en nature, exploitable dans le cadre de deux accords de distribution mis à disposition par M. [E] [G].

Les consorts [G] ont évalué ce fichier à la valeur de 500.000 euros et arrêté le capital social au même montant.

Le commissaire aux apports a relevé que cette évaluation reposait exclusivement sur un prévisionnel d'exploitation sur trois ans ne lui permettant point de s'assurer de la pertinence de la valeur de 500.000 euros avancée par les associés.

Il a indiqué en conséquence ne pas être 'en mesure de conclure que la valeur de l'apport s'élevant à 500.000 euros n'est pas surévaluée et, en conséquence, que l'actif net apporté est au moins égal au montant du capital social de la société bénéficiaire de l'apport'.

De telles conclusions n'emportent pas approbation de l'évaluation effectuée par MM. [G], ce dont il suit que leur responsabilité quasi-délictuelle peut être engagée à raison de l'éventuelle sur-évaluation de l'apport, sous réserve de la démonstration d'une faute en lien causal avec un dommage enduré par la société Axyo.

Celle-ci prétend que le fichier serait ' quasi-fictif ' en affirmant qu'il n'aurait jamais été présenté au commissaire aux apports, ni produit en l'instance.

Or, le commissaire aux apports a expressément indiqué dans son rapport s'être assuré de la réalité de l'apport en nature, ce dont il suit que le fichier litigieux n'est point fictif.

La société Axyo affirme en second lieu que la preuve de la surévaluation de l'apport en nature résulterait des conclusions du commissaire aux apports.

Force est toutefois de constater que le commissaire aux apports a simplement indiqué ne pas être en mesure de pouvoir confirmer la valeur alléguée de 500.000 euros, compte tenu de la nature purement prévisonnelle de la méthode d'évaluation employée par les consorts [G], ce qui ne se confond pas avec l'hypothèse dans laquelle un commissaire aux apports estime pouvoir conclure à la sur-évaluation d'un apport et délivre un avis non conforme à l'évaluation faite par les associés.

Les conclusions du commissaire aux comptes ne constituent donc pas la preuve de la surévaluation du fichier clients.

L'appelante explique en troisième lieu que la sur-évaluation de l'apport s'induirait de la méthode d'évaluation retenue, à savoir un état prévisionnel de chiffre d'affaires et de résultat sur trois ans, dressé à partir d'un premier bon de commande en date du 22 décembre 2011 et d'un état des devis émis d'octobre à novembre 2011.

Or, l'emploi d'une méthode d'évaluation purement prospective n'implique pas ipso facto la surévaluation de l'apport, la société Axyo procédant en la matière par supputations.

Il s'ensuit que la preuve de la surévaluation du fichier client apporté en nature à la société LCF n'est pas rapportée et il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Axyo de ses demandes.

La société Axyo succombe à l'instance d'appel et il convient de la condamner aux dépens correspondants, sans qu'il y ait lieu d'en prévoir le recouvrement direct par son propre avocat.

L'équité commande de rejeter sa demande formée au titre des frais non répétibles de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt par défaut prononcé en dernier ressort,

- Confirme le jugement prononcé le 13 septembre 2018 par le tribunal de commerce de Vienne sous le numéro 2017J23 en toutes ses dispositions ;

- Condamne la société Axyo aux dépens de l'instance d'appel ;

- Déboute la société Axyo de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.