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Décisions

CA Versailles, 5e ch., 9 mars 2023, n° 21/02569

VERSAILLES

Arrêt

TASS Cergy-Pontoise, 30 janv. 2018

30 janvier 2018

EXPOSÉ DU LITIGE :

La Caisse nationale du régime social des indépendants (la Caisse), aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF), a, le 26 avril 2010, informé la société [6] (la société), qui a pour activité l'approvisionnement et la centralisation des achats des centres distributeurs à l'enseigne [4] de la région nord de [Localité 5], qu'elle ne pouvait bénéficier de l'assiette réduite de la contribution sociale de solidarité des sociétés (la C3S) réservée aux commissionnaires.

Contestant cette position, la société a, le 6 mai 2014, sollicité le remboursement d'une partie de la contribution ainsi réglée au titre de l'année 2011, soit la somme de 459 785 euros.

La Caisse ayant rejeté cette demande, la société [6] (la société) a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Par jugement du 30 janvier 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Cergy-Pontoise a déclaré ce recours recevable mais mal fondé et condamné la société au paiement d` une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société a relevé appel de cette décision.

Par arrêt du 10 octobre 2019, la cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement susvisé, déclaré fondée la demande en restitution présentée par la société et condamné l'URSSAF lui payer la somme de 459 785 euros sur ce chef.

Sur pourvoi formé par l'URSSAF, la Cour de cassation (2e Civ., 24 juin 2021,  19-26.093) a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt précité du 10 octobre 2019, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles , autrement composée, aux motifs suivants :

« Vu les articles L. 651-5, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité de la contribution litigieuse, et 273 octies du code général des impôts :

3. ll résulte de la combinaison de ces textes que l'application de l'assiette réduite de la contribution sociale de solidarité des sociétés est subordonnée à la démonstration par le cotisant de l'existence d'un mandat.

4. Pour condamner l'URSSAF à rembourser partiellement à la société la contribution sociale de solidarité des sociétés acquittée au titre de l'année 2011 et calculée sur la totalité de son chiffre d'affaires de l'année 2010, l'arrêt retient que le mandat formalisé par la société en janvier 2011 avec ses commettants ne modifie en rien la situation antérieure et en déduit que la décision unilatérale de l'URSSAF de modifier son interprétation de la situation de la société au regard de la contribution sociale de solidarité des sociétés, intervenue au demeurant dans le courant de

l'année 2010, ne repose sur aucune donnée juridique ou factuelle nouvelle autre qu'un mandat écrit qui ne démontre pas que les conditions prévues par la loi pour bénéficier du statut de commissionnaire sont remplies.

5. En statuant ainsi, sans constater l'existence d'un mandat préalablement conclu au titre de l'année retenue pour déterminer le chiffre d'affaires assujetti à la contribution litigieuse, la cour a violé les textes susvisés. »

L'affaire a été plaidée à l'audience du12 janvier 2023 .

Les parties ont comparu, représentées par leur avocat.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société sollicite l'infirmation du jugement entrepris et le remboursement de la C3S versée à tort en 2011, au titre de l'exercice 2010, avec intérêt au taux légal à compter de la demande initiale, soit le 12 mai 2011, et capitalisation des intérêts à compter de cette même date. Elle sollicite en outre la condamnation de l'URSSAF à lui payer la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, l'URSSAF sollicite la confirmation du jugement entrepris.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, chaque partie sollicite l'octroi d'une somme de 5 000 euros.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Selon l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, alinéa 2, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité de la contribution litigieuse, le chiffre d'affaires des intermédiaires mentionnés au V de l'article 256 et au III de l'article 256 bis du code général des impôts, et qui bénéficient des dispositions de l'article 273 octies du même code, est diminué de la valeur des biens ou des services qu'ils sont réputés acquérir ou recevoir. Dans le cas d'entremise à la vente, les commettants des intermédiaires auxquels cette disposition s'applique majorent leur chiffre d'affaires du montant des commissions versées.

En application de l'article 273 octies du code général des impôts, devenu sans objet aux termes de l'article 1er du décret  2007-484 du 30 mars 2007, mais auquel il convient de se référer pour la détermination des bases de la C3S dans les conditions prévues par l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi  2012-1404 du 17 décembre 2012, le droit à la déduction qu'il prévoit suppose, notamment, la réunion des conditions cumulatives suivantes : l'opération d'entremise est rémunérée exclusivement par une commission dont le taux est fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services ; il est rendu compte au commettant du prix auquel l'intermédiaire a traité l'opération avec l'autre contractant ; l'intermédiaire qui réalise ces opérations d'entremise doit agir en vertu d'un mandat préalable et ne jamais devenir propriétaire des biens.

Selon l'article L. 132-1 du code de commerce, le commissionnaire est celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant.

Les devoirs et les droits du commissionnaire qui agit au nom d'un commettant sont déterminés par le titre XIII du livre III du code civil.

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que rompant avec la pratique admise depuis le 28 novembre 1996, la Caisse a considéré, le 26 avril 2010, à la suite d'un échange de memoranda entre son conseil et les avocats des centrales régionales [4], que ces centrales, parmi lesquelles figure la société redevable, ne pouvaient plus bénéficier de l'assiette minorée de la C3S applicable aux commissionnaires, faute de justifier de l'existence d'un mandat préalable explicite.

La société affirme que le contrat de mandat peut être tacite et que son existence peut être établie par tous moyens, preuve rapportée, selon elle, entre autres, par les précommandes et les redditions de compte.

L'URSSAF estime au contraire qu'une reddition de compte ne saurait pallier le défaut de mandat préalable de commissionnaire, lequel ne peut davantage se déduire du seul objet social de la société. Elle considère également qu'en vertu de la doctrine administrative, la production d'attestations tardives, notamment à l'occasion d'une vérification, ne peut être retenue, et qu'il en est de même des certificats généraux ne visant pas des opérations déterminées. Elle estime de la même façon que les précommandes produites par la société ne peuvent emporter la conviction, s'agissant de tableaux récapitulatifs établis par l'intéressée elle-même. L'URSSAF fait valoir que l'absence de mandat préalable empêche d'établir les autres conditions exigées par l'article 273 octies du code général des impôts, à savoir, notamment, que l'intermédiaire ne doit jamais devenir propriétaire des biens.

En l'occurrence, la preuve du mandat, même tacite, reste soumise aux règles générales de la preuve des conventions (3e Civ., 29 octobre 1970,  69-12.293, Bull. III,  562 ; 4 mars 2021, n° 20-10.051), étant rappelé que seul a la qualité de commissionnaire celui qui agit en son nom propre ou sous un nom social pour le compte d'autrui, ce qui distingue le mandat proprement dit du contrat de commission.

L'absence de mandat écrit dûment formalisé ne peut, à elle seule, suffire à écarter la qualification de commissionnaire, l'entremise pouvant résulter d'un accord tacite, ce que n'excluent pas les termes de l'article 273 octies du code général des impôts.

Cette preuve s'apprécie souplement, le Conseil d'Etat ayant admis en matière fiscale que le mandat pouvait découler d'un faisceau d'indices, comme par exemple, les termes des factures et les conditions de leur règlement (CE,4 mars 1987,  70321). Le Conseil d'Etat s'attache surtout à l'obligation qui pèse sur le commissionnaire de restituer exactement à son commettant les sommes d'argent reçues (v. conclusions du commissaire du gouvernement M. Laprade sous la décision précitée du 4 mars 1987), cette obligation trouvant son fondement dans l'exigence de reddition des comptes, posée à l'article 1993 du code civil.

Dans le présent litige, la société verse aux débats, à titre d'échantillons, des redditions de compte au 2 janvier 2010 qui sont tout à fait pertinentes, s'agissant d'une imposition due au titre de l'exercice 2010. Il est expressément mentionné sur ces documents que la reddition adressée aux hypermarchés adhérents « vaut facture » et correspond à leur précommande. Il est également précisé que l'achat a été réalisé « pour le compte » des associés coopérateurs « dans les conditions financières qui ont servi de support à [leur] précommande ».

L'exactitude de cette reddition n'est pas contestée.

Ces écrits constituent un faisceau d'indices sérieux quant à l'existence d'un mandat préalable donné à la société pour l'acquisition de marchandises pour le compte des hypermarchés adhérents au titre de l'exercice considéré. Contrairement à ce que soutient l'URSSAF, qui s'empare d'une doctrine administrative dénuée de portée normative, la société est tout à fait recevable, au contentieux, à compléter cette preuve littérale par la production de divers témoignages ; ces derniers sont admissibles, quand bien même ils émaneraient d'organes directeurs de la société ou seraient établis pour les besoins de la cause. Ainsi, la société fournit une attestation de son directeur financier, selon lequel l'intéressée ne prend aucune initiative d'achat et qu'elle se borne à effectuer des commandes pour le compte des magasins concernés. Elle verse également aux débats les attestations de dirigeants d'entreprises adhérentes, d'où il ressort que pour l'ensemble des opérations promotionnelles et saisonnières réalisées en magasin, y compris pour l'exercice 2010, la société négocie des tarifs promotionnels dont elle rend compte à ses adhérents, qu'elle passe les commandes au nom et pour le compte de ces entreprises et que les quantités et tarifs font l'objet d'une précommande effectuée par le magasin, la livraison étant ensuite suivie d'une reddition de comptes.

Les pièces ainsi produites par la société redevable à l'appui de ses écritures font ressortir que celle-ci a bien agi en vertu d'un mandat préalable donné par les associés coopérateurs, au titre de l'année rattachée au paiement de l'imposition litigieuse, et qu'elle n'est jamais devenue propriétaire des marchandises.

Pour s'opposer à la minoration de l'assiette de la C3S revendiquée par la société, l'URSSAF soutient, par ailleurs, que la redevable semble avoir perçu une rémunération et que cette commission ne présente pas un taux fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou services.

Cependant, il ressort des pièces soumises aux débats, et en particulier, des appels et facturations de cotisations portant sur l'année considérée ainsi que des précisions apportées par le commissaire aux comptes, que la société a perçu, non une rémunération en contrepartie de ses opérations d'entremise, mais une cotisation destinée à couvrir le remboursement des frais de structure de la centrale, de sorte que ladite cotisation n'a pas à satisfaire aux conditions énoncées par l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, qui renvoie aux dispositions de l'article 273 octies du code général des impôts. Le moyen soulevé par l'URSSAF apparaît, dès lors, inopérant.

Il s'ensuit que la société doit bénéficier de la minoration de l'assiette de la C3S, sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens surabondants développés à cette même fin.

La société justifie du montant du trop-perçu qui s'élève à la somme de 459 785 euros.

Le jugement entrepris sera donc infirmé, sauf en ses dispositions relatives à la recevabilité du recours. L'URSSAF sera condamnée à payer à la société la somme précitée, avec intérêt au taux légal à compter de la demande expressément formalisée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 6 mai 2014, ainsi qu'il est en justifié par les pièces versées aux débats, outre capitalisation des intérêts échus dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

La société sera, en revanche, déboutée de sa demande en dommages et intérêts présentée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, aucune faute de l'organisme n'étant caractérisée. Il sera observé, en effet, que l'organisme a figé sa nouvelle doctrine à la suite de nombreux échanges avec les centrales et que les juges du fond se montrent encore divisés sur la question, ainsi qu'en atteste l'ensemble des décisions de justice versées aux débats.

L'URSSAF, qui succombe, sera condamnée aux éventuels dépens et déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera condamnée à verser à la société, en application de ce texte, la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2021 ;

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable le recours formé par la société [6] ;

Statuant à nouveau sur les points réformés ;

Dit que la société [6] est fondée en sa demande en restitution d'une fraction de la contribution sociale de solidarité des sociétés versée en 2011 et afférente à l'année 2010 ;

En conséquence, condamne l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur à payer à la société [6] la somme de 459 785 euros au titre de cette restitution, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2014 ;

Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront intérêt en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Rejette la demande en dommages et intérêts formée par la société [6] ;

Condamne l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur et la condamne à payer à la société [6] la somme de 3 000 euros.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.