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Décisions

Cass. com., 30 mars 2022, n° 19-25.794

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

M. Ponsot

Avocats :

SAS Buk Lament-Robillot, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Versailles, du 17 oct. 2019

17 octobre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 octobre 2019), le 29 mars 2011, M. [H] et Mme [L], ont été respectivement désignés président et directeur général de la société AB Four, aux droits de laquelle est venue la société R&B groupe. A cette même date, une opération d'achat avec effet de levier (LBO) a été mise en place, comportant un financement bancaire et la souscription, par les fonds d'investissement de proximité Hexagone patrimoine I, Hexagone patrimoine II et Croissance et financement (les FIP) gérés par la société Turenne capital partenaires, d'obligations convertibles en actions émises par la société R&B groupe. Un pacte d'associés a été conclu entre les actionnaires de cette dernière.

2. Le 27 janvier 2012, M. [H] a été remplacé dans ses fonctions de président par la société O&P Consulting, devenue OPH (la société OPH), dont il est le gérant et l'associé unique. Simultanément, Mme [L] a été remplacée dans ses fonctions de directeur général par la société [R] [L] Sarocchi Management, devenue [R] [L] Conseil.

3. Le 13 juillet 2016, la société Turenne capital partenaires, représentant les FIP associés, a convoqué une assemblée générale extraordinaire des associés de la société R&B groupe, et notifié concomitamment à cette société un bulletin de souscription de 256 actions par conversion d'obligations convertibles conférant aux FIP 51,31 % des droits de vote. Le 29 juillet 2016, l'assemblée générale extraordinaire a décidé la révocation de son président, la société OPH, et son remplacement par la société [R] [L] Conseil.

4. La société OPH ayant contesté sa révocation ainsi que la régularité de l'assemblée générale extraordinaire du 29 juillet 2016, une nouvelle assemblée générale extraordinaire a été convoquée le 6 septembre 2016, comportant un ordre du jour analogue au précédent, à l'issue de laquelle la société OPH a été révoquée de ses fonctions de président.

Examen des moyens

Sur les premier et cinquième moyens du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. M. [H] et la société OPH font grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la société R&B groupe à payer à M. [H] la seule somme de 3 000 euros, alors « qu'une société est en droit d'obtenir réparation du préjudice moral qu'elle subit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a admis l'existence d'un préjudice moral subi par M. [H] résultant de la brutalité de la révocation ; qu'en affirmant néanmoins que la société OPH ne démontrait pas l'existence d'un préjudice propre, quand cette société, en tant que président de la société AB Four, avait été directement visée par la révocation brutale, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

7. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

8. Pour rejeter la demande de condamnation de la société R&B groupe à verser à la société OPH certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour sanctionner les conditions brusques et vexatoires dans lesquelles est intervenue sa révocation, l'arrêt énonce que cette dernière ne démontre pas l'existence d'un préjudice propre.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle retenait que la société R&B groupe n'avait pas respecté son obligation de loyauté et qu'elle devait réparer le préjudice causé à la société OPH, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Et sur les troisième et quatrième moyens de ce pourvoi, pris en leur première branche, réunis

Enoncé du moyen

10. Par son troisième moyen, pris en sa première branche, M. [H] fait grief à l'arrêt de dire recevables mais mal fondées ses demandes au titre de la clause de non-concurrence, formées à l'encontre des FIP et de Mme [L], associés dans la société R&B groupe, alors « qu'une clause de non-concurrence liant un mandataire social doit être limitée dans le temps et l'espace ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'aux termes de la clause de non-concurrence du pacte d'associés de la société AB Four, les dirigeants, tel M. [H], pendant toute la durée de leur présence au capital de la société ou de ses filiales, s'engageaient à ne pas occuper, en France ou à l'étranger directement ou indirectement, de fonctions rémunérées ou non, quelle qu'en soit la nature dans une société ayant une activité concurrente à celles exercées à ce jour ou qui seraient exercées par la société ou par ses filiales pendant ladite durée, ou ayant lien avec l'activité concurrente ; qu'en affirmant qu'insérée dans un pacte d'associés cette clause de non-concurrence n'obligeait pas à ce que soit fixée une durée ni une limitation géographique, la cour d'appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble les articles 1131 et 1133 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

11. Par son quatrième moyen, pris en sa première branche, M. [H] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnisation au titre de la clause de non-concurrence formulée à l'encontre de la société R&B groupe, alors « qu'une clause de non-concurrence liant un mandataire social doit être limitée dans le temps et l'espace ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'aux termes de la clause de non-concurrence du pacte d'associés de la société AB Four, les dirigeants tels M. [H], pendant toute la durée de leur présence au capital de la société ou de ses filiales, s'engageaient à ne pas occuper, en France ou à l'étranger directement ou indirectement, de fonctions rémunérées ou non, quelle qu'en soit la nature dans une société ayant une activité concurrente à celles exercées à ce jour ou qui seraient exercées par la société ou par ses filiales pendant ladite durée, ou ayant lien avec l'activité concurrente ; qu'en affirmant qu'insérée dans un pacte d'associés cette clause de non-concurrence n'obligeait pas à ce que soit fixée une durée ni une limitation géographique, la cour d'appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble les articles 1131 et 1133 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la liberté d'entreprendre :

12. Il ressort de ce texte et de ce principe qu'une clause de non-concurrence n'est valable qu'à condition d'être limitée dans le temps et dans l'espace et d'être proportionnée au regard de l'objet du contrat.

13. Pour rejeter les demandes indemnitaires formées par M. [H] contre les FIP et Mme [L], d'une part, et contre la société R&B groupe, d'autre part, l'arrêt énonce que la clause litigieuse étant insérée dans un pacte d'associés et non dans un contrat de travail, elle n'oblige pas à ce que soient fixées une durée ou une limitation géographique.

14. En statuant ainsi la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande formée par la société O&P Consulting, devenue OPH, de condamnation de la société AB Four, aux droits de laquelle vient la société R&B groupe, au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de sa révocation en tant que présidente de cette dernière, en ce qu'il dit mal fondées les demandes de M. [H] au titre de la clause de non-concurrence, formées à l'encontre des sociétés FIP et de Mme [L], d'une part, et de la société AB Four, aux droits de laquelle vient la société R&B groupe, d'autre part, et en ce qu'il statue sur les dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.