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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 6 décembre 2022, n° 22/00330

CAEN

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guiguesson

Conseillers :

M. Garet, Mme Velmans

Avocats :

Me Piro, Me Mari

JEX Lisieux, du 3 févr. 2022, n° 21/0086…

3 février 2022

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [R] [M] était directeur d'exploitation de la SARL Vallée Saint-Pierre, propriétaire du [Adresse 7], exploitant à compter de 2004, une activité hôtelière haut de gamme.

Cette société a été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Lisieux du 7 avril 2010, puis en liquidation judiciaire par jugement du 20 février 2013.

Par jugement du 1er avril 2015, le tribunal a autorisé la vente du domaine à Monsieur [R] [X], qui souhaitait développer une activité de chevaux de course.

Une convention de prêt à usage a été passée le 20 juillet 2015, permettant à Monsieur et Madame [M] de demeurer dans la maison d'habitation qu'ils occupaient depuis 2004, et d'avoir la jouissance de divers autres bâtiments.

Monsieur [X] a créé le 14 décembre 2015, la SAS Haras des Adelis pour développer l'activité d'élevage de chevaux avec le concours de Monsieur [M].

Il aurait pris en charge de nombreux frais concernant la famille [M] et lui aurait accordé des avances en trésorerie, et notamment deux prêts pour un montant total de 17.000,00 €, au titre desquels Monsieur [M] resterait lui devoir la somme de 12.000,00 €.

Les relations se sont dégradées entre les deux hommes et Monsieur [X] n'a pu obtenir le remboursement de cette somme.

Par ordonnance du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lisieux du 25 mai 2021, il a été autorisé à procéder à une saisie-conservatoire sur les biens meubles corporels et incorporels de Monsieur [M] pour garantie de la somme de 12.000,00 €.

Il l'a également assigné au fond pour en obtenir le paiement.

Par acte d'huissier du 15 septembre 2021, Monsieur [M] a assigné Monsieur [X] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lisieux, aux fins de voir constater la nullité de la saisie-conservatoire pratiquée le 4 août 2021, obtenir sa mainlevée et le paiement de dommages-intérêts ainsi que d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 3 février 2022, le juge de l'exécution a :

- ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire de meubles pratiquée le 4 août 2021 par Monsieur [R] [X] sur les biens de Monsieur [R] [M],

- débouté Monsieur [R] [M] de s demande de dommages- intérêts,

- débouté Monsieur [R] [X] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [R] [X] à régler à Monsieur [R] [M] la somme de 1.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 10 février 2022, Monsieur [R] [X] a interjeté appel de la décision, en ce qu'elle a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire, l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné au paiement d'une indemnité sur ce fondement.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 23 juin 2022, il demande au visa des articles R.522-1 du code des procédures civiles d'exécution et 495 du code de procédure civile :

- de déclarer recevables ses conclusions, pièces et bordereau de pièces versées aux débats dans leur intégralité,

- d'infirmer le jugement des chefs dont appel,

- de condamner Monsieur [R] [M] à lui régler la somme de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- de rejeter l'intégralité des demandes, prétentions formulées par Monsieur [R] [M].

Aux termes de ses dernières écritures en date du 23 mai 2022, Monsieur [R] [M] conclut au visa des articles L.511-1, R.511-7, R.111-8 du code des procédures civiles d'exécution, 1104 du code civil, demande à la cour de :

- dire et juger irrecevables la communication de conclusions et d'un bordereau de pièces de Monsieur [R] [X] du 26 avril 2022,

- dire et juger que Monsieur [R] [X] a communiqué une pièce devant la cour, sa pièce N°44,

Sur le fond,

- dire et juger infondé l'appel de Monsieur [R] [X],

En conséquence,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 4 août 2021 par Monsieur [R] [X] sur ses biens, et l'a débouté de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,,

- le réformer pour le surplus,

- condamner Monsieur [R] [X] à lui payer une somme de 5.000,00 € à titre de dommages-intérêts,

- condamner Monsieur [R] [X] à lui payer une somme de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes de 'dire' et 'dire et juger' ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 768 du code de procédure civile, et ne seront donc pas examinées par la cour.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la recevabilité des conclusions, pièces et bordereau de pièces de Monsieur [X] du 26 avril 2022.

Sur la nullité de la saisie conservatoire

Monsieur [M] se prévalant des dispositions de l'article R.522-1 du code des procédures civiles d'exécution qui énonce les mentions devant figurer dans l'acte de saisie, soutient comme il l'a fait en première instance, que ferait défaut la mention de la requête sur la base de laquelle l'ordonnance a été rendue et la saisie pratiquée ainsi que la désignation détaillée des biens saisis.

La cour constate contrairement à ce que prétend l'intimé, que l'acte de signification de l'ordonnance du juge de l'exécution, mentionne bien le titre en vertu duquel la saisie est pratiquée, tout comme d'ailleurs le procès-verbal de saisie conservatoire, à savoir une ordonnance sur requête du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lisieux du 12 juillet 2021, dont la copie est effectivement jointe.

Sont également détaillés les biens saisis.

Les moyens invoqués par Monsieur [M] au soutien de sa demande de nullité sont donc inopérants, de telle sorte que c'est à juste titre que le premier juge les a écartés.

Sur la mainlevée de la mesure conservatoire

L'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose :

'Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe, peut solliciter du juge de l'exécution l' autorisation de pratique une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire'.

Seules deux conditions sont requises pour que la mesure soit autorisée par le JEX, une créance fondée en son principe et une menace pour son recouvrement. Il s'agit de conditions cumulatives.

Sur l'existence d'une créance fondée en son principe

Il sera rappelé qu'il ne relève pas des attributions du juge de l'exécution de statuer sur la réalité de la créance au titre de laquelle la mesure conservatoire a été ordonnée ou d'en déterminer le montant, mais seulement de se prononcer sur son caractère vraisemblable.

Le juge de l'exécution a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire au motif qu'il existait un doute sur la nature des sommes versées par Monsieur [X] à Monsieur [M] qui soutenait qu'il s'agissait de salaires, alors qu'il n'avait pas été fait mention dans la requête autorisant la saisie conservatoire de l'existence d'une procédure prud'homale.

Il est constant comme l'indique à juste titre Monsieur [X], que la procédure prud'homale ne le concerne pas à titre personnel, mais a été intentée par Monsieur [M] à l'encontre de la SAS Haras des Adelis.

Il a d'ailleurs été débouté de ses demandes par jugement du Conseil des Prud'hommes de Lisieux du 20 avril 2022, au motif que les critères de l'existence d'un contrat de travail n'étaient pas réunis.

L'argument opposé par Monsieur [M] pour contredire la nature de prêts des sommes qu'il ne conteste d'ailleurs pas avoir perçues, est donc inopérant, peu important qu'il ait formé appel de cette décision puisque si devait être retenue en cause d'appel, l'existence d'un contrat de travail, son employeur ne serait pas Monsieur [R] [X].

Eu égard aux pièces produites par l'appelant et notamment les pièces N°27 et 47, et en l'absence d'argument crédible de la part de Monsieur [M] quant à la nature de la créance à l'origine de la saisie conservatoire, dont il ne conteste pas le montant, la cour estime que cette créance apparaît fondée en son principe au sens de l'article précité.

Sur les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance

Il est constant qu'il appartient au créancier saisissant qui a sollicité le juge de l'exécution pour pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, de rapporter la preuve de circonstances mettant en péril le recouvrement de sa créance.

En l'espèce, il est justifié de ce que au moins deux sociétés dont Monsieur [M] était le gérant ont été placées en liquidation judiciaire (Cf. Pièces N°3,37).

Celui-ci ne produit aucune pièce de nature à établir sa capacité à honorer sa dette en cas de condamnation au fond, alors que Monsieur [X] verse aux débats une simulation du calcul de la retraite de l'intimé (Cf. Pièce N°34) faisant apparaître un montant annuel de retraite de 10.790,70 €, que sa famille est surendettée, puisque son épouse a été condamnée comme caution d'un prêt souscrit par la SARL Vallée Saint Pierre au paiement d'une somme de 66.0000,0 €.

En outre, une plainte pénale a été déposée par la SAS Haras des Adelis contre Monsieur [M] pour abus de confiance et vol aggravé (Cf. Pièce N°25).

Ces éléments sont suffisants pour caractériser la menace sur le recouvrement de la créance à l'origine de la saisie conservatoire.

Les conditions de l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution étant réunies, la saisie conservatoire pratiquée le 4 août 2021 sur les meubles de Monsieur [M] est justifiée.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a ordonné sa mainlevée.

Sur la demande de dommages-intérêts de Monsieur [M]

Monsieur [M] ayant été débouté de sa demande de mainlevée de la saisie conservatoire litigieuse, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur [X] au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner Monsieur [M] à lui payer une somme de 4.000,00 € sur ce fondement et de débouter ce dernier de sa demande à ce titre.

Succombant, Monsieur [M] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [X] aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lisieux du 3 février 2022 sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [R] [M] de sa demande de dommages-intérêts,

LE CONFIRME de ce chef,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE Monsieur [R] [M] de sa demande de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur ses meubles, le 4 août 2021,

CONDAMNE Monsieur [R] [M] à payer à Monsieur [R] [X] une somme de 4.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Monsieur [R] [M] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [R] [M] aux dépens de première instance et d'appel.