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Décisions

CA Aix-en-Provence, 3e ch., 31 janvier 2019, n° 18/09739

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Seven Seas Yachting LTD (Sté)

Défendeur :

Infinite Yachts (SARL), ESLC Services (SAS), V610 AG (Sté), Evolution Yachts (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

T. com. Toulon, du 30 mai 2018, n° 2018R…

30 mai 2018

EXPOSE DE L'AFFAIRE

La société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED, immatriculée à Malte, est propriétaire depuis le 16 mars 2017 d'un yacht dénommé le motoryacht CELCASCOR (ci-après le « M/Y Celcascor » ou le « Yacht ») lequel bat pavillon des Iles Caïmans. Ce Yacht est depuis 2006 la propriété d'un ressortissant norvégien, Monsieur Conrad C., qui est le bénéficiaire effectif de la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED et était déjà le bénéficiaire effectif de la société COMPASS ROSE MARINE LIMITED, laquelle a vendu le Yacht à SEVEN SEAS YACHTING LIMITED en 2017.

Pour les besoins de son exploitation, SEVEN SEAS YACHTING LIMITED a conclu avec la société INFINITE YACHTS un contrat de gestion du Yacht à compter du 1er avril 2017, INFINITE YACHTS ayant précédemment déjà été chargée de la gestion du Yacht par COMPASS ROSE MARINE LIMITED depuis 2013.

La société INFINITE YACHTS soutient que la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED ne lui a pas payé différentes factures qu'elle a émises concernant à la fois sa rémunération mensuelle et diverses avances de fonds pour une somme de 58.878,60 euros outre celle de 57.000 euros au titre des honoraires de gestion.

Elle ajoute que la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED est débitrice envers elle de la somme de 93.333,18 euros qui correspond à diverses factures concernant des prestations de service qu'elle a engagées en son nom et pour son bénéfice.

La société ESLC SERVICES qui a pour activité, entre autres, la fourniture de carburant aux navires et yachts et qui a fourni les 26 juin et 24 juillet 2017 respectivement 15.000 et 4.000 litres de gasoil au M/Y Celcascor pour un montant total de 23.451,60 euros n'a pas été payée de ce montant.

La société de droit espagnol EVOLUTION YACHTS spécialisée dans les services d'avitaillement de yachts et de bateaux privés à Palma de Majorque a demandé à la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED paiement de la somme de 12.669,41 euros.

La société de droit suisse V610 a pour activité la réparation de moteurs, propulseurs et autres équipements électriques à bord des navires et yachts qui en août 2017 a été chargée, avec l'aval de l'assureur du Yacht et de l'armateur, de la réparation des propulseurs du Yacht indique être créancière d'une somme de 21.022 euros.

Monsieur Darryl B. recruté en qualité de second du Yacht à compter du 4 juin 2013 par la société maltaise MAGELLAN MANAGEMENT & CONSULTING LTD, fait état d'une créance salariale d'un montant de 16.023.97 euros outre la somme de 16.506.14 euros qui correspond à des avances qu'il a consenties.

La société INFINITE YACHTS, la société ESLC SERVICES, la société EVOLUTION YACHTS S.L, la société V610 et Monsieur Darryl B. soutenant que les créances précitées n'ont pas été payées, elles ont déposé auprès du président du tribunal de commerce de Toulon une requête en saisie conservatoire du navire le yacht CELCASCOR, appartenant à la société de droit maltais SEVEN SEAS YACHTING LTD.

Par ordonnance du 17 avril 2018, le Président du Tribunal de commerce de Toulon, a :

- autorisé les requérantes à saisir, à titre conservatoire, le yacht M/Y Celcascor, à faire opposition à sa sortie du port de Saint Mandrier sur Mer ou tout autre port où il se trouvera ou à saisir en tel lieu qu'il se trouvera dans le ressort du Tribunal de Grande Instance de Toulon, sauf en pareil cas à l'armateur saisi de consigner à un compte spécial la somme provisoirement arrêtée en principal, frais et intérêts à 307.601,98 euros ;

-dit que l'huissier sera autorisé à saisir le yacht par tous moyens de droit, notamment immobilisation ou remise du titre de propriété ou de tout autre document administratif utile.

Par acte du 14 mai 2018, la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED a fait assigner la société INFINITE YACHTS, la société ESLC SERVICES, la société de droit espagnol EVOLUTION YACHTS S.L la société de droit suisse V610 et Monsieur Darryl B. en rétractation de l'ordonnance du 17 avril 2018.

Suivant ordonnance du 30 mai 2018, le juge des référés a :

- Ramené la demande de consignation sur un compte spécial à la somme de 275.071,87 euros;

- Débouté SEVEN SEAS YACHTING LIMITED de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 17 avril 2018 ;

- Rejeté toutes les autres demandes de SEVEN SEAS YACHTING LIMITED.

La société SEVEN SEAS YACHTING LTD a relevé appel de cette décision et expose :

-qu'il n'existe aucune disposition du code de procédure civile qui autorise des prétendus créanciers à regrouper leurs supposées créances pour créer une solidarité fictive entre eux car la collectivité des prétendus créanciers n'a pas la personnalité morale,

-que la saisie est caduque puisqu'il n'est pas justifié de la saisine d'une juridiction au fond,

-que la requête de Monsieur Darryl B. n'a été reçu par le conseil des prud'hommes que le 22 mai 2018, soit après le délai de rigueur,

-que les pièces en langue maltaise non traduites ne permettent pas à V610 AG et Evolutions Yachts de justifier de l'accomplissement de la formalité de l'article R511-7,

Subsidiairement ,

-qu'il convient de cantonner la saisie qui est excessive en son montant,

-que la société INFINITE YACHTS n'a pas d'intérêt ni de qualité pour agir pour compte de tiers à hauteur de 93.333,18 euros,

-qu'il y a absence de caractère maritime des factures d'INFINITE YACHTS,

-que des honoraires de management (96.000 euros) qui ne constituent pas une créance maritime au sens de la convention de 1952,

-que la société INFINITE YACHTS ne peut prétendre à une créance au titre de pénalités de retard,

-que des prétendues avances au navire (19.878,60 euros) qui n'ont pas de caractère maritime et qui n'ont en réalité pas été consenties au navire,

-que Anthony B. a endommagé le navire,

-que la créance invoquée au titre de l'article 700 n'a pas un caractère maritime.

La société SEVEN SEAS YACHTING LTD demande de :

- Rétracter l'ordonnance du 17 avril 2018 ;

- Déclarer nulle et de nul effet la saisie pratiquée le 18 avril 2018

- Ordonner qu'il en soit donné mainlevée

- Dans l'hypothèse où SEVEN SEAS YACHTING LTD procédé par consignation afin d'obtenir mainlevée, ordonner la restitution des sommes consignées ;

- Condamner tout succombant à lui payer 5000 euros au titre de l'article 700 CPC,

A titre subsidiaire,

Vu l'article R511-7 du code des procédures civiles d'exécution ;

- Déclarer la saisie caduque ;

- Ordonner la mainlevée

vu les articles 31 et 32 du code de procédure civile,

vu l'article de de la convention de Bruxelles de 1952,

- Réduire à 41.437,86 euros le montant pour lequel la saisie du navire CELCASCOR est autorisée,

- Dire que ce montant devra être imputé de la manière suivante :

A hauteur de 23 770,42 euros pour sureté de la créance de EGP,

A hauteur de 12669,41 euros pour sureté de la créance de EVOLUTION YACHT,

A hauteur de 21022,00 euros pour sureté de la créance de V610 AG,

- Dans l'hypothèse où SEVEN SEAS YACHTING LTD procédé par consignation afin d'obtenir mainlevée, ordonner la restitution des sommes consignées au delà de 41.437,8 6euros,

- Condamner tout succombant à payer 5000 euros à SEVEN SEAS YACHTING LIMITED au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société INFINITE YACHTS, la société ESLC SERVICES, la société V610 et Monsieur Darryl B. rétorquent :

-que la saisie est valable,

-que la demande de caducité de la saisie doit être rejetée,

-que l'article R511-7 du Code des procédures civiles d'exécution ne requiert nullement l'enrôlement d'une affaire mais simplement l'introduction d'une procédure et que la requête de Monsieur Darryl B. a respecté les délais en saisissant le Conseil de Prud'hommes de Grasse par lettre recommandée avec accusé de réception le 18 mai 2018,

-que les assignations de V610 AG et EVOLUTION YACHTS à Malte à l'encontre de SEVEN SEAS YACHTING LIMITED datées des 17 et 18 mai 2018 ont été valablement introduites,

-que les créances dont elles font état sont justifiées.

Les intimés demandent de :

' Déclarer mal-fondé l'appel interjeté par la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED ;

' Dire et juger bien fondée l'ordonnance de saisie en date du 17 avril 2018 ;

' Rejeter toutes les demandes de la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED ;

' Condamner la société SEVEN SEAS YACHTING LIMITED au paiement des entiers dépens, outre la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties à leurs écritures précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de la saisie

Selon l'article R5114-18 du code des transports :

Par dérogation aux dispositions de l'article R. 522-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'acte de saisie contient, à peine de nullité :

1° La mention de l' autorisation du juge en vertu de laquelle la saisie est pratiquée ; ce document est annexé à l'acte ;

2° Les nom, prénom et domicile du créancier pour qui est engagée l'action ;

3° La somme en principal, intérêts et frais dont le paiement est poursuivi ;

4° L'élection de domicile, le cas échéant, faite par le créancier dans le lieu où siège le juge de l'exécution compétent ;

5° Les nom, type, jauge, port d'attache et nationalité du bâtiment ;

6° La mention que le navire ne peut plus quitter le port et la reproduction de l'article L. 5114-21 ;

7° L'indication que le débiteur peut contester la saisie et ses conditions d'exécution devant le juge qui l'a ordonnée.

Il n'est pas contesté que la requête en saisie conservatoire effectuée au nom de tous les saisissants contenait une ventilation de leurs créances. Le juge en faisant droit à cette demande a nécessairement validé cette ventilation.

Aucune disposition n'interdit à plusieurs personnes se prétendant créancières d'agir dans une même requête pour demander la mise en œuvre d'une saisie conservatoire, leurs créances étant individualisées et détaillées sur les montants en principal, intérêts et frais.

Sur la caducité de la saisie

L'article L511-1 du code de procédure civile d'exécution prévoit que : « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l' autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ».

Les articles R511-1 et suivants du code précitée définissent les modalités de mise en œuvre de la mesure précisant dans l'article R 511-7 que le créancier doit dans le mois qui suit l'exécution de la mesure accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire.

L'article R512-1 dudit code précise que « Si les conditions prévues aux articles R. 511-1 à R. 511-8 ne sont pas réunies, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure à tout moment, les parties entendues ou appelées, même dans les cas où l'article L. 511-2 permet que cette mesure soit prise sans son autorisation ».

Il s'ensuit que la demande présentée par la société SEVEN SEAS YACHTING LTD qui sollicite la mainlevée de la mesure doit être examinée.

Il n'est pas contesté que la saisie conservatoire a été pratiquée le 18 avril 2018

Cette société reproche à Monsieur Darryl B. de ne pas avoir saisi le conseil des Prud'hommes dans le délai d'un mois.

Il est justifié que cet intimé a saisi la juridiction précitée le 18 mai 2018 par lettre recommandée avec accusé de réception et dès lors, par application des articles R1452-1 et suivants du Code du travail, cette saisine a été effectuée dans le délai instauré par l'article R 511-7 du code de procédure civile d'exécution.

Les sociétés V610 AG et Evolutions Yachts, qui produisent une copie non traduite d'actes de saisine des juridictions maltaises, accompagnée d'une lettre d'un avocat rédigée en français le certifiant établissent avoir respecté les dispositions précitées du code des procédures civiles d'exécution.

Les sociétés INFINITE YACHTS et ESLC SERVICES ont saisi le tribunal de commerce d'Antibes le 18 mai 2018, et donc dans le délai prescrit pour obtenir un titre exécutoire.

La demande de caducité de la saisie présentée par la société SEVEN SEAS YACHTING LTD est rejetée.

Sur la demande de cantonnement de la saisie.

Il n'appartient au juge auquel la mainlevée de la saisie est sollicitée de trancher le fond et donc de statuer sur le montant exact des sommes en vertu desquelles la saisie est demandée, mais d'examiner si les créances invoquées sont fondées en leur principe et s'il existe des circonstances susceptibles d'en menacer leur recouvrement.

La société INFINITE YACHTS, chargée de toute la gestion administrative, technique et opérationnelle du M/Y Celcascor afin d'en faciliter l'utilisation par son propriétaire et de permettre son affrètement commercial, établit que pour le compte de la société SEVEN SEAS YACHTING LTD elle a effectué de nombreux paiements relatifs à l'équipage du yacht, à sa réparation, et ses approvisionnements et procédé au règlement des primes d'assurances.

La société INFINITE YACHTS démontre donc avoir une créance fondée en son principe pour les montants suivants : 93.333,18 euros, 57.000 euros, 58.878,60 euros.

La société SEVEN SEAS YACHTING LTD ne conteste pas les créances suivantes :

EGP pour 23 770,42 euros,

EVOLUTION YACHT pour 12669,41 euros,

V610 AG pour 21022,00 euros.

Monsieur Darryl B. remet aux débats un état de sa créance salariale et des dépenses qu'il a effectuées pour le compte de la société appelante et justifie d'une créance fondée dans son principe.

La société SEVEN SEAS YACHTING LTD demandant de réduire à 41.437,86 euros le montant pour lequel la saisie du navire CELCASCOR est autorisée reconnaît par la même qu'il existe des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement des créances alléguées.

En conséquence, la décision attaquée doit être confirmée.

Il convient de condamner la société SEVEN SEAS YACHTING LTD à payer à la société INFINITE YACHTS,à la société ESLC SERVICES, à la société EVOLUTION YACHT et à la société V610 une somme globale de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette les demandes de nullité de saisie et de caducité de saisie présentées par la société SEVEN SEAS YACHTING LTD,

Confirme l'ordonnance attaquée,

Y ajoutant,

Condamne la société SEVEN SEAS YACHTING LTD à payer à la société INFINITE YACHTS, à la société ESLC SERVICES, à la société EVOLUTION YACHT et à la société V610 une somme globale de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,

Condamne la société SEVEN SEAS YACHTING LTD aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.