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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 1 juin 2023, n° 22/18814

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Transports Fasciale Frères (SAS)

Défendeur :

Renault Trucks (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

M. Rondeau, Mme Chopin

Avocats :

Me Baechlin, Me Duguine, Me Boccon Gibod, Me Lecat, Me Philippe

T. com. Lyon, prés., du 20 oct. 2022, n°…

20 octobre 2022

EXPOSE DU LITIGE

Le 19 juillet 2016, la Commission européenne a sanctionné cinq groupes de constructeurs de camions, dont la société Renault Trucks, pour pratique anticoncurrentielle.

Cette décision a fait l'objet le même jour d'un communiqué de presse de la Commission. Un résumé a été publié le 6 avril 2017 au journal officiel de l'Union européenne.

Alléguant subir un préjudice résultant des pratiques sanctionnées et dans le but d'exercer une action en réparation sur le fond, par acte du 20 juin 2022 la société Transports Fasciale Frères a assigné la société Renault Trucks devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon aux fins de voir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et des articles L. 483-1 et suivants et R. 483-1 et suivants du code de commerce :

Ordonner la communication par la société Renault Trucks à la société Transports Fasciale Frères, dans un délai de trois jours ouvrés à compter du prononcé de l'ordonnance, et passé ce délai sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, les pièces suivantes :

La communication de griefs adressée par la Communication européenne en 20 novembre 2014,

La liste des pièces au soutien de la Communication de griefs de la Commission européenne,

Les versions confidentielles des pièces visées dans la décision du Cartel des camions n° AT.39824 de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de pages suivants : 10 ; 11 ; 17 ; 18 ; 19 ; 20 ; 21 ; 22 ; 23 ; 24 ; 25 ; 26 ; 27 ; 28 ; 29 ; 30 ; 31 ; 32 ; 33 ; 34 ; 35 ; 36 ; 37 ; 38 ; 39 ; 40 ; 41 ; 42 ; 43 ; 44 et 45,

Se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte au sens de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution sur minute,

Condamner la société Renault Trucks à payer à la société Transports Fasciale Frères la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Renault Trucks aux entiers dépens.

En défense, la société Renault Trucks a soulevé la prescription de l'action.

Par ordonnance contradictoire du 20 octobre 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon a :

- constaté que l'intégralité des demandes formées par la société Transports Fasciale Frères est prescrite ;

En conséquence,

- jugé que les demandes formées par la société Transports Fasciale Frères sont irrecevables ;

- condamné la société Transports Fasciale Frères à payer à la société Renault Trucks la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Transports Fasciale Frères aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 04 novembre 2022, la société Transports Fasciale Frères a interjeté appel de cette décision, suivant la procédure à jour fixe.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 mars 2023, la société Transports Fasciale Frères demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

- ordonner la communication par la société Renault Trucks à celle-ci, dans un délai de trois jours ouvrés à compter du prononcé du présent arrêt, et passé ce délai sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, les pièces suivantes :

La communication des griefs que la Commission européenne a adressé à la société Renault Trucks et la liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs de la Commission européenne,

Les versions confidentielles des pièces visées dans la décision du Cartel des camions n° AT.39824 de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants : 10 ; 11 ; 18 ; 19 ; 20 ; 21 ; 22 ; 24 ; 25 ; 26 ; 27 ; 28 ; 29 ; 30 ; 31 ; 32 ; 33 ; 34 ; 35 ; 36 ; 37 ; 38 ; 39 ; 40 ; 41 ; 42 ; 43 ; 44 et 45,

Et dans un délai de deux mois ouvrés à compter du prononcé du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, les pièces suivantes :

Les prix de vente moyens réalisés sur les ventes de poids lourds par la société Renault Trucks en France, ainsi que dans chacun des pays de l'Union européenne, pour chacun des modèles des trente-deux tracteurs/porteurs/camions acquis et cités par la société Transports Fasciale dans leur conclusion pour chacune des années sur la période de l'entente soit de 1997 à 2011, pour autant que des ventes de ces modèles aient eu lieu dans chacun des pays considérés ;

Les prix de vente moyens réalisés sur les ventes de poids lourds par la société Renault Trucks en France, ainsi que dans chacun des années sur la période avant l'entente soit de 1990 à 1996, pour autant que ventes de ces modèles aient eu lieu dans chacun des pays considérés,

Le cas échéant, si la cour venait à considérer que certains éléments demandés peuvent être couverts par l'exception prévue à l'article L. 483-5 du code de commerce,

- solliciter l'avis de la Commission européenne concernant les pièces qui pourraient contenir des informations couvertes par l'article L. 483-5 du code commerce ;

- enjoindre la société Renault Trucks de communiquer ces pièces selon les mesures de protection appropriés à l'article L. 483-7 du code de commerce ;

Le cas échéant, si la cour d'appel venait à considérer que certains éléments demandés peuvent être couverts par l'exception prévue à l'article L. 151-1 du code de commerce,

- se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte au sens de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution sur minute ;

- débouter la société Renault Trucks de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Renault Trucks à lui payer une somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 20.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

- condamner la société Renault Trucks aux dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 janvier 2023, la société Renault Trucks demande à la cour de :

A titre principal,

- constater que l'intégralité des demandes formées par la société Transports Fasciale Frères sont prescrites et des déclarer irrecevables ;

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à considérer que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 6 avril 2017,

- constater que les demandes formées par la société Transports Fasciale Frères aux termes de ses écritures du 11 août 2022 et relatives aux prix de vente moyens sont prescrites ;

En conséquence,

- déclarer ces demandes irrecevables ;

Et sur les autres demandes ;

- constater que les autres demandes de la société Transports Fasciale Frères ne reposent sur aucun motif légitime, en ce qu'elles sont inutiles et disproportionnées ;

- en particulier, constater que la demande de production forcée de documents formée par la société Transports Fasciale Frères inclut des déclarations de clémence et de transaction strictement protégées (que la société Renault Trucks n'a pas en possession) et dont la communication est interdite ainsi que des éléments confidentiels et protégés dont la communication porterait une atteinte disproportionnée au secret des affaires, aux règles de protection des données personnelles et à l'objectif de préservation de l'efficacité du droit de la concurrence ;

En conséquence,

- débouter la société Transports Fasciale Frères de ses autres demandes ;

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour ne jugeait aucune des demandes adverses prescrites,

- constater que les demandes de la société Transports Fasciale Frères ne reposent sur aucun motif légitime, en ce qu'elles sont inutiles et disproportionnées ;

- en particulier, constater que la demande de production forcée de documents formée par la société Transports Fasciale Frères inclut des déclarations de clémence et de transaction strictement protégées (que la société Renault Trucks n'a pas toujours en sa possession) et dont la communication est interdite ainsi que des éléments confidentiels et protégés dont la communication porterait une atteinte disproportionnée au secret des affaires, aux règles de protection des données personnelles et à l'objectif de préservation de l'efficacité du droit de la concurrence ;

En conséquence,

- débouter la société Transports Fasciale Frères de l'intégralité de ses demandes ;

A titre encore plus subsidiaire, si par impossible la cour envisageait de ne pas purement et simplement rejeter la demande adverse de production forcée des documents,

- juger qu'elle prendra connaissance seule des documents litigieux avant toute décision de production forcée de ces documents, hors la présence de la société Transports Fasciale Frères ;

- à cette fin, fixer un calendrier afin qu'elle communique à la cour :

Les documents protégés au titre de la clémence par l'article L. 483-5 du code de commerce,

Pour les documents contenant des secrets des affaires, une version intégrale des documents litigieux ; une version non confidentielle ou un résumé des documents litigieux ; et un mémoire précisant les motifs qui leur confèrent le caractère d'un secret des affaires,

En conséquence et in fine après un examen préalable des documents par ses soins et après avoir recueilli les observations et entendu la société Renault Truck ainsi que les autres constructeurs concernés par les documents demandés,

- débouter la société Transports Fasciale Frères de l'intégralité de ses demandes ;

- ou - à tout le moins - ordonner la production des documents en version expurgée de tous les éléments protégés au titre de la clémence par l'article L. 483-5 du code de commerce et de tous les éléments portant atteinte à un secret des affaires conformément à l'article R. 153-7 du code de commerce ;

Et, en tout état de cause,

- déclarer irrecevables, car nouvelles au stade de l'appel, les demandes de production forcée des versions confidentielles des pièces visées aux notes de bas de page 17 et 23 de la décision Trucks ;

- rejeter les demandes d'astreinte et les demandes subséquentes ;

- condamner la société Transport Fasciale Frères à lui payer 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, MOTIFS

Sur la prescription de l'action,

Selon l'article 2224 du code civil, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Selon l'article L. 481-1 du code de commerce, « Toute personne physique ou morale formant une entreprise ou un organisme mentionné à l'article L. 464-2 est responsable du dommage qu'elle a causé du fait de la commission d'une pratique anticoncurrentielle définie aux articles L .420-1, L. 420-2, L. 420-2-1, L. 420-2-2 et L. 420-5 ainsi qu'aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »

L'article L. 482-1 précise que « l'action en dommages et intérêts fondée sur l'article L. 481-1 se prescrit à l'expiration d'un délai de cinq ans. Ce délai commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative :

1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'article L.481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ;

2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ;

3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique.

[...] »

En l'espèce, les parties s'opposent sur le point de départ du délai de prescription quinquennal de l'action formée par la société Transports Fasciale Frères à l'encontre de la société Renault Trucks :

- le 19 juillet 2016, date de la décision de la Commission européenne et du communiqué de presse de ladite Commission ;

- ou le 6 avril 2017, date de publication d'un résumé de la décision au journal officiel de l'Union européenne,

L’action, introduite le 4 avril 2022, étant prescrite dans le premier cas, recevable dans le second cas.

Le communiqué de presse du 19 juillet 2016, rédigé sur deux pages et demi et en langue française, contient notamment les informations suivantes :

- en titre : "Pratiques anticoncurrentielles : la Commission inflige une amende de 2,93 milliards d'euros à des constructeurs de camions pour avoir participé à une entente" ;

- "La décision adoptée aujourd'hui porte spécifiquement sur le marché de la production de camions de poids moyen (de 6 à16 tonnes) et lourd (plus de 16 tonnes)" ;

- L'enquête a révélé que MAN, Volvo/Renault, Daimler, Iveco et DAF avaient pris part à une entente ayant pour objet :

- la coordination des prix au niveau des « barèmes de prix brut pour les camions de poids moyen et lourd dans l'Espace économique européen (EEE). Les prix bruts figurant dans les barèmes correspondant aux prix départ usine des camions, fixé par chaque fabricant. En général, ces barèmes de prix bruts constituent la base de la fixation des prix dans le secteur des camions. Le prix final payé par les acheteurs est ensuite fondé sur d'autres ajustements de ces barèmes de prix bruts, effectués aux niveaux national et local ;

- le calendrier relatif à l'introduction des technologies d'émission pour la mise en conformité des camions de poids moyen et lourd avec les normes européennes de plus en plus strictes en matière d'émission (...) ;

- la répercussion sur les clients des coûts des technologies d'émission nécessaires pour se conformer aux normes européennes de plus en plus strictes en matière d'émission (...) » ;

- « L'infraction concernait l'ensemble de l'EEE et a duré 14 ans, de 1997 à 2011, date à laquelle la Commission a effectué des inspections inopinées dans les entreprises. [...] » ;

- une information est donnée sur le montant des amendes prononcées à l'encontre de chacun des six groupes de constructeurs visés ;

- il est précisé que de plus amples informations sont disponibles sur le site Concurrence de la Commission, dans le registre public des affaires de la concurrence, sous le numéro 39824, le lien hypertexte attaché à ce numéro renvoyant, notamment, à la liste des sociétés sanctionnées précisément identifiées ;

- une information est donnée relativement à l'action en dommages et intérêts pouvant être exercée par les personnes ou entreprises lésées, qui indique notamment que « Toute personne ou entreprise lésée par des pratiques anticoncurrentielles telles que celles décrites en l'espèce, peut saisir les juridictions des Etats membres pour réclamer des dommages et intérêts », avec un rappel de la jurisprudence et de la directive applicable en matière d'actions en dommages et intérêts.

Il apparaît ainsi que le communiqué de presse de la Commission européenne permet à ses lecteurs de déterminer :

- les actes ou faits constituant une pratique anticoncurrentielle (qui sont décrits dans le communiqué),

- les personnes morales auxquelles ils sont imputés, soit cinq groupes de constructeurs de camions dont l'identité est bien précisée (par la mention de leur nom commercial et par l'identification précise de toutes les sociétés concernées via le lien hypertexte contenu dans le texte),

- la période de l'infraction (de 1997 à 2011),

- les biens sur lesquels elle porte (des camions de poids moyen de 6 à16 tonnes et de poids lourd de plus de 16 tonnes),

- son champ géographique (tout l'espace européen),

Une information étant en outre apportée sur la possibilité d'exercer une action indemnitaire.

Si le résumé de la décision publié le 6 avril 2017 contient le détail de l'identité des sociétés concernées par l'entente, il convient de rappeler que le communiqué permettait déjà d'accéder à l'identité précise de ces sociétés par un lien hypertexte.

Le résumé de l'infraction n'est pas plus riche que celui du communiqué, si ce n'est qu'il précise davantage la durée de l'infraction (du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011), ainsi que les produits sur lesquels elle porte : les pratiques concernent les camions pesant entre 6 et 7 tonnes (utilitaires moyens) ou pesant plus de 16 tonnes (poids lourds), qu'il s'agisse de porteurs ou de tracteurs ; « l'affaire ne porte pas sur les services après vente, les autres services et garanties commerciales concernant les camions, ainsi que la vente de camions d'occasion ou tout autre bien ou service ». (Souligné par la cour).

Il convient toutefois d'observer que l'indication des produits dans le communiqué de presse, à savoir les camions poids lourd et poids moyen de 6 à 16 tonnes et de plus de 16 tonnes était déjà suffisamment précise pour permettre à la partie lésée de vérifier si elle était ou non concernée par l'entente en tant qu'acquéreur de camions de ce type, la précision « qu'il s'agisse de porteurs ou de tracteurs » ne venant pas restreindre, au contraire, le type de camions concernés, l'exclusion des services se déduisant en outre implicitement de l'indication, dans le communiqué de presse, que le marché concerné par l'entente est celui de la production de camions de 6 à 16 tonnes et de plus de 16 tonnes.

Il convient en outre de relever que contrairement au communiqué de presse, le résumé de la décision publié ne contient pas d'information relative à l'exercice d'actions indemnitaires par les personnes ou entreprises lésées.

La société Transport Fasciale Frères disposait ainsi par le communiqué de presse de la Commission européenne, lequel était rédigé en français et a fait l'objet d'une large et immédiate diffusion par des média français (Le Monde, France info, l'Usine nouvelle, le Figaro, Les échos), des informations indispensables pour introduire son action indemnitaire, ce communiqué lui permettant de prendre connaissance de l'identité des auteurs de l'infraction, de l'objet et de la période de cette infraction, étant ainsi mise en mesure de vérifier si elle avait subi un préjudice en conséquence de l'entente sanctionnée pour avoir acquis des camions poids lourds ou poids moyen sur la période considérée, étant en outre observé que l'action qui est ici introduite par la société Transport Fasciale Frères n'est qu'une action préparatoire à une action indemnitaire au fond, consistant à solliciter une mesure d'instruction in futurum, laquelle exige une connaissance moins précise des faits comme le souligne à raison l'intimée.

Or, les informations données par le communiqué de presse du 19 juillet 2016 quant à l'identité des auteurs de l'infraction, l'objet de cette infraction et son champ géographique et temporel étaient à l'évidence suffisantes pour introduire une action en communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Si, comme le fait valoir la société appelante, dans un arrêt du 22 juin 2022 la CJUE a considéré, s'agissant de la même entente mais d'une société victime espagnole, que le délai de prescription devait courir à compter de la date de la publication du résumé de la décision et non de la date du communiqué de presse, la Cour a procédé à une appréciation in concreto en énonçant notamment: 'S'il n'est pas exclu que la personne lésée puisse prendre connaissance des éléments indispensables bien avant la publication au JO de l'UE du résumé d'une décision de la Commission, voire avant la publication du communiqué de presse concernant cette décision, même dans une affaire d'entente, il ne ressort pas du dossier dont dispose la cour que tel est le cas en l'occurrence. Or, la solution adoptée dans cette espèce n'est pas transposable à la présente comme l'a justement indiqué le premier juge, étant notamment observé que dans l'autre espèce, le communiqué de presse n'avait pas été émis en langue espagnole et que le délai de prescription issu de la législation nationale, applicable à la cause, était limité à un an, s'agissant par ailleurs d'une action indemnitaire au fond.

La société appelante soutient aussi qu'en retenant la date du communiqué de presse comme point de départ du délai de prescription, il serait jugé différemment pour les décisions de la Commission européenne que pour les décisions de l'Autorité de la concurrence, cela contrairement au principe d'équivalence posé par le droit européen, faisant valoir qu'en droit français la jurisprudence considère que le point de départ de l'action en dommages et intérêts du fait de pratiques anticoncurrentielle sanctionnées par l'Autorité de la concurrence débute à compter de la publication de la décision de l'Autorité de la concurrence, se prévalant d'un arrêt rendu le 27 janvier 2021 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 18-16.279).

Mais il est inexact de soutenir que dans cette espèce, la Cour de cassation a retenu la date de la publication de la décision de l'Autorité de la concurrence plutôt que celle du communiqué de presse, alors que la question ne se posait pas ainsi, s'agissant de déterminer si la partie lésée n'avait pas eu connaissance des faits de l'entente lui permettant d'agir en dommages et intérêts avant que l'Autorité de la concurrence n'ait rendu sa décision.

Le moyen tiré du non-respect du principe d'équivalence est donc inopérant.

Il résulte des développements qui précèdent qu'en l'espèce, le point de départ du délai de prescription à retenir est celui de la date du communiqué de presse, le 19 juillet 2016. L'action de la société Transport Fasciale Frères ayant été engagée plus de cinq ans après cette date, elle est prescrite et en conséquence irrecevable. L'ordonnance entreprise sera confirmée.

Partie perdante, la société Transport Fasciale Frères sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et condamnée à payer à la société Renault Trucks, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 8000 euros pour chacune des deux instances, l'ordonnance entreprise étant infirmée sur ce dernier point.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a condamné la société Transport Fasciale Frères à la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Transport Fasciale Frères à payer à la société Renault Trucks la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

Condamne la société Transport Fasciale Frères aux dépens de l'instance d'appel,

La condamne à payer à la société Renault Trucks la somme de 8.000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire des parties.