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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 mai 2023, n° 20/13729

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Agence de Vente AVD (SARL)

Défendeur :

Reilhe Martin (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Pimor, Me Regnier, Me Raskin, Me Aubague

T. com. Paris, du 27 juill. 2020, n° 201…

27 juillet 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

A la fin du deuxième semestre de l'année 2015, la société Agence De Vente AVD (ci-après la société AVD) est entrée en relation commerciale avec la société Reilhe Martin pour la commercialisation de différentes gammes de volailles, gibiers et viandes de prestige pour la clientèle de grandes et moyennes surfaces et certains magasins spécialisés.

Aucun contrat n'a été signé entre les parties.

La société Reilhe Martin a mis un terme à leur collaboration par mail du 1er décembre 2017 en accordant à la société AVD un préavis de trois mois.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 1er juin 2018, la société AVD a demandé à la société Reilhe Martin le paiement de la somme de 6.397 euros à titre d'indemnité de rupture, correspondant à deux ans de commissions, conformément aux dispositions du code de commerce.

Cette demande étant demeurée vaine, la société AVD a, par acte du 25 février 2019, assigné la société Reilhe Martin devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme de 6.397 euros outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 1er juin 2018.

Le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 27 juillet 2020, a :

- Débouté la société AVD de l'ensemble de ses demandes ;

- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires et en a débouté respectivement les parties ;

- Condamné la société AVD à payer à la société Reilhe Martin la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la société AVD aux dépens.

Par déclaration du 29 septembre 2020, la société AVD a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- Débouté la société AVD de l'ensemble de ses demandes ;

- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires et en a débouté respectivement les parties ;

- Condamné la société AVD à payer à la société Reilhe Martin la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la société AVD aux dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 17 octobre 2022, la société AVD demande à la cour de :

Réformer en tout point le jugement entrepris ;

Vu l'article L. 134-1 du code de commerce, dire et juger que la société AVD avait la qualité juridique d'agent commercial de la société Reilhe Martin ;

Vu l'article L. 134-12 du code de commerce, condamner la société Reilhe Martin à régler à la société AVD la somme de 6.397 euros outre intérêts de droit à compter du 1er juin 2018 ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamner la société Reilhe Martin à régler à la société AVD la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens ;

Condamner la société Reilhe Martin aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELEURL Jean-Pimor.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 7 novembre 2022, la société Reilhe Martin demande à la cour de :

Vu l'article 9 du code de procédure civile, les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société AVD de sa demande d'indemnisation formulée sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce.

Confirmer le jugement de première instance dans toutes ses autres dispositions.

Débouter la société AVD de l'intégralité de ses moyens, prétentions et conclusions.

Condamner la société AVD à régler à la société Reilhe Martin la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des condamnations mises à la charge de cette dernière en première instance.

Condamner la société AVD aux entiers dépens de la première instance et d'appel.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 10 novembre 2022.

MOTIFS

Sur la qualité d'agent commercial de la société AVD.

La société AVD revendique le statut d'agent commercial de la société Reilhe Martin. Elle affirme avoir eu le mandat de commercialiser en son nom et pour son compte ses différentes gammes de volailles, gibiers et viande pour la clientèle de la grande et moyenne surface ainsi que de certains magasins spécialisés sur le territoire composé des départements 75, 77,78, 91, 92, 93, 94, 95 et 60. Elle estime avoir agi pour le compte de son mandant en vue de rechercher et fidéliser la clientèle par ses visites, ses relations et la gestion des commandes des clients. Elle ajoute qu'elle percevait une commission de 3 % sur le chiffre d'affaires réalisé par la société Reilhe Martin grâce à son intervention.

La société Reilhe Martin dénie l'existence d'un contrat d'agence commerciale. Elle fait valoir que la société AVD, à laquelle incombe la charge de la preuve de l'existence d'un tel contrat, ne l'établit pas. Elle relève notamment que la société AVD ne justifie pas de son inscription au registre des agents commerciaux et que l'extrait Kbis qu'elle produit ne fait pas mention de l'activité d'agent commercial. Elle ajoute que la société AVD ne détenait aucun pouvoir de négocier et de conclure des contrats en son nom et pour son compte. Elle affirme dans ces conditions que la société AVD n'était qu'un simple courtier dont le rôle consistait à la mettre en relation avec des clients sans pour autant conclure ni négocier de contrats en son nom et pour son compte.

Selon L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Ces dispositions résultent de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants ayant transposé en droit français la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants.

L'article premier de cette directive dispose que « l'agent commercial est celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée "commettant", soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant. »

Cette disposition énonce ainsi trois conditions nécessaires et suffisantes pour qu'une personne puisse être qualifiée d'agent commercial. Premièrement, cette personne doit posséder la qualité d'intermédiaire indépendant. Deuxièmement, elle doit être liée contractuellement de façon permanente au commettant. Troisièmement, elle doit exercer une activité consistant soit à négocier la vente ou l'achat de marchandises pour le commettant, soit à négocier et à conclure ces opérations au nom et pour le compte de celui-ci.

Il sera rappelé que l'application du statut d'agent commercial dépend des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

En l'espèce, il est constant que la société AVD possède la qualité d'intermédiaire indépendant. En outre, il est établi qu'elle a entretenu des relations avec la société Reilhe Martin pendant deux années et demi.

Les parties s'opposent sur l'existence de la troisième condition : le pouvoir de conclure des contrats ou le pouvoir de négociation.

Il importe peu que l'agent commercial ne conclue pas lui-même les contrats qu'il est chargé de négocier. En outre, la mission de négociation ne s'entend pas exclusivement du pouvoir de modifier les prix des produits ou services mais consiste à faire en sorte que l'offre du mandant reçoive une acceptation du client, ce qui peut être caractérisé par le démarchage de la clientèle, l'orientation de son choix en fonction de ses besoins, sa fidélisation par des actions commerciales ou encore la valorisation du produit.

Les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants. L'accomplissement de ces tâches peut être assuré par l'agent commercial au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération commerciale pour le compte du commettant, même si l'agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix des marchandises vendues ou des services rendus, ce dont il résulte qu'il n'est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant pour être agent commercial.

En l'espèce, il ressort du courriel de la société Reilhe Martin annonçant à la société AVD la rupture de leur collaboration qu'elle avait chargé cette dernière de "promouvoir (ses) produits" et qu'elle mettait fin au contrat les liant en raison de l'absence de développement significatif des chiffres d'affaires des magasins pour lesquelles elle était censée mener cette action de promotion.

Il résulte en outre des courriels produits aux débats par la société AVD que sa mission consistait à démarcher des magasins sur un territoire déterminé, à s'entretenir avec les clients pour favoriser la conclusion de ventes au profit de la société Reilhe Martin et à prendre leurs commandes pour les transmettre à cette dernière. Il est établi, par les factures versées aux débats, qu'elle percevait en contrepartie une commission de 3 % sur les ventes conclues grâce à son intermédiaire.

Il apparaît ainsi que par ses actions la société AVD a fait réaliser à la société Reilhe Martin un chiffre d'affaires de 115.066 euros en 2016 et de 98.166 euros en 2017.

Ces actions ne peuvent être qualifiées de courtage lequel se borne à une simple mise en relation entre deux parties.

Dès lors, la société AVD disposait bien d'un pouvoir de négociation de ventes pour la société Reilhe Martin au sens des textes susvisés et le statut de l'agent commercial lui est applicable. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité de rupture.

La société AVD soutient que le préjudice qu'elle éprouve du fait de la cessation du mandat confié résulte de la perte du potentiel de commissions attaché à la part de marché développée et entretenue pour le compte du mandant. Elle revendique l'application de l'usage selon lequel l'indemnité de rupture doit correspondre à deux ans de commissions brutes.

La société Reilhe Martin affirme que la société AVD ne justifie d'aucun préjudice et qu'elle a bénéficié d'un préavis de trois mois lors de la résiliation du contrat.

L'article L. 134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'article L. 134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

L'indemnité de rupture est destinée à réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune. Dès lors, la simple cessation du contrat d'agent commercial ouvre droit à une indemnité de rupture, indemnité qui est indépendante de l'indemnité compensatrice de préavis dans l'hypothèse où un préavis suffisant n'aurait pas précédé la fin du contrat.

En l'espèce, à défaut pour la société Reilhe Martin de rapporter la preuve de l'existence d'un cas d'exclusion, il y a lieu de juger que le droit à indemnité de rupture de la société AVD est acquis.

Eu égard à la durée modérée du contrat, il y a lieu de fixer à 4.797 euros, correspondant à 18 mois de commissions, le montant de l'indemnité de rupture à laquelle la société Reilhe Martin sera condamnée. Malgré le caractère indemnitaire de cette somme, il convient de dire que les intérêts au taux légal sur cette somme courront à compter de la mise en demeure du 1er juin 2018 en application de l'article 1231-7 du code civil.

Le jugement entrepris sera infirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

La société Reilhe Martin succombe à l'instance. Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées. La société Reilhe Martin sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Les dépens d'appel pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. La société Reilhe Martin sera aussi condamnée à verser à la société AVD une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La demande qu'elle a présentée de ce chef sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

DIT que le contrat conclu entre la société Reilhe Martin et la société Agence de Vente AVD s'analyse en un contrat d'agence commerciale ;

CONDAMNE la société Reilhe Martin à payer à la société Agence de Vente AVD une somme de 4.797 euros à titre d'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2018 ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Reilhe Martin à payer à la société Agence de Vente AVD une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de la société Reilhe Martin sur ce fondement ;

CONDAMNE la société Reilhe Martin aux dépens de première instance et d'appel ;

DIT que les dépens d'appel pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.