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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 8 décembre 2021, n° 19/00186

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Extra Ball (SARL)

Défendeur :

Gan Assurances (SA), Morereau Audit (SAS), Bureau d'Audit d'Expertise et de Conseil (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

M. Balista, Mme Martin de la Moutte

T. com. Toulouse, du 13 déc. 2018, n° 20…

13 décembre 2018

Exposé des faits et procédure :

Monsieur Cyrille G. est un entrepreneur travaillant dans la publicité. Il a souhaité créer la société holding Extra Ball par apport de ses parts de la société Mep Conseil afin de diversifier ses activités.

II a fait appel à son expert-comptable la sarl Bureau d'Audit d'Expertise et de Conseil, (ci-après sarl BAEC), pour réaliser l'opération.

Le 4 juin 2013, un devis de 897€ TTC a été établi et accepté.

Une solution a été envisagée pour bénéficier d'un régime fiscal favorable.

La SA Gan garantissait la responsabilité civile professionnelle de la sarl BAEC.

Cyrille G. a fait appel à la SAS Morereau Audit en qualité de commissaire aux comptes pour réaliser l'opération.

Le 25 novembre 2013, Cyrille G. a informé l'administration fiscale de son option pour le report d'imposition sur les plus-values.

Le 12 mai 2015, l'Administration fiscale a informé Cyrille G. d'un redressement pour un montant de 258 838 euros.

Par acte du 22 novembre 2016, Cyrille G. et la sarl Extra Ball ont fait assigner la sarl BAEC devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins d'obtenir des dommages intérêts.

Par acte du 17 février 2017, la sarl BAEC a fait assigner la SA Gan aux fins de la voir garantir toute condamnation à son égard.

Par acte du 11 mai 2017, la SA Gan a appelé en cause la SAS Morereau Audit.

Par jugement du 13 décembre 2018, le tribunal de commerce de Toulouse a :

- condamné la SARL BAEC à payer à Cyrille G. la somme de 12 770,85€ avec intérêts au taux légal a compter du 22 novembre 2016 ;

- condamné la SA Gan à garantir la SARL BAEC de sa condamnation à l'encontre de M. G. sous réserve de l'application de la franchise prévue dans le contrat ;

- condamné la SAS Morereau Audit à payer à Cyrille G. la somme de 7 662,51€ avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2017 ;

- débouté Cyrille G. pour le surplus de sa demande ;

- débouté Cyrille G. et la SARL Extra Ball de leur demande de condamnation de la SARL BAEC pour l'abandon du projet Pepe R. ;

- débouté la SAS Morereau Audit en sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et d'image ;

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire du jugement ;

- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile (cpc) et débouté les parties de leurs demandes formées de ce chef ;

- condamné la SARL BAEC aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 11 janvier 2019, Cyrille G. et la sarl Extra ball ont relevé appel du jugement.

La clôture est intervenue le 20 septembre 2021.

Par conclusions du 7 octobre 2021, les partes appelantes ont sollicité le rabat de l'ordonnance de clôture pour dire leurs dernières conclusions recevables et permettre aux parties intimées d'y répondre

A l'audience avant l'ouverture des débats, les parties se sont entendues pour solliciter le rabat de la clôture au jour de l'audience.

La cour y a fait droit par mention au dossier.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions notifiées le 7 octobre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Cyrille G. et la sarl Extra ball demandant, au visa des articles 15, 16 et 803 du Code de procédure civile, 1103 et 1104 du Code civil, 1231-1 du Code civil, de :

A TITRE LIMINAIRE

- ORDONNER la révocation de l'ordonnance de la clôture prononcée le 13 septembre 2021 puis le 20 septembre 2021

- FIXER la clôture à la date de l'audience de plaidoirie fixée au 12 octobre 2021

A défaut,

- REJETER les conclusions et la nouvelle pièce notifiées par la société B.A.E.C en date du 9 septembre 2021, en ce qu'elles ne permettent pas le respect du principe du contradictoire

- REJETER les conclusions notifiées par la société GAN ASSURANCES en date du 10 septembre 2021, en ce qu'elles ne permettent pas le respect du principe du contradictoire

A TITRE PRINCIPAL

CONFIRMER le jugement de première instance en ce qu'il a reconnu la faute de la société B.A.E.C

REFORMER le jugement en date du 13 décembre 2018 rendu par le Tribunal de commerce de TOULOUSE en ce qu'il a retenu le concours de Monsieur Cyrille G. dans la réalisation de la faute

CONDAMNER la société B.A.E.C à réparer à Monsieur Cyrille G. les préjudices subis pour les montants suivants :

' 258 838 € en réparation du préjudice fiscal

' 1 962 € au titre des frais d'avocat exposé pour le contrôle fiscal

' 26 168,60 € au titre des intérêts d'emprunt

CONDAMNER la société B.A.E.C à réparer à la société EXTRA BALL le préjudice résultant de l'abandon du projet PEPE R. s'élevant à 79 545 €

CONDAMNER la société GAN ASSURANCES à relever garantie des condamnations de la société B.A.E.C

CONDAMNER la société B.A.E.C à verser à Monsieur Cyrille G. et à la société EXTRA BALL la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile

CONDAMNER la société B.A.E.C en tous les dépens.

Vu les conclusions notifiées le 9 septembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la sarl Bureau d'audit d'expertise et de conseil (BAEC) demandant, au visa de l'article 1231-4 du Code Civil, de :

- CONFIRMER le jugement déféré dans toutes ses dispositions

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- JUGER QUE la société BAEC devra être relevée et garantie de toutes les condamnations prononcées à son encontre, dont celles éventuellement prononcées au titre des dépens et des frais irrépétibles, par la SA GAN ASSURANCE

- CONDAMNER tous succombants aux dépens ainsi qu'à la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles.

Vu les conclusions notifiées le 10 septembre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SA GAN assurances demandant, au visa de l'article L 223-9 du Code de Commerce, de :

S'il devait être dit et jugé que la responsabilité de la société BAEC est engagée,

1. Sur l'examen des responsabilités :

A titre principal,

- CONFIRMER le Jugement entrepris en ce qu'il a dit que la responsabilité doit être partagée à hauteur de 50 % par la SARL BAEC, à hauteur de 30% pour la SAS MOREREAU AUDIT et 20 % pour Monsieur G. et condamné la SAS MORERAU à payer à Monsieur G. la somme de 7.662,51 € avec intérêt au taux légal à compter du 11 mai 2017 et débouté Monsieur G. pour le surplus de sa demande ;

A titre subsidiaire et statuant à nouveau,

- DIRE ET JUGER que l'intervention de la SAS MOREREAU AUDIT dans le cadre du montage litigieux est de nature à engager sa responsabilité à 50% ;

En conséquence,

- PRONONCER un partage de responsabilité par moitié entre la société BAEC et la SAS MOREREAU AUDIT ;

2. Sur les demandes formulées par M. G. et la société EXTRA BALL :

A titre principal,

- INFIRMER le Jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL BAEC à payer à Monsieur G. la somme de 12.770,85 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2016 ;

Statuant à nouveau,

- DIRE ET JUGER que le préjudice allégué ne peut s'analyser qu'en une perte de chance de bénéficier du report d'imposition, insusceptible de donner droit à indemnisation ;

En conséquence,

- DEBOUTER M. G. et la société EXTRA BALL de l'intégralité de leurs demandes indemnitaires ;

A titre subsidiaire,

- INFIRMER le Jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL BAEC à payer à Monsieur G. la somme de 12.770,85 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2016 ;

Statuant à nouveau,

- DEBOUTER M. G. de ses demandes indemnitaires au titre de l'imposition supportée et des pénalités de retard considérant ses fautes à l'origine de son propre préjudice ;

- DEBOUTER M. G. de ses demandes indemnitaires au titre des intérêt de retard dans la mesure où aucune exonération d'imposition n'était prévue de sorte que le prêt aurait dû être éventuellement contracté à une autre date ;

A titre infiniment subsidiaire,

- CONFIRMER le Jugement entreprise en ce qu'il a condamné la SARL BAEC à payer à Monsieur G. la somme de 12.770,85 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2016 et débouté Monsieur G. pour le surplus de ses demandes indemnitaires ;

3. En tout état de cause :

- DEBOUTER Monsieur G. et la SARL EXTRA BALL de leur demande de condamnation de la SARL BAEC pour l'abandon du Projet P. R. ;

- DEBOUTER la SAS MOREREAU AUDIT de l'intégralité de ses demandes, en ce compris sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice moral et d'image ;

- DIRE ET JUGER que la franchise contractuelle prévue dans le contrat souscrit auprès de GAN ASSURANCES s'appliquera aux condamnations qui pourraient être prononcées contre la société BAEC ;

- CONDAMNER la partie succombante à payer à la compagnie GAN ASSURANCES la somme de 5.000 € au titre du Code de Procédure Civile outre les entiers dépens de l'instance.

Vu les conclusions notifiées le 18 avril 2019 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SAS Morereau audit demandant de :

- DIRE ET JUGER que la société MOREREAU AUDIT SAS n'a commis aucune faute dans l'accomplissement de la mission de Commissaire aux apports qui lui avaient été confiées par Monsieur G.,

En conséquence,

- REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à supporter à hauteur de 30 % le préjudice subi par Monsieur G.,

- CONDAMNER solidairement la société BAEC et la SA GAN ASSURANCES à payer à la société MOREREAU AUDIT SAS la somme de 5.000 € en raison du préjudice moral et du préjudice d'image qu'elles ont causé par leur action conjointe,

- Les CONDAMNER sous la même solidarité au paiement d'une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Motifs de la décision :

La cour d'appel relève que les appelants, qui ont conclu tardivement et sollicité le report de la clôture, ont omis de déposer en version papiers leurs dernières conclusions dans leur dossier de plaidoirie qui ne comportait que les pièces mentionnées dans leur bordereau de pièces contrairement à ce que les autres parties ont fait respectueusement pour la cour.

En cause d'appel, la sarl BAEC ne conteste pas les fautes qui lui sont reprochées ni les responsabilités retenues par le tribunal mais sollicite uniquement la garantie de ses condamnations par son assureur le Gan.

Cyrille G., appelant, conteste avoir contribué à son propre préjudice comme l'a jugé le tribunal.

De son côté, la SAS Morereau audit, commissaire aux apports, affirme n'avoir commis aucune faute dans le cadre de sa mission et sollicite le débouté des demandes formées à son encontre.

Enfin, le Gan assureur, assureur de la Sarl BAEC, demande à titre principal de confirmer le jugement sur le partage des responsabilités retenu et d'analyser le préjudice en une perte de chance de bénéficier du report d'imposition, insusceptible de donner droit à indemnisation, et de débouter les appelants de leur demande de condamnation pour l'abandon du projet Peper. et rappelle que la franchise d'assurance contractuelle doit s'appliquer à l'encontre de son assurée.

La cour d'appel doit donc examiner les responsabilités respectives de chacune des parties et déterminer les préjudices réellement subis par les parties appelantes.

Il n'est pas contesté que la sarl BAEC a commis une erreur de calcul de la soulte de l'acte de cession et d'apport des titres de Cyrille G. au sein de la société Mep conseil, dans le cadre de l'opération de création de la holding Extra ball, alors que la soulte représentait plus de 10% de la valeur nominale des titres reçus. En 2013, Cyrille G. a reçu 2618 x 200 soit 523.600 euros en valeur nominale globale et une soulte de 67.320 euros soit 12,85% des titres reçus. Ce taux de 12,85% a privé Cyrille G. de la faculté de bénéficier du report d'imposition sur la plus-value sur la cession de titres réalisée en 2013.

La Sarl BAEC, sans contester son erreur de calcul dans le montage, précise que cette dernière a pour origine la réalisation d'un chiffre d'affaires par la société Extra Ball qui ne devait exister que pour recevoir des titres de la société Mep Conseil ni 'avoir aucune activité avant l'opération d'apport ; cette activité générée entre la création de la société et l'apport a conduit à générer une prime d'émission à la date de l'apport non prévue à l'origine du projet.

Elle se borne ensuite à préciser que l'intérêt de l'opération ne résidait pas seulement en un report d'imposition mais à structurer un groupe de sociétés et à bénéficier d'un traitement fiscal plus avantageux pour les dites sociétés tout en faisant bénéficier Cyrille G. d'une soulte et d'une diminution des cotisations sociales sur les dividendes perçus à titre personnel et d'autres avantages tirés des excédents de la société Mep Conseil qui permettaient de financer d'autres activités via la holding avec une fiscalité allégée. A l'époque, Cyrille G. savait que le montant de son imposition lui permettrait de bénéficier d'un abattement de 65% et non de 85%.

A l'examen de leurs dernières conclusions n°5, Cyrille G. et la Sarl Extra ball reprochent, en cause d'appel, à la sarl BAEC l'erreur de calcul qui n'a pas permis au premier de bénéficier du régime fiscal de l'article 150Bter du code général des impôts (CGI) et demandent de retenir la responsabilité exclusive de l'expert-comptable, seul missionné à cette fin, et invoquant une obligation de résultat en matière juridique et déclarative pour un expert-comptable. Les appelants lui reprochent en outre d'avoir appliqué de façon erronée des règles de déduction fiscale à la pension versée au fils de son ex-compagne en l'absence de tout lien juridique entre eux.

Elles exposent que la sarl BAEC a, en effet, rédigé les actes d'apport de titres, soit 347 parts sociales de la société Mep conseil évaluées à 1860 euros chacune en contrepartie de l'attribution de 2618 parts de la société Extra ball de 200 euros chacune et d'une soulte d'apport en numéraire de 67.320 euros.

Pour ce faire, elle devait calculer la valorisation des titres de Cyrille G. au sein de la société Mep conseil, la soulte en numéraire, la prime d'émission et la prime d'apport. Elle a ainsi mentionné un montant erroné dans la déclaration fiscale personnelle de Cyrille G.. Or, le montage de la holding visait, selon elles, à diversifier les activités de Cyrille G. tout en préservant au mieux sa situation fiscale et notamment en évitant une imposition immédiate des plus-values réalisées.

Enfin, Cyrille G. conteste toute responsabilité dans la réalisation de son préjudice n'étant pas un professionnel de la fiscalité et n'ayant pas vérifié les calculs de son expert-comptable qu'il avait engagé et rémunéré pour procéder à ces calculs.

Après examen des pièces soumises à son appréciation, la cour déduit des éléments produits que la responsabilité de la Sarl BAEC est établie dès lors qu'elle a rédigé les actes et procédé aux estimations de valeurs de parts et au calcul de la soulte ne permettant pas de bénéficier du régime fiscal de l'article 150-0 B ter du CGI.

En effet, cet article précise que la soulte ne peut excéder 10% de la valeur nominale des titres reçus ; or, la soulte a été calculée à tort sur les valeurs d'apport des titres apportés et non sur la valeur des titres reçus à l'échange.

Dès lors qu'en appel, la SA Gan assurance et la Sarl BAEC demandent la confirmation du jugement notamment sur la répartition des responsabilités entre parties, il convient de déterminer si d'autres parties ont contribué par leur faute respective à la réalisation du dommage comme l'a analysé le tribunal.

Sur la responsabilité de Cyrille G., s'il convient préalablement de retenir qu'il est client et non spécialiste de la fiscalité, d'une part il affirme que l'erreur est grossière et manifeste concernant le montant de la soulte et d'autre part, en qualité de dirigeant et premier intéressé à la réalisation du projet de groupe ainsi qu'à la diversification de son activité et à sa situation fiscale personnelle, il devait relever d'emblée une erreur qu'il qualifie lui-même de grossière.

Or, la SA Gan assurance insiste, à bon droit, sur les clauses du contrat d'apport et sur l'article 5 qui stipulait que l'apport des titres ne deviendrait définitif qu'à compter de leur vérification et approbation par l'associé unique de la société Extra ball statuant au vu du rapport de la SAS Morereau audit, commissaire aux apports, et portant augmentation du capital social et qu'à défaut, le présent acte serait considéré comme nul et non avenu, sans indemnité de part et d'autre.

Le tribunal a ainsi relevé, que sans être un expert de la fiscalité, il est un chef d'entreprise aguerri qui a nécessairement une vigilance particulière sur les valeurs comptables des biens de ses entreprises et leurs conséquences fiscales.

La SA Gan assurance reproche aussi à Cyrille G. de ne pas avoir épuisé les voies de recours contentieux alors que la question de la soulte n'a pas été approuvée par l'assemblée générale, ce qu'il aurait pu défendre devant l'administration fiscale.

Mais, s'il a tenté un recours gracieux auprès des services fiscaux, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir tenté un recours contentieux pour limiter les pénalités alors que le redressement fiscal découlait de plein droit de l'erreur de calcul commise et que toutes les parties s'entendent pour dire le régime fiscal attendu sur le report de l'imposition dès lors inapplicable.

Par conséquent, la cour considère que Cyrille G. a contribué à la réalisation de son préjudice par son manque de vigilance dans le cadre de ses obligations contractuelles souscrites dans le contrat d'apport, dans ses missions de dirigeant de la société et ses obligations de déclarant fiscal mais limitera sa responsabilité à 10% et non à 20% comme l'a tranché le tribunal.

S'agissant de la responsabilité du commissaire aux apports, la SAS Morereau audit, le tribunal a analysé sa mission et en a déduit qu'elle avait commis une faute en n'abordant pas, dans le cadre de son obligation de conseil, tel que l'avis technique de la Cie nationale des commissaires aux comptes le prévoit, « les régimes juridiques et fiscaux » de l'opération et « les avantages particuliers le cas échéant » alors que dans le rapport du 23 novembre 2013, la SAS Morereau audit précisait dans son point 2E « le régime de sursis d'imposition institué par l'article 150.0 B du code général des impôts s'applique de plein droit » sans vérifier l'erreur de calcul qu'elle devait détecter.

De son coté, la SA Gan assurances insiste sur le rôle primordial et obligatoire d'un commissaire aux apports dans une telle opération en application de l'article L223-9 du code de commerce et sur le fait que dans son rapport, la SAS Morerau audit avait rappelé le mécanisme de plein droit de l'article 150-0-B du CGI au bénéfice de Cyrille G., associé unique de la holding qui a approuvé l'opération au vu du rapport.

En cause d'appel, la SAS Morereau audit considère que le tribunal a fait une fausse interprétation de cet avis et précise que la mention de son rapport mise en exergue n'était que la reprise d'une énonciation de la sarl BAEC dans le traité d'apport. Elle rappelle que la mission d'un commissaire aux apports ne vise qu'à vérifier la non-surévaluation des apports faits à la société holding pour conclure que les apports en nature correspondent au moins à la valeur nominale des actions à émettre par la société qui reçoit les apports en nature augmenté de la prime d'émission.

Elle insiste sur les articles 2.4 et 3.3 de l'avis technique du commissariat aux apports qui précisent les limites de cette mission et en déduit que la mission est exclusive de toute obligation de conseil ou de certification et se borne à exécuter sa mission sur les seuls éléments comptables qui lui sont fournis.

Elle considère qu'elle n'avait donc pas obligation d'analyser les conséquences fiscales de l'apport effectué. Elle insiste sur le courrier de la sarl BAEC du 9 juillet 2015 dans lequel cette dernière confirme avoir répondu à la demande de montage juridique permettant un développement d'activité et une optimisation fiscale, en précisant avoir elle-même procédé aux calculs litigieux ainsi qu'aux déclarations de revenus 2013 et déclaration des plus-values.

En 2013, l'article R225-136 du code de commerce dans sa version applicable au cas de l'espèce (Version en vigueur du 27 mars 2007 au 01 janvier 2021) disposait que 'en cas d'apports en nature ou de stipulation d'avantages particuliers, les commissaires aux apports sont désignés et accomplissent leur mission dans les conditions prévues à l'article R. 225-7. Les dispositions de l'article R. 225-8 sont applicables en cas d'apports en nature.

En cas d'émission d'actions de préférence au profit d'actionnaires désignés, les commissaires aux apports mentionnés à l'article L. 228-15 sont désignés et accomplissent leur mission dans les conditions prévues aux deuxièmes et troisièmes alinéas de l'article R. 225-7.

En cas de stipulation d'avantages particuliers ou d'émission d'actions de préférence donnant lieu à l'application de l'article L. 228-15, le rapport décrit et apprécie chacun des avantages particuliers ou des droits particuliers attachés aux actions de préférence. S'il y a lieu, il indique, pour ces droits particuliers, quel mode d'évaluation a été retenu et pourquoi il a été retenu, et justifie que la valeur des droits particuliers correspond au moins à la valeur nominale des actions de préférence à émettre augmentée éventuellement de la prime d'émission.

Le rapport des commissaires aux apports est tenu, au siège social, à la disposition des actionnaires, huit jours au moins avant la date de l'assemblée générale extraordinaire ou avant la date de la réunion du conseil d'administration ou du directoire, en cas de délégation conformément au sixième alinéa de l'article L. 225-147. Dans ce cas, le rapport est porté à la connaissance des actionnaires à la prochaine assemblée générale.

En cas d'émission d'actions de préférence donnant lieu à l'application de l'article L. 228-15, ce délai peut être réduit si tous les actionnaires y consentent, par écrit, préalablement à la désignation du commissaire aux apports'.

Et l'article R225-7, dans sa version en vigueur du 27 mars 2007 au 21 septembre 2014, disposait que 'les commissaires aux apports sont choisis parmi les commissaires aux comptes inscrits sur la liste prévue à l'article L. 822-1 ou parmi les experts inscrits sur une des listes établies par les cours et tribunaux.

Ils sont désignés par le président du tribunal de commerce, statuant sur requête.

Ils peuvent se faire assister, dans l'accomplissement de leur mission, par un ou plusieurs experts de leur choix. Les honoraires de ces experts sont à la charge de la société.'

Il ressort de ces textes que le commissaire aux apports est désigné par le client et doit répondre d'un engagement contractuel dans le respect de sa mission légale. En revanche, il ne ressort de ces textes ni de l'avis technique du CNCC produit en pièce 2 par la SAS Morereau audit que le commissaire aux apports a une obligation de conseil à l'égard de son client en dehors de sa mission stricto sensu de détermination de la valeur des apports ou des avantages particuliers compris dans l'opération juridique concernée.

Toutefois, la SAS Morereau audit savait avoir été choisie et désignée par Cyrille G. lui-même dès le 18 novembre 2013 comme cela est indiqué en tête de son rapport. Elle savait nécessairement que son client qui attendait son rapport pour avaliser le montage définitif de constitution de la holding avec apport en nature de ses titres en contrepartie de titres de la holding et du versement d'une soulte avait également comme volonté de bénéficier d'un régime fiscal de faveur lié à ce montage puisqu'elle l'évoque elle-même dans son rapport, en partie E 'aspects juridiques et fiscaux', en précisant : 'le régime de sursis d'imposition institué par l'article 150-0-B du code général des impôts s'applique de plein droit à l'échange de titres résultant de l'apport effectué par l'apporteur, personne physique résidant en France, au bénéficiaire, société soumise à l'impôt sur les sociétés. Le présent apport de titres, rémunéré pour partie par la remise de parts sociales et, pour partie, par le versement d'une soulte, constitue un apport mixte dont les droits d'enregistrement s'élèvent à :

- apport rémunéré par la remise de parts sociales : il s'agit d'un apport pur et simple soumis au droit fixe visé à l'article 810 du code général des impôts

- apport rémunéré par la remise d'une soulte : il est qualifié d'apport à titre onéreux soumis au droit de mutation ordinaire exigible sur les transmissions de parts sociales'.

Or ce paragraphe E était précédé de la partie D 'rémunération de l'apport' avec tous les chiffres détaillés et notamment le montant de la valeur globale nominale de l'apport 628.320 euros et la valeur de la soulte 67.320 euros. Le commissaire aux apports savait donc nécessairement que le plafond des 10% pour bénéficier du régime du sursis d'imposition de l'article 150-0-B du CGI n'était pas rempli.

Il devait donc précisait à son client, Cyrille G., dans sa mission que les chiffres qu'on lui présentait ne permettaient pas de bénéficier du régime fiscal qu'il disait lui-même s'appliquer de plein droit.

C'est donc à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité du commissaire aux apports qui a aggravé l'erreur de la Sarl Baec par sa négligence fautive en ne signalant pas l'erreur manifeste à son client et en lui faisant perdre ainsi la chance de ne pas procéder à un montage juridique et financier qui lui était défavorable sur le plan fiscal.

La cour retiendra que la faute de négligence du commissariat aux apports a contribué à concurrence de 20 % au préjudice subi par Cyrille G. et non à concurrence de 30% comme l'a retenu le tribunal.

- sur les préjudices allégués :

Cyrille G. et la sarl Extraball demandent la réparation intégrale de leurs préjudices qu'ils distinguent ainsi : préjudice fiscal correspondant au redressement fiscal de Cyrille G. soit 258.838 euros frais d'avocats au titre du contrôle fiscal 1962 euros TTC, les intérêts d'emprunt pour régler les redressements fiscaux soit 26.168,60 euros sur 160.000 euros d'emprunt, l'abandon du projet Pepe R. pour les frais exposés soit 79.545 euros.

La sarl BAEC rappelle à bon droit qu'en application de l'article 1231-4 du code civil, dans le cas même où l'inexécution du contrat résulte d'une faute lourde ou dolosive, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.

La faute commise par la sarl BAEC et par la SAS Morereau Audit de ne pas avoir signalé une erreur de calcul privant Cyrille G. de la faculté d'un report d'imposition sur les plus-values de cession de titres n'est que la perte de chance de ne pas souscrire au montage juridique et financier proposé et de ne pas rectifier le projet pour bénéficier de l'avantage fiscal recherché.

Il ne peut donc être alloué aux parties appelantes la réparation intégrale des préjudices allégués.

De plus, il convient de rappeler que le régime fiscal de l'article 150-0-B ter du CGI n'est pas celui d'une exonération fiscale mais d'un report d'imposition.

Le préjudice subi en lien direct avec la faute retenue est donc la nécessité pour Cyrille G. de régler sans délai des droits fiscaux plus rapidement que ce qu'il avait prévu, de régler des pénalités et des intérêts de retard et de modifier ses projets financiers dès lors qu'il devait lui-même investir dans ces projets.

La cour ne retient qu'en partie, les frais d'intérêts liés à l'emprunt de Cyrille G. pour régler ses redressements fiscaux et écarte par conséquent les montants de redressements fiscaux qui lui incombaient à plus ou moins brève échéance, en dehors des intérêts de retard et des pénalités, et les frais d'avocat qui dépendent de son seul choix de recourir à ses services.

Sur les frais d'intérêts, la cour ne retient qu'un tiers des intérêts du prêt souscrit sur 15 ans dès lors que rien ne l'empêchait de rembourser de façon anticipée le dit prêt de 160.000 euros.

Il sera donc alloué 8723 euros (=26.169/3) de dommages-intérêts à Cyril G..

Sur les intérêts de retard et les pénalités fiscales, le tribunal a, à bon droit, distingué de la totalité des redressements fiscaux réglés par Cyrille G. 11.500 euros d'intérêts de retard et 6.680 euros de pénalités, en retenant que ces deux dernières sommes sont la conséquence directe de l'erreur de calcul commise nécessitant une imposition immédiate de la plus-value réalisée par Cyrille G..

Sur l'abandon du projet Pepe R., il appartient aux parties appelantes de justifier du lien direct entre la faute de la Sarl BAEC et la SAS Morereau audit et de l'abandon du dit projet.

Or, il n'est pas justifié de l'apport financier que devait apporter Cyrille G. dans ce projet, de l'importance de sa participation, de l'impossibilité de recourir à un autre mode de financement et du délai de versement de cet apport.

C'est donc à bon droit que le tribunal a débouté Cyrille G. et la sarl Extra ball de leur demande de ce chef.

Le jugement sera donc infirmé sur le montant des condamnations respectives de la société BAEC et de la société Morereau audit.

Le préjudice de Cyrille G. est donc de 26.953 euros (=8723 +11550+6680)

Cyrille G. conservera à sa charge 10% du préjudice à indemniser soit 2.695 euros

La Sarl BAEC et la SAS Morereau audit ont contribué par leur faute respective, à générer le même préjudice, chacune à concurrence respective de 90% et 20% du préjudice subi.

Le préjudice à réparer par la SARL BAEC et la SAS Morereau audit est de 24.258 euros. (=26.953-2695) et la SAS Morereau Audit contribuera à la dette à concurrence de 5.390 euros.

- sur la garantie du Gan assurance :

la SA Gan assurance ne conteste pas la garantir=e due à son assurée dès lors qu'elle est condamnée pour l'erreur qu'elle a commise mais rappelle qu'il doit lui être appliqué une franchise contractuelle de 10% du montant des indemnités dues avec un minimum de 2.000 euros et un minimum de 4.000 euros par sinistre.

A l'examen du contrat produit, il convient de faire application de la dite franchise soit 10% des sommes dues par la Sarl BAEC et de confirmer le jugement de ce chef.

- sur la demande de dommages-intérêts de la SAS Morereau audit :

la SA Morereau audit qui succombe en appel ne peut solliciter des dommages-intérêts pour préjudice moral lié aux poursuites engagées à son encontre.

Il convient de confirmer le jugement qui l'a déboutée de sa demande de ce chef.

- sur les demandes accessoires :

la Sarl Baec qui est la principale responsable du préjudice subi par Cyrille G. sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel concernant les demandes irrépétibles, il convient de condamner la SARL BAEC à verser à Cyrille G. 3.000 euros et de débouter les autres parties de leur demande.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

- Infirme le jugement, mais seulement en ce qu'il a :

- condamné la SARL BAEC à payer à Cyrille G. la somme de 12 770,85€ avec intérêts au taux légal a compter du 22 novembre 2016 ;

- condamné la SAS Morereau Audit à payer à Cyrille G. la somme de 7 662,51€ avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2017 ;

- débouté Cyrille G. pour le surplus de sa demande ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés

- dit que Cyrille G. a contribué par sa faute à la réalisation de son préjudice à concurrence de 10 %

- dit que la SAS Morereau Audit a contribué par sa faute à la réalisation du préjudice de Cyrille G. à concurrence de 20 %

- dit que la sarl BAEC est responsable du préjudice subi par Cyrille G. à concurrence de 90%

- dit que le préjudice réparable de Cyrille G. est fixé à 24.258 euros

- condamne in solidum la sarl BAEC et la SAS Morereau audit à verser à Cyrille G. la somme de 24.258 euros outre intérêts au taux légal

- dit que dans les rapports entre coobligés, la charge finale des condamnations sera supportée par la SARL BAEC à concurrence de 18.868 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2016 et par la SAS Morereau audit à concurrence de 5.390 € avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2017

- condamne la Sarl BAEC aux dépens d'appel

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la Sarl BAEC à payer à Cyrille G. et la Sarl Extra Ball la somme de 3.000 euros

- déboute les autres parties de leurs demandes.