CA Chambéry, 2e ch., 29 octobre 2015, n° 14/02722
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
NMN Média (SA)
Défendeur :
Le Comptable du Service des Impôts des Entreprises Comptable
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thomassin
Conseillers :
M. Madinier, M. Balay
Avocats :
Me Dormeval, Me Fillard, Me De Jorna
EXPOSE DU LITIGE
La Direction Nationale des Enquêtes Fiscales reproche à la société NMN Média de s'être soustraite aux déclarations et au paiement de TVA et de l'impôt sur les sociétés.
Afin de garantir le recouvrement de la somme de 465 536 euros, le comptable du service des impôts des entreprises de Belfort s'est fait autoriser, par ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains du 7 juillet 2014, à pratiquer une saisie conservatoire sur le compte bancaire ouvert par la société NMN Média auprès de l'agence de Veigy-Foncenex du Crédit Agricole des Savoie.
La saisie pratiquée le 8 octobre 2014 a permis de bloquer la somme de 78 717,15 euros.
La société NMN Média a saisi le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains d'une demande de mainlevée de la saisie ainsi pratiquée, qui par jugement du 18 novembre 2014 a :
- rejeté les demandes de la société NMN Média tendant à la caducité ou à la mainlevée de la saisie conservatoire de créances,
- validé le procès-verbal de saisie conservatoire du 8 juillet 2014 pratiquée par le Comptable du service des impôts des entreprises de Belfort sur les fonds détenus par la société NMN Média au Crédit Agricole de Veigy-Foncenex pour un montant de 78 717,15 euros,
- condamné la société NMN Média à payer au Comptable du service des impôts des entreprises de Belfort la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
La société NMN Média a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe du 3 décembre 2014.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 mars 2015, la société NMN Média demande à la cour de :
- prononcer la caducité de la saisie conservatoire, faisant valoir l'absence de dénonciation de la saisie dans les huit jours de sa signification et l'absence de justification de l'engagement d'une procédure pour l'obtention d'un titre exécutoire dans le délai d'un mois suivant son exécution,
- prononcer la mainlevée de la saisie conservatoire, arguant de l'absence de créance paraissant fondée dans son principe et menacée dans son recouvrement,
- condamner le Comptable du service des impôts des entreprises de Belfort à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
La société NMN Média soutient qu'en l'absence de mention dans l'ordonnance d'autorisation de majoration du délai de dénonciation pour remise d'un acte à l'étranger, l'ordonnance du 7 juillet 2014 et le procès-verbal de saisie du 8 juillet 2014 lui été dénoncés tardivement le 29 juillet 2014.
L'avis de vérification de comptabilité du 25 juillet 2014 ne saurait constituer une procédure visant à obtenir un titre exécutoire.
La société NMN Média, de droit suisse et ayant son siège social en Suisse, conteste le principe d'une créance de TVA dans la mesure où ses prestations sont déjà soumises à la TVA lorsqu'elles sont réalisées pour des clients français eux même assujettis et où ses prestations réalisées pour des annonceurs suisses sont exonérées de TVA française.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 avril 2015, le Comptable du service des impôts des entreprises de Belfort demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de condamner la société NMN Média à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
L'ordonnance du juge de l'exécution du 7 juillet 2014 et le procès-verbal de saisie auraient bien été dénoncés à la société NMN Média, ayant son siège en Suisse, le 9 juillet 2014, conformément aux dispositions de l'article 684 du code de procédure civile et à la convention de la Haye du 15 novembre 1965.
La procédure de vérification de comptabilité notifiée par l'administration fiscale dans le mois suivant la saisie conservatoire, satisferait aux dispositions de l'article R 511-7 du code des procédures civiles d'exécution.
L'administration fiscale invoque une présomption de fraude tenant à ce que la société de droit suisse NMN Média, qui a son siège à Genève et une activité d'édition, de publication et de mise en ligne d'annonces dans le domaine de l'immobilier, a pour unique administrateur et dirigeant effectif monsieur Philippe Narboni résidant en France, a un établissement immatriculé en France à 90100 Delle et réalise des opérations commerciales en France avec des partenaires majoritairement français: ses annonceurs étant, au cours des années 2013 et 2014, à 80 % des structures françaises.
Messieurs Jean Michel Caillé et Didier Narboni, résidants en France, mettraient à la disposition de la société de droit suisse NMN Média, dont ils sont salariés, des moyens matériels et exerceraient des positions dominantes au sein de sa gestion.
Dès lors, la société de droit suisse NMN Média disposerait de moyens matériels, humains et décisionnels situés sur le territoire national et y exercerait une activité professionnelle, mais n'a pas déposé de déclarations en matière d'impôts sur les sociétés au titre des exercices clos en 2010, 2011, 2012 et 2013, ni de déclarations de TVA pour la période du 1er mai 2010 au 28 février 2012.
Dans ce cas de contrôle fiscal de sociétés participant à un schéma de fraude, le contribuable organise généralement son insolvabilité et il y a tout lieu de craindre que l'intéressé procède au retrait de la totalité des avoirs figurant sur ses différents comptes dès la réception de l'avis de vérification de comptabilité.
L'administration fiscale évalue à 263 272 euros la TVA occultée pour la période du 1er mai 2010 au 31 décembre 2011 et à 202 264 euros le montant de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices 2010 à 2013.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 août 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la dénonciation de l'ordonnance d'autorisation et du procès-verbal de saisie
En application des dispositions de l'article R 522-5 du code des procédures civiles d'exécution, lorsque la saisie est pratiquée entre les mains d'un tiers, l'acte de saisie conservatoire contenant une copie de l'ordonnance autorisant la mesure doit, à peine de caducité, être signifié au débiteur dans un délai de huit jours suivant la saisie.
Le comptable du service des impôts des entreprises de Belfort a été autorisé à pratiquer une saisie conservatoire du compte bancaire ouvert par la société NMN Média auprès de l'agence de Veigy-Foncenex du Crédit Agricole des Savoie suivant ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains du 7 juillet 2014 afin de garantir le paiement d'une créance de TVA et d'impôt sur les sociétés de 465 536 euros ; la saisie a été pratiquée par acte d'huissier du 8 juillet 2014, bloquant le compte de la société NMN Média créditeur de la somme de 78 717,15 euros et le procès-verbal de saisie contenant copie de l'ordonnance du 7 juillet 2014 l'autorisant a été dénoncé au débiteur suivant exploit d'huissier du 9 juillet 2014, sans qu'il y ait lieu à augmentation de délai.
La société NMN Média ayant son siège en Suisse, cette dénonciation a été réalisée suivant les dispositions de la convention de la Haye du 15 novembre 1965, par transmission du projet d'acte au tribunal de première instance de Genève dont le retour établit que l'acte a été délivré à la personne de monsieur Philippe Narboni, administrateur unique de la société NMN Média, le 31 juillet 2014.
La dénonciation de la saisie conservatoire au débiteur est donc régulière.
Sur la procédure visant à l'obtention d'un titre exécutoire
En application des dispositions de l'article R 511-7 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, doit, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire.
Il est constant que l'avis de vérification de comptabilité adressé à la société NMN Média, ainsi qu'elle le reconnaît, tant à son siège à Genève qu'à son établissement en France à Veigy Foncenex (74) le 25 juillet 2014, soit dans le mois de la saisie conservatoire pratiquée le 8 juillet 2014, constitue une formalité visant à l'obtention d'un titre exécutoire conformément aux dispositions précitées.
La société NMN Média n'est donc pas fondée à solliciter que soit prononcée la caducité de la saisie conservatoire litigieuse.
Sur l'existence d'une créance paraissant fondée dans son principe
Toute personne dont la créance paraît fondée dans son principe peut, en application de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Le comptable du service des impôts des entreprises de Belfort établit qu'il résulte de ce qu'elle a ouvert en 2010 un compte bancaire actif en France, de ce qu'elle a désigné un représentant fiscal en France, de ce que son administrateur unique, monsieur Philippe Narboni, ayant le pouvoir d'engager la société, réside en France, de ce qu'elle a pour activité l'édition d'une revue publicitaire dans l'immobilier haut de gamme intitulée 'HOME immobilier' et exploite un site internet www.home.immo.ch avec des partenaires très largement français concernant des opérations
immobilières très majoritairement (plus de 80 %) sur le territoire français, de ce qu'elle a déposé la marque 'HOME IMMOBILIER' en France, de ce que ses deux principaux salariés, messieurs Jean-Michel Caille et Didier Narboni, se présentant comme directeurs, résident en France et opèrent en France, de ce qu'elle réalise des opérations commerciales telles qu'un salon de l'immobilier en France avec des partenaires très majoritairement français, de ce qu'elle a ouvert un établissement en France en mars 2012, que la société de droit suisse NMN Média, qui n'a pas fait de déclaration au titre de l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos de 2010 à 2013, ni de déclaration de TVA du 1er mai 2010 au 31 décembre 2011, date après laquelle elle fait des déclarations de TVA, dispose de moyens matériels, humains et décisionnels situés sur le territoire national et y exerçait de façon habituelle, durant cette période, une activité commerciale génératrice d'un chiffre d'affaires passible des impôts commerciaux français.
A partir de l'étude des revues publiées durant les périodes concernées l'administration fiscale a reconstitué les chiffres d'affaires réalisés en France par la société NMN Média, lui ayant permis d'évaluer sa créance fiscale au titre de l'impôt sur les sociétés à la somme de 202 264 euros et de la TVA à celle de 263 272 euros, soit une somme totale de 456 536 euros.
S'agissant de l'impôt sur les sociétés, la société NMN Média invoque les dispositions de la convention franco-suisse du 9 septembre 1996 et fait valoir qu'elle a un établissement en Suisse, pays où elle dépose régulièrement ses déclarations de résultats, mais force est de constater qu'elle ne justifie pas du moindre dépôt de telles déclarations et que, contrairement à ce qu'elle allègue, l'administration fiscale justifie (pièce 6) de la distribution en France de la revue 'HOME immobilier'.
S'agissant de la TVA, la société NMN Média prétend combattre la présomption de fraude invoquée par l'administration fiscale, alors que du fait des éléments réunis et précédemment détaillés, elle y est assujettie, en application de l'article 256 du code général des impôts.
C'est donc à bon droit que le juge de l'exécution a retenu que le comptable du service des impôts des entreprises de Belfort établit l'existence d'une créance paraissant fondée dans son principe.
Sur les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance
L'importance de la créance présumée, l'absence de patrimoine immobilier de la société NMN Média, la propension d'un contribuable sur lequel pèse une présomption de fraude fiscale à organiser son insolvabilité d'autant plus facilement en l'espèce que les biens de la société NMN Média en France sont des avoirs bancaires et qu'elle dispose d'un établissement à l'étranger, constituent autant de circonstances menaçant le recouvrement de la créance de l'administration fiscale, légitimant la mesure conservatoire pratiquée.
La société NMN Média sera, en conséquence, déboutée de sa demande de mainlevée de la saisie conservatoire de la somme de 78 717,15 euros sur son compte bancaire ouvert auprès de l'agence de Veigy-Foncenex du Crédit Agricole des Savoie.
Sur les demandes annexes
La société NMN Média sera déboutée de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, mais condamnée, sur ce même fondement, à payer au comptable du service des impôts des entreprises de Belfort la somme de 2 000 euros.
Elle supportera les dépens exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la Loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Déboute, en conséquence, la société NMN Média de l'intégralité de prétentions.
Y ajoutant,
Condamne la société NMN Média à payer au comptable du service des impôts des entreprises de Belfort la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société NMN Média à supporter les dépens exposés en appel, avec distraction au profit de Maître Fillard, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.