CA Dijon, 1re ch. civ., 9 avril 2019, n° 18/00918
DIJON
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Petit
Conseillers :
M. Wachter, Mme Dumurgier
Se prévalant de la cessation du paiement du loyer et des charges dues par M. Olivier M. en exécution d'un bail d'habitation du 17 juin 2009, M. Guy F. et son épouse, née Patricia B., ont fait procéder, suivant procès-verbal du 31 octobre 2017, à la saisie conservatoire des sommes détenues par la Banque Postale pour le compte de M. M..
Cette mesure conservatoire a été dénoncée à M. M. le 3 novembre 2017.
Par exploit du 4 décembre 2017, celui-ci a fait assigner les époux F. devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Dijon afin d'obtenir, au visa des articles L 511-1 et suivants, R 512-1 et R 522-1 du code des procédures civiles d'exécution, la nullité de la saisie conservatoire, subsidiairement sa mainlevée. Il a réclamé en outre l'allocation d'une somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la mesure. A l'appui de ses demandes, il a fait valoir que ni l'acte de saisie, ni la dénonciation ne faisaient mention du montant figurant sur le compte, pas plus que de la somme laissée à la disposition du débiteur ou encore du caractère indisponible des biens saisis, ce qui justifiait l'annulation de la mesure au regard des exigences de l'article R 522-1 du code des procédures civiles d'exécution. Il a ajouté que la créance des époux F. était contestée, dès lors que la suspension du paiement des loyers était légitimée par l'insalubrité du logement, et qu'il n'existait au demeurant aucune circonstance susceptible de menacer le recouvrement d'une éventuelle créance.
Les époux F. ont soulevé l'irrecevabilité de l'exception de nullité au motif qu'elle n'avait pas été soulevée avant toute défense au fond. Subsidiairement, ils ont conclu au rejet des demandes de M. M.. Ils ont fait valoir que l'article R 522-1 du code des procédures civiles d'exécution n'était applicable qu'aux saisies conservatoires de biens meubles corporels et non à celles des créances, et ont ajouté, d'une part, que ce texte n'exigeait pas la reproduction de la mention relative au caractère indisponible des biens saisis, d'autre part qu'aucun texte ne prévoyait expressément que les montants figurent sur l'acte de dénonciation. Ils ont enfin soutenu que la créance était fondée en son principe, et que son recouvrement était compromis eu égard à la situation économique de M. M..
Par jugement du 19 juin 2018, le juge de l'exécution a relevé que le moyen tiré de la nullité de la mesure avait été repris oralement à l'audience avant tout autre argument, et qu'il ne constituait pas une exception de procédure au sens de l'article 73 du code de procédure civile. Il a ensuite considéré que seules les dispositions de l'article R 523-1 du code des procédures civiles d'exécution étaient applicables à la saisie conservatoire de créances et que si l'acte de dénonciation ne mentionnait pas la somme laissée à disposition, celle-ci résultait de l'acte de saisie dont une copie avait été remise au saisi avec la dénonciation, de sorte que le moyen tiré de la nullité devait être rejeté, alors au surplus qu'il n'était pas fait la preuve d'un grief. Il a ensuite retenu que le non-paiement des loyers n'était pas contesté, de sorte que la créance était fondée en son principe, et que le fait que M. M. justifie d'un salaire mensuel de 1 234,05 € ne suffisait pas à démontrer sa solvabilité, alors par ailleurs que le locataire ne justifiait pas avoir saisi la commission départementale de conciliation prévue par la loi du 6 juillet 1989, ni avoir été autorisé par le juge d'instance à consigner les loyers. Le juge de l'exécution a en conséquence :
- débouté M. Olivier M. de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné M. Olivier M. à payer à M. Guy F. et à Mme Patricia B., épouse F., la somme de 200 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. Olivier M. aux dépens.
M. M. a relevé appel de cette décision le 3 juillet 2018.
Par conclusions notifiées le 17 janvier 2019, l'appelant demande à la cour :
Vu les articles L 511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Vu les articles R 512-1 et R 522-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Vu les articles 122 et suivants et 565 et suivants du code de procédure civile,
- de dire et juger M. M. recevable et bien fondé en son appel ;
- d'infirmer le jugement déféré ;
- de constater que les époux F. n'ont pas saisi le juge du fond dans le but d'obtenir un titre dans le délai d'un mois à compter de la signification de la saisie conservatoire ;
- de prononcer la caducité de la saisie conservatoire dénoncée le 3 novembre 2017 à M. M. ;
A titre subsidiaire,
- d'ordonner la mainlevée immédiate de la saisie- conservatoire ;
- de condamner solidairement M. et Mme F. à verser à M. M. la somme de 1 500 € de dommages et intérêts ;
- de débouter M. et Mme F. de toute demande contraire ;
- de condamner solidairement M. et Mme F. à payer la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par Me G., avocat constitué, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 3 février 2019, les époux F. demandent à la cour :
Vu les articles L 511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Vu les articles 73, 74, 122 et 564 du code de procédure civile,
- de juger l'appel de M. Olivier M. recevable mais mal fondé ;
- de juger la demande de M. Olivier M. tendant à voir prononcer la caducité de la mesure de saisie- conservatoire irrecevable pour être formée pour la première fois à hauteur d'appel et constituer ainsi une demande nouvelle s'agissant d'une défense au fond, et pour avoir été formulée après une défense au fond s'agissant d'une exception de procédure ;
- de juger que M. Guy F. et Mme Patricia B., épouse F., rapportent la preuve de ce que les conditions de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution sont remplies ;
- de juger la demande de dommages-intérêts de M. Olivier M. infondée ;
Par conséquent,
- de débouter M. Olivier M. de l'intégralité de ses demandes ;
- de confirmer en toutes ses dispositions, le jugement déféré ;
- de condamner M. Olivier M. à payer à M. Guy F. et Mme Patricia B., épouse F., la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner M. Olivier M. aux entiers dépens d'appel.
La clôture de la procédure a été prononcée le 5 février 2019.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
A hauteur d'appel, M. M. invoque à titre principal la caducité de la saisie conservatoire sur le fondement de l'article L 511-4 du code des procédures civiles d'exécution selon lequel, à peine de caducité de la mesure conservatoire, le créancier engage ou poursuit, dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d'Etat, une procédure permettant d'obtenir un titre exécutoire s'il n'en possède pas.
L'article R 511-7 du même code énonce que, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, le créancier introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire.
Pour s'opposer à cet argument, les époux F. font valoir en premier lieu qu'elle s'analyse en une demande nouvelle, donc irrecevable à hauteur de cour.
Toutefois, l'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, la demande de caducité tend aux mêmes fins que les demandes soumises au premier juge, à savoir la levée de la mesure de saisie conservatoire, de sorte qu'elle n'encourt pas l'irrecevabilité à ce titre.
Les intimés soutiennent encore que ce moyen constitue une exception de procédure, qui doit être soulevée avant toute défense au fond, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence, où il n'était soulevé qu'à titre subsidiaire dans les premières conclusions d'appel.
Toutefois, la caducité de la saisie conservatoire ne s'analyse pas en une exception de procédure, mais tend à la remise en cause de la validité même de l'acte de saisie objet de la présente procédure.
Il ressort des pièces versées aux débats par les époux F. eux-mêmes que c'est par le biais de conclusions déposées pour l'audience du 13 septembre 2018 dans le cadre de la procédure engagée par M. M. aux fins d'indemnisation du préjudice résultant de l'indécence du logement loué qu'ils ont pour la première fois sollicitée à titre reconventionnel la condamnation de leur locataire au paiement des loyers objets de la saisie conservatoire litigieuse.
Ces conclusions sont postérieures de 10 mois et demi à la saisie conservatoire, de sorte que cette dernière mesure encourt incontestablement la caducité, faute pour les époux F. d'avoir effectué les démarches nécessaires à l'obtention d'un titre dans le délai prévu aux articles L511-4 et R 511-7 précités.
Le jugement déféré sera donc infirmé, la caducité de la mesure conservatoire étant constatée, et sa mainlevée ordonnée en conséquence.
Si M. M. soutient que la mesure litigieuse lui a causé un préjudice en l'empêchant de faire face à ses obligations financières et en entraînant la suspension de son abonnement internet, force est de constater qu'il ne produit pas le moindre élément justificatif de nature à étayer sa demande indemnitaire, dont le rejet est dès lors justifié. La confirmation s'impose de ce chef.
Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais irrépétibles qu'elles ont engagés pour leur défense.
Les époux F. seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu le 19 juin 2018 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Dijon en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. Olivier M. ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
Déclare recevable la demande de M. Olivier M. tendant à la caducité de la saisie conservatoire ;
Constate la caducité de la saisie conservatoire pratiquée à l'initiative des époux F. selon procès-verbal du 31 octobre 2017, et dénoncée à M. M. le 3 novembre 2017 ;
En conséquence, ordonne la mainlevée de cette mesure ;
Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les époux F. aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.