CA Lyon, 1re ch. civ. a, 25 février 2021, n° 19/04414
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mages (SARL)
Défendeur :
Videlio (SA), Videlio HMS (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wyon
Conseillers :
Mme Clement, M. Isola
M. K. était le dirigeant et actionnaire majoritaire de la société Kezia, qui exerçait les activités de conception, réalisation, déploiement, exploitation de systèmes audiovisuels, de maintenance desdits systèmes, pour des navires de croisière, yachts, hôtels de luxe, sièges sociaux de sociétés et résidences haut de gamme.
En septembre 2007, elle a régularisé avec la société Mages, dont M. K. est dirigeant et associé, une convention de prestations de services.
La société IEC, devenue Videlio, est une holding ayant pour activités, notamment, la prise de participation, la gestion de portefeuilles, titres, prestations de services et de conseil dans quelques domaines que ce soit.
Elle détient une filiale à 100 %, la société HMS, devenue Videlio HMS, qui a pour activité l'intégration de systèmes audiovisuels et multimédias sur des paquebots de croisière et yachts.
Le 18 mai 2011, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Kezia, convertie en redressement judiciaire le 3 mai 2012.
Le 14 mai 2012, la société IEC a déposé une offre de reprise des actifs de la société Kezia.
En parallèle, la société IEC a engagé des discussions avec M. K. pour un contrat de prestation de services à conclure avec la société Mages et une lettre d'intention a été signée entre les parties le 14 mai 2012, prévoyant que les prestations envisagées soient effectuées personnellement par M. K..
En définitive, aucune convention n'a été signée entre la société IEC et la société Mages.
En application de deux ordonnances de référé, infirmées en appel, les sociétés Videlio ont versé à la société Mages la somme de 576 228 euros.
Par jugement du 8 février 2013, le tribunal de commerce de Lyon a condamné solidairement la société Mages et M. K. à payer aux sociétés IEC et HMS la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; cette décision a été infirmée par la cour d'appel de Lyon le 17 septembre 2015 s'agissant de la condamnation au paiement de dommages-intérêts.
Le 8 mars 2013, la société Mages a cédé à M. et Mme K. les parts, représentant 92,5 % du capital, qu'elle détenait dans la SCI Magest, propriétaire d'un bien immobilier, pour la somme de deux euros.
Les sociétés IEC et HMS, devenues Videlio et Videlio HMS (les sociétés Videlio), ont obtenu du juge de l'exécution de Lyon le 1er avril 2015 l'autorisation de procéder à des saisies conservatoires des droits d'associé et de créances de M. et Mme K. au sein des sociétés Katui et Magest.
Saisi par M. et Mme K. ainsi que la société Mages d'une demande de mainlevée des saisies conservatoires ainsi autorisées, le juge de l'exécution les a déboutés de leur demande par un jugement du 24 novembre 2015.
Par arrêt du 14 décembre 2017, la cour d'appel de Lyon a :
- réformé le jugement du 24 novembre 2015 en toutes ses dispositions,
- constaté que les deux sociétés Videlio et Videlio HMS ne justifient pas d'une créance apparente fondée en son principe à l'égard de chacun des époux K.,
- ordonné la main levée de :
* la saisie conservatoire des droits d'associé ou de valeurs mobilières sur les parts sociales détenues par Laurent K. et Dominique K. au sein de la SCI Katui, selon procès-verbal en date du 17 avril 2015 dénoncé à ces derniers en date du 21 avril 2015,
* la saisie conservatoire des droits d'associé ou de valeurs mobilières sur les parts sociales détenues par Laurent K. et Dominique K. au sein de la SCI Magest, selon procès-verbal en date du 19 avril 2015 dénoncé à ces derniers en date du 21 avril 2015,
* la saisie conservatoire de créance sur les comptes bancaires détenus par Laurent K. et Dominique K. au sein des livres de la Caisse d'Epargne, selon procès-verbal en date du 9 avril 2015 dénoncé à ces derniers en date du 17 avril 2015,
- débouté les sociétés Videlio et Videlio HMS de leurs réclamations de dommages et intérêts,
- débouté les époux K. et la société Mages de leur demande de dommages et intérêts pour abus,
- condamné les sociétés Videlio et Videlio HMS aux dépens de première instance et aux dépens d'appel avec, pour ceux-ci, droit de recouvrement direct au profit de la SCP B. et S., avocats,
- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant sur le pourvoi des sociétés Videlio, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-11.638).
Après avoir relevé que l'arrêt retient que les éléments articulés par les sociétés Videlio ne caractérisent pas une apparence certaine de créance, eu égard aux éléments de fait apportés au débat par M. et Mme K. qui contestent avoir fraudé et fournissent des éléments de preuve que seul le juge du fond, juge naturel de la fraude, qui est saisi et n'a pas encore statué, peut vérifier, la Cour de cassation a jugé qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher l'existence, non pas d'un principe certain de créance, mais seulement d'une créance paraissant fondée en son principe, sans pouvoir refuser de trancher la contestation qui lui était soumise, la cour d'appel avait violé l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution.
Par déclaration du 24 juin 2019, M. et Mme K. ainsi que la société Mages ont saisi la cour d'appel de Lyon, désignée cour de renvoi.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2020.
L'affaire, appelée à l'audience du 23 janvier 2020, a fait l'objet d'un renvoi à la demande des avocats des parties, pour cause de grève.
Le 10 juillet 2020, M. et Mme K. et la société Mages ont déposé des conclusions aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture.
Par arrêt du 26 novembre 2020, la cour a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture du 16 janvier 2020, fixé la nouvelle date de clôture au 4 janvier 2021 et renvoyé l'affaire à l'audience du 7 janvier 2021.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 17 novembre 2020, M. et Mme K. et la société Mages demandent à la cour de :
- dire irrecevable et en toute hypothèse infondée l'exception de nullité de l'acte d'appel
et des conclusions subséquentes,
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel dont il s'agit,
- ordonner la mainlevée de :
* la saisie conservatoire des droits d'associé ou de valeurs mobilières sur les parts
sociales détenues par M. et Mme K. au sein de la SCI Katui, selon procès-verbal en date du 17 avril 2015 dénoncé à ces derniers en date du 21 avril 2015,
* la saisie conservatoire des droits d'associé ou de valeurs mobilières sur les parts sociales détenues par M. et Mme K. au sein de la SCI Magest, selon procès-verbal en date du 19 avril 2015 dénoncé à ces derniers en date du 21 avril 2015,
* la saisie conservatoire de créance sur les comptes bancaires détenus par M. K. au sein des livres de la Caisse d'épargne, selon procès-verbal en date du 9 avril 2015 dénoncé à ces derniers en date du 17 avril 2015,
le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- débouter « les sociétés IEC et HMS » de toutes leurs demandes, fins, prétentions,
- condamner « les sociétés IEC et HMS » à leur payer la somme de 35 581,95 euros à titre de dommages et intérêts, correspondant aux frais et dépenses qui ont été engagés du fait de l'attitude procédurière totalement abusive des sociétés Videlio et Videlio HMS,
- condamner « les sociétés IEC et HMS » à leur payer la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de la SCP
B. S., avocats, sur son affirmation de droit.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 9 novembre 2020, les sociétés Videlio demandent, en substance, à la cour de :
- dire et juger qu'elles justifient d'une créance paraissant fondée en son principe et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement à l'encontre de M. et de Mme K.,
- débouter la société Mages, M. et Mme K. de leurs demandes de mainlevée et de dommages et intérêts,
- confirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau ou y ajoutant ;
- dire et juger que la société Mages, M. et Mme K. ont interjeté appel de manière abusive,
- condamner solidairement la société Mages, M. et Mme K. à leur régler, à chacune, la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner solidairement la société Mages, M. et Mme K. à leur régler, à chacune, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
Par ailleurs, aucune exception de nullité n'étant soulevée par les sociétés Videlio devant la cour de renvoi, il n'y a pas de lieu de statuer sur l'irrecevabilité d'une telle exception comme le demandent M. et Mme K. ainsi que la société Mages.
Aux termes de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.
Il ressort de ce texte qu'aucun titre exécutoire n'est requis pour mettre en oeuvre une mesure conservatoire .
Par ailleurs, il n'est pas requis que la créance soit certaine et le principe de la créance lui-même peut être incertain.
Enfin, le juge de l'exécution connaît des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion des mesures conservatoires, même si elles portent sur le fond du droit, à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, étant rappelé que les décisions rendues en cette matière sont dépourvues de toute autorité de chose jugée au principal.
En l'espèce, les sociétés Videlio, au visa du texte précité, ont sollicité et obtenu l'autorisation de procéder à des saisies conservatoires le 1er avril 2015.
La cour observe que la société Mages n'est pas concernée par les trois saisies conservatoires, objet de la présente procédure.
Les développements de M. et Mme K. ainsi que la société Mages relatifs à l'article L. 522-1 du code des procédures civiles d'exécution sont inopérants, ce texte étant étranger au présent litige, la cour étant saisie de demandes de mainlevée de saisies conservatoires.
Pour solliciter cette mainlevée, les intéressés excipent de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 17 septembre 2015.
Toutefois, aucune autorité de la chose jugée ne peut être utilement invoquée, s'agissant d'un arrêt statuant au fond sur les demandes indemnitaires présentées respectivement, d'une part, par M. K. et la société Mages, d'autre part, par les sociétés Videlio, l'objet de cette procédure n'étant pas identique à celui de la présente instance.
Il sera au surplus observé que les demandes indemnitaires formées alors sont distinctes de la créance invoquée par les sociétés Videlio au soutien de leur demande de saisies conservatoires.
Ces dernières, qui sont créancières de la société Mages en raison des arrêts d'infirmation rendus par la cour d'appel de Lyon les 28 mai 2013 et 28 octobre 2014, soutiennent que M. K. a organisé l'insolvabilité de cette société et ont saisi le tribunal de grande instance de Lyon, d'une part, d'une action en responsabilité à l'encontre de M. K. sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce, d'autre part, d'une action en inopposabilité de la cession des parts sociales détenues par la société Mages dans la société Magest au profit de M. et Mme K..
Cependant, par jugement du 15 mai 2019, le tribunal a rejeté l'action en responsabilité contre M. K. en sa qualité de gérant de la société Mages et, par jugement du 1er juillet 2020, a rejeté l'action paulienne.
Ces deux décisions ont retenu une valorisation négative des titres de la société Magest, de sorte que la cession de ses parts à M. et Mme K. ne constituait pas un acte d'appauvrissement de la société Mages.
Ainsi, les sociétés Videlio ne peuvent se prévaloir d'une créance apparaissant fondée en son principe, nonobstant les appels interjetés à l'encontre de ces deux jugements, en ce qu'elle repose sur les agissements frauduleux imputés à M. et Mme K..
Pour faire échec à la demande de mainlevée, les deux sociétés invoquent encore les créances qu'elles détiennent sur M. et Mme K. en vertu de décisions irrévocables.
Il apparaît ainsi que diverses décisions de justice ont prononcé des condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les sociétés Videlio justifient des créances suivantes :
* à l'égard de M. K. :
- arrêt de la cour d'appel de Lyon du 28 octobre 2014 : 3 000 euros (solidairement avec la société Mages),
- arrêt de la cour d'appel de Lyon du 17 septembre 2015 : 10 000 euros (solidairement avec la société Mages),
- jugement juge de l'exécution de Lyon du 3 novembre 2016 : 2 000 euros,
- jugement juge de l'exécution de Rennes du 15 septembre 2016 : 2 000 euros,
- arrêt de la cour d'appel de Rennes du 30 mars 2018 : 3 000 euros,
* à l'égard de Mme K. :
- jugement juge de l'exécution de Lyon du 3 novembre 2016 (solidairement avec M. K.) : 2 000 euros.
Il est ainsi justifié d'une créance à hauteur de 20 000 euros, et non 21 000 euros comme soutenu par les intimées.
Le jugement du 1er juillet 2020 a mis à la charge des sociétés Videlio une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ainsi, il existe une créance paraissant fondée en son principe de 18 000 euros, après compensation, et contrairement à ce que soutient Mme K., elle reste débitrice des deux sociétés.
M. et Mme K. soutiennent que les sociétés Videlio ne peuvent se prévaloir de cette créance dès lors que, par un arrêt du 5 novembre 2020 revêtu de l'autorité de la chose jugée, la 6ème chambre de la cour d'appel de Lyon a rejeté la demande de mainlevée d'autres saisies conservatoires en raison de la créance de 20 000 euros et que « le principe non bis in idem » interdit à la cour de rendre une deuxième décision en ce sens.
Cependant, les saisies conservatoires, objet de la présente instance, sont distinctes de celles ayant donné lieu à l'arrêt du 5 novembre 2020, de sorte que ce dernier ne constitue pas en soi une cause de mainlevée.
Par ailleurs, une saisie conservatoire ne constituant pas une sanction, le principe invoqué est étranger au litige.
Si par lettre officielle de leur conseil du 12 novembre 2020, M. et Mme K. ont proposé de s'acquitter de cette dette en contrepartie de la mainlevée des saisies, il n'est justifié à ce jour d'aucun paiement.
Il n'est pas plus démontré que les saisies conservatoires ayant donné lieu à l'arrêt du 5 novembre 2020 sont de nature à désintéresser intégralement les sociétés Videlio, qui malgré l'ancienneté de la créance, n'ont pas réussi à en obtenir le paiement.
Au surplus, l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution prévoit qu'une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire.
Il sera enfin observé qu'aucune demande de cantonnement des saisies n'a été formulée.
En conséquence, la demande de mainlevée des saisies conservatoires des droits d'associé ou de valeurs mobilières sur les parts sociales détenues par M. et Mme K. au sein de la SCI Katui, au sein de la SCI Magest et des créances détenues par M. et Mme K. dans les livres de la Caisse d'épargne, sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.
M. et Mme K. sollicitent des dommages-intérêts en raison de procédures abusives engagées par les sociétés Videlio.
La cour, statuant avec les pouvoirs du juge de l'exécution sur une demande de mainlevée de saisies conservatoires, ne peut apprécier que le caractère abusif desdites saisies et non celui des autres procédures engagées entre les parties.
La demande de mainlevée de ces saisies étant rejetée, aucun abus de droit n'est établi à l'encontre des sociétés Videlio et la demande de dommages-intérêts sera rejetée.
Les sociétés Videlio n'établissant aucune faute ayant fait dégénérer en abus le droit de relever appel de M. et Mme K. et de la société Mages, il y a lieu de les débouter de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant sur renvoi de cassation, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2019,
Confirme le jugement du 24 novembre 2015 en ce qu'il a débouté M. et Mme K. et la société Mages de toutes leurs demandes ;
Y ajoutant,
Rejette la demande en paiement de dommages-intérêts de M. et Mme K. ainsi que des sociétés Videlio et Videlio HMS ;
Condamne M. et Mme K. ainsi que la société Mages aux dépens ;
Rejette la demande des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.