Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-43.057
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 avril 2005), que M. X..., dit Johnny Y..., artiste-interprète, a conclu en 1961, avec la société Philips devenue Phonogram puis Polygram aux droits de laquelle se trouve la société Universal Music, divers contrats successifs par lesquels l'artiste a consenti l'exclusivité de ses enregistrements au producteur et lui a cédé ses droits d'exploitation sur ses interprétations ;
qu'un dernier contrat "se substituant à tous les documents contractuels antérieurs" a été conclu le 9 décembre 2002 en vue de l'enregistrement de six nouveaux albums par lequel l'artiste a confirmé au profit du producteur "l'exclusivité de la fixation de ses interprétations et de la reproduction sur tous supports, de la communication au public et à la mise à disposition du public par tous moyens de ses enregistrements", étant convenu, selon la clause 4.4, que cette exclusivité cessera à l'issue d'un délai de dix huit mois à compter de la sortie commerciale en France du dernier des six albums ; qu'aux termes de l'article 5.1 l'artiste a cédé au producteur la "pleine et entière propriété des exécutions et/ou interprétations" et les droits s'y rattachant, et de l'article 5.3, qu'après l'expiration du contrat, le producteur demeure propriétaire des supports originaux et des enregistrements de toute nature "objets des présentes" et cessionnaire exclusif des droits d'exploitation ; qu'enfin, aux termes de la clause catalogue, l'artiste s'est engagé "si Universal lui en fait la demande à l'expiration du présent contrat, à ne pas réenregistrer pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers les titres qu'il aura enregistrés pour le compte de la société et ce dans un délai de cinq ans prenant effet à l'issue de la période d'exclusivité (...)" ; que, par une lettre du 8 juillet 2003, M. X..., faisant grief au producteur de lui avoir accordé des prêts et des ouvertures de crédit abusives, a sollicité la renégociation des clauses contractuelles et la signature d'un protocole transactionnel, ce que la société Universal Music a refusé ; que l'artiste a, le 19 novembre 2003, saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment aux fins d'annulation ou, subsidiairement, de résiliation du contrat aux torts du producteur ; que, postérieurement, par courrier du 2 janvier 2004, M. X... a informé la société Universal Music de son intention de mettre un terme aux relations contractuelles en offrant de réaliser un dernier album avant le 31 décembre 2005 ; que le producteur a accepté cette proposition ; que, saisi par M. X... de diverses demandes, le conseil de prud'hommes de Paris a donné acte aux parties de la résiliation du contrat d'un commun accord et a ordonné la remise à l'artiste des bandes mères de tous ses enregistrements depuis l'origine ; qu'il a, en outre, avant-dire droit sur les autres demandes, ordonné une mesure d'instruction portant sur les prêts et les rémunérations de l'artiste ; que la société Universal Music a interjeté appel ; que l'Union des producteurs phonographiques français indépendants et le syndicat national de l'édition phonographique sont intervenus à l'instance d'appel ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'artiste fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que nonobstant la résiliation du contrat du 9 décembre 2002 au plus tard le 31 décembre 2005, la cession de ses droits à la société Universal Music continuait de produire effet selon les modalités prévues par ce contrat , et d'avoir en conséquence jugé que la clause d'exclusivité prévue à l'article 4.4 du contrat et la clause catalogue pourraient continuer à avoir effet au delà de la résiliation du contrat du 9 décembre 2002 et d'avoir également rejeté sa demande tendant à la restitution des bandes mères, alors, selon le moyen :
1 / que la résiliation d'un commun d'accord d'un contrat à exécution successive a pour effet, sauf volonté expresse contraire des parties, de l'anéantir pour l'avenir et de mettre fin aux obligations qui en découlent pour chacune d'elles ; qu'il en résulte particulièrement, en matière de contrat de travail avec cession de droits de propriété intellectuelle, que le producteur, sauf clause expresse contraire, perd pour l'avenir par l'effet de la résiliation le bénéfice de la cession de droits qu'il tenait de la convention résiliée ; qu'ainsi, dès lors qu'il résultait de ses propres constatations que la lettre d'acceptation de la résiliation du 6 février 2004 n'abordait pas "la question de la cession des droits ni pour les enregistrements passés, ni pour ceux avenir" (arrêt p. 9 in fine) et qu'il n'existait dans l'accord des parties pas de "précisions sur le sort des clauses destinées à recevoir application à l'expiration du contrat de travail" (arrêt p. 9 5) , ce qui caractérisait l'absence de volonté expresse des parties de faire exception au principe de l'anéantissement pour l'avenir par l'effet de la résiliation des obligations découlant du contrat, la cour d'appel ne pouvait juger que "les parties à un contrat d'enregistrement restaient tenues, en cas de résiliation amiable, de leurs engagements prenant effet ou destinés à se poursuivre après expiration du contrat si elles n'avaient pas exprimé leur volonté d'y mettre fin", sans méconnaître les effets juridiques de la résiliation d'un commun accord et les conséquences légales de ses propres constatations, au regard des articles 1134 et 1184 du code civil ;
2 / que l'existence d'un contrat de travail n'emportant pas dérogation à la jouissance des droits de propriété intellectuelle, la poursuite par le producteur de l'exploitation des prestations de l'artiste-interprète après cessation par consentement mutuel du contrat d'artiste suppose caractérisée une autorisation certaine et expresse de celui-ci ; qu'ainsi, alors que la démission pour faute du producteur présentée par l'artiste-interprète avait été acceptée, la cour d'appel ne pouvait, dans le silence des parties, présumer l'autorisation donnée par l'artiste-interprète à la poursuite par le producteur de l'exploitation des prestations de celui-ci, et partant retenir, après résiliation, la survie de la cession des droits d'exploitation, de la clause d'exclusivité et de la clause catalogue, dont la continuation supposait l'autorisation de l'artiste-interprète, sans priver sa décision de tout fondement légal, au regard des articles L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle et L. 762-2 du code du travail ;
3 / que la cour d'appel, en présumant dans le silence des parties la volonté de celles-ci de perpétuer pour l'avenir certaines obligations du contrat résilié, et la volonté de l'artiste-interprète de redonner l'autorisation d'exploitation de ses prestations après rupture du contrat d'exclusivité, a renversé la charge de la preuve, et violé l'article 1315 du code civil et l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que, sauf disposition contraire résultant de l'accord des parties, la résiliation, d'un commun accord, du contrat d'enregistrement exclusif, n'y met fin que pour l'avenir de sorte qu'elle n'a pas pour effet d'anéantir rétroactivement les cessions antérieurement intervenues sur les enregistrements réalisés en cours de contrat ; qu'elle n'a pas non plus pour effet d'anéantir les clauses destinées à régir les relations entre l'artiste-interprète et le producteur après la période contractuelle de réalisation des enregistrements ; qu'il s'ensuit que l'arrêt a exactement décidé que le producteur était resté cessionnaire des droits voisins de l'artiste-interprète sur les enregistrements réalisés, et qu'il a en conséquence à bon droit rejeté la demande de restitution des bandes mères et décidé que la clause 4.4 relative à la durée de l'exclusivité ainsi que la clause catalogue devaient recevoir application ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen :
Attendu que l'artiste fait grief à l'arrêt d'avoir, en refusant de surseoir à statuer, rejeté sa demande aux fins de résiliation judiciaire, et jugé que la cession des droits d'artiste-interprète, la clause d'exclusivité et la clause catalogue pouvaient continuer à produire effet, sans qu'il y ait lieu à restitution des bandes mères, alors, selon le moyen :
1 / que sur l'action en nullité et résiliation judiciaire du contrat du 9 décembre 2002, le conseil de prud'hommes, dans son jugement de premier instance du 2 août 2004, avait ordonné une expertise, aux fins notamment "de calculer pour le contrat d'enregistrement du 9 décembre 2002, et ce, pour l'année 2003, (selon ce contrat et tous documents utiles) l'impact du changement de taux des redevances sur la rémunération de l'artiste résultant notamment de l'article 8.10 du contrat "ventes réalisées dans le cadre de campagnes de publicité payante" et de comparer l'économie de ce contrat à celle du précédent" ; qu'ainsi, dès lors qu'elle avait confirmé cette mesure d'instruction, la cour d'appel ne pouvait, sans contradiction, rejeter la demande de résiliation judiciaire bien qu'elle était toujours pendante par l'effet de la confirmation de la mesure d'expertise, et énoncer que les contreparties aux modifications apportées par le contrat du 9 décembre 2002 n'étaient pas hypothétiques alors que telle était partie de la mission donnée à l'expert ; qu'ainsi l'arrêt attaqué est privé de tout fondement légal, au regard de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
2 / que la cour d'appel, dès lors qu'elle avait confirmé la mesure d'expertise ordonnée par les premiers juges sur l'action en nullité et résiliation du contrat du 9 décembre 2002, et qu'en cas de succès, cette action était de nature, comme le faisait valoir l'exposant à titre subsidiaire, à priver pour l'avenir la cession de droits, la clause d'exclusivité et la clause catalogue de tout effet, ne pouvait, en refusant de surseoir jusqu'à la décision à intervenir après expertise, juger que les dites clauses continuaient à produire effet selon les modalités prévues par le contrat, sans entacher sa décision d'une contradiction de motifs et de dispositif, et violer l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu qu'à la supposer réelle, la contradiction alléguée des dispositions qui figurent dans le dispositif de l'arrêt peut donner lieu à une requête en interprétation ; qu'elle ne peut ouvrir la voie de la cassation ; que le moyen n'est donc pas recevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X..., dit Johnny Y..., aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt décembre deux mille six.