Cass. com., 17 mai 2023, n° 22-10.744
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 septembre 2021), la société Urschel Laboratories Inc. (la société Urschel) est titulaire du brevet européen n° EP 1551 603 (le brevet EP 603), déposé le 7 octobre 2003, dont elle a confié la gestion à un cabinet d'avocats américain, qui a lui-même sous-traité le paiement des annuités en Europe et notamment en France à un mandataire américain, la société Pure Ideas, le mandataire inscrit au registre national des brevets français étant le cabinet Lavoix.
2. Le paiement de la 15e annuité n'est pas intervenu dans les délais requis et la déchéance des droits attachés au brevet précité a été constatée par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) du 29 juin 2018, notifiée au cabinet Lavoix le 3 juillet 2018 et publiée au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle (BOPI) n° 18/30 le 27 juillet 2018.
3. Le cabinet Lavoix a formé un recours en restauration du brevet et a procédé au paiement de la 15e annuité le 2 avril 2019.
4. Par décision du 6 juillet 2020, le directeur général de l'INPI a déclaré ce recours irrecevable comme étant tardif.
5. La société Urschel a formé un recours contre cette décision.
Moyens
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Motivation
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société Urschel fait grief à l'arrêt attaqué de rejeter son recours formé contre de la décision du directeur général de l'INPI du 6 juillet 2020, alors « que le recours en restauration prévue par l'article L. 612-16 du code la propriété intellectuelle doit être présenté dans un délai de deux mois à compter de la cessation de l'empêchement et dans un délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé ; que l'empêchement doit s'apprécier à l'égard de la personne du demandeur à la restauration et non de son mandataire ; qu'en l'espèce, pour juger que "le directeur général de l'INPI n'encourt aucune critique pour avoir retenu que la cessation de l'empêchement est intervenue en l'espèce, au plus tard, le 10 août 2018, date à laquelle la société Pure Ideas, en charge de la gestion des annuités du brevet de la société requérante, a demandé au cabinet Lavoix de présenter un recours en restauration et conclu en conséquence que le recours formé le 2 avril 2019 soit plus de deux mois après la cessation de l'empêchement, est irrecevable", la cour d'appel a retenu que "la société requérante est mal fondée à se prévaloir de ce qu'elle n'aurait été informée de la décision de contestation de déchéance que le 17 septembre 2020 dès lors que cette décision a été notifiée à son mandataire, le cabinet Lavoix, le 3 juillet 2018 et qu'une telle notification est régulière (
) de telle sorte que le directeur général de l'INPI eut été fondé à retenir le 3 juillet 2018 à titre de date de la cessation de l'empêchement et de point de départ du délai de deux mois" ; qu'en refusant ainsi d'apprécier l'empêchement à l'égard de la société requérante, demanderesse à la restauration, pour l'apprécier à l'égard de ses mandataires, la cour d'appel a violé l'article L. 612-16 du code de la propriété intellectuelle. »
Motivation
Réponse de la Cour
8. Selon les dispositions des articles L. 613-22, 1° et R. 618-1 du code de la propriété intellectuelle, est déchu de ses droits le propriétaire d'une demande de brevet ou d'un brevet qui n'a pas acquitté la redevance annuelle dans le délai prescrit. La déchéance prend effet à la date de l'échéance de la redevance annuelle non acquittée et est constatée par une décision du directeur général de l'INPI. La décision est publiée et notifiée au breveté. Toute notification est réputée régulière si elle est faite au mandataire du titulaire du brevet.
9. L'article L. 612-16 du même code dispose :
« Le demandeur qui n'a pas respecté un délai à l'égard de l'Institut national de la propriété industrielle peut présenter un recours en vue d'être restauré dans ses droits s'il justifie d'une excuse légitime et si l'inobservation de ce délai a pour conséquence directe le rejet de la demande de brevet ou d'une requête, la déchéance de la demande de brevet ou du brevet ou la perte de tout autre droit.
Le recours doit être présenté au directeur de l'Institut national de la propriété industrielle dans un délai de deux mois à compter de la cessation de l'empêchement. L'acte non accompli doit l'être dans ce délai. Le recours n'est recevable que dans un délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé. »
10. Ainsi, la notification de la décision constatant la déchéance d'un brevet, qu'elle soit faite au breveté ou à son mandataire, met fin à l'excuse légitime visée à l'article L. 612-16 précité du code de la propriété intellectuelle et fait courir le délai de deux mois pour présenter un recours en restauration des droits sur ce brevet et procéder au paiement de la redevance.
11. L'arrêt relève d'abord que la décision du directeur général de l'INPI constatant la déchéance du brevet EP 603 a été notifiée le 3 juillet 2018 au mandataire français de la société Urschel inscrit sur le registre national des brevets, puis retient que la cessation de l'empêchement pour régler la redevance et introduire une action en restauration est intervenue au plus tard le 10 août 2018, date à laquelle la société Pure Ideas a demandé au mandataire français de présenter un recours en restauration. Il en déduit que le recours formé le 2 avril 2019, plus de deux mois après la cessation de l'empêchement, est irrecevable.
12. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a souverainement écarté la thèse selon laquelle la société Urschel n'avait pas eu connaissance de l'absence de paiement des redevances, au regard de celle qu'en avait eu son mandataire, qui avait donné instruction au mandataire français de procéder au paiement et d'introduire une action en restauration.
13. Cette solution ne vient pas en contradiction avec celle précédemment adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 février 1986 (Com., 18 février 1986, pourvoi n° 83-15.950) par lequel elle avait jugé que l'empêchement devait s'apprécier à l'égard de la personne du demandeur à l'action en restauration de brevet, dans la mesure où elle avait censuré, dans cette espèce, une cour d'appel pour avoir retenu comme point de départ le non-respect d'un délai par le mandataire quand ce non-respect ou ses effets n'avaient fait l'objet d'aucune notification et que le breveté n'en avait été informé que par la publication de ses conséquences au BOPI.
14. Au contraire, dans le présent litige, le non-respect du délai a été régulièrement notifié au mandataire inscrit de la société Urschel, de sorte qu'elle ne pouvait plus se prévaloir d'une excuse légitime à compter de cette date.
15. En retenant la date, plus favorable, à laquelle le mandataire s'était vu confier la mission de procéder au paiement de la redevance et d'introduire un recours en restauration, la cour d'appel a fait une exacte application des articles susvisés.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Urschel Laboratories Inc. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Urschel Laboratories Inc. ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.