CA Colmar, 1re ch. A, 24 mai 2023, n° 21/03943
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MN Tech (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panetta
Conseillers :
M. Roublot, Mme Robert-Nicoud
Avocats :
Me Boudet, Me Borghi
Vu l'assignation en date du 22 février 2018 par laquelle la SASU MN Tech a fait citer M. [D] [R] devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Strasbourg,
Vu le jugement rendu le 30 juillet 2021, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal judiciaire de Strasbourg a débouté la société MN Tech de l'ensemble de ses demandes, la condamnant aux dépens, ainsi qu'au paiement à M. [R] d'une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Aux motifs, notamment, que :
« Le contrat d'agent commercial est un contrat civil dont la preuve relève, par voie de conséquence, des dispositions des articles 1359 et suivant : elle se rapporte par écrit.
Outre que la demanderesse ne justifie d'aucune exception lui permettant de déroger à cette règle, force est de constater que la production aux débats d'une carte de visite et d'échanges de courriels est notoirement insuffisante à rapporter la preuve d'un contrat d'agent commercial ayant existé entre Monsieur [M] et Monsieur [R] exerçant sous le nom commercial GR DIFFUSION, alors que l'ensemble des factures censées caractériser cette relation contractuelle ont été adressées à la société BFC ».
Vu la déclaration d'appel formée par la SASU MN Tech contre ce jugement, et déposée le 26 août 2021,
Vu la constitution d'intimée de M. [D] [R] en date du 24 septembre 2021,
Vu les dernières conclusions en date du 26 avril 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SASU MN Tech demande à la cour de :
'DECLARER l'appel de la société MN TECH recevable et bien fondé,
En conséquence :
INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 juillet 2021 par la chambre commerciale du Tribunal Judiciaire de Strasbourg ;
Et, statuant à nouveau :
DIRE et JUGER que Monsieur [D] [R] a unilatéralement rompu le contrat d'agent commercial le liant à la société MN TECH,
En conséquence :
CONDAMNER Monsieur [D] [R] à payer à la société MN TECH les montants suivants :
- 160 000 € en réparation du préjudice subi suite à la rupture du contrat d'agent commercial,
- 4 800 € au titre des factures impayées pour les prestations effectuées au 1er trimestre 2017,
DIRE et JUGER que l'ensemble des montants porteront intérêt au taux légal à compter de la signification de la décision à intervenir,
CONDAMNER Monsieur [R] à payer l'intégralité des frais et dépens des deux procédures, ainsi qu'à payer à la société MN TECH la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile'
Et ce, en invoquant, notamment :
- l'existence d'un contrat d'agent commercial la liant à M. [R], dont témoignerait la carte de visite au nom de GR Diffusion, outre des échanges de courriels entre les parties et des attestations,
- le respect du délai prévu par l'article L. 134-12 du code de commerce, en présence de factures couvrant la période du premier trimestre 2017, et d'un courrier valant réclamation, en l'absence de formalisme requis pour faire valoir son droit à réparation,
- un montant d'indemnisation correspondant, au vu de l'ancienneté de la relation d'affaires entre les parties, à deux années de commissionnement, évaluées sur la base des commissions telles que facturées au titre de l'année 2016,
- la mise en compte de factures qui n'auraient pas été réellement contestées par M. [R].
Vu les dernières conclusions en date du 28 décembre 2021 et par lesquelles M. [D] [R] demande à la cour de :
Confirmer le jugement intervenu.
En conséquence,
Débouter la société MN Tech de l'ensemble de ses demandes.
Condamner la société MN Tech aux dépens, ainsi qu'à lui payer une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Et ce, en invoquant, notamment :
- l'absence de preuve d'un contrat d'agent commercial liant M. [M] au concluant, puis de la cession d'un tel contrat à la société MN Tech, aucune des factures produites ne relatant l'existence d'un quelconque contrat d'agent commercial, pas davantage que les cartes de visite dont rien ne justifierait, en l'absence de factures de commissionnement, que le concluant les aurait établies,
- à titre subsidiaire, l'absence de droit de la partie adverse à indemnité, du fait de la cession à un tiers des droits d'agent commercial qui auraient été détenus par M. [M], ou le cas échéant un droit n'excédant pas la valeur de cession, et en tout état de cause la privation d'indemnité en l'absence de réclamation dans l'année suivant la fin du contrat, les prestations invoquées en 2017 étant dépourvues de lien avec un contrat d'agent commercial,
- concernant la demande de paiement de factures, l'absence de devis ou contrat correspondant, ni même de justification des prestations, s'agissant, en outre, de prestations relevant de l'animation de secteur et concernant des clients sans rapports contractuels avec le concluant,
- en dernier lieu, l'absence de production de toute facture de commissionnement adressée à l'ordre de M. [R] et l'absence de preuve de la réalisation de vente au bénéfice de ses propres clients pour justifier d'un droit à indemnité de clientèle.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 28 septembre 2022,
Vu les débats à l'audience du 24 octobre 2022,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Sur la demande principale :
La cour rappelle qu'aux termes de l'article L134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Il sera encore rappelé qu'en application de cette disposition et d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 4 juin 2020 (C-848/28), pris pour l'application de l'article 1er, § 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, est qualifié d'agent commercial le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, quoiqu'il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services (Com., 2 décembre 2020, pourvoi n° 18-20.231) ou les conditions des contrats conclus par le mandant (Com., 16 juin 2021, pourvoi n° 19-21.585).
En outre, l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, le cas échéant, lorsqu'un contrat est conclu à cette fin, ce qui n'est requis que lorsque l'une des parties en fait la demande, par application de l'article L. 134-2 du code précité, ou s'il est fait application des articles L. 134-14 et L. 134-15 du même code, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée (Com., 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-11.507, 16-10.873).
En l'espèce, même en retenant l'application du principe de la liberté de la preuve, alors que la qualité de commerçant des parties n'est pas discutée, si les éléments produits aux débats établissent l'existence d'une relation professionnelle entre MM. [M] et [R], qui a même pu qualifier le premier de 'collaborateur' dans un courriel qui n'est cependant pas daté, l'appelante versant également aux débats le cliché de ce qui apparaît comme une carte de visite au nom d'une société « GR Diffusion », dont M. [R] apparaît reconnaître qu'il exerce son activité sous cette enseigne, avec mention du nom de M. [M] et de ses coordonnées téléphoniques et de messagerie électronique, outre une autre carte mentionnant M. [M] comme « promoteur, démonstrateur » pour Rubi France, dont le représentant se contente de mentionner, par attestation au demeurant non signée et non conforme aux prescriptions du code de procédure civile, l'existence d'un contrat d'agent commercial entre Rubi France et M. [R], résilié en septembre 2019, et le fait que M. [M] avait travaillé pour M. [R], il n'est pas justifié des conditions d'exercice de cette activité, alors même que la plupart des factures établies par M. [M] sont adressées à une société BFC Diffusion, dont le représentant légal est M. [H] [R], et non M. [D] [R], à l'exception de trois factures en date des 16 février, 8 et 9 mars 2017, relatives à des prestations d'animation « Rubi Eterno Blanke Tagina Geggus », ce qui ne suffit pas à caractériser l'exercice, à ce titre, d'une activité, non pas seulement d'animateur mais d'agent commercial telle que définie par les dispositions précitées, faute d'établir les diligences effectuées à ce titre, et ce sans incidence du fait que M. [M] exerçait une activité d'agent commercial pour laquelle il était immatriculé, qu'il a cédé en date du 31 décembre 2016 à la société MN Tech, également immatriculée au registre des agents commerciaux, certes seulement en date du 31 mars 2017, et qui est l'émettrice des factures en question, ce qui ne démontre pas, en soi, qu'elle agissait comme agent commercial pour le compte de M. [D] [R].
Si la société MN Tech entend, par ailleurs, faire grief à la partie intimée de ne pas caractériser les relations qui auraient pu exister entre elles, il n'en demeure pas moins que c'est à elle d'établir l'existence d'un contrat d'agent commercial, ce qui ne ressort pas davantage à suffisance des correspondances électroniques produites, dans lesquelles M. [M] apparaît, au demeurant, la plupart du temps en copie des messages concernés, sans que l'effectivité de son rôle dans la négociation ou la conclusion de contrats ne soit démontrée, pas plus qu'elle ne résulte du surplus des pièces.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a rejeté la demande tant en paiement de factures que d'indemnité de rupture formée par la société MN Tech, le jugement entrepris devant recevoir confirmation à ce titre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société MN Tech succombant pour l'essentiel sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de l'appelante une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 3 000 euros au profit de l'intimé, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ce dernier, et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 juillet 2021 par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg,
Condamne la SASU MN Tech aux dépens de l'appel,
Condamne la SASU MN Tech à payer à M. [D] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SASU MN Tech.