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Décisions

CA Paris, 8e ch. B, 8 novembre 2007, n° 07/04177

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Intercafco (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Baland

Conseillers :

Mme Roiné, Mme Forest-Hornecker

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, Me Teytaud

Avocats :

Me Soffer, Me Bruguiere

TGI Paris, du 21 févr. 2007, n° 06/85725

21 février 2007

Par trois ordonnances du 25 avril 2006, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a autorisé la société Intercafco à faire pratiquer à l'encontre de Jean-Jacques Alphandery trois mesures conservatoires pour garantir la somme de 975.000 euros.

Une saisie conservatoire de créance a ainsi été pratiquée le 9 mai 2006 sur le compte de Jean-Jacques Alphandery ouvert auprès de la Banque Privée Européenne révélant un solde débiteur de 11.511,31 euros puis les 10 et 11 mai 2006, une saisie conservatoire de meubles corporels au domicile de Jean-Jacques Alphandery et dans les entrepôts de la société André Chenue, garde-meubles. Enfin, le 11 juillet 2006, la société Intercafco a déposé une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier situé [...].

Par jugement du 21 février 2007, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a constaté la caducité de la saisie conservatoire du 9 mai 2006 pour défaut de dénonciation au débiteur, débouté Jean-Jacques Alphandery de ses demandes de nullité des autres saisies, de sa demande de rétractation des ordonnances du 25 avril 2006 et de mainlevée des mesures conservatoires, de sa demande subsidiaire de restitution des meubles insaisissables et condamné Jean-Jacques Alphandery au paiement d'une indemnité de procédure de 2.000 euros.

Par dernières conclusions du 17 septembre 2007, Jean-Jacques Alphandery, appelant, demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a déclaré caduque la saisie du 9 mai 2006, de constater la nullité des procès-verbaux des saisies conservatoires des 10 et 11 mai 2006, de dire nulles ces saisies, d'ordonner mainlevée des saisies des 10 et 11 mai 2006 ainsi que de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire déposée par la société Intercafco le 11 juillet 2006, subsidiairement dire que le buffet rustique 3 portes, l'armoire 2 portes, le canapé et deux bureaux, objets de la saisie du 10 mai 2006 sont insaisissables et en ordonner la restitution, dire que certains des meubles saisis au garde-meubles (34 - 35 - 37 - 3 à 8, 17, 18, 24, 25-26, 1, 2, 3, 4 et 5 sont insaisissables, d'en ordonner la restitution, de l'autoriser à déplacer à son domicile les meubles saisis au garde- meuble . Il sollicite paiement de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts et de 20.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Il fait valoir essentiellement :

- qu'il a fait appel de l'arrêt de la chambre civile de la cour de justice du canton de Genève de même que de la décision d'exequatur, que la décision est susceptible de réformation et qu'il n'y a pas de principe de créance,

- que la valeur de son patrimoine immobilier permet à la société Intercafco d'être garantie du recouvrement de la créance.

Par dernières conclusions du 18 juillet 2007, la société Intercafco demande à la cour de confirmer le jugement, de condamner Jean-Jacques Alphandery au paiement d'une amende civile de 3.000 euros, de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts et de celle de 20.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle soutient principalement :

- qu'elle dispose d'un jugement de condamnation de Jean-Jacques Alphandery, confirmé en appel dont elle a obtenu l'exéquatur,

- que les co-débiteurs de l'appelant sont insolvables,

- que le compte bancaire saisi est débiteur et que Jean-Jacques Alphandery ne justifie pas pouvoir s'acquitter d'une somme de près de 1.000.000 euros,

- que le bien immobilier sur lequel l'hypothèque judiciaire provisoire a été inscrite est déjà grevé de deux hypothèques et que les contrats d'assurance-vie produits sont déjà nantis au profit de la BPE,

- que l'évaluation du bien communiquée par l'appelant n'est pas probante,

- que les revenus du débiteur ne permettent pas à celui-ci de disposer de liquidités suffisantes pour s'acquitter de sa dette.

SUR CE, LA COUR :

qui se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, à leurs écritures et à la décision déférée,

Considérant que Jean-Jacques Alphandery est le dirigeant de la société Rial Trading, dont l'activité principale est de réaliser des opérations dans le négoce international du sucre ; que la société Intercafco exerce également son activité dans le domaine du commerce international de produits tropicaux ; que le 6 novembre 1998, les sociétés Rial Trading et Intercafco ont conclu une convention relative à l'organisation en commun d'une opération de vente de 5.000 tonnes de sucre en Côte d'Ivoire ; que le 13 octobre 1999, les mêmes sociétés ont signé une seconde convention organisant le financement des opérations et la répartition des bénéfices et des pertes, Jean-Jacques Alphandery s'engageant solidairement avec le directeur général de la société Rial Trading, Andi Handjani, à garantir le remboursement par la société à Intercafco des 2/3 des pertes ;

Considérant qu'alléguant des détournements et des pertes, la société Intercafco a obtenu du tribunal de première instance de Genève un jugement du 28 mars 2006 condamnant solidairement la société Rial Trading, Jean-Jacques Alphandery et Ali Handjani à lui apyer les sommes de 1.113.080 francs suisses soit 760.404,54 euros avec intérêts de 5 % à compter du 31 décembre 2001 et celle de 38.200 euros au titre des frais judiciaires ; que c'est dans ces conditions que les mesures conservatoires sus-visées ont été autorisées puis pratiquées ;

Sur la caducité de la saisie du 9 mai 2006 :

Considérant que la saisie conservatoire pratiquée le 9 mai 2006 sur le compte bancaire ouvert à la BPE n'a pas été dénoncée à Jean-Jacques Alphandery ; qu'elle est donc caduque en application de l'article 236 du décret du 31 juillet 1992 ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;

Sur la nullité des saisies des 10 et 11 mai 2006 :

Considérant que Jean-Jacques Alphandery soutient que les procès-verbaux de saisie des 10 et 11 mai 2006 ne respectent pas les exigences de l'article 221 du décret du 31 juillet 1992 en ce qu'ils visent l'article 406 du code pénal alors que celui-ci n'existe plus, que le montant de l'amende est inexact et que les actes n'ont pas été signés par les tiers ayant assisté à la saisie ;

Considérant que les dispositions de l'article 314-6 du code pénal ont bien été reproduites dans les procès-verbaux ; que le fait que l'ancien article 406 ait été mentionné au lieu de l'article 314-6 n'entraîne aucun grief, les sanctions édictées étant par ailleurs reproduites ; qu'il importe peu qu'il soit fait mention d'une amende d'un montant légèrement supérieur à celle réellement encourue, le but de l'énonciation des sanctions étant d'attirer l'attention du débiteur ou du tiers saisis sur le caractère pénalement répréhensible de tout déplacement des objets saisis ; que la société André Chenu a d'ailleurs argué de ces sanctions pénales pour refuser le déplacement des meubles saisis du garde- meuble au domicile de Jean-Jacques Alphandery ;

Considérant que les procès-verbaux de saisie indiquent les nom, prénom et qualité des personnes ayant assisté aux opérations de saisie ; que le débiteur ne justifie pas du grief que lui aurait causé le défaut de signature de ces tiers sur les originaux ou les copies ;

Considérant que Jean-Jacques Alphandery doit en conséquence être débouté de ses demandes de nullité des saisies conservatoires de meubles corporels ;

Sur la mainlevée des mesures conservatoires :

Considérant qu'aux termes de l'article 67 de la loi du 9 juillet 1991, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l' autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable , si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ;

Considérant que la société Intercafco détenait à l'encontre de Jean-Jacques Alphandery au moment du dépôt de la requête devant le juge de l'exécution un jugement du tribunal de première instance de Genève en date du 28 mars 2006 le condamnant, solidairement avec Ali Handjani et la société Rial Trading au paiement de la somme de 1.280.958,35 francs suisses avec intérêts à 5 % à compter du 31 décembre 2001 ; que cette condamnation a été confirmée en appel le 20 avril 2007 par la chambre civile de la cour de justice du canton de Genève et qu'une ordonnance d'exequatur a été rendue le 2 août 2007 ; que la société Intercafco justifie bien ainsi d'une créance paraissant fondée en son principe qui peut être évaluée à 975.000 euros ;

Considérant que c'est à la société Intercafco, créancière, qu'il appartient à de rapporter la preuve des menaces pesant sur le recouvrement de cette créance à l'encontre de Jean-Jacques Alphandery, peu important ici que les co-débiteurs solidaires soient ou non solvables ; qu'au demeurant la société Intercafco ne justifie par aucune pièce les difficultés alléguées par elle de la société Rial Trading ; qu'enfin, ce n'est pas à Jean-Jacques Alphandery de justifier de ses capacités de remboursement ;

Considérant que la société Intercafco ne peut se prévaloir du caractère débiteur du compte ouvert dans les livres de la BPE lors de la saisie conservatoire le 9 mai 2006 alors que Jean-Jacques Alphandery, dirigeant de sociétés, produit une attestation de cette même banque en date du 23 janvier 2007 mentionnant : 'ce compte fonctionne normalement dans les limites contractuelles définies et n'enregistre à ce jour aucun incident de paiement' ;

Considérant que le changement d'adresse du débiteur en cours de procédure ne peut être retenu comme un élément d'insolvabilité ; qu'il ne peut pas plus être reproché à Jean-Jacques Alphandery d'avoir vendu un bien pour financer sa dernière acquisition où il réside depuis la fin des travaux de rénovation entrepris par lui ;

Considérant que Jean-Jacques Alphandery est propriétaire d'un hôtel particulier dans le 16ème arrondissement de Paris, acquis fin1998 au prix de 13.300.000 francs soit 2.027.571,90 euros ; que la fiche d'immeuble ne fait apparaître qu'un seul prêt contracté pour cet achat, auprès de la BPE, d'un montant de 5.357.000 francs soit 816.669,39 euros ; que selon le tableau d'amortissement, le capital restant dû en septembre 2007 n'est plus que de 2.671.887 francs soit 407.326,55 euros ; que Jean-Jacques Alphandery a par ailleurs en septembre 2003 contracté deux prêts sur quinze ans, toujours auprès de la BPE, pour effectuer des travaux dans cet immeuble d'un montant total de 1.230.000 euros ; que deux inscriptions d'hypothèque ont été prises par la BPE à l'occasion de ces prêts également garantis par deux assurances-vie du prêteur d'un montant total de 548.527 euros ;

Considérant que Jean-Jacques Alphandery produit une évaluation de l'immeuble rédigée par un architecte, Annie François, en date du 9 mars 2007, à 8.500.000 euros ; que la société Intercafco se contente de soutenir que la valeur de l'immeuble est inférieure à ce montant, sans produire d'autre évaluation ; qu'eu égard à la valeur d'achat du bien en 1998, au cours du marché immobilier ainsi qu'aux travaux réalisés par son propriétaire, ce bien n'apparaît pas surévalué ; qu'enfin, Jean-Jacques Alphandery produit son avis d'imposition pour l'exercice 2005 duquel il résulte qu'il a perçu en 2005 un revenu global de 646.817 euros qui permet à l'évidence un remboursement régulier des mensualités d'emprunt ;

Considérant dès lors que la preuve des menaces pesant sur le recouvrement de la créance n'est pas rapportée par la société Intercafco, la valeur de l'immeuble [...] garantissant amplement le paiement de la créance ;

Considérant que, mainlevée des saisies conservatoires de biens meubles pratiquées les 10 et 11 mai 2006 doit en conséquence être ordonnée de même que doit être ordonnée mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire déposée le 11 juillet 2006 ; que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé ;

Sur les dommages et intérêts :

Considérant qu'en vertu de l'article 73 de la loi du 9 juillet 1991, lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire ;

Considérant que Jean-Jacques Alphandery a été privé depuis juillet 2006 de la jouissance de ses meubles entreposés par lui dans les locaux de la société André Chenue pour la durée des travaux effectués à son domicile ; que par ailleurs, il justifie avoir dû régler depuis juillet 2006 des frais de garde-meubles alors que ces travaux étaient terminés ; qu'il convient de lui allouer à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice ainsi subi la somme de 10.000 euros ;

Considérant que la société Intercafco qui succombe, ne peut prétendre à des dommages et intérêts ;

Sur les dépens et les frais :

Considérant que la société Intercafco qui succombe doit supporter la charge des dépens et ne saurait bénéficier de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; qu' il convient d'allouer à Jean-Jacques Alphandery, au titre des frais judiciaires non taxables exposés par lui la somme de 4.000 euros ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré caduque la saisie conservatoire du 9 mai 2006 et débouté Jean-Jacques Alphandery de ses demandes de nullité des saisies conservatoire des 10 et 11 mai 2006,

Et, statuant à nouveau, ordonne mainlevée des saisies conservatoires pratiquées le 10 mai 2006 au domicile de Jean-Jacques Alphandery et le 11 mai 2006, dans les entrepôts de la société André Chenue,

Ordonne mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire déposée par la société Intercafco le 11 juillet 2006 et portant sur l'immeuble situé [...],

Condamne la société Intercafco à payer à Jean-Jacques Alphandery la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 4.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes des parties,

Condamne la société Intercafco aux dépens de première instance et d'appel, le montant de ces derniers pouvant être recouvré dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.