CA Colmar, 3e ch. civ. A, 17 octobre 2016, n° 16/00378
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Supermarche Robertsau (SARL)
Défendeur :
L'Ancien Garage (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martino
Conseillers :
Mme Wolf, Mme Fabreguettes
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SAS Supermarché Marché U, aux droits de laquelle vient la Sarl Supermarché Robertsau, a entrepris en 2010 la transformation d'un ancien garage situé [...], en magasin d'alimentation dont elle serait chargée de l'exploitation. Ce garage était alors la propriété de la SCI de l'Ancien Garage, avec laquelle elle a donc conclu un bail commercial pour la location des murs.
Selon contrat sous seing privé en date du 3 août 2010, la Sarl Supermarché Robertsau a chargé la société L2 Développement de l'assistance à maître d'ouvrage, avec notamment pour mission d'élaborer le dossier de permis de construire pour les travaux de transformation, de conclure les marchés et d'assurer le suivi de ces travaux, avec l'aide d'un architecte, Monsieur Jean R..
Les plans initiaux prévoyaient l'installation au sous-sol de l'ancien garage des réserves et de la salle des machines, mais ils se sont révélés incompatibles avec le PPRI et il a donc fallu prévoir la construction d'un étage, ce qui a créé un conflit avec les propriétaires du terrain voisin, les consorts R., qui ont formé pour ce motif un recours gracieux contre le permis déjà accordé.
Les parties se sont alors rapprochées et un protocole d'accord a été signé le 26 mars 2012 entre les consorts R., la Sarl Supermarché Robertsau, la SCI de l'Ancien Garage et la Sarl L2 Développement, par lequel cette dernière s'engageait à réduire la hauteur du mur qui devait être implanté contre la propriété R., procéder à la réfection du mur mitoyen déjà existant fissuré suite aux travaux et déplacer les compresseurs frigorifiques et le groupe froid loin de la limite des deux propriétés, le tout dans un délai de six mois après obtention définitive du permis modificatif purgé de tout recours, sous peine de devoir verser aux consorts R. une pénalité forfaitaire de 360000 euros.
La SCI l'Ancien Garage et la Sarl Supermarché Robertsau se sont engagées dans ce protocole à garantir solidairement les consorts R. de l'exécution de ces engagements pris par la Sarl L2 Développement.
Cette société n'ayant pas respecté le protocole, Madame Astrid R., épouse E., seule propriétaire en dernier lieu, a assigné les trois signataires de l'acte devant le tribunal de grande instance de Strasbourg pour demander leur condamnation solidaire au paiement du coût des travaux évalué à 62 836,80 euros et de la pénalité forfaitaire convenue, plus une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, soit au total un montant de 427 836,80 euros, hors frais.
La Sarl L2 Développement ayant fait l'objet d'un redressement judiciaire, avec désignation de Maître P. en qualité d'administrateur et de Maître C. en qualité de mandataire judiciaire, le SCI de l'Ancien Garage a saisi le 6 juillet 2015 le juge de l'exécution délégué près le tribunal d'instance de Strasbourg afin de se voir autoriser à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires et meubles corporels de la Sarl Supermarché Robertsau et faire inscrire un nantissement sur son fonds de commerce pour la moitié de cette créance, soit la somme de 213.918,40 euros et les intérêts et frais évalués forfaitairement à 10 000 euros.
Par ordonnance en date du 10 juin 2015, le juge de l'exécution a autorisé les saisies en question et la SCI de l'Ancien Garage a alors fait procéder le 25 août 2015 à une saisie conservatoire des créances possédées par la débitrice auprès de la Banque Populaire d'Alsace, le 28 août 2015 à une saisie conservatoire de ses meubles corporels et le 16 septembre 2015 à l'inscription d'un nantissement judiciaire provisoire sur son fonds de commerce.
Il convient de relever que la Sarl Supermarché Robertsau avait elle aussi déjà demandé antérieurement une autorisation du juge de l'exécution délégué près le tribunal d'instance d'Illkirch-Graffenstaden pour procéder à l'inscription d'une hypothèque judiciaire provisoire sur l'immeuble appartenant à la SCI de l'Ancien Garage, mais pour le paiement de l'entière créance, et que par jugement en date du 11 mars 2015, sur recours de la SCI, le juge de l'exécution avait validé cette inscription en la cantonnant à la moitié de la somme réclamée par Madame R., ce jugement ayant retenu que cette créance paraissait fondée en son principe et pour menace sur son recouvrement le fait que la SCI de l'Ancien Garage avait revendu le 29 août 2014 à une SCI U le bien faisant l'objet de l'hypothèque, qui constituait son seul patrimoine.
La Sarl Supermarché Robertsau a saisi le 25 septembre 2015 le juge de l'exécution de Strasbourg pour demander la rétractation de l'ordonnance du 10 juin 2015 et l'annulation des saisies pratiquées, mais par le jugement entrepris en date du 13 janvier 2016 elle a été déboutée de ses demandes, condamnée aux dépens et à payer à la SCI de l'Ancien Garage une somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a estimé que la créance était fondée en son principe puisqu'il n'était pas contesté que les travaux prévus au protocole d'accord n'avaient pas été exécutés et qu'en cas de condamnation au profit de Madame R.-E. les deux autres parties à ce protocole seront tenues solidairement et donc la SCI bénéficiera d'une action récursoire contre la Sarl Supermarché Robertsau.
Il a aussi relevé l'existence de circonstances menaçant le recouvrement de la créance tenant au montant des inscriptions grevant le fonds de commerce de cette société, au refus d'un prêt pour l'acquisition des murs, à un résultat négatif en 2013 et faiblement bénéficiaire en 2014 et à un actif disponible inférieur au passif exigible.
La Sarl Supermarché Robertsau a interjeté appel le 25 janvier 2016 et, par conclusions déposées le 5 février 2016, elle conclut à l'infirmation de ce jugement et reprend ses prétentions de première instance, demandant aussi la condamnation de la SCI de l'Ancien Garage aux dépens des deux instances et à lui payer une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait essentiellement valoir que :
' ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle a accepté de s'engager aux côtés de la Sarl L2 Développement, dont le gérant est un associé de la SCI, et de la SCI L'Ancien Garage, seuls responsables de la non exécution de l'engagement envers les consorts R., que la première n'est plus solvable et qu'elle même contre garantit déjà la SCI pour la moitié de la créance, laquelle SCI a pu au surplus, suite à son action devant le juge de l'exécution d'Illkirch, récupérer à hauteur de l'autre moitié le prix de vente de l'immeuble qui était séquestré pour le tout ;
' elle estime disposer d'une action en garantie contre l'intimée et non pas seulement d'un recours entre cofidéjusseurs sur la base de la faute du propriétaire dans la construction objet du bail commercial et donc ne pas devoir être condamnée, la SCI n'ayant aucune créance à son encontre ;
' seule la SCI a une solvabilité incertaine suite à la vente de l'immeuble, elle même n'ayant aucune difficulté ; ainsi elle a refusé d'acheter les murs à raison de l'importante plus-value du prix réclamé par la SCI et elle présentait un résultat d'exploitation largement positif en 2014.
Par dernières conclusions communiquées le 5 février 2016, la SCI de l'Ancien Garage demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la Sarl Supermarché Robertsau aux dépens d'appel et à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en soutenant en substance que :
' elle approuve la motivation du premier juge s'agissant du bien fondé de la créance qui n'est nullement subsidiaire, mais solidaire et l'appelante a admis l'existence de cette créance puisqu'elle n'a pas interjeté appel à l'encontre du jugement du juge de l'exécution d'Illkirch-Graffenstaden,
' les menaces sur le recouvrement sont avérées puisqu'il existe deux inscriptions sur le fonds de commerce pour un total de 1 790 000 euros, que l'appelante n'a pas usé de son droit de préférence pour l'achat des murs car sa banque n'a pas voulu lui prêter les fonds et que ses comptes montrent sa fragilité financière, les dettes excédant ses disponibilités et son résultat étant faible.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution«toute personne dont le créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge de l'exécution l' autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable , si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.»
La validité d'une saisie conservatoire dépend donc, indépendamment du débat au fond pouvant opposer le créancier et le débiteur, qui ne relève pas de la compétence du juge de l'exécution, de la seule appréciation par ce juge des deux critères tenant à l'existence d'une «créance paraissant fondée en son principe» et de «circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement de la créance».
En l'espèce, la créance dont se prévaut la SCI de l'Ancien Garage est celle résultant du protocole d'accord du 26 mars 2012, qui stipule entre autres dans un article 3.1 que :
«Les sociétés SCI de l'Ancien Garage et Sarl Supermarché Robertsau (') s'engagent à garantir solidairement Mmes Anne-Marie R. et Astrid E. de l'ensemble des obligations contractées par la société L2 DEVELOPPEMENT SARL à l'article 1.1 du présent protocole d'accord» (cet article 1.1 définissant les travaux à réaliser par cette société contre renonciation par les consorts R.-E. de leur recours gracieux contre le permis de construire et prévoyant que, faute de réalisation de ces travaux dans les six mois de l'obtention définitive du permis modificatif purgé de tout recours, la SARL L2 Développement versera à Mmes Anne-Marie R. et Astrid E. une somme globale et forfaitaire de 360 000 euros à titre de pénalité forfaitaire).
Il n'est pas contesté que la Sarl L2 Développement n'a pas tenu ses engagements et que Madame E. a donc intenté une action judiciaire pour obtenir le paiement du prix évalué des travaux non réalisés et de la pénalité forfaitaire, ceci solidairement par les trois sociétés, L2 Développement, SCI de l'Ancien Garage et Supermarché Robertsau.
L'appelante conteste en l'occurrence cette solidarité au motif qu'elle n'aurait été que subsidiaire, mais les termes de «garantir solidairement» employés par le protocole d'accord, d'une part ne font référence à aucune subsidiarité, d'autre part renvoient nécessairement à la définition donnée par le code civil d'une obligation solidaire entre débiteurs, à savoir, en vertu des articles 1200 et suivants de ce code, une obligation à une même chose, de sorte que chacun puisse être contraint pour la totalité et que le paiement fait par un seul débiteur libère les autres envers le créancier, lequel peut donc actionner l'un quelconque des débiteurs pour le tout, sans qu'il ne puisse lui opposer le bénéfice de division.
Le principe d'une créance solidaire est donc de rendre tout engagé tenu pour le tout envers le créancier, sans possibilité de discussion ou de division.
Par contre, aux termes des articles 1213 et 1214 du même code, dans les rapports entre codébiteurs tenus solidairement ou cofidéjusseurs, l'obligation contractée solidairement se divise de plein droit entre les débiteurs, qui ne sont tenus entre eux chacun que pour leur part et portion, de sorte que tout co débiteur qui a payé en entier la dette ne pourra répéter contre les autres que la quote-part de chacun d'eux, sauf le cas où l'un d'eux se trouverait insolvable, car la perte occasionnée par cette insolvabilité se répartit alors, par contribution, entre tous les autres débiteurs solvables.
Il résulte de ces dispositions légales que, sous réserve de l'appréciation du juge du fond quant au bien fondé et au montant de la créance, la Sarl Supermarché Robertsau peut être contrainte à raison de la nature de son engagement de payer intégralement Madame R.-E., qui disposera alors du choix d'engager des mesures d'exécution forcée pour le recouvrement de sa créance contre l'une quelconque des trois débitrices solidaires, mais que dans les rapports entre l'appelante, la SCI de l'Ancien Garage et la Sarl L2 Développement, chacune de ces sociétés ne devra en définitive supporter que le tiers de la créance potentielle, ou plutôt, puisque L2 Développement est apparemment insolvable, la moitié, la part et portion de cette dernière se répartissant entre les deux débitrices solvables.
Il en résulte que la SCI de l'Ancien Garage, qui a déjà fait l'objet à la demande de l'appelante d'une mesure de saisie conservatoire, à savoir l'inscription d'une hypothèque judiciaire provisoire pour la garantie éventuelle, au cas où la Sarl Supermarché Robertsau serait contrainte de payer seule Madame R.-E. l'intégralité du montant par elle réclamé, du paiement de sa part et portion, fixée à juste titre par le juge de l'exécution d'Ilkirch-Graffenstaden dans son jugement non appelé du 11 mars 2015 à la moitié de ce montant, était elle aussi en droit de demander au juge de l'exécution l' autorisation de pratiquer des saisies de même nature sur les biens de cette Sarl, car disposant contre elle d'une même créance paraissant fondée en son principe, correspondant en l'occurrence à l'autre moitié de cette somme, soit sa propre part et portion en qualité de co débitrice solidaire.
Il est précisé que le fait que la Sarl Supermarché Robertsau estime pouvoir disposer d'une contre créance contre la SCI de l'Ancien Garage, tenant à une action en garantie pour sa faute en qualité de propriétaire et bailleur lors de l'exécution des travaux, - qui est tout à fait hypothétique en l'espèce car il n'est justifié d'aucune instance introduite aux fins de reconnaissance de cette responsabilité, mais seulement d'une demande de garantie formée contre cette SCI pour s'être portée fort de l'exécution du protocole d'accord -, est absolument sans emport sur le principe de la créance revendiquée par cette SCI, qui résulte de façon certaine d'un document contractuel prévoyant une solidarité ayant force de loi entre ses signataires.
C'est donc à bon droit, si ce n'est l'emploi impropre du terme d'action récursoire pour désigner l'action entre cofidéjusseurs, que le premier juge a estimé que la première condition de validité d'une saisie conservatoire était remplie.
S'agissant des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance, elles sont largement établies par les documents produits aux débats dont ce même juge a exactement retenu qu'ils montraient que le fonds de commerce de l'appelante était grevé d'inscriptions d'un montant total de 1 790 000 euros, que la société s'était vue refuser par sa banque un financement pour l'acquisition des murs abritant son fonds de commerce, mis en vente par la SCI de l'Ancien Garage avec droit de priorité de la locataire pour son achat, et que ses bilans successifs montraient une perte en 2013 et un faible bénéfice en 2014 et en tout cas un actif disponible inférieur au passif exigible.
Il est relevé au surplus qu'il ressort des documents comptables que le montant des créances privilégiées est supérieur au montant de l'actif immobilisé inscrit au bilan et que le résultat d'exploitation du magasin a été négatif en 2013 et faible en 2014 en raison d'importantes charges financières.
Il est aussi constaté que la saisie conservatoire des créances du 25 août 2015 a été dépourvue d'effet puisque le compte courant possédé par l'appelante au sein de la Banque Populaire était débiteur d'un montant de 11 031,08 euros, ce qui ôte tout intérêt à la contestation de cette saisie.
La deuxième condition de validité des mesures conservatoires était donc également largement remplie, la Sarl Supermarché Robertsau ne disposant d'aucune marge financière pour faire face au paiement d'une créance d'un montant en principal de 231 918,40 euros, dont elle n'a d'ailleurs pas proposé la consignation.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a refusé de faire droit aux prétentions de cette société et donc de donner mainlevée des saisies.
Il sera également confirmé en ses dispositions sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La Sarl Supermarché Robertsau, qui succombe, supportera les dépens d'appel.
Il est équitable par ailleurs d'allouer à la SCI de l'Ancien Garage une somme de 2 000 euros pour ses frais autres que les dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE la Sarl Supermarché Robertsau aux dépens d'appel et à payer à la SCI de l'Ancien Garage la somme de 2 000 euros (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile.