CA Pau, 2e ch. sect. 1, 10 novembre 2022, n° 21/04003
PAU
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Cinédesigns (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Darracq
Conseillers :
Mme Guiroy, M. Magnon
Avocats :
Me Sutter, Me Nicolet, Me Mariol, Me Turchet
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Le 9 février 2016, monsieur [V] [X] a créé la société par actions simplifiée Cinedesigns dont l'objet principal est la conception, la commercialisation et l'installation de cinémas ainsi que la vente de matériel accessoire.
Selon l'article 7 des statuts modifiés suivant assemblée générale du 20 décembre 2018, le capital social est fixé à 10.000 euros divisé en 100 actions de 100 euros chacune, numérotées 1 à 100, intégralement libérées, de même catégorie et réparties entre les actionnaires de la façon suivante suite aux cessions d'actions intervenues le 25 janvier 2018 et le 20 décembre 2018 :
- monsieur [V] [X] : 34 actions
- monsieur [S] [P] : 33 actions
- madame [U] [P] : 33 actions.
Invoquant des dissensions avec le président de la société, [V] [X], à raison de son non-respect dans la répartition des rôles de chacun et de leur mise à l'écart du fonctionnement et des activités de la société, par exploit d'huissier en date du 20 septembre 2021, [U] et [S] [P] ont assigné [V] [X] et la SAS Cinedesigns devant le juge des référés du tribunal de commerce de Mont-de- Marsan afin de voir, au principal, désigner un administrateur ad hoc à l'effet qu'il :
- convoque une assemblée générale extraordinaire de la société avec pour ordre du jour :
- la révocation de Monsieur [X] de ses fonctions de Président de la société ;
- la désignation d'un nouveau président en la personne d'[S] [P] avec transfert du siège social et pouvoirs pour établir les formalités ;
- procède aux formalités de publicité du procès-verbal de l'assemblée au Registre du commerce et des sociétés.
Par ordonnance de référé en date du 26 novembre 2021, le Président du Tribunal de commerce de Mont-de-Marsan a :
Vu l'article 1583 du code civil,
Vu les statuts modifiés et PV d'assemblée générale de la SAS Cinedesigns du 20.12.2018
Dit que les consorts [P] [U] et [S] ont la qualité d'associés de la SAS Cinedesigns,
Débouté Monsieur [X] [V] de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir des consorts [P] ;
Et visant la contestation sérieuse et la nécessité d'interpréter les statuts et la volonté des parties au moment de leur rédaction, il :
- s'est déclaré incompétent pour statuer sur le présent litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant les juges du fond ;
- a laissé les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile à la charge respective des parties ;
- a laissé les entiers dépens, en ce compris les frais de l'instance liquidés à la somme de 40,65 euros à la charge des parties requérantes ;
- a débouté les parties du surplus de leurs prétentions devenues inutiles ou mal fondées.
Selon déclarations du 11 décembre 2021 et du 24 janvier 2022, [U] et [S] [P] ont interjeté appel à l'encontre de cette décision.
Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 3 février 2022.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 4 avril 2022 auxquelles il convient de se référer pour l'exposé détaillé des moyens développés, les consorts [P] demandent à la cour de :
Infirmer partiellement l'ordonnance déférée en ce que :
- il a été jugé qu'il existe une contestation sérieuse et qu'il est nécessaire d'interpréter les statuts et la volonté des parties au moment de leur rédaction ;
- le juge s'est déclaré incompétent pour statuer sur le litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond ;
- les consorts [P] ont été déboutés de leurs demandes visant :
'à faire désigner un mandataire ad hoc avec la mission de :
- convoquer une assemblée générale extraordinaire de la société Cinedesigns dont l'ordre du jour sera :
- la révocation de Monsieur [X] de ses fonctions de président de la société,
- la désignation d'un nouveau président de la société en la personne de Monsieur [S] [P],
- le transfert du siège social de la société pour l'établir à l'adresse suivante : [Adresse 1],
- pouvoirs pour établir les formalités.
- procéder aux formalités de publicité du procès-verbal de l'assemblée, au registre du commerce et des sociétés ;
'à faire condamner monsieur [X] au paiement des honoraires du mandataire ad hoc
'à faire condamner monsieur [X] à verser la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
'à faire condamner monsieur [X] aux dépens, notamment les frais d'huissier.
Et par voie de conséquence, désigner tel mandataire ad hoc qu'il lui plaira avec la mission suivante :
'convoquer une assemblée générale extraordinaire de la société Cinedesigns dont l'ordre du jour sera :
- Révocation de Monsieur [X] de ses fonctions de président de la société,
- Désignation d'un nouveau président de la société en la personne de Monsieur [S] [P],
- Transfert du siège social de la société pour l'établir à l'adresse suivante : [Adresse 1],
- Pouvoirs pour établir les formalités.
'procéder aux formalités de publicité du procès-verbal de l'assemblée, au registre du commerce et des sociétés ;
Condamner monsieur [X] au paiement des honoraires du mandataire ad hoc,
Débouter les intimés de leur appel incident,
Débouter les intimés de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
Condamner monsieur [X] à verser la somme de 3.000 € aux appelants au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en première instance,
Condamner monsieur [X] à verser la somme 2.400 € aux appelants au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en appel
Condamner monsieur [X] aux dépens de première instance et d'appel, notamment les frais d'huissier.
Selon les dernières écritures en date du 24 mai 2022 auxquelles il convient aussi de se référer pour l'exposé détaillé des moyens développés, [V] [X] et la SAS Cinedesigns demandent à la cour de :
Vu les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile,
Vu les articles L227-5 et L227-9 du code de commerce
Vu les statuts de la SAS Cinedesigns,
Vu les pièces versées aux débats,
A titre principal et In limine litis :
Réformer l'ordonnance de référé du 26 novembre 2021 en ce qu'elle a :
- dit que les consorts [P] [U] et [S] ont la qualité d'associés de la SAS Cinedesigns
- débouté monsieur [X] [V] de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir des consorts [P];
- laissé les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile à la charge respective des parties ;
- débouté les parties du surplus de leurs prétentions devenues inutiles ou mal fondées.
En conséquence,
- Déclarer madame [U] [P] et monsieur [S] [P] irrecevables en leurs demandes.
- Les condamner au paiement de la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
A titre subsidiaire :
Confirmer l'ordonnance de référé du 26 novembre 2021 en ce qu'elle a :
- jugé qu'il existe une contestation sérieuse et qu'il est nécessaire d'interpréter les statuts et la volonté des parties au moment de leur rédaction ;
- s'est déclaré incompétent pour statuer sur le présent litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant les juges du fond.
A titre infiniment subsidiaire :
Débouter madame [U] [P] et monsieur [S] [P] de leurs demandes, fins et conclusions.
En tout état de cause :
Condamner madame [U] [P] et monsieur [S] [P], in solidum, à payer à la S.A.S Cinedesigns, et à Monsieur [V] [X] la somme de 4.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est en date du 8 juin 2022.
MOTIVATION :
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité des consorts [P] soulevée par [V] [X] et la SAS Cinedesigns :
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, "constitue une fin de non-recevoir, tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
[V] [X] soutient que [U] [P] et [S] [P] n'ont pas qualité pour agir faute pour eux d'avoir procédé au paiement des actions de la SAS Cinedesigns et ainsi avoir acquis la qualité d'associé au sein de celle-ci.
A cet effet, il invoque l'article 11 des statuts de ladite société intitulé « Transmissions des actions » qui stipule : " Les actions sont librement négociables. Leur transmission s'opère à l'égard de la société et des tiers par un virement du compte du cédant au compte du cessionnaire sur production d'un ordre de mouvement ».
A l'opposé, [U] [P] et [S] [P] soutiennent que leurs noms figurent aux statuts signés par le gérant et déposés au greffe et qu'ils ont été convoqués par monsieur [X] aux assemblées, depuis leur entrée au capital, et ce encore au mois de septembre 2021.
Ils ajoutent que la cession d'actions d'une société par actions simplifiée est un contrat de vente et que s'ils n'ont pas versé le prix des parts sociales à monsieur [X] cela ne résulte que de sa propre turpitude en ce qu'il ne les a pas mis en mesure de le faire.
En droit, l'inscription des actions sur le compte du cessionnaire en vertu de la clause « transmission des actions » a pour seul effet de créer une présomption simple de propriété des actions cédées, sans préjudice de la possibilité d'établir la propriété des titres par tout autre moyen de preuve légalement admissible.
Spécialement, il résulte des dispositions de l'article 1583 du code civil que la vente est parfaite entre les parties et la propriété acquise à l'égard du vendeur, dès lors qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.
En l'espèce, il est constant que monsieur [X] a cédé 33 parts sociales pour un prix de 3 300 euros au profit de chacun des consorts [P].
Et, à la suite de cette cession, les statuts, mentionnant les consorts [P] en qualité d'actionnaires, ont été modifiés suivant assemblée générale du 20 décembre 2018, les consorts [P] ayant été ensuite convoqués aux autres assemblées de la société en leur qualité d'actionnaire.
Par conséquent, le non-paiement du prix de cession est indifférent sur la qualité d'actionnaire des consorts [P] opposable tant à l'égard du cédant que de la société.
La fin de non-recevoir tirée de leur défaut à agir sera dès lors rejetée.
Sur la demande de désignation d'un mandataire ad hoc :
Il résulte des dispositions que l'article 873 du code de procédure civile que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, l'article 13 des statuts de la SAS Cinedesigns prévoit que « le président est nommé par l'actionnaire unique ou par décision collective des actionnaires. [' ]
Le président est révocable à tout moment par décision de l'actionnaire unique ou, en cas de pluralité d'actionnaires, par décision des actionnaires statuant à la majorité prévue à l'article 16.2 des présents statuts ».
Cet article 16.2 précise lui que « si la société comporte plusieurs actionnaires, les seules décisions qui relèvent de la compétence des actionnaires sont celles pour lesquelles la loi et les présents statuts imposent une décision collective des actionnaires. Toutes les autres décisions relèvent du président.
Dans ce cas, les décisions collectives des actionnaires sont prises, sur consultation du président, par procès-verbal de décision, lequel mentionne la communication préalable de l'ensemble des informations et documents permettant aux actionnaires de se prononcer en connaissance de cause.
Ces consultations peuvent prendre la forme d'une consultation par mail adressé à chaque actionnaire. ' »
Il résulte, d'abord, des statuts ainsi rédigés, sans qu'il soit nécessaire de les interpréter, que le président est révocable ad nutum par les actionnaires, sans juste motif, ni indemnité, à tout moment de la vie sociale, y compris même au cours d'une assemblée générale à l'ordre du jour de laquelle la question de la révocation n'aurait pas été inscrite, ainsi que cela résulte des dispositions de l'article L. 227-2-1 3° du code de commerce, sans préjudice toutefois du respect du contradictoire.
Ensuite, que la consultation des actionnaires pour délibérer sur les questions relevant de la compétence de la collectivité des actionnaires n'est pas une prérogative discrétionnaire du président qui doit y procéder, sous peine d'engager sa responsabilité, chaque fois que la loi ou les statuts imposent cette consultation.
Spécialement, lorsqu'une majorité d'actionnaires sollicitent une délibération sur la révocation du président, celui-ci, s'il n'entend pas démissionner de son mandat, est tenu de consulter ou réunir en assemblée générale les actionnaires sur cette question en s'abstenant d'entraver le libre exercice du droit de révocation ad nutum reconnu par les statuts garantissant aux actionnaires le contrôle permanent de la société.
En l'espèce, les consorts [P] justifient que le 26 août 2021, [U] [P] a adressé un courriel à [V] [X], [S] [P] figurant en copie, portant en objet : « demande de convocation d'une assemblée générale extraordinaire de la société CinéDesigns » et précisant qu'en leur qualité d'associés, ils lui demandent, en sa qualité de président, de convoquer, dans les quinze jours à réception de la présente une telle assemblée en application des articles 13 et 16.2 des statuts avec comme ordre du jour la révocation du président et la désignation d'un nouveau président de la société ainsi que le transfert du siège social.
Ils justifient également de l'envoi, le 23 août 2021, par lettre recommandée avec avis de réception d'un courrier rédigé dans les mêmes termes, correspondance remise à monsieur [X] le 24 août 2021.
Ils produisent en outre la lettre recommandée avec avis de réception que ce dernier leur a fait parvenir le 6 septembre 2021 pour les convoquer à l'assemblée générale annuelle de la société qui ne fait pas état de leur demande et proposition d'ordre du jour ainsi que le courrier qu'il leur a adressé le 20 septembre 2021 par lequel il accuse réception de leur missive du 23 août 2021 leur répondant « les statuts de notre société ne prévoient pas la faculté aux associés d'enjoindre le président à convoquer une AGE en vue de la révocation du président, de la nomination d'un nouveau président et d'un transfert de siège social ».
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que ce refus de convocation constitue une entrave manifestement illicite au libre exercice par les actionnaires de leur droit de révocation, contraire aux statuts.
En conséquence, le refus de monsieur [X] de convoquer, à la demande de ses deux associés, une assemblée générale extraordinaire constitue un trouble manifestement illicite auquel il convient de mettre fin par la désignation d'un mandataire ad hoc.
La décision entreprise sera donc infirmée sur ce point et la demande de [U] [P] et [S] [P] sera accueillie sous réserve de la modification de la mission à confier au mandataire ad hoc pour tenir compte de l'intérêt de la société.
Sur les demandes accessoires :
Au vu de la nature de la cause et de la situation des parties, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a laissé les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile à la charge respective des parties.
En appel, [V] [X] succombant dans ses prétentions, sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamné à payer à [U] [P] et [S] [P] la somme de 1000 euros en application des dispositions de ce même article.
Il sera enfin condamné aux dépens de première instance, en ce compris les frais de l'instance liquidés à la somme de 40,65 euros, et à ceux de l'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME l'ordonnance de référé du 26 novembre 2021 rendue par le tribunal de commerce de Mont-de-Marsan en ce qu'elle a :
- dit que [U] [P] et [S] [P] ont la qualité d'associés de la SAS Cinedesigns et a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par [V] [X]
- laissé les frais irrépétibles de première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la charge respective des parties ;
INFIRME pour le surplus
et statuant à nouveau,
DESIGNE la selarl FHB, prise en la personne de Me [R] [T], administrateur judiciaire, en qualité de mandataire ad hoc de la SAS Cinedesigns avec pour mission de convoquer une assemblée générale extraordinaire de ses associés avec pour ordre du jour de délibérer sur :
- la demande de révocation de monsieur [X] de ses fonctions de président de la société faite par les consorts [P]
- le cas échéant, la désignation d'un nouveau président et le transfert du siège social
- les formalités de publicité légale que devra, le cas échéant, accomplir le nouveau président
DIT que la rémunération du mandataire ad hoc, le coût des formalités et publicités légales sont mis à la charge de la SAS Cinedesigns,
CONDAMNE monsieur [V] [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
CONDAMNE monsieur [V] [X] à payer aux consorts [P] une indemnité de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.