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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re et 5e ch. réunies, 28 janvier 2021, n° 18/19205

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

CA Aix-en-Provence n° 18/19205

28 janvier 2021

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

Mme Brigitte Bobone-S. épouse L. a confié le 5 décembre 2008 à la SARL Git'Immo Gestion la gestion locative d'une villa située [...] à Allauch (13'190). Le 1er juin 2014, l'agence a consenti un bail d'habitation au profit des époux A. pour une durée d'un an ; par courrier du 12 novembre 2014, Mme Brigitte B.-S. a demandé à l'agence de proroger ce bail pour une nouvelle période annuelle ; par courrier recommandé du 12 novembre 2015 cette dernière a délivré congé aux locataires pour le 31 mai 2016.

Les locataires en ayant contesté la validité, Mme Brigitte B.-S. a réclamé à l'agence Git'Immo Gestion paiement d'une somme de 16'000 € correspondant selon elle à 12 mois de loyer pour un logement similaire ainsi que le remboursement des frais de déménagement. L'agence s'étant opposée à cette demande, Mme Brigitte B.-S. l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Marseille en déclaration de responsabilité et paiement de dommages-intérêts au motif qu'elle n'avait pas tenu compte de sa demande de reprise du local pour y résider.

Considérant que la SARL mandataire avait commis un manquement dans l'exécution du mandat, le tribunal judiciaire de Marseille par jugement contradictoire du 6 septembre 2018 a:

'condamné la SARL Git'Immo Gestion à payer à Mme Brigitte B.-S. les sommes de:

*15'000 € pour préjudice financier,

*2000 € pour résistance abusive,

*2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

'condamné la même aux dépens ;

'rejeté tout autre demande ;

'ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La SARL Git'Immo Gestion a régulièrement relevé appel de cette décision le 5 décembre 2018 et demande à la cour selon dernières conclusions signifiées par voie électronique le 21 octobre 2020 de :

vu les articles 1147 et suivants du code civil alors applicables,

vu les articles 1991 et 1992 du code civil,

vu l'article 11 de la loi du 6 juillet 1989,

'réformer le jugement déféré ;

'dire que la responsabilité de la société Git'Immo Gestion n'est nullement engagée ;

'dire qu'elle a fait preuve de diligences dans le cadre du mandat de gestion confié et qu'aucune faute ne peut lui être reprochée ;

'dire que le préjudice invoqué par Mme Brigitte B.-S. à hauteur de 17'308 € n'est pas justifié ;

'dire que la SARL Git'Immo Gestion n'a pas fait preuve de résistance abusive ;

'débouter Mme Brigitte B.-S. de l'ensemble de ses demandes ;

'à titre subsidiaire, dire que le préjudice subi par Mme Brigitte B.-S. ne saurait excéder la somme de 3069 €;

'réduire à de plus justes proportions les prétentions de Mme Brigitte B.-S. ;

'en tout état de cause, la débouter de sa demande indemnitaire pour résistance abusive ;

' la condamner aux dépens et au paiement d'une indemnité de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la SARL Git'Immo Gestion fait valoir principalement qu'elle n'est tenue qu'à une obligation de moyens, qu'elle a fait preuve de diligences en informant le 12 novembre 2015 les locataires A. de la situation de la propriétaire, que l'article 11 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que les parties peuvent convenir d'un bail inférieur à trois ans au regard de la situation du bailleur, qu'en sollicitant la prorogation du bail annuel l'événement dont entendait se prévaloir Mme Brigitte B.-S. n'est finalement pas intervenu et que le préjudice allégué est ainsi dépourvu de cause.

L'appelante précise que ce préjudice n'est pas établi en ce que Mme Brigitte B.-S. résidait chez sa mère, que les déménagements prétendus ne sont étayés que par des devis, que l'intimée a continué de percevoir le loyer mensuel de 1100 € des époux A. et que c'est à tort que le tribunal a retenu un préjudice à hauteur de 15'000 €, que le choix patrimonial consistant dans l'acquisition d'un bien immobilier ne constitue pas plus un élément de préjudice et qu'enfin aucun élément ne caractérise une résistance abusive de sa part.

Selon dernières conclusions en réplique signifiées par voie électronique le 29 avril 2019, Mme Brigitte B.-S. demande à la cour de :

vu les articles 1147 et 1382 anciens du code civil,

vu les articles 1991 et 1992 du code civil,

'confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il rejette les demandes de résiliation par anticipation du mandat de gestion sans indemnité au profit du mandataire et en application de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 portant tarif des huissiers de justice ;

'statuant à titre incident, dire que le mandat de gestion est résilié par anticipation sans indemnité au profit du mandataire et que dans l'hypothèse d'une exécution forcée, il sera fait application de l'article 10 précité en sus de celle de l'article 700 du code de procédure civile ;

'débouter la SARL Git'Immo Gestion de l'ensemble de ses demandes ;

'condamner la même à payer la somme de 4000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

'condamner la SARL Git'Immo Gestion aux dépens d'appel avec bénéfice de recourement direct.

Mme Brigitte B.-S. soutient principalement que l'agence a reconnu sa responsabilité en actionnant son assureur de responsabilité civile, que l'agent immobilier est tenu d'une obligation de résultat en matière de rédaction d'actes, que la SARL Git'Immo Gestion y a manqué en omettant de mentionner au bail le motif d'une durée réduite à un an et que le premier juge a exactement considéré qu'elle avait commis une faute justifiant une rupture anticipée du mandat.

S'agissant du préjudice, l'intimée explique avoir été contrainte de résider chez sa mère à l'issue de sa procédure de divorce, a fait part à ses locataires de sa situation précaire, a finalement acquis un autre logement, subi deux déménagements, exposé des frais de remise en état ayant généré une vacance locative de deux mois et demi et qu'ainsi le tribunal a justement apprécié le préjudice subi à la somme de 15'000 €.

Mme Brigitte B.-S. ajoute enfin que ses diverses demandes amiables demeurées sans réponse caractérisent une résistance abusive.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue en cet état de la procédure le 3 novembre 2020.

MOTIFS de la DECISION

Sur l'action en responsabilité :

Les termes du mandat rémunéré de gestion immobilière intervenu entre les parties le 5 décembre 2008 ne sont pas contestés. L'article 1991 du code civil édicte que « le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution » ; l'article 1992 du même code précise : « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. Néanmoins la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire ».

Il s'évince de ces dispositions que le mandataire est tenu à une obligation de moyens supposant une exécution loyale, prudente et diligente du mandat conféré et que son exécution défectueuse doit être établie par le mandant conformément aux règles régissant la responsabilité contractuelle de droit commun ; cependant la faute est présumée en cas d'inexécution du mandat conféré.

Enfin, l'agent immobilier intervenant en qualité de rédacteur d'acte est tenu à une obligation de résultat consistant à en assurer la pleine efficacité.

En l'espèce, la SARL Git'Immo Gestion ne conteste en rien la demande de Mme Brigitte B.-S. en limitation à un an du bail d'habitation consentie aux époux A., compte tenu de sa situation personnelle et la durée du bail de trois ans figurant sur un imprimé pré-établi a bien été rayée et remplacée par la mention manuscrite « un an » ; de même sa date d'effet est fixée au «01/06/2014 » et sa date d'échéance au «31/05/2015 ».

Cependant, la SARL appelante, professionnelle de l'immobilier, ne pouvait ignorer que cette durée dérogatoire prévue à l'article 11 de la loi du 6 juillet 1989 régissant les baux d'habitation impose de mentionner expressément au contrat le motif et l'événement invoqués. L'absence de cette mention constitue incontestablement une faute ayant eu pour conséquence directe le maintien dans les lieux des locataires pouvant se prévaloir d'un bail de droit commun de trois ans. Aussi, le jugement mérite confirmation de ce chef.

S'agissant du préjudice, Mme Brigitte B.-S. justifie avoir été temporairement hébergée par sa mère (cf pièce n° 16 de son dossier) et du paiement de frais de garde-meubles selon deux factures de 669 € et 45 € (cf pièces n° 20 et 21) ; elle explique aussi avoir réalisé dans les lieux loués divers travaux après leur restitution et acquis en septembre 2016 un appartement pour lequel elle a réglé la somme de 13'524 € au titre des frais d'acte.

L'agence immobilière plaide à bon droit qu'elle n'a pas à supporter l'entretien et /ou la remise en état de l'immeuble loué et encore moins le coût financier des choix patrimoniaux de l'intimée, ces éléments étant sans lien de causalité avec la faute commise.

Mme Brigitte B.-S. ne justifie pas du paiement d' un loyer postérieurement au 31 mai 2015 alors que les dommages-intérêts ont été alloués principalement en fonction d'une telle contrainte ; elle a également perçu les loyers de ses locataires, soit 13'200 € par an.

Le préjudice en lien direct résulte en conséquence des frais de garde-meubles et de l'obligation de partager son lieu de vie au détriment d'un habitat indépendant dans une villa. Il est évalué à la somme de 5000 €.

Sur le surplus des demandes :

L'admission partielle du recours de la SARL Git'Immo Gestion rend sans objet la demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive ; celle-ci plaide par ailleurs à bon droit qu'elle était fondée à s'opposer à une demande amiable excessive et n'a fait preuve d'aucune intention malicieuse génératrice d'un préjudice particulier.

S'agissant de la demande en résiliation du mandat de gestion sans indemnité, la SARL appelante explique sans être contredite en avoir pris acte par courrier du 7 juin 2016 et immédiatement offert à l'intimée la remise de l'ensemble des documents sans réclamer paiement d'une indemnité de résiliation. Cette résiliation amiable rend sans objet une demande de résiliation judiciaire.

Le décret du 12 décembre 1996 portant tarif des huissiers de justice ayant été abrogé par le décret du 26 février 2016, il n'y a pas lieu de statuer sur une application éventuelle de son article 10.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie partiellement déboutée de ses prétentions la charge de ses frais non taxables.

Par contre, l'appelante condamnée à paiement supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Confirme le jugement déféré en ce qu'il :

-dit que la SARL Git'Immo Gestion a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle,

-statue sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Condamne la SARL Git'Immo Gestion à payer à Mme Brigitte B.-S. la somme de 5000€ à titre de dommages-intérêts ;

Rejette le surplus de ses demandes ;

Condamne la SARL Git'Immo Gestion à payer à Mme Brigitte B.-S. la somme de 2000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Condamne la même aux dépens d'appel et autorise leur recouvrement dans les termes de l'article 699 du même code.