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Décisions

CA Montpellier, 5e ch. civ., 30 mai 2023, n° 22/05752

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Merck Santé (SAS), Agence Nationale de Sécurité et des Produits de Santés

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaillard

Conseillers :

M. Garcia, Mme Azouard

Avocats :

Me Couzinet, Me Levy, Me Garrigue, Me Robert

TGI Toulouse, du 5 nov. 2018 et du 22 fé…

5 novembre 2018

FAITS et PROCÉDURE

MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le Levothyrox est un médicament fabriqué par la SASU Merck Santé délivré sur prescription médicale et destiné à traiter les maladies de la thyroïde.

Le laboratoire SASU Merck Santé a été amené à solliciter une modification d'AMM pour le médicament Levothyrox après avoir changé les excipients et notamment en remplaçant le lactose par du mannitol et de l'acide citrique.

L'autorisation de mise sur le marché (AMM) a été modifiée par décision de l'ANSM le 27 septembre 2016 après une étude de bio-équivalence.

Cette nouvelle formule a été vendue aux patients dès mars 2017 et peu de temps après, un grand nombre de malades étaient victimes d'effets : vertiges, pertes de connaissance, grande irritabilité, insomnies, crampes, immense fatigue et troubles intestinaux, lesquels ont été signalés aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance.

Cette situation a été reconnue, l'ANSM estimant à 500 000 personnes le nombre de malades touchés, les associations estimant pour leur part à un million le nombre de victimes sur environ 3 millions d'utilisateurs en France.

Le 14 novembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Toulouse a fait obligation sous astreinte à la SASU Merck Santé de fournir l'ancienne formule, décision en référé confirmée par la cour d'appel de Toulouse en date du 7 juin 2018.

Sur pourvoi et après saisine du tribunal des Conflits la cour de Cassation par arrêt du 8 janvier 2020 a cassé la décision de la cour d'appel de Toulouse sans renvoi, considérant que l'affaire relevait de la compétence du juge administratif.

Le laboratoire a annoncé que l'ancienne formule ne serait plus fabriquée à compter de janvier 2019.

Parallèlement plusieurs procédures de référé dont notamment une ordonnance en date du 15 mars 2018 qui diligentait une expertise dont la mission a été acceptée par toutes les parties ont été entamées.

Le 6 juillet 2018, 42 patients s'estimant victimes du médicament puis 6 autres dans le cadre d'une intervention volontaire ont assigné à jour fixe Merck Sante.

Le 6 août 2018, Merck Sante a assigné en intervention forcée l'ANSM.

Le 23 août 2018, 6 victimes sont intervenues volontairement.

Par jugement en date du 5 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Toulouse a notamment:

- mis hors de cause l'ANSM concernant la demande de délivrance de Levothyrox ancienne formule et les demandes de dommages et intérêts,

- s'est déclaré compétent pour connaître de la demande de délivrance de Levothyrox ancienne formule,

- dit que cette demande de délivrance est recevable pour un certain nombre de demandeurs,

- a condamné la SASU Merck Sante à fournir à ces 35 demandeurs par le biais des circuits de distribution et de commercialisation habituels même après le 1er janvier 2019 l'ancienne formule,

- déclaré les autres demandeurs ont été déclarés irrecevables pour cette mesure,

- débouté la SASU Merck Sante de sa demande de constitution de garantie,

- ordonné un sursis à statuer sur les demandes de préjudice d'anxiété et moral,

- ordonné une expertise avant-dire droit pour 47 des demandeurs, cette expertise étant déclarée commune à l'ANSM,

- commis pour y procéder un collège d'experts les docteurs [KY], [LC] et [NT].

Le 22 février 2019, le tribunal de grande instance de Toulouse a déclaré irrecevable une requête en omission de statuer sur une partie de la demande d'expertise et de ce fait de désigner un ingénieur chimiste et un pharmacien, déposée par les demandeurs et l'appel relevé contre cette décision a été déclarée caduc par ordonnance du 15 novembre 2019.

Le 2 janvier 2019, la SASU Merck a relevé appel des dispositions du jugement du 5 novembre 2018.

Le 26 mars 2019, les demandeurs ont saisi le juge de la mise en état sur le fondement de l'article 237 du Code de procédure civile, d'une demande de remplacement du collège d'experts.

Le 9 mai 2019, le juge de la mise en état chargé du contrôle des expertises a débouté les demandeurs de leur demande tendant au remplacement des 3 experts et à ce qu'il soit effectué par un laboratoire indépendant en tant que sapiteur un examen approfondi des lots de médicaments détenus par les malades et contemporains des troubles et notamment que soit analysée la stabilité de la lévothyroxine en solution en solubisant un comprimé de la nouvelle formule dans l'eau ou divers solvants à divers PH à 37° en fonction du temps avec identification des éventuelles nouvelles impuretés produites. Il a également invité les experts à reprendre le cours de leurs expertises.

Le groupement de patients a relevé appel de cette ordonnance par déclaration au greffe du 3 septembre 2019. Le 23 février 2021, la cour d'appel de Toulouse a déclaré irrecevable l'appel.

L'arrêt rendu le 23 février 2021 par la cour d'appel de Toulouse énonce dans son dispositif :

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse en date du 5 novembre 2018 en toutes ses dispositions.

Déclare la juridiction judiciaire incompétente.

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

Condamne les patients aux dépens de première instance et d'appel.

Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.

Moyens

Les patients ont formé un pourvoi en cassation sur le moyen qu'en infirmant totalement le jugement entrepris et en se déclarant entièrement incompétente c'est-à-dire pour connaître de tout le litige, en tous ses volets, cependant que le producteur, qui ne sollicitait une réformation de la décision de première instance qu'en ce qu'il avait ordonné la mise à disposition du médicament Euthyrox sous astreinte, sans remettre en cause l'expertise qui avait été ordonnée avant dire droit sur le préjudice d'anxiété et sur le préjudice moral, ne remettait pas en question la compétence du juge judiciaire pour se prononcer sur la responsabilité civile du laboratoire et pour ordonner une expertise avant dire droit et que dans le cadre de leur appel incident, les intimés se bornaient à solliciter une expertise chimique, sans que la recevabilité de cette demande ne soit contestée par les adversaires. Dès lors la cour d'appel aurait statué ultra petita et méconnu l'article 4 du Code de procédure civile.

L'arrêt rendu le 15 juin 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation énonce dans son dispositif :

Casse et annule mais seulement en ce que, d'une part, il infirme le jugement du tribunal de grande instance du 5 novembre 2018 en ce qu'il sursoit à statuer sur le préjudice moral et d'anxiété des requérants et ordonne une expertise médicale, et d'autre part, il déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître la demande d'expertise chimique complémentaire des requérants, l'arrêt rendu entre les parties le 23 février 2021 par la cour d'appel de Toulouse.

Remet sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Condamne la société Merck Santé aux dépens.

En application de l'article 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes.

La Cour de cassation retient qu'en infirmant le jugement du 5 novembre 2018 en toutes ses dispositions et en déclarant la juridiction judiciaire incompétente, alors que le producteur, qui ne contestait pas la compétence au titre de la demande d'indemnisation, n'avait sollicité l'infirmation qu'en ce que le tribunal s'était déclaré compétent pour connaître de la demande de délivrance de l'ancienne formule, et l'avait condamné sous astreinte à fournir le médicament à des requérants, et que les requérants avaient sollicité que soit ordonnée une expertise chimique en complément de l'expertise médicale, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé l'article 4 du Code de procédure civile.

[ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY] ont saisi la cour d'appel de Montpellier sur renvoi après cassation par déclaration au greffe du 15 novembre 2022.

Le 5 janvier 2023, la cour d'appel de Montpellier a prononcé la caducité partielle de la déclaration de saisine à l'encontre de l'ANSM.

Cette décision n'a pas été déférée à la cour.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 12 avril 2023.

Les dernières écritures pour les patients ont été déposées le 14 avril 2023.

Les dernières écritures pour la SASU Merck Santé ont été déposées le 11 avril 2023.

Les patients sollicitent le rabat de l'ordonnance de clôture ce à quoi s'oppose la SASU Merck Santé.

La cour observe à la lecture comparée des conclusions des patients aux dates respectives des 7 avril 2023 et 14 avril 2023 que le dispositif des écritures des appelants est identique et que seules deux nouvelles pièces sont produites soit l'assignation d'appel en cause de la CPAM par les demandeurs le 11 avril 2023 (pièce n°32) et un mail du service juridique de la CPAM à son conseil en date du 14 avril 2013 l'informant de ce que la CPAM ne constituera pas avocat (pièce n°33).

La cour retiendra alors que dans une procédure d'appel ouverte depuis le 2 janvier 2019, et après renvoi sur cassation depuis le 15 novembre 2022, alors que les parties ont échangé leurs premières écritures d'appel sur renvoi après cassation respectivement pour les patients le 16 décembre 2022, le 13 mars 2023, le 29 mars 2023 et 7 avril 2023 et pour la SASU Merck Santé le 14 février 2023, le 23 mars 2023, le 6 avril 2023 et le 11 avril 2023 le dépôt de nouvelles écritures le 14 avril 2023 par les patients soit après la date de clôture de la procédure sans qu'il soit justifié d'une urgence, d'éléments extérieurs aux parties ou sans qu'il soit justifié en quoi ces écritures post-clôture viendraient répondre aux dernières écritures de la SASU Merck Santé, ne répond pas à l'exigence de la loyauté des débats dans l'exercice du principe fondamental en procédure civile du contradictoire.

La cour rejette en conséquence les écritures déposées par [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY] le 14 avril 2023 et retiendra celles déposées le 7 avril 2023.

Le dispositif des écritures pour les patients [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY] énonce en ses seules prétentions:

A titre principal,

Se déclarer compétent,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a sursis à statuer sur les demandes de préjudices;

Condamner la SASU Merck Santé à verser à chacun des demandeurs au titre du préjudice moral, la somme de 2 000 € et au titre du préjudice corporel, la somme de 20 000 €, ainsi qu'aux entiers dépens et frais d'expertise en première instance.

Subsidiairement,

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné le principe d'une expertise médicale;

Infirmer le jugement déféré quant aux experts désignés;

Désigner de nouveaux experts, pour réaliser la nouvelle expertise médicale avec mission de chiffrer les préjudices subis par les victimes;

Débouter la SASU Merck Santé de l'ensemble de ses demandes ainsi que l'ANSM accueillant l'appel incident des intimés.

Ordonner une expertise chimique permettant d'analyser toutes les impuretés présentes dans les comprimés nouvelle formule actuelle, la formule vendue en 2017 et référencée comme en lien avec les effets indésirables importants et les comparer avec les impuretés retrouvées dans des lots d'anciennes formules antérieures à 2017, les intimés étant en mesure de fournir pour cette expertise des comprimés de 2017 conservés par devers eux et les ayant gravement affectés, en respectant la méthode d'analyse réclamée.

Désigner pour y procéder tel expert, notamment parmi la liste fournie.

Ordonner une contre-expertise médicale pour chacun des demandeurs.

Désigner pour y procéder tel collège d'expert qu'il plaira à la cour avec mission habituelle.

Ordonner qu'en cas d'empêchement, ou de refus de l'expert d'accomplir sa mission, il sera procédé à son remplacement par ordonnance rendue sur simple requête.

Ordonner qu'en cas de difficultés, il devra en être fait rapport au magistrat chargé du contrôle des expertises.

Ordonner que la provision pour frais d'expertise sera mise à la charge des laboratoires SASU Merck.

Condamner la SASU Merck Santé au paiement d'une provision d'un montant de 2 000 € par personne à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis.

Condamner en outre le SASU Merck aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maitre Levy, ainsi qu'à la somme de 1 000 € à chacun des intimés au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre liminaire, en réponse à l'argumentation adverse, les patients soutiennent que leurs prétentions en ce qui concerne l'indemnisation de leurs préjudices ne sont pas nouvelles.

Ils soulignent qu'ils disposent d'un délai de deux mois pour remettre leurs conclusions et déterminer l'objet du litige et que leurs prétentions tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge puisqu'ils sollicitaient dans les conclusions du 15 décembre 2022 la condamnation de la SASU Merck au paiement d'une provision d'un montant de 2 000 € par personne à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi et qu'ils sollicitent aujourd'hui le versement à chacun des demandeurs au titre du préjudice moral la somme de 2 000 € et au titre du préjudice corporel 20 000 €.

Toutes ces prétentions visent à indemniser les demandeurs des préjudices subis du fait de la nouvelle formule du Levothyrox, l'une par le biais d'une provision, l'autre par l'octroi de dommages et intérêts.

Les appelants ajoutent que leurs conclusions du 29 mars 2023 visent à répondre aux arguments développés par les défendeurs qui concluaient à l'absence de lien de causalité entre la nouvelle formule et les troubles subis par les patients. Les intimés ont essayé de démontrer que les conditions exigées par les articles 1245 et suivants du Code civil n'étaient pas satisfaites ce qui rendait nécessaire une réponse argumentée.

Les patients sollicitent la réparation du préjudice qu'ils ont subi grâce à la reconnaissance de l'existence d'un lien de causalité entre la nouvelle formule du Levothyrox et les souffrances des victimes.

Ils font valoir que si la preuve du lien de causalité leur incombe, il est de jurisprudence constante qu'elle peut se faire par tous moyens et notamment par des présomptions ou indices précis, graves et concordants. Ainsi l'arrêt rendu par la CJUE le 21 juin 2017 suite à un renvoi préjudiciel de la Cour de cassation a écarté toute exigence de certitude scientifique pour démontrer le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage occasionné, en laissant au juge le soin d'apprécier la gravité, la précision et la concordance des éléments de fait qui lui sont soumis. Les juges européens ont également eu l'occasion d'établir une grille d'analyse précise supposée guider l'appréciation de l'existence d'un lien de causalité en matière de responsabilité du fait des produits médicaux défectueux à travers notamment la proximité temporelle entre le fait générateur et la survenance de la maladie et le caractère significatif du nombre de cas répertoriés. Si ces solutions s'appliquaient aux vaccins, il est possible de les étendre par analogie à la prise de médicament.

Les patients soutiennent que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est applicable.

Ils font valoir que la proximité temporelle entre la commercialisation de la nouvelle formule du Levothyrox et l'apparition des effets secondaires est démontrée, tout comme l'existence d'un nombre significatif de cas répertoriés.

En effet, la date de survenance des effets secondaires a eu lieu dès mars 2017, date de la mise en circulation de la nouvelle version du Levothyrox.

Aucun effet indésirable grave n'avait été signalé auparavant, l'ancienne version ayant fait l'objet de 580 signalements contre désormais 500 000 et ils ajoutent que plusieurs éléments font de l'administration du nouveau Levothyrox, l'origine la plus plausible de l'apparition des symptômes.

Ils font valoir que l'étude de bioéquivalence grâce à laquelle l'AMM a été délivrée présente de nombreuses imperfections outre le fait qu'elle a été réalisée par les laboratoires Merck et non par l'ANSM.

Ils reprochent à l'ANSM d'avoir autorisé la mise sur le marché sans procéder à de plus amples vérifications et alors même que le médicament avait été originellement autorisé par la sécurité sociale à être prescrit avec la mention « non substituable ».

Ils avancent une étude publiée le 4 avril 2019 dans la revue Clinical pharmacokinetis, qui démontre que l'analyse faite par le laboratoire se situerait hors de la bande de bioéquivalence pour près de 60 % des individus enrôlés dans l'essai. Il est ainsi démontré que la méthodologie retenue dans l'étude effectuée par Merck ne permet pas de rendre compte de la dispersion des réponses individuelles face à la nouvelle formule. Plusieurs chercheurs ont conclu que le changement d'excipient pouvait constituer la source des effets secondaires en modifiant la durée de séjour du principe actif dans le système gastro-intestinal des malades alors même qu'il s'agit d'un médicament à la marge thérapeutique étroite.

Selon les patients, le tribunal judiciaire de Beauvais a eu l'occasion de retenir l'existence de ce lien de causalité, et, la mise en examen le 6 décembre 2022 de l'ANSM démontre l'existence de graves soupçons quant à la politique tenue par l'ANSM concernant le Levothyrox.

Les patients soutiennent que les laboratoires Merck ont violé l'obligation de sécurité en ce qui concerne la nouvelle formule. Ils rappellent que les juges du fond ont plusieurs fois admis l'application de l'article L. 421-3 du Code de la consommation en matière de responsabilité du fait des médicaments. Puisque l'ancienne version du médicament offrait un degré de fiabilité élevé, les patients pouvaient légitimement s'attendre à un haut niveau de sécurité offert par le produit.

Les patients qui sollicitent une indemnisation au titre des préjudices subis, font valoir un préjudice corporel induit par l'impact sur leurs organismes du changement de formule et des préjudices moraux notamment au titre de la violation du devoir d'information.

En effet, ils affirment avoir souffert d'effets secondaires graves pendant plusieurs mois sans avoir été informés de la modification de la formule ce qui constitue un préjudice d'impréparation.

A titre subsidiaire, ils sollicitent la réalisation d'une expertise chimique et médicale visant à prouver le lien de causalité.

Ils affirment qu'il y a une contradiction entre le corps du jugement du 5 novembre 2018, qui prévoit qu'il convient de mettre en œuvre une mission d'expertise permettant notamment de déterminer le lien de causalité entre les troubles et la prise du nouveau médicament, et le dispositif qui ne mentionne plus le lien de causalité dans la mission d'expertise.

Lors de la requête en omission de statuer, le tribunal a confirmé le refus d'expertise mais rappelé les termes du jugement sur le lien de causalité en ajoutant que les experts pouvaient s'adjoindre les services d'un sapiteur.

C'est selon eux cette imprécision a permis aux experts de se fonder uniquement sur les analyses de l'ANSM sans chercher à démontrer par eux-mêmes l'existence ou la non-existence du lien de causalité.

Le fait que le nombre de signalements ait diminué depuis 2018 ne peut s'interpréter sans tenir compte des alternatives thérapeutiques à ce médicament et de la prise de l'ancienne version encore disponible dans les pays limitrophes.

Les patients font valoir que si la cour ne peut admettre en l'état l'existence d'un lien de causalité entre la prise de Levothyrox et les troubles subis, l'expertise chimique des comprimés apparaît comme la seule manière de statuer sur l'existence de ce lien en récupérant les comprimés nouvelle formule détenus par les demandeurs et consommés au moment de l'apparition des symptômes.

Si les analyses de l'ANSM démontrent que la quantité de principe actif est conforme aux valeurs attendues, plusieurs études démontrent que des effets secondaires ont été générés par la nouvelle formule. Il apparaît donc être important de comparer les contenus des médicaments de 2016, 2017 et 2018 selon les méthodes détaillées dans les conclusions.

Ils sollicitent également une nouvelle expertise médicale des patients .

Ils estiment en effet que l'expertise réalisée posent des difficultés. Les deux pré rapports concernent uniquement deux victimes sur les 49 et ne retiennent aucun chef de préjudice. Ils soulignent en particulier que l'expertise ne retient aucun préjudice pour [RN] [FR] et indique que l'ensemble des préjudices allégués par [ET] [C] sont sans objet.

En outre le professionnel ayant accompagné cette dernière a été son médecin traitant. A titre de comparaison, ils font valoir que l'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Beauvais a conclu à l'existence d'un lien direct et certain entre les souffrances endurées et la prise du Levothyrox.

Les patients enfin sollicitent également des provisions pour frais d'expertise en faisant valoir qu'ils ont déjà subi des souffrances intenses et qu'ils ne doivent pas être sanctionnés économiquement.

Le dispositif des écritures pour la SASU Merck Santé énonce :

Déclarer irrecevable la demande nouvelle de réparation des préjudices corporel et moral à hauteur de 20 000 € et 2 000 € par demandeur.

Confirmer le jugement du 5 novembre 2018 en ce qu'il a ordonné des expertises médicales, en ce qu'il a sursis à statuer sur le préjudice moral et d'anxiété des demandeurs en l'attente des conclusions des expertises médicales et en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise chimique sollicitée par les demandeurs.

Débouter les demandeurs de toutes leurs demandes.

Rejeter la demande formulée par les demandeurs d'une provision d'un montant de 2 000 € par demandeur à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis.

Rejeter la demande formulée par les demandeurs fondés sur l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner les demandeurs aux entiers dépens.

A titre liminaire, la SASU Merck Santé estime irrecevables les demandes indemnitaires formées par les appelants au motif qu'il s'agirait d'une demande nouvelle en appel et trop tardive.

Elle ajoute que passé le délai prévu à l'article 1037-1 du Code de procédure civile, les parties ne l'ayant pas respecté sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elles avaient soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.

En outre, les premières conclusions déposées le 15 décembre 2022 ne formulent pas cette demande qui n'apparaît que dans les conclusions du 29 mars 2023 sans que les demandeurs ne justifient que cette prétention est destinée à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées postérieurement aux premières conclusions, ou de la survenance d'un élément nouveau.

En effet une demande tendant à l'indemnisation d'un préjudice corporel et d'un préjudice moral, ne permet pas de répliquer à l'argument adverse relatif à l'absence de lien de causalité.

En tout état de cause, les prétentions invoquées devant la cour d'appel de Toulouse ne visaient pas la demande d'indemnisation du préjudice moral à hauteur de 2 000 € et du préjudice corporel à hauteur de 20 000 € et l'article 565 du Code de procédure civile invoqué par les patients n'est pas applicable dans un renvoi après cassation.

En outre, il est opposé que les demandeurs n'ont pas mis en cause les organismes de sécurité sociale.

La SASU Merck Santé conteste la demande de nouvelles mesures d'expertise médicale formulée par les patients.

Elle fait valoir que les demandeurs, suite au jugement ordonnant l'expertise, ont engagé 8 actions ou démarches tendant à la voir modifiée, interrompue ou suspendue. Le seul fait que les demandeurs ne soient pas satisfaits des conclusions de l'expertise, qui établit que les préjudices allégués ne sont pas constatés médicalement, ne suffit pas à rendre nécessaire la réalisation d'une nouvelle expertise.

Seuls des éléments nouveaux pourraient justifier une nouvelle expertise, or aucun élément nouveau n'est ici rapporté. Selon la SASU Merck Santé, les conclusions des pré-rapports sont cohérentes avec les rapports d'expertises judiciaire déposés dans d'autres affaires qui ne retiennent aucune imputabilité des troubles présentés au traitement par la nouvelle formule.

La SASU Merck Santé conteste la demande d'expertise chimique. Elle soutient que celle-ci a été sollicitée par les demandeurs à de nombreuses reprises et toujours refusée notamment dans le jugement en omission de statuer rendu suite à la requête déposée le 28 novembre 2018. Il apparaît également que les experts n'ont pas jugé nécessaire d'entendre un sapiteur spécialisé en chimie. Le juge de la mise en état a également refusé de changer les experts. Plusieurs autres procédures ont été engagées par les demandeurs aux fins d'obtenir cette expertise chimique, sans succès.

La SASU Merck Santé soutient que par ailleurs la qualité de la nouvelle formule du Levothyrox est confirmée par la communauté scientifique mais aussi par les autorités de santé, notamment par la HAS dans un avis rendu le 22 mars 2017 et par la DGS. L'ANSM a également confirmé la qualité de la nouvelle formule.

La SASU Merck Santé fait également valoir un avis positif en date du 18 juillet 2018, émanent de 21 Etats membres de l'Union européenne, recommandant l'approbation du médicament.

Le laboratoire fait le parallèle avec la Suisse où la nouvelle formule n'a été suivie d'aucune hausse significative constatée du nombre d'effets secondaires. Dès lors, la demande d'expertise n'est justifiée par aucun motif. Elle a en outre été rejetée systématiquement par les juridictions.

La SASU Merck Santé conteste la demande de provisions formulée par les demandeurs.

Elle fait valoir que l'obligation de sécurité ne trouve pas à s'appliquer puisqu'il s'agit d'un fondement contractuel et qu'aucun contrat n'existe entre le producteur de médicaments et les patients. La cour d'appel de Montpellier a pu rappeler ce principe dans un arrêt du 4 avril 2006, tout comme plusieurs autres cours d'appel.

L'article L. 421-3 du Code de la consommation ne s'applique pas tout comme l'article L. 1110-5 du Code de la santé publique sur le droit aux soins ne peut non plus trouver à s'appliquer puisqu'il est issu de la loi du 2 février 2016.

La SASU Merck Santé rappelle que la responsabilité d'un producteur de médicament au titre d'un défaut d'information ne peut être recherchée que sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil. Ce régime spécifique exclut, de jurisprudence constante, l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle. Or, ce régime impose aux requérants d'apporter la preuve des conditions d'engagement de la responsabilité soit une imputabilité, un défaut et des préjudices en lien avec le défaut en démontrant dont que la formule nouvelle n'offre pas la sécurité à laquelle on doit s'attendre.

La SASU Merck Santé fait valoir que les mesures d'expertise ordonnées interdisent l'octroi d'une provision.

Les demandeurs n'ont en effet pas apporté la démonstration du lien de causalité. Il est dès lors contradictoire de solliciter d'une part une expertise judiciaire qui aura notamment comme objet de déterminer l'existence ou l'absence de lien de causalité et de solliciter d'autre part une provision ou une indemnisation alors que l'imputabilité n'est pas démontrée. L'octroi d'une provision dans ce contexte a été refusée plusieurs fois par la Cour de cassation. Dans le cadre du contentieux propre au Levothyrox, les décisions ordonnant une expertise ont toujours rejeté les demandes de provisions.

La SASU Merck Santé soutient que la preuve de sa responsabilité n'est pas rapportée, de même que le lien de causalité.

Les expertises sont toujours en cours à l'exception de deux pré-rapports qui concluent à l'absence d'imputabilité du Levothyrox dans la symptomatologie invoquée.

La SASU Merck Santé soutient que les effets secondaires sont identiques entre l'ancienne et la nouvelle formule. En outre, s'il est possible de prouver une imputabilité à travers des présomptions graves, précises et concordantes, il faut tout de même pouvoir démontrer un risque potentiel du produit scientifiquement établi et la connaissance parfaite des facteurs déclencheurs des dommages allégués et une causalité possible est insuffisante.

La SASU Merck Santé ajoute qu'aucun préjudice n'est démontré. Dans son jugement, le tribunal de Toulouse avait sursis à statuer sur le préjudice moral dans l'attente de l'expertise qui devait déterminer ou non l'existence d'une faute imputable à la nouvelle formule. Ce préjudice requalifié en préjudice d'impréparation ne peut être réparé qu'à la condition qu'une atteinte corporelle soit constatée et un risque réalisé comme le Conseil d'Etat l'a précisé en octobre 2012 et la Cour de cassation en 2014. Le laboratoire précise que la réparation du préjudice d'impréparation concerne bien souvent la réalisation de risques d'une particulière gravité. Faute de réalisation d'une expertise judiciaire préalable, les demandeurs ne justifient pas d'un lien de causalité direct et certain entre les symptômes allégués et la prise de Levothyrox nouvelle formule, lien indispensable pour justifier de la réalisation d'un risque en lien avec la prise de Levothyrox nouvelle formule.

LA SASU Merck Santé ajoute qu'aucun défaut du produit nouveau n'est démontré. Elle souligne que la modification de la formule repose sur une demande en ce sens de l'ANSM. En outre, la nouvelle formule a fait l'objet d'une étude de bioéquivalence réalisée sur 258 volontaires en bonne santé.

L'ANSM a ensuite modifiée les AMM de cette spécialité le 27 septembre 2016 permettant ainsi de commercialiser la nouvelle formule. A l'inverse, l'ancienne formule ne dispose plus d'AMM.

L'enquête nationale de pharmacovigilance sur ce produit a conclu que le profil clinique d'effets indésirables était similaire à celui de la précédente formule, mais avec une fréquence de signalement totalement inattendue. Selon la SASU Merck Santé, se fondant sur un rapport de l'ANSM, l'essentiel des symptômes indésirables se rattache à une modification de l'équilibre hormonal transitoire chez certains patients, c'est-à-dire à une correction nécessaire du dosage de leur prescription. La SASU ajoute qu'il existe 5 alternatives thérapeutiques sur le marché actuellement.

La SASU Merck Santé affirme que la notice patient est conforme à la réglementation, complète et circonstanciée, et ainsi sont décrits dans la notice, les effets indésirables, notamment l'hyperthyroïdie mais pas les signes d'hypothyroïdie qui n'ont pas à y figurer puisqu'ils ne sont liés à la pathologie traitée par cette spécialité.

Il ne s'agirait donc pas selon le laboratoire d'effets indésirables mais de symptômes de la maladie traitée par le Levothyrox.

Le laboratoire ajoute qu'il a procédé à des tests de lisibilité qui ont été un succès. La SASU Merck Santé affirme qu'elle a pris l'initiative dès 2015 de préparer une campagne d'information à destination des professionnels de santé pour les informer de la transition vers la nouvelle formule, ce qui n'était pas une obligation.

Elle a également soumis à l'ANSM une fiche posologie à destination des professionnels, et tous les canaux d'information disponibles ont été utilisés pour les médecins et les pharmaciens outre les communiqués de presse et autres informations délivrées aux associations de patients.

Il n'est donc pas possible d'affirmer que le changement d'excipient n'aurait pas fait l'objet d'une campagne d'information de la part de la SASU Merck Santé. Ce changement de formule aurait également fait l'objet d'une information postérieurement à la mise sur le marché de la nouvelle formule. Le laboratoire produit ainsi un courriel adressé par le pharmacien d'une demanderesse à un expert judiciaire indiquant qu'il avait été parfaitement informé de la modification et de la nécessité de modifier le dosage. Le site de l'ANSM a également mis en ligne des informations destinées au patient. La SASU Merck Santé affirme avoir parfaitement respecté le cadre réglementaire.

En ce qui concerne la demande de provisions pour frais d'expertise, la SASU Merck Santé soutient que les mesures d'instruction sollicitées sont dans l'intérêt exclusif des demandeurs et doivent donc être à leur charge. En effet à la date de la demande, rien ne permet d'affirmer que sa responsabilité est engagée.

Motivation

MOTIFS

A titre liminaire la cour observe que suite à l'arrêt rendu par la cour de cassation le 15 juin 2022 il n'y a pas de discussion sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la demande d'indemnisation des patients et pour ordonner des expertises médicales ou chimiques.

Cette question de compétence n'est donc plus en débat devant la présente cour de renvoi.

Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation par chacun des patients au titre du préjudice moral et du préjudice corporel:

Il sera constaté que c'est pour la première fois dans leurs écritures déposées le 29 mars 2023 devant la cour d'appel de Montpellier que les patients sollicitent la réparation d'un préjudice corporel, la demande de réparation d'un préjudice moral étant déjà formée en première instance.

Il sera rappelé qu'en cas de renvoi devant la cour d'appel après cassation en application de l'article 1037-1 du code de procédure civile, les conclusions de l'auteur de la saisine déterminant ses prétentions devant la cour de renvoi doivent être déposées dans un délai de deux mois suivant la déclaration de saisine.

Les patients ayant saisi la cour d'appel de Montpellier le 15 novembre 2022 par déclaration au greffe, il est d'évidence que les conclusions déposées le 29 mars 2023 ne sont pas dans le délai de l'article 1037-1 du code de procédure civile.

Il convient donc de déterminer si au regard des écritures déposées par les patients dans les délais de l'article pré-cité soit les écritures déposées le 16 décembre 2022 la demande de réparation directe d'un préjudice moral et d'un préjudice corporel est une demande nouvelle.

Il est constant qu'à la lecture des écritures déposées le 16 décembre 2022 devant la cour d'appel de Montpellier seule était sollicitée l'allocation d'une provision de 2 000 € pour chaque patient à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis et ce dans l'attente des mesures d'expertise sollicitées parallèlement.

Toutefois le fait de demander une ou des expertises et l'octroi de provisions à valoir sur la réparation des préjudices subis tend à solliciter la réparation des préjudices, la demande d'expertise et de provisions pouvant être considérée comme une étape de la réparation du préjudice.

La cour relève par ailleurs que devant les juges de première instance les patients avaient déjà formé une demande de réparation directe de leurs préjudices en l'occurrence devant le tribunal de grande instance de Toulouse une demande de réparation au titre du préjudice d'anxiété et moral, demande qui a été rejetée par le jugement entrepris en l'absence en l'état de démonstration suffisante en particulier d'un lien de causalité.

Le tribunal de grande instance de Toulouse a alors sursis à statuer sur la demande de réparation du préjudice des patients et avant dire droit à ordonné une expertise médicale des dits patients.

Par conséquent la demande de réparation du préjudice moral et du préjudice corporel présentée par les patients dans leurs écritures du 29 mars 2023 ne saurait s'analyser comme une demande nouvelle donc la cour d'appel ne serait pas valablement saisie, et les conclusions du 29 mars 2023 ne viennent pas modifier l'objet du litige et doivent s'analyser comme une simple modalité de la réparation du préjudice invoqué par les patients et dont ils sollicitent la réparation depuis l'introduction de la présente instance devant le tribunal de grande instance de Toulouse.

Par conséquent la demande en réparation du préjudice moral et du préjudice corporel des patients sera déclarée recevable, la cour ajoutant que l'absence de mise en cause des tiers payeurs en l'occurrence des organismes de sécurité sociale n'est pas une cause d'irrecevabilité de la demande de réparation mais uniquement une cause d'inopposabilité de la décision rendue aux dits tiers payeurs.

Sur la demande de réparation du préjudice moral et du préjudice corporel formée par les patients:

La responsabilité du fait des produits défectueux est un régime spécial institué par la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, codifiée aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17, du code civil.

L'article 1386-4, devenu 1245-3 du code civil dispose qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Il est en outre de principe aujourd'hui bien établi que si, selon l'article 1386-18, devenu l'article 1245-17 du code civil, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents, tels la garantie des vices cachés ou la faute.

Or en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, un produit doit, en application des dispositions issues des articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17, du code civil, être tenu pour défectueux lorsqu'il est mis en circulation et n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, si bien que la notion de sécurité à laquelle la victime peut légitimement s'attendre constitue un des critères permettant d'apprécier l'existence du défaut.

Il en résulte qu'en l'espèce les patients ne peuvent fonder leur action également sur l'article L 421-3 du code de la consommation qui dispose que les produits doivent présenter dans des conditions normales d'utilisation la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes, dans la mesure où le grief tiré de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et du fait que le produit ne doit pas porter atteinte à la santé ne peut être avancé que dans le cadre de l'action sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et ne peut constituer une faute distincte du défaut allégué.

C'est donc sur le seul fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux qu'il convient de se placer pour apprécier la demande indemnitaire des patients.

L'application de la législation relative à la responsabilité du fait des produits défectueux aux produits de santé impose, donc, aux victimes d'établir un lien de causalité entre le dommage et le produit, ainsi que de démontrer la défectuosité du produit.

Si comme le soutiennent les patients l'existence d'un lien de causalité juridique peut être considéré comme établi au regard des critères dégagées par la jurisprudence à savoir:

- le délai bref d'apparition entre l'absorption des produits et l'apparition des effets secondaires,

- la concordance entre l'arrêt des troubles et l'arrêt du traitement,

- le nombre de personnes concernés,

- l'absence d'erreur de prescription,

- l'absence de prédisposition du patient à ce syndrome,

- l'absence d'une association avec d'autres médicaments,

Pour autant avant de déterminer l'existence d'un lien de causalité juridique il doit au préalable être recherché si le lien de causalité est scientifiquement établi.

Or en l'espèce même s'il ressort de la lecture des pièces produites par les patients que dès la mise sur le marché de Levothyrox nouvelle formule le signalement d'effets indésirables par les utilisateurs qui existaient déjà avec Levothyrox ancienne formule a connu une augmentation significative (500 000 signalements selon l'ANSM, un million selon les associations ) pour autant il n'est pas scientifiquement rapporté la preuve par les demandeurs d'un lien entre le produit et les dommages invoqués.

En effet les pièces médicales produites par chacun des demandeurs, pièces identiques à celles produites en première instance sont non seulement insuffisantes à rapporter la preuve d'un préjudice subi par les patients, mais également insuffisantes à rapporter la preuve que les difficultés allégués par chaque patient ont pour origine Levothyrox nouvelle formule ce d'autant que la SASU Merck Santé verse aux débats de nombreuses pièces pour démontrer l'absence de défectuosité du produit comme les avis ou recommandations des autorités de santé françaises (Direction Générale de la Santé, ANSM) et étrangères (agence de santé américaine, conseil fédéral suisse), concluant à la bonne qualité de Levothyrox nouvelle formule.

En l'absence de la démonstration du lien de causalité scientifique entre un défaut du produit et les préjudices allégués en première instance c'est à juste titre que le tribunal de grande instance de Toulouse a rejeté la demande directe d'indemnisation des patients au titre du préjudice moral et d'anxiété.

Devant la cour d'appel de renvoi la démonstration de ce lien de causalité scientifique n'est pas plus avérée si bien que la demande de réparation du préjudice corporel et du préjudice moral présentée par chaque patient ne pourra qu'être rejetée.

Sur la demande d'expertise médicale de chacun des patients:

La cour relève que l'ensemble des parties s'accordent sur la nécessité d'une expertise médicale de chaque patient et donc sur la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a ordonné ladite expertise.

Toutefois les patients sollicitent que le jugement entrepris soit infirmé sur la désignation des experts missionnés pour ladite expertise médicale et qu'il soit procéder à leur remplacement par de nouveaux experts.

Cette prétention s'analyse en une demande en récusation des experts désignés par le jugement du 5 novembre 2018.

La cour rappelle qu'en application de l'article 234 du code de procédure civile, la partie qui entend récuser un technicien doit le faire soit devant le juge qui l'a commis soit devant le juge en charge du contrôle des expertises.

En l'espèce il s'avère que les patients ont déjà usé de cette procédure puisque le 26 mars 2019 le conseil des 47 demandeurs a saisi le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse statuant en matière de contrôle des expertises d'une demande de remplacement des trois experts déjà désignés aux motifs que ces derniers se seraient opposés au début des opérations d'expertise à désigner un sapiteur chimiste ou pharmacologue et à entendre Monsieur [LG].

Cette demande de récusation et de remplacement des experts désignés a donc déjà été tranchée par le juge en charge des expertises qui a débouté les demandeurs de leur demande par ordonnance en date du 9 mai 2019 et l'appel interjeté contre ladite ordonnance a été déclaré irrecevable.

Les patients ne sont pas recevables à former à nouveau devant la cour d'appel de renvoi une demande de récusation et de remplacement des experts désignés y compris pour des motifs autres que ceux exposés devant le juge en charge du contrôle des expertises comme le fait que l'un des experts désignés, le docteur [KY], aurait été le médecin traitant de l'un des patients en l'occurrence de Madame [ET] [C] dans la mesure où même à supposer cette cause de récusation avérée, les demandeurs sont sensés y avoir renoncée dès lors qu'il se sont abstenus de la soulever lors du début des opérations d'expertise et lors de leur saisine le 26 mars 2019 du juge de la mise en état en charge du contrôle des expertises.

Par conséquent le jugement du 5 novembre 2018 sera confirmé en ce qu'il a ordonné une expertise médicale de chaque patient et en ce qu'il a désigné pour y procéder : le docteur [M] [KY], le docteur [BF] [LC] et docteur [O] [NT].

Sur la demande de contre-expertise médicale:

La cour observe en premier lieu qu'il peut apparaître quelque peu contradictoire de solliciter la confirmation de l'expertise médicale ordonnée en première instance et en même temps de solliciter une contre-expertise.

En tout état de cause la demande de contre-expertise ne peut être justifiée au seul motif que les deux pré-rapports déposés concernant uniquement deux patients puisque les opérations d'expertise ont été interrompues pour les autres ne retiennent aucun chef de préjudice alors que d'autres experts saisis dans le même type de contentieux ont conclu à l'existence d'un lien direct et certain entre la prise du Levothyrox nouvelle formule et les souffrances endurées par les patients.

La cour rappelle en effet qu'une analyse différente de pièces, et des conclusions divergentes d'un expert à l'autre ne peuvent suffire à justifier qu'une mesure de contre-expertise soit ordonnée le juge étant en capacité dans le cadre du débat judiciaire d'apprécier l'ensemble des éléments qui lui sont soumis à savoir le rapport d'expertise judiciaire et les éléments de preuve produits par chacune des parties.

Il ne sera donc pas fait droit à la demande de contre-expertise.

Sur la demande d'expertise d'expertise chimique Levothyrox nouvelle formule :

La cour rappelle que sur renvoi après cassation, l'arrêt rendu par la cour de cassation fixe les limites du litige dont est saisie la cour d'appel de renvoi.

En l'espèce la question de l'expertise chimique ne se trouve pas dans le débat après cassation dans la mesure où ce point n'était pas soumis à la cour de cassation et où cette demande a déjà été tranchée par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse dans son ordonnance du 9 mai 2019, décision devenue définitive suite à l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse en date du 23 février 2021 déclarant l'appel irrecevable.

Surabondamment il apparaît qu'une analyse chimique globale du médicament n'apparaît pas pertinente en l'espèce dans la mesure où il ressort des nombreuses pièces produites par la SASU Merck Santé et en particulier de l'ensemble des analyses et des études de pharmaco-épidémiologie réalisées par l'ANSM que la bonne qualité de la nouvelle formule n'est pas mise en cause.

Par conséquent les patients ne pourront qu'être déboutés de leur demande de voir ordonner une expertise chimique de Levothyrox nouvelle formule.

Sur la demande de provisions:

En l'absence comme exposé précédemment de la démonstration d'un lien de causalité scientifique entre un défaut du produit et les préjudices allégués la demande d'allocation d'une provision à chacun des patients d'une somme de 2 000 € à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis ne pourra qu'être rejetée.

Sur l'avance des frais d'expertise :

C'est à juste titre que le jugement entrepris a mis à la charge de la partie demanderesse l'avance des frais d'expertise dans la mesure où d'une part il s'agit d'une recherche probatoire à son profit et d'autre part pour s'assurer de l'efficacité de la mesure.

La décision du 5 novembre 2018 sera donc confirmée sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement déféré sera enfin confirmé en ses dispositions au titre des frais irrépétibles et des dépens.

Devant la cour d'appel l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et chaque partie conservera la charge des dépens exposés dans la présente instance.

Dispositif

PAR CES MOTIFS:

La cour statuant par arrêt contradictoire et rendu par mise à disposition au greffe,

Déclare recevable la demande d'indemnisation au titre du préjudice moral et du préjudice corporel présentée par [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY];

Déboute [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY] de leur demande d'indemnisation au titre du préjudice moral et du préjudice corporel;

Confirme le jugement rendu le 5 novembre 2018 par le tribunal de grande instance de Toulouse en ce qu'il a ordonné avant dire droit une expertise médicale de [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY], commis pour y procéder les docteurs [M] [KY], [BF] [LC] [O] [NT] et sur la nature et l'étendue de la mission donnée aux experts et en ce qu'il a mis à la charge des demandeurs l'avance des frais d'expertise;

Déboute [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY] de leur demande de contre-expertise médicale;

Déboute [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY] de leur demande d'expertise chimique;

Déboute [ET] [C], [RN] [FR], [ZI] [XU], [RN] [SV], [WW] [VD], [TX] [CY], [MM] [WF], [WB] [DE], [V] [XL], [Y] [K], [ZR] [KM], [HB] [IL], [FZ] [EG], [YW] [LO] ès qualités d'ayant-droit de [SA] [FV], [WN] [JS], [ZE] [WS], [MZ] [JN], [KE] [VP], [ZR] [MI], [WN] [XP], [PH] [EK], [SE] [CA], [NX] [EO], [ZM] [S], [SY] [NH], [AE] [ID], [YG] [B], [BE] [WJ], [FZ] [AO], [UR] [OB], [ZI] [SI], [E] [OJ], [CU] [U], [BS] [HS], [F] [BA], [ZE] [I], [IU] [ND], [WB] [LX], [IY] [UV], [HF] [UI], [T] [RS], [TG] [G], [KI] [MV], [DI] [L], [M] [BY] et [KA] [DY] de leur demande de provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis;

Confirme le jugement rendu le 5 novembre 2018 par le tribunal de grande instance de Toulouse en ce qu'il a réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés devant la présente cour;

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens exposés devant la cour d'appel de Montpellier.