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Décisions

CA Montpellier, 1re ch. A 1, 19 avril 2021, n° 10/872

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

TGI Rodez, du 21 nov. 2003

21 novembre 2003

EXPOSÉ DU LITIGE

Andrea C. veuve R. décédait le 11 juillet 1999 en laissant sa s'ur Odette C. pour héritière légale, laquelle, les 6 et 21 septembre 2000, faisait assigner d'une part Georges C. et d'autre part les enfants de celui-ci M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R. en annulation du legs dont ces deux derniers se prévalaient en vertu d'un testament olographe du 25 novembre 1987 les instituant légataires universels.

Georges C. est décédé le 26 juin 2001, laissant pour héritiers ses deux enfants.

Par un premier jugement avant dire droit du 10 avril 2002 une expertise en comparaison d'écritures et de signatures était confiée par le tribunal de grande instance de Rodez à Mme Marie C. qui déposait son rapport le 2 août 2002.

Odette C. est décédée le 21 août 2002, laissant pour héritiers M. Yves L., Mme Martine L. divorcée J., Mme Roxane L. épouse P., M. Christian L., Mme Sylvie L. divorcée C., Mlle Patricia L., Mme Marie-Claude B. épouse J..

Par jugement du 21 novembre 2003 le tribunal de grande instance de Rodez prononçait l'annulation du testament du 25 novembre 1987 et, avant dire droit sur l'éventuelle réparation résultant de la gestion d'affaire faite par feu Georges C., ordonnait une mesure d'expertise confiée à M. Jean-Claude B..

L'expert déposait son rapport définitif le 21 novembre 2006.

Par jugement contradictoire du 22 janvier 2010, le tribunal de grande instance de Rodez a :

- jugé que la gestion de feu Georges C. entre 1986 et 1991 du patrimoine de feue Andrea C. veuve R. a entraîné un appauvrissement anormal et non justifié de celui-ci à hauteur de 1.122.925,08 F, soit 171.188,81 €,

- jugé que feu Georges C. n'ayant pu répondre de cette dette avant son décès, survenu le 26 juin 2001, celle-ci doit être portée au passif de sa succession et supportée par ses héritiers, M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R. qui seront condamnés à payer la dite somme de 171.188,81 € aux ayants droit de feue Andrea C. veuve R., à savoir : M. Yves L., Mme Martine L. divorcée J., Mme Roxane L. épouse P., M. Christian L., Mme Sylvie L. divorcée C., Mlle Patricia L., Mme Marie-Claude B. épouse J.,

- débouté les parties de leurs plus amples demandes,

- condamné M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R. à payer aux ayants droit de feue Andrea C. veuve R. la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R. ont régulièrement interjeté appel de ce jugement le 1er février 2010.

Vu l'ordonnance rendue le 11 mars 2010 par le magistrat de la mise en état constatant le désistement d'appel à l'encontre des intimés pris en leurs noms personnels et disant que l'instance se poursuivra à l'encontre de tous les intimés en leurs qualités d'ayants droit de feue Odette C..

Vu les conclusions de M. Michel C. et de Mme Francine C. épouse R. en date du 1er juin 2010.

Vu les conclusions de M. Yves L., Mme Martine L. divorcée J., Mme Roxane L. épouse P., M. Christian L., Mme Sylvie L. divorcée C., Mlle Patricia L., Mme Marie-Claude B. épouse J., tous ès-qualités d'ayants droit de feue Odette C., en date du 23 juillet 2010.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 3 mars 2011.

M O T I F S D E L ' A R R Ê T

Attendu qu'en l'état actuel de la procédure la cour doit d'abord se prononcer sur la nature juridique des rapports ayant pu exister de leur vivant entre Andrea C. veuve R. et Georges C., que le premier juge a estimé que cette question avait été tranchée par le précédent jugement du 21 novembre 2003, désormais définitif, en ordonnant une mesure d'expertise 'sur l'éventuelle réparation résultant de la gestion d'affaire faite par Monsieur Georges C.'.

Attendu que les consorts L.-B. estiment qu'en effet le jugement du 21 novembre 2003 a définitivement statué sur l'existence d'une gestion d'affaire entre Andrea C. veuve R. et Georges C. tandis que les consorts C. estiment que la gestion d'affaire n'a pas été jugée dans le dispositif du jugement.

Attendu qu'il apparaît en effet que le dispositif du jugement du 21 novembre 2003, qui seul est revêtu de l'autorité de la chose jugée, ne tranche pas expressément cette question puisqu'il se contente, avant dire droit, d'ordonner une mesure d'expertise telle que rappelée plus haut, que c'est en réalité en se référant aux motifs du jugement que tant le premier juge, dans le jugement déféré à la cour, que les consorts L.-B. trouvent des arguments en faveur de l'existence d'une gestion d'affaire.

Mais attendu que les motifs du jugement ne sont pas, quant à eux, revêtus de l'autorité de la chose jugée et que force est de constater qu'en l'état il n'a pas été définitivement statué sur cette question.

Attendu que le seul élément en faveur de l'existence d'une gestion d'affaire est le procès-verbal d'audition de Georges C. le 28 février 1991 devant les services de police de Rodez où il déclare : 'Mme R. a en effet des troubles mentaux qui se sont accentués depuis une année environ. Mme R. a toujours été une amie de la famille et voilà qu'il y a cinq ans, elle m'a demandé de s'occuper de ses affaires. J'ai accepté. Mon rôle consiste à s'occuper de ses comptes bancaires, à savoir de régler ses factures et de lui apporter ce qu'il lui manque'.

Attendu qu'il résulte des éléments de la cause que Georges C. s'est ainsi occupé des affaires d'Andrea C. veuve R. entre 1986 et 1991, qu'en effet à partir du 11 septembre 1991 celle-ci a fait l'objet d'une mesure de tutelle dont la gérance a été confiée à M. Jean-François G..

Attendu qu'aux termes de l'article 1371 du code civil la gestion d'affaire constitue un fait purement volontaire de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers et quelquefois un engagement réciproque de deux parties ; qu'il doit s'agir, de la part du gérant, d'une intervention spontanée sans accord préalable avec le maître de l'affaire.

Attendu dès lors qu'à la lecture de la déposition de Georges C., qui déclare avoir agi à la demande d'Andrea C. veuve R. laquelle, notamment, lui a donné procuration sur ses comptes bancaires, il apparaît que son intervention n'a pas été spontanée et que son action ne peut se situer dans le cadre juridique de la gestion d'affaire.

Attendu en réalité qu'il s'est agi d'un contrat de mandat tacite entre les deux parties, compte tenu de la nature des liens qui les unissaient de leur vivant, que cette qualification juridique est bien dans le débat puisque, dans leurs conclusions, les consorts C. visent également les articles 1992 et 1993 du code civil relatifs au contrat de mandat.

Attendu en conséquence que le jugement déféré sera infirmé et que, statuant à nouveau, il sera dit que Georges C. a agi entre 1986 et 1991 comme mandataire d'Andrea C. veuve R. en exécution d'un contrat de mandat tacite.

Attendu dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article 1993 précité Georges C. avait l'obligation de rendre compte de sa gestion, que le mandant ou, comme en l'espèce, ses héritiers sont en droit d'exiger cette reddition de compte même si aucune circonstance ne laisse penser que le mandataire aurait dépassé les limites de la procuration donnée.

Attendu enfin qu'en cas de décès du mandataire, l'obligation de rendre compte est transmise aux héritiers et qu'ainsi les consorts C., en leur qualité d'héritiers de Georges C., sont tenus à cette obligation à l'égard des consorts L.-B., en leur qualité d'ayants droit d'Odette C., elle-même héritière d'Andrea C. veuve R..

Attendu qu'il ressort du rapport d'expertise de M. Jean-Claude B., au demeurant non sérieusement critiqué et que la cour entérinera, qu'Andrea C. veuve R. était propriétaire de 1.296 actions de la SA RAGT et y possédait un compte courant d'associé n° 8637873, qu'elle possédait également un compte bancaire n° 04007662508 à la Caisse d'Epargne de l'Aveyron.

Attendu que l'expert a établi qu'entre 1986 et 1991 plusieurs opérations de débit significatives sur le compte courant d'associé, pour 50.980,45 F, n'ont pas été créditées au compte bancaire d'Andrea C. veuve R. et que, sur cette période, le total des crédits est de 227.894,25 F tandis que le total des débits est de 500.216,33 F, qu'ainsi ce compte s'est appauvri sans justification de 272.322,08 F.

Attendu que l'expert a également établi qu'entre le 6 décembre 1989 et le 16 mai 1990, soit sur une période de cinq mois seulement, d'importants retraits en espèces ont été effectués sur le compte bancaire pour un montant total de 850.603 F, qu'en particulier un important retrait en espèces de 390.000 F le 10 janvier 1990 avait été rendu possible par le virement le 30 décembre 1989 de la même somme en provenance du compte courant d'associé de la SA RAGT.

Attendu que la quasi totalité de ces mouvements et retraits a été effectuée sur une courte période de temps et à une époque où Andrea C. veuve R. était en résidence en maison de retraite à Rodez, qu'en l'absence de toute reddition de compte ni Georges C. ni ses ayants droit n'ont jamais pu justifier de l'usage de ces sommes.

Attendu qu'il en est donc résulté un appauvrissement injustifié du patrimoine de la mandante à hauteur de 1.122.925,08 F, soit 171.188,81 € du fait du mandat de Georges C. dont ses héritiers doivent réparation aux ayants droit de la mandante.

Attendu que cette dette doit être portée au passif de la succession de Georges C. et que, de ce fait, les consorts C. seront solidairement condamnés, ès-qualités d'ayants droit de feu Georges C., à payer la dite somme de 171.188,81 € aux consorts L.-B. en leur qualité d'ayants droit de feue Odette C., elle-même héritière de feue Andrea C. veuve R..

Attendu qu'il est équitable, compte tenu au surplus de la situation économique de la partie condamnée, d'allouer aux consorts

L.-B. la somme globale de 6.000 € au titre des frais par eux exposés et non compris dans les dépens.

Attendu que les consorts C., parties perdantes, seront solidairement condamnés aux dépens de première instance, lesquels comprendront les frais des expertises judiciaires de Mme Marie C. et de M. Jean-Claude B., et d'appel et seront, de ce fait, déboutés de leur propre demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

P A R C E S M O T I F S

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement.

Infirme le jugement déféré et, statuant à nouveau :

Entérine le rapport d'expertise judiciaire de M. Jean-Claude B..

Dit que de 1986 à 1991 Andrea C. veuve R. a donné mandat à Georges C. pour gérer ses comptes et régler ses factures.

Dit qu'en l'absence de reddition de compte des ayants droit de Georges C. à l'égard des ayants droit d'Andrea C. veuve R., le mandat de Georges C. a entraîné un appauvrissement non justifié du patrimoine d'Andrea C. veuve R. pour un montant global de CENT SOIXANTE ET ONZE MILLE CENT QUATRE VINGT HUIT EUROS QUATRE VINGT UN CENTS (171.188,81 €).

Dit que la dite somme doit être portée au passif de la succession de Georges C. et être supportée par ses héritiers.

Condamne en conséquence solidairement M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R., ès-qualités d'ayants droit de feu Georges C., à payer à M. Yves L., Mme Martine L. divorcée J., Mme Roxane L. épouse P., M. Christian L., Mme Sylvie L. divorcée C., Mlle Patricia L., Mme Marie-Claude B. épouse J. en leur qualité d'ayants droit de feue Odette C., elle-même héritière de feue Andrea C. veuve R., la somme de CENT SOIXANTE ET ONZE MILLE CENT QUATRE VINGT HUIT EUROS QUATRE VINGT UN CENTS (171.188,81 €).

Condamne solidairement M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R. à payer à M. Yves L., Mme Martine L. divorcée J., Mme Roxane L. épouse P., M. Christian L., Mme Sylvie L. divorcée C., Mlle Patricia L., Mme Marie-Claude B. épouse J. la somme globale de SIX MILLE EUROS (6.000 €) au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Déboute M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R. de leur demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne solidairement M. Michel C. et Mme Francine C. épouse R. aux dépens de la procédure de première instance, lesquels comprendront les frais des expertises judiciaires de Mme Marie C. et de M. Jean-Claude B., et d'appel et autorise la S.C.P. T., C., Avoués associés, à recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.