Livv
Décisions

CA Versailles, 14e ch., 1 décembre 2022, n° 22/02569

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Bâtiment-Construction-Rénovation-Industrielle (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillaume

Conseillers :

Mme Igelman, Mme de Rocquigny du Fayel

Avocats :

Me Lissarrague, Me Rousset-Rouviere, Me Guiguet, Me Dontot, Me Sabri-Lebaron

TC Pontoise, du 31 mars 2022, n° 2022R00…

31 mars 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Bâtiment construction rénovation industrielle (ci-après BCRI), oeuvrant dans le domaine des BTP, a été constituée par deux frères, MM. [W] et [D] [O], respectivement président et directeur général, associés à parts égales par l'intermédiaire de sociétés civiles.

La société BCRI a cessé de payer la rémunération de M. [D] [O] en qualité de directeur général à compter d'octobre 2019.

Celui-ci a obtenu une ordonnance du président du tribunal de commerce de Pontoise l'autorisant à pratiquer une saisie conservatoire sur le compte de la société BCRI pour le montant qu'il estime lui être dû au titre de sa rémunération pour la période courant d'octobre 2019 à décembre 2020.

Par acte d'huissier de justice délivré le 8 mars 2022, M. [D] [O] a fait assigner en référé la société BCRI aux fins d'obtenir principalement sa condamnation à lui verser une provision de 138 782 euros au titre de la rémunération de son mandat social de directeur général entre octobre 2019 et décembre 2021.

Par ordonnance contradictoire rendue le 31 mars 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Pontoise a :

- dit qu'il existe des contestations sérieuses entre les parties,

- dit M. [D] [O] mal fondé en ses demandes,

en conséquence,

- débouté M. [D] [O] de ses demandes et l'a renvoyé à mieux se pourvoir au fond ;

- condamné M. [D] [O] à régler à la société BCRI la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [D] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 11 avril 2022, M. [D] [O] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 2 août 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [D] [O] demande à la cour, au visa des articles 873 et 700 du code de procédure civile, de :

- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Pontoise en date du 31 mars 2022 en toutes ses dispositions ;

statuant de nouveau,

- condamner la société BCRI au paiement d'une provision d'un montant de 138 782 euros ou à tout le moins d'un montant de 95 346 euros, au titre de la rémunération de son mandat social de directeur général entre octobre 2019 et décembre 2021 ;

en tout état de cause,

- débouter la société BCRI de sa demande reconventionnelle ;

- condamner la société BCRI au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 9 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société BCRI demande à la cour, au visa des articles 873 et 700 du code de procédure civile, de :

- juger M. [O] mal fondé en son appel ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Pontoise le 31 mars 2022, en ce qu'il a débouté Monsieur [D] [O] de toutes ses demandes ;

- constater que le tribunal de commerce de Pontoise a omis de statuer sur sa demande reconventionnelle relative au remboursement de la rémunération indûment perçue par M. [D] [O] entre le 1er janvier 2019 et le 30 octobre 2019 ;

- constater que M. [D] [O] a continué de percevoir indûment une rémunération qui ne lui était pas due, entre le 1er janvier 2019 et le 30 octobre 2019, pour un montant total chargé de 82 607,13 euros ;

en conséquence,

- débouter M. [D] [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- réparer l'omission de statuer et par conséquent ;

- condamner M. [D] [O] au remboursement de la rémunération indûment perçue entre le 1er janvier 2019 et le 30 octobre 2019, pour un montant total chargé de 82 607,13 euros et à titre provisionnel ;

- condamner M. [D] [O] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner M. [D] [O] aux dépens dont distraction au profit de Maître Dontot, conformément dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur les demandes de provision

Arguant du caractère incontestable de sa créance, M. [D] [O] indique que le simple fait qu'une décision ne soit pas adoptée par l'assemblée générale selon la majorité requise n'est pas de nature à remettre en cause une décision prise 'jusqu'à décision contraire' par cette même assemblée générale, seule compétente pour fixer les modalités de rémunération des dirigeants conformément aux statuts.

Il fait valoir qu'en l'espèce, les statuts de la société BCRI prévoient que le directeur général peut recevoir une rémunération dont les modalités sont fixées par décision collective originaire des associés et que, chaque année depuis 2016, deux résolutions relatives à la fixation de la rémunération du président et du directeur général au titre de l'année en cours étaient soumises au vote , au titre de l'exercice en cours et pour l'avenir, 'jusqu'à nouvelle décision contraire', étant précisé que ces résolutions devaient obtenir l'unanimité des votes pour être adoptées compte tenu de la répartition égalitaire des actions entre les deux associés.

Il expose qu'en l'espèce, lors de l'assemblée générale du 30 septembre 2019, la résolution relative à la fixation du montant de la rémunération de M. [W] [O] a été adoptée, mais que celui-ci a voté contre l'adoption de la résolution suivante relative à sa rémunération en qualité de directeur général.

Affirmant qu'une résolution n'obtenant pas l'unanimité est donc rejetée par l'assemblée, M. [D] [O] en déduit que la société BCRI était donc mal fondée à cesser le versement de sa rémunération en octobre 2019 sur ce fondement, dès lors que la rémunération de 80 000 euros brut par an précédemment votée, en l'espèce le 31 mai 2017, devait continuer à s'appliquer.

L'appelant soutient que, depuis octobre 2019, M. [W] [O] s'oppose au versement de sa rémunération au titre de son mandat de directeur général, alors qu'il continue à exercer ses fonctions et assure seul le développement, la direction administrative, commerciale et technique de la société BCRI.

Il fait valoir que seule l'adoption d'une nouvelle résolution par l'assemblée générale, conformément aux règles de majorité applicables, est de nature à constituer une décision de nature à remettre en cause une décision adoptée « jusqu'à décision contraire ».

M. [D] [O] fait valoir que le montant de sa rémunération non versée a été provisionné dans les comptes 2020 à hauteur de 95 346 euros, conformément aux recommandations de l'expert-comptable et du commissaire aux comptes, ce qui démontre selon lui le caractère incontestable de sa créance.

Il soutient que le blocage réalisé par M. [W] [O] est d'autant plus abusif que celui-ci continue de percevoir sa rémunération au titre de son mandat de président, alors que l'assemblée

générale annuelle de la société BCRI réunie le 6 mai 2021 n'a pas approuvé la résolution relative à sa rémunération et que les deux frères se trouvent donc dans des situations identiques.

L'appelant affirme que sa créance de rémunération au titre de son mandat de directeur général est indépendante du contentieux actuellement pendant devant le tribunal de commerce d'Orléans, étant au surplus précisé qu'il existe également une procédure à l'encontre de M. [W] [O] et sa société Aquapaysage pour concurrence déloyale à l'encontre de la société BCRI.

Sur le montant de sa créance, M. [D] [O] expose qu'il peut être déterminé en prenant en considération le dernier montant annuel brut fixé par l'assemblée générale, soit 80 000 euros brut, dont il faut déduire les charges sociales, soit 138 782 euros nets pour la période du 1er octobre 2019 au 31 décembre 2021, ce qui correspond aux sommes provisionnée à ce titre dans les comptes 2020 et 2021 de la société BCRI.

Concluant au rejet de la demande reconventionnelle de l'intimée, M. [D] [O] soutient que la rémunération qui lui a été versée du 1er janvier au 30 septembre 2019, en application de la résolution votée par l'assemblée générale du 31 mai 2017, est incontestablement due.

Faisant valoir en réponse que M. [D] [O] a sciemment organisé et mis en place le détournement frauduleux d'au moins 18 chantiers de démolition et de gros oeuvre au profit d'une société CRCF dont il est le président et détient la majorité du capital, la société BCRI argue de l'existence de deux procédures en cours entre les parties engagées le 2 août 2019 : l'une à l'encontre de la société CRCF devant le tribunal de commerce d'Orléans en réparation des conséquences dommageables des actes de concurrence déloyale et parasitaires commis à son encontre et la seconde, intentée devant le tribunal de commerce de Pontoise à l'encontre de M. [D] [O] en réparation des conséquences dommageables de ses agissements fautifs en qualité de directeur général de la société.

L'intimée expose que le tribunal de commerce de Pontoise s'est dessaisi au profit de celui d'Orléans et que la procédure est toujours en cours, une tentative de médiation ayant échoué.

La société BCRI soutient que la créance de rémunération alléguée par M. [D] [O] n'est ni certaine, ni liquide, ni exigible.

Arguant de la décision de l'assemblée générale du 30 septembre 2019 rejetant l'adoption de la résolution prévoyant la fixation de la rémunération de M. [D] [O] et de celle du 6 mai 2021 décidant de ne pas soumettre au vote la résolution relative à la fixation de la rémunération des dirigeants, la société BCRI en déduit que la rémunération du mandat de directeur général a été arrêtée à compter du 1er janvier 2019, ce qui implique que la créance est sérieusement contestable.

Indiquant ne pas contester qu'une délibération fixant la rémunération d'un dirigeant 'jusqu'à une décision contraire' l'autorise expressément à percevoir une rémunération annuelle à hauteur de ce montant, sans avoir à prendre donc pour chaque nouvel exercice une nouvelle décision, la société BCRI soutient que, dès lors que la rémunération de M. [D] [O] n'a pas été adoptée à la majorité requise par les statuts, ce vote constitue une 'décision contraire' mettant fin au principe de la rémunération.

L'intimée affirme que, si l'expert-comptable de la société a provisionné dans les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2020, le montant de la rémunération non versée à M. [D] [O], il s'agit uniquement d'une pratique comptable justifiée par la précaution et la prudence afin d'anticiper une charge ou un risque probable à venir, qui ne peut servir à justifier l'existence de la créance alléguée.

Elle indique que la circonstance que sa rémunération soit toujours versée à M. [W] [O] est sans incidence sur le litige.

La société BCRI soutient que, dès lors que l'assemblée générale du 30 septembre 2019 a mis un terme au principe de la rémunération du mandat de directeur général à compter du 1er janvier 2019, les sommes perçues par M. [D] [O] à ce titre entre le 1er janvier et le 30 septembre 2019 ont été indûment versées et doivent être restituées.

Elle indique que le premier juge a omis de se prononcer sur cette demande reconventionnelle qu'elle avait pourtant formée en première instance.

Sur ce,

Aux termes de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision, celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle et la cour est tenue d'appliquer les clauses claires du contrat qui lui est soumis, si aucune interprétation n'en est nécessaire. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Aux termes de l'article du 1353 du code civil, c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En vertu de l'article L. 110-3 du code de commerce, la preuve en matière commerciale peut se faire par tous moyens.

Selon les dispositions des articles L. 227-1 du code de commerce, 'une société par actions simplifiée peut être instituée par une ou plusieurs personnes qui ne supportent les pertes qu'à concurrence de leur apport. (...) Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception de l'article L. 224-2, du second alinéa de l'article L. 225-14, des articles L. 225-17 à L. 225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126, L. 225-243, du I de l'article L. 233-8 et du troisième alinéa de l'article L. 236-6, sont applicables à la société par actions simplifiée. Pour l'application de ces règles, les attributions du conseil d'administration ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet'.

L'article L. 227-9 du même code de commerce dispose que 'les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient. Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés'.

En l'espèce, les statuts de la société BCRI prévoient en leur article 15 que 'le directeur général peut recevoir une rémunération dont les modalités sont fixées par décision collective ordinaire des associés.'

L'article 23 indique quant à lui que : 'Le droit de vote attaché aux actions est proportionnel à la quotité de capital qu'elles représentent. Chaque action donne droit à une voix. Les décisions collectives entraînant modification des statuts ou relative à l'agrément de cession d'actions, à l'exception de celles pour lesquelles l'unanimité est exigée par la loi, seront prises à la majorité des trois quarts des voix dont disposent les associés. Les autres décisions seront prises à la majorité des voix dont disposent les associés.'

Il n'est pas contesté que lors de l'assemblée générale du 31 mai 2017 de la société BCRI, une résolution a été adoptée prévoyant le versement à M. [D] [O] d'une rémunération de 80 000 euros brut par an à compter du 1er janvier 2017 et 'jusqu'à décision contraire'.

L'examen du procès-verbal d'assemblée générale du 30 septembre 2019 permet de constater que la quatrième résolution relative à la rémunération de M. [W] [O] en qualité de président

a été adoptée tandis que n'a pas été adoptée la résolution suivante : ' l'assemblée générale décide qu'à compter de l'exercice clos le 31 décembre 2019 ouvert le 1er janvier 2019 et ce jusqu'à nouvelle décision contraire, M. [D] [O], directeur général, aura droit en rémunération de son mandat social et en compensation des responsabilités y attachées, à la somme brute annuelle de 75 903 euros', qui a recueilli 500 voix pour et 500 voix contre.

Dans ce contexte, la notion de 'décision contraire' dont les deux parties revendiquent une interprétation différente ne peut être tranchée avec l'évidence requise en référé et il convient de dire qu'est sérieuse la contestation relative au principe du versement de la rémunération de M. [D] [O] à compter du 1er janvier 2019, et donc a fortiori à compter du 1er octobre 2019, dès lors qu'il s'agit d'une société ne comportant que deux associés et qu'aucune décision ne peut en réalité être prise en cas de désaccord.

La circonstance que la somme correspondant à la rémunération réclamée par M. [D] [O] ait été provisionnée comptablement ne peut démontrer que cette créance est incontestable, mais fait apparaître que, par précaution, le comptable a estimé qu'il y avait un risque que la société doive la régler.

De même et pour des motifs identiques, la demande de provision formée par la société BCRI au titre de la restitution de la rémunération versée à M. [D] [O] entre le 1er janvier et le 1er octobre 2019 est sérieusement contestable.

Il convient en outre de souligner que la société BCRI ne conteste pas continuer à verser à M. [W] [O] sa rémunération au titre de son mandat social alors que, tant lors de l'assemblée générale du 6 mai 2021 que pendant celle du 28 septembre 2021, la résolution indiquant : 'l'assemblée, conformément aux articles 14 et 15 des statuts de la société, décide qu'à compter de l'exercice clos le 31 décembre 2019 ouvert le 1er janvier 2019, et ce jusqu'à nouvelle décision contraire, M. [W] [O] au titre de ses fonctions de président de la société et M. [D] [O] au titre de ses fonctions de directeur général de la société, percevront respectivement une rémunération fixe annuelle brute égale à 75 903 euros' n'a pas été adoptée, ayant recueilli 500 voix pour et 500 voix contre, et que les situations de MM. [D] et [W] [O] apparaissent donc identiques en l'état.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée.

Sur les demandes accessoires

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Chaque partie succombant partiellement en ses demandes, chacune conservera la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés.

En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant ;

Rejette le surplus des demandes ;

Déboute M. [D] [O] et la société BCRI de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel.