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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 30 mai 2023, n° 22/02169

AMIENS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brillet

Conseillers :

M. Adrian, Mme Segond

Avocats :

Me Dory, Me Bibard, Me Grandet, Me Derbise

CA Amiens n° 22/02169

30 mai 2023

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La commune de [Localité 6] est propriétaire d'une parcelle située [Adresse 7], appartenant à son domaine privé.

Exposant avoir mis cette parcelle à la disposition de la société Eco-recyclage et de la société civile immobilière SDEL (la SCI SDEL) pour y réaliser une activité de concassage de cailloux, et leur reprochant d'avoir quitté les lieux sans procéder au nettoyage du terrain, la commune de [Localité 6] les a assignées, le 18 décembre 2018, devant le tribunal judiciaire d'Amiens aux fins de remise en état du terrain et indemnisation.

Par ordonnance du 12 mars 2021, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence au profit du tribunal administratif soulevée par la SCI SDEL.

Au cours de l'instance, la société Eco-recyclage a été mise en liquidation judiciaire. Mme [G] en qualité de liquidatrice a été appelée. Un jugement du 7 mai 2021 a prononcé la clôture pour insuffisance d'actif de la société Eco-recyclage, a mis fin à la fonction de Mme [G] et l'a désignée en qualité de mandataire ad hoc.

Par le jugement dont appel, du 23 février 2022, le tribunal judiciaire d'Amiens a :

- débouté la commune de [Localité 6] de son action principale en responsabilité contractuelle,

- débouté la commune de [Localité 6] de son action subsidiaire en réparation du préjudice écologique,

- condamné la commune de [Localité 6] à payer à la SCI SDEL la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec paiement direct au profit de la SCP Lebegue Derbise.

Par déclaration du 2 mai 2022, signifiée le 5 juillet 2022 au domicile de Mme [G], la commune de [Localité 6] a fait appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 décembre 2022.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions du 5 octobre 2022, signifiées pour les premières le 5 juillet 2022 à l'intimée non constituée, la commune de [Localité 6] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

A titre principal,

- de condamner solidairement les sociétés intimées à remettre la parcelle litigieuse dans son état antérieur, tant d'un point de vue matériel que d'un point de vue écologique, en faisant procéder aux opérations de dépollution, sur le fondement des articles 1217 et suivants du code civil,

- les condamner solidairement à lui payer la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance,

- dans l'hypothèse où l'exécution forcée en nature serait impossible, les condamner solidairement au paiement de la somme de 700 000 euros à titre de dommages-intérêts,

A titre subsidiaire,

- de condamner solidairement les sociétés intimées à remettre les lieux en état, tant d'un point de vue matériel que d'un point de vue écologique, en faisant procéder aux opérations de dépollution, en raison du préjudice écologique,

- assortir cette obligation d'une astreinte provisoire de 500 euros par jour, à partir du troisième mois après la signification de l'arrêt à intervenir, et ce, durant 6 mois,

- dans l'hypothèse où l'exécution forcée en nature serait impossible, les condamner solidairement au paiement de la somme de 700 000 euros à titre de dommages-intérêts,

En tout état de cause,

- ordonner l'inscription des condamnations au passif de la société Eco-Recyclage,

- condamner solidairement les intimées à lui payer la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance,

- condamner solidairement les intimées aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que :

- la société Eco-recyclage et la SCI SDEL, unis à elle par une convention d'occupation précaire conclue oralement, ont manqué à leur obligation contractuelle de restituer les lieux dans l'état où ils se trouvaient avant leur occupation,

- elle agit, à titre subsidiaire, comme elle a qualité pour le faire, en réparation du préjudice écologique causé par le délaissement sur sa parcelle de matériaux amiantés et en fibrociment, considérés comme des matériaux extrêmement polluants.

Par conclusions du 28 septembre 2022, signifiées le 30 septembre 2022 à l'intimée non constituée, la SCI SDEL sollicite :

- la confirmation du jugement,

- la condamnation de la commune de [Localité 6] aux dépens d'appel avec paiement direct au profit de la SCP Lebegue Derbise et au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle réplique que :

- la commune de [Localité 6] ne prouve pas l'existence d'un contrat entre les parties,

- la commune de [Localité 6] ne prouve pas de faute imputable à la SCI SDEL.

Vu l'avis notifié aux parties le 15 mai 2023 relativement à la recevabilité des demandes formées contre la société Eco-recyclage compte tenu de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif et en l'état de l'absence de déclaration par la commune de [Localité 6] de ses créances à la procédure collective ;

MOTIVATION

1. Sur la recevabilité des demandes formées à l'encontre de la société Eco-recyclage

Vu l'article 1844-7, 7º, du code civil et les articles L. 622-21, I, L. 622-22 et L. 643-11, I, du code de commerce ;

La société prend fin par l'effet d'un jugement ordonnant la clôture pour insuffisance d'actif.

Lorsqu'une procédure collective est ouverte à l'encontre d'un défendeur pendant une procédure tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, celle-ci fait l'objet d'une interruption.

L'instance interrompue reprend de plein droit lorsque le créancier poursuivant déclare sa créance à la procédure collective, à condition qu'il mette dans la cause les organes de la procédure. Toutefois, cette instance tend uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

Le jugement de clôture pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur sauf exceptions limitativement énumérées.

En l'espèce, la demande d'exécution forcée en nature se heurte à la fin de la société Eco-recyclage.

Les demandes d'indemnisation sont irrecevables, faute pour la commune de [Localité 6] de justifier la déclaration de ses créances à la procédure collective de la société Eco-recyclage.

Le jugement sera, par conséquent, infirmé en ce qu'il a débouté la commune de [Localité 6] de ses demandes à l'encontre de la société Eco-recyclage, qui seront déclarées irrecevables.

2. Sur le bien-fondé des demandes formées à l'encontre de la SCI SDEL

Vu l'article 1353, alinéa 1, du code civil ;

Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

La commune de [Localité 6] ne prouve aucun lien contractuel avec la SCI SDEL. Si la vente de la parcelle au profit de cette dernière a été envisagée courant 2011, cette vente n'a jamais pu être réalisée. L'existence d'une convention d'occupation précaire oralement consentie par la commune de [Localité 6] à la SCI SDEL n'est établie par aucun élément du dossier. Au contraire, d'une part, l'objet social de la SCI est totalement étranger à l'activité de concassage de cailloux invoquée comme motif de la convention. D'autre part, les mises en demeure de remettre la parcelle en état ont toutes été adressées à la société Eco-recyclage, ce qui laisse penser que celle-ci en était l'unique usagère.

L'existence d'un contrat entre la commune de [Localité 6] et la SCI SDEL n'est pas établie, ni même l'imputabilité des dégradations constatées à la SCI SDEL.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la commune de [Localité 6] de ses demandes à l'encontre de la SCI SDEL.

3. Sur les frais du procès

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.

Partie perdante en cause d'appel, la commune de [Localité 6] sera condamnée aux dépens d'appel avec paiement direct au profit de la SCP Lebegue Derbise et au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par défaut,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la commune de [Localité 6] de ses demandes à l'encontre de la SCI SDEL,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Déclare irrecevables les demandes formées à l'encontre de la SCI SDEL,

Y ajoutant :

Condamne la commune de [Localité 6] aux dépens d'appel avec paiement direct au profit de la SCP Lebegue Derbise,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la commune de [Localité 6] à payer à la SCI SDEL la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.