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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 31 mai 2023, n° 21/10297

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Distribution Franprix (SAS), Sedifrais (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Thill, Me Fromantin, Me Semoun

CA Paris n° 21/10297

31 mai 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société Distribution Franprix, appartenant au groupe Casino, a une activité de centrale d'achats à prédominance alimentaire et approvisionne un réseau de magasins de proximité, avec ou sans enseigne, implantés sur l'ensemble du territoire français, et notamment en région parisienne.

La société Sedifrais a une activité reconnue de centrale d'achats dans des produits d'alimentation générale également, et plus spécifiquement en produits laitiers, oeufs, huiles et matières grasses comestible.

M et Mme [T] et [I] [H] ont constitué en 2013 la société Franprix [Localité 4] Palais, devenue Distri [Localité 4] Palais (ci-après "la société Distri [Localité 4]") en vue d'exploiter un point de vente dans la galerie du centre commercial du Palais à Rouen dans le réseau « Le Marché Franprix ».

Le 18 novembre 2013 la société Franprix [Localité 4] Palais a signé avec la société Distribution Franprix un contrat d'approvisionnement exclusif, de licence de marque, de prêt d'enseigne et d'assistance technique, outre diverses conventions accessoires et connexes. Le même jour a été conclu un contrat d'approvisionnement exclusif en fruits et légumes avec la société Sedifrais.

Par courriel du 24 août 2016, M. [H] a fait part de difficultés à la société Distribution Franprix concernant le niveau d'activité de son magasin. Puis par lettre du 29 mars 2017, le conseil de la société Franprix [Localité 4] Palais a demandé à la société Distribution Franprix une résiliation anticipée des relations contractuelles.

Par lettre du 12 avril 2017, la société Distribution Franprix a rappelé les différentes propositions qui avaient été faites pour tenter d'aider Distri [Localité 4], puis a indiqué qu'elle était en mesure d'accepter la résiliation anticipée amiable du contrat d'approvisionnement si le magasin lui était cédé et les dettes apurées. La société Franprix [Localité 4] [Localité 10] a répondu qu'elle n'entendait pas céder son fonds de commerce mais de changer d'enseigne en contrepartie de l'apurement des comptes.

Des pourparlers amiables engagés entre la société Distribution Franprix et M et Mme [H] sont demeurés infructueux.

Par lettres du 15 mai 2018, la société Franprix [Localité 4] Palais a notifié aux sociétés Distribution Franprix et Sedifrais, le non-renouvellement des conventions à échéance du 18 novembre 2018 et poursuivi son activité sous l'enseigne Système U.

Estimant avoir été contraints de demeurer dans une situation contractuelle pénalisante , la société Distri [Localité 4], anciennement Franprix [Localité 4] Palais, et ses gérants M et Mme [H] ont, par actes des 9 août 2018 et 17 septembre 2019, assigné la société Distribution Franprix et la société Sedifrais devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir diverses sommes à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 26 mai 2021 le tribunal de commerce de Paris a :

- joint les causes RG 2018046881 et RG 2019058048 sous le seul et même numéro RG j2021000256 ;

- débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de dommages-intérêts à hauteur de 708 242 euros ;

- débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de perte de chance ;

- débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de la perte de valeur du fonds de commerce ;

- débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de remboursement des apports en compte courant d'associés ;

- débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de perte de salaires de Monsieur et Madame [H] ;

- condamné in solidum la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] à verser in solidum à la SAS Distribution Franprix et Sedifrais la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile';

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires;

- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie ;

- condamne in solidum la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] et Madame [I] [H] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 200,73€ dont 33,24€ de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 1er juin 2021, la société Distri [Localité 4] Palais et ses gérants M et Mme [H] ont interjeté appel de ce jugement.

 

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 11 mai 2022, la société Distri [Localité 4] Palais et ses gérants M et Mme [H] demandent à la Cour de':

Déclarer recevable et fondé l'appel formé par la société Distri [Localité 4] Palais.

Y faisant droit

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 26 mai 2021 en ce qu'il a :

- Débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de dommages-intérêts à hauteur de 708 242 euros,

- Débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de perte de chance,

- Débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de la perte de valeur du fonds de commerce,

- Débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de remboursement des apports en compte courant d'associés,

- Débouté la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] au titre de leurs demandes de perte de salaires de Monsieur et Madame [H],

- Condamné in solidum la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] à verser à la SAS Distribution Franprix et Sedifrais la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires, mais uniquement lorsqu'il déboute la société Distri [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] de leurs demandes,

- Condamné in solidum la SA Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] et Madame [I] [H] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 200,73 € dont 33,24 € de TVA

Et statuant à nouveau,

Vu les contrats d'approvisionnement,

Vu l'étude de marché Territoires & Marketing,

Vu les comptes sociaux de la société Franprix [Localité 4] Palais,

Vu l'étude Finexsi,

Vu les relevés de prix Iri,

Vu la clause anticoncurrentielle d'approvisionnement exclusif,

Vu les dispositions des articles 1104, 1165, 1189, 1217, 1231-1 du Code civil,

Vu alternativement les dispositions des articles L 420-1 et suivants du Code de commerce et L 442.1 du Code de commerce,

Vu la violation par la société Distribution Franprix de ses obligations contractuelles,

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à la société Distri [Localité 4] Palais la somme de 708 242 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des prix de cession entrepôt prohibitifs,

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à la société Distri [Localité 4] Palais la somme 250 000 € en réparation de la perte de chance pour la société Franprix [Localité 4] Palais d'avoir pu développer son point de vente et d'en tirer les bénéfices subséquents,

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à la société Distri [Localité 4] Palais la somme 300 000 € au titre de la perte de valeur de son fonds de commerce,

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à Monsieur et Madame [H] la somme de 249 000 € représentant les apports en compte courant avancés par les associés pour faire face aux 360 000 € de pertes d'exploitation Ou alternativement, Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à la société Distri [Localité 4] Palais la somme de 249 000 € représentant la dette de la société vis-à-vis de ses associés correspondant aux apports en compte courant avancés par les associés pour faire face aux 360 000 € de pertes d'exploitation,

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à Monsieur et Madame [H] la somme de 264 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité dans laquelle se sont trouvés les gérants de se rémunérer pendant trois exercices,

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à chacun de Monsieur et Madame [H] la somme de 100 000 € à titre de dommages et interets en réparation de leurs préjudices moraux,

Y ajoutant,

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à verser à la société Distri [Localité 4] Palais ainsi qu'à Monsieur et Madame [H] une indemnité qu'il n'apparaît pas inéquitable de fixer à 40 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile (y inclus le remboursement rapport Finexsi pour 26 430 €),

Condamner in solidum les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 18 octobre 2022, la société Distribution Franprix et la société Sedifrais demandent à la Cour de':

Vu les articles 1129, 1134, 1161 et 1147 ancien du Code civil,

Vu les articles L.420-1 et L. 442-1 I° du Code de commerce,

Vu la Jurisprudence,

Vu les éléments de fait et de droit, produits aux débats,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Paris en date du 26 mai 2021 ;

Et en tout état de cause,

Débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

Condamner les appelants au paiement aux sociétés Distribution Franprix et Sedifrais d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l'action indemnitaire de la société Distri [Localité 4]

Exposé des moyens des parties

La société Distri [Localité 4] ainsi que M et Mme [H] reproche à la société Distribution Franprix le défaut de rentabilité du magasin exploité sous l'enseigne Le Marché Franprix et entendent obtenir la réparation des préjudices en résultant.

Ils exposent qu'en cinq années d'exploitation de leur fonds de commerce sous le contrat d'enseigne et d'approvisionnement Distribution Franprix et d'approvisionnement Sedifrais, la société a accumulé 355 000 euros de pertes, obligeant les associés de procéder à un apport complémentaire en compte courant de 249 000 euros et les gérants de se priver de rémunération, alors que les chiffres d'affaires prévisionnels avaient été atteints et que la gestion des exploitants était irréprochable. Ils soulignent que l'implantation du magasin et son aménagement ont été choisis par la société Distribution Franprix, que le bail commercial a été négocié par cette dernière et que le prévisionnel d'exploitation a été établi sur la base d'une étude de marché et des chiffres fournis par la société Distribution Franprix et notamment sur le taux de marge. A partir de l'analyse menée par leur expert-comptable au mois de septembre 2016, la société Distri [Localité 4] et ses gérants prétendent que les difficultés avaient pour origine une insuffisance de chiffre d'affaires et de marge liée à un positionnement tarifaire très pénalisant de la société Distribution Franprix. Selon les appelants, diverses pièces versées aux débats (rapport Finexsi, étude IRI, avis n°12A01 de l'autorité de la concurrence...) font état de ce que les prix d'achat auprès de la société Distribution Franprix et que ses prix de ventes conseillés étaient bien supérieurs à ceux de la concurrence. Ils soutiennent que du fait de l'obligation d'approvisionnement exclusif auprès des sociétés Distribution Franprix pratiquant des prix pénalisant et de leurs propres charges d'exploitation, ils n'avaient pas de marge de manoeuvre pour augmenter leurs prix de vente, étant observé que le magasin Franprix était le plus cher de sa zone de chalandise sur [Localité 4].

De cette situation, les appelants en déduisent que les difficultés ne provenaient pas tant du chiffre d'affaires réalisé par la société Distri [Localité 4] proche de la fourchette basse de l'étude de marché, mais du fait qu'à travers les prix de cessions entrepôts prohibitifs de la société Distribution Franprix et de son concept totalement inadapté à la ville de Rouen, la société Distribution Franprix n'a jamais pu atteindre les marges attendues ni le moindre avantage concurrentiel au point de vente. Ils en veulent pour preuve qu'à la suite du changement d'enseigne, le taux de marge du point de vente est passé d'une moyenne de 19,54% (exercice 2014 à 2018) à 35,7% pour l'exercice 2020, puis 36,7% pour l'exercice 2021.

Dans ces conditions, la société Distri [Localité 4] et ses gérants soutiennent que la société Distribution Franprix a manqué à son engagement contractuel essentiel de pratiquer une politique de discount (article 5.2.1.1) et de fournir au concessionnaire l'approvisionnement des marchandises à prix avantageux pour lui permettre d'offrir à sa clientèle un avantage important (article 5.2.1.3) et de bénéficier d'une rentabilité « maximale » (préambule). Ils relèvent qu'en contrepartie de leur engagement de s'approvisionner exclusivement auprès des sociétés Distribution Franprix et Sedifrais, ils n'ont bénéficié d'aucun avantage concurrentiel, le positionnement tarifaire abusif de Distribution Franprix étant imposé à son seul profit. Ils ajoutent que la clause d'approvisionnement exclusif, imposée et sanctionnée en cas de non-respect, leur a privé toute indépendance dans la gestion de leur fonds de commerce et a constitué une clause anticoncurrentielle.

Concernant les préjudices, la société Distri [Localité 4] demande les sommes de 708 242 euros représentant 10,76 % du surcoût sur le montant total de ses achats sur les exercices 2014 à 2018, de 250 000 euros au titre d'une perte de chance de développer plus rapidement le point de vente, et 300 000 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce. M et Mme [H] réclament la somme de 249 000 euros au titre d'avance sur compte courant d'associés et la somme de 264000 euros en réparation du préjudice lié à l'impossibilité de se rémunérer pendant trois exercices.

La société Distribution Franprix réplique en faisant valoir principalement que :

- l'avantage concurrentiel tiré de l'adhésion au réseau ne se résume pas au prix des produits mais doit être apprécié globalement en considération du bénéfice du savoir-faire, de la notoriété et de l'enseigne Franprix,

- les performances propres d'un point de vente sont soumises aux circonstances et à la gestion propre du détaillant sur lesquelles la tête du réseau n'a pas d'emprise,

- les prévisionnels n'ont pas été établis par la société Distribution Franprix à partir de l'étude de marché Territoire &Marketing, mais ont été réalisés par M. [H] avec son expert comptable à partir de business plan déjà effectué sur des projets de point de vente à [Localité 11] et [Localité 12] ; il n'est nullement démontré que la société Distribution Franprix a elle-même déterminé les chiffres d'affaires et les marges prévisionnels ;

- l'aide de la société Distribution Franprix s'est portée sur l'assistance à l'ouverture du point de vente en se basant sur son savoir-faire et d'assister au mieux M. [H] dans la négociation de son bail commercial,

- aucune promesse de rentabilité du point de vente n'a été faite par la société Distribution Franprix aux termes du contrat ; que celle-ci ne s'est pas davantage engagée sur un avantage concurrentiel consistant à pratiquer des prix d'achat systématiquement inférieurs à la concurrence ; l'avantage doit aussi être apprécié au regard du fonctionnement propre du réseau Franprix dans le cadre duquel la société Distri [Localité 4] n'a pas versé de redevance en contrepartie du savoir-faire et a bénéficié de ristournes annuelles,

- les chiffres d'affaires du point de vente, même s'ils n'ont pas été à la hauteur des attentes des parties, ont été en constante augmentation malgré les difficultés d'attractivité du centre commercial, et la société Distri [Localité 4] était libre de fixer ses prix de revente et donc d'adapter sa marge,

- l'enseigne a été présente pour aider la société Distri [Localité 4] pour réfléchir à des pistes visant à améliorer la gestion de leur trésorerie,

- il n'est nullement démontré que durant la relation contractuelle les prix pratiqués par les sociétés Distribution Franprix et Sedifrais auraient été abusivement fixés, ni même qu'ils étaient au -dessus du marché ; l'étude Finexsi, le relevé de positionnement tarifaire IRI et l'avis de l'autorité de la concurrence versés aux débats sont des analyses contestables au regard de leur objectivité et de leur périmètre de comparaison ; la régularité de la clause d'approvisionnement exclusive n'est pas remise en cause,

- l'amélioration de la situation financière du point de vente à la suite du changement d'enseigne peut s'expliquer par différents facteurs, tels que les travaux de revitalisation réalisés dans le centre commercial, l'évolution de la zone de chalandise, l'évolution des comptes de la société Distri [Localité 4] Palais (notamment des charges et amortissements), la hausse de la fréquentation des magasins alimentaires de proximité durant la crise Covid-19,

- en toute hypothèse, les nombreux préjudices allégués ne sont pas sérieusement justifiés,

Réponse de la Cour,

Faisant le constat de l'exploitation déficitaire de leur point de vente pendant toute la durée des relations contractuelles, les appelant entendent engager la responsabilité contractuelle des sociétés Distribution Franprix et Sedifrais au motif que la société Franprix [Localité 4] Palais, devenue Distri [Localité 4] Palais, n'a pas bénéficié d'un avantage concurrentiel en contrepartie de son engagement d'approvisionnement exclusif auprès de ces sociétés.

S'agissant d'abord de l'analyse financière de l'exploitation du point de vente, il ressort des pièces comptables versées aux débats, notamment des comptes annuels et des notes de l'expert-comptable (pièces n°23, 41,44 et 50), que les difficultés n'ont pas eu pour origine la gestion elle-même du point de vente avec une maîtrise réelle des charges et une bonne notation du magasin dans le réseau ( pièce n° 28) mais la faiblesse du chiffre d'affaires et du taux de marge brute. Les chiffres d'affaires ont été en constante progression sur les premières années d'exploitation mais légèrement en deçà du prévisionnel d'exploitation :

 

en Keuros HT

2014

2015

2016

2017

 

réel

1 083

1 764

1 864

1 808

 

prévisionnel

1 560

1 747

1 956

-

 

 

Le taux de marge brute (chiffre d'affaires - coût d'achat marchandises) a également été en progression mais est demeuré en dessous des prévisions :

 

taux de marge brute

2014

2015

2016

2017

 

réelle

16,3%

19,8%

21%

18,8%

 

prévisionnel

22;5%

23%

23,5%

-

 

La Cour constate que le chiffre d'affaires réalisé sur les premières années s'est situé dans la fourchette basse de l'étude de marché local réalisée par la société Distribution Franprix lors de la phase pré-contractuelle. Cette étude faisait état d'une part du manque de dynamisme du centre commercial du Palais, ce qui s'est vérifié par la suite avec un programme d'aménagement pour redynamiser la zone de chalandise ayant entraîné des travaux jusque fin 2018 (pièces intimées n°8,12 à 14). D'autre part, l'étude mettait en exergue que le revenu médian des ménages de la zone était clairement inférieur à la moyenne nationale, ce qui par la suite s'est bien révélé comme une contrainte pour la société Distri [Localité 4] dans la fixation de ses prix de vente. Il est en outre noté que cette étude prévoyait "à vitesse de croisière" un chiffre d'affaires annuel entre 2 011 805 € TTC et 2 409 300 € TTC. Or l'expert-comptable analysait en septembre 2016 que pour un taux de marge brute de l'ordre de 20% , le chiffre d'affaires annuel devait être de l'ordre de 2,5 millions d'euros pour espérer clôturer les comptes sociaux à l'équilibre (pièce appelants n°23), soit un chiffre d'affaires supérieur à la fourchette haute de l'étude de marché.

Pour la détermination du taux de marge brute dans le prévisionnel, il n'est pas démontré par les appelants que celui-ci a été fixé ou même conseillé par la société Distribution Franprix lors de l'élaboration du prévisionnel. Le courriel versé aux débats du 4 novembre 2011 (pièce n°35) portant une indication du taux de marge de la part d'un interlocuteur du réseau Franprix concerne le business plan d'un point de vente à [Localité 11] et non de [Localité 4]. Par ailleurs, les appelants ne produisent pas le dossier tel que présenté par la société Franprix [Localité 4] Palais pour la validation de leur projet auprès de la société Distribution Franprix.

S'agissant ensuite du contrat conclu entre les parties, la Cour constate que :

La société Franprix [Localité 4] Palais a conclu d'une part avec la société Distribution Franprix un contrat d'approvisionnement exclusif, de licence de marque, de prêt d'enseigne et d'assistance technique, et d'autre part avec la société Sedifrais un contrat d'approvisionnement exclusif.

Le premier de ces contrats prévoit dans son préambule que :

« La société Distribution Franprix a mis au point depuis vingt cinq ans une formule originale de distribution commerciale dont la politique de vente promotionnelle est parmi les caractéristiques essentielles. Elle a, plus précisément éprouvé des méthodes de gestion financière et commerciale particulièrement adaptées à l'activité de distribution à cette politique en fonction des tailles des différents point de vente (...). Ces méthodes intègrent les moyens techniques les plus modernes, tels que l'informatique, utilisés au mieux de leur efficacité pour une rentabilité maximale. »

L'article 2 du contrat organise pour le concessionnaire un droit libre de toute redevance d'utiliser la marque et l'enseigne « Franprix » et « Le marché Franprix ».

L'article 5 énonce les obligations du concédant.

L'article 5.1 prévoit une assistance du concédant pour l'ouverture du magasin avec la communication au concessionnaire de son savoir-faire et de son expérience dans ce domaine.

Après l'ouverture du magasin, outre la prise en charge de l'intégralité de la communication publicitaire du réseau (article 5.2.3) et une assistance technique constante (5.2.4), le concédant s'engage sur les achats, stockage et livraison de la manière suivante (article 5.2.1) :

« La centralisation des achats est l'un des éléments clé qui a permis au réseau d'obtenir des conditions favorables permettant au Concessionnaire de pratiquer librement une politique de discount qui est l'une des caractéristiques du réseau « Le Marché Franprix ». En toute circonstances, le Concessionnaire demeure libre de déterminer ses prix de revente dans la limite des prix maxima définis par le Concédant.

En conséquence, le Concédant sélectionne et référence l'ensemble des fournissseurs et assure l'approvisionnement exclusif du Concessionnaire à l'exception des produits boucherie et des fruits et légumes (...).

Le concédant assurera l'achat, le stockage, l'entreposage et la livraison des marchandises auprès des concessionnaires. Il livrera donc le magasin du concessionnaire en fonction de la périodicité et des besoins déterminés par ce dernier, sauf cas de force majeure (...).

Le concédant s'engage à fournir au Concessionnaire l'approvisionnement des marchandises à prix avantageux permettant ainsi au Concessionnaire d'offrir à sa clientèle un avantage important et qui constitue une formule essentielles du réseau « Le Marché Franprix ».

L'article 6 énonce les obligations du concessionnaire, parmi lesquelles figure l'obligation d'approvisionnement exclusif auprès de la centrale en ces termes (article 6.4) :

« Le Concessionnaire a l'obligation de s'approvisionner en exclusivité auprès du Concédant pour tous les produits concernant l'assortiment de son magasin. Le Concessionnaire bénéficiera des prix "Leader Price" du réseau « Le Marché Franprix » tels que déterminés dans les tarifs édités chaque mois par le Concédant et adressés à l'ensemble des Concessionnaires du réseau " Le Marché Franprix" lesquels bénéficient du même prix (...). »

Outre le fait que la notion de politique "discount" n'est pas explicitée et supposerait de déterminer un seuil de prix, il ne peut être déduit des dispositions contractuelles précitées que la société Distribution Franprix se soit engagée sur des prix d'achat permettant au concédant libre de définir ses prix de vente d'atteindre un taux de marge commerciale lui assurant une "rentabilité maximale" ou même le point d'équilibre de l'exploitation de son point de vente. Par ailleurs, l'analyse globale du contrat fait ressortir que si le concessionnaire a l'obligation de s'approvisionner exclusivement auprès des centrales d'achat Distribution Franprix et Sedifrais, il bénéficie aussi de la notoriété de l'enseigne et d'une assistance technique et commerciale du concessionnaire sans paiement de redevance assise sur le chiffre d'affaires.

Les études et rapports versées aux débats par les appelants ( étude comparé de prix Finexsi, relevé de prix IRI, avis de l'autorité de la concurrence n°12 A 01 du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à [Localité 10]) semblent converger vers le fait que sur la période litigieuse la politique d'approvisionnement du groupe Casino était moins efficace sur les produits de marque nationale en raison d'un moindre pouvoir de négociation auprès des fournisseurs par rapport aux groupes concurrents, et que le choix était fait de se positionner davantage sur les produits de marque distributeur (MDD), et que ce positionnement tarifaire soit plus difficile à répercuter sur les prix de vente dans la zone de chalandise à [Localité 4] que pour les magasins Franprix parisiens confrontés à une moindre pression concurrentielle. Néanmoins, ces indices ne mettent pas pour autant en évidence que les centrales d'achat Distribution Franprix et Sedifrais pratiquaient des prix abusifs nettement supérieurs au prix du marché ou menaient une politique globale de positionnement tarifaire à leur seul avantage.

Par ailleurs, il est justifié que dès que les gérants de la société Franprix ont alerté la société Distribution Franprix de ses difficultés de trésorerie, des réunions ont eu lieu et différentes pistes d'amélioration de la marge ou d'attractivité du magasin ont été proposées par le concessionnaire (pièces appelantes n°7 et 24). Les raisons pour lesquelles ces axes d'amélioration n'ont pas été exploités ou se sont avérés inefficaces ne sont pas clairement explicitées. Si la société Distribution Franprix s'est opposée à une résiliation amiable anticipée sans vente du fonds de commerce à son profit, elle a cependant clairement fait part de son intention de ne pas se prévaloir de la clause de non-réaffiliation post-contractuelle sous une enseigne concurrente (pièce appelants n°13).

Enfin des manquements contractuels des sociétés Distribution Franprix et Sedifrais ne peuvent se déduire du seul constat que la situation financière de la société Distri [Localité 4] s'est nettement améliorée après le changement d'enseigne sans une analyse globale de la situation comptable sur toute la période litigieuse et des différents facteurs pouvant l'influer.

Il ressort de l'ensemble de ces constatations, tant dans la phase pré-contractuelle que pendant l'exécution du contrat, que les appelants échouent à démontrer un manquement caractérisé des sociétés Distribution Franprix et Sedifrais à leurs obligations.

En outre, les appelants n'apportent pas suffisamment d'éléments pour établir les conditions d'application des articles L.442-1 2° et L.420-1 et suivants du code de commerce de nature à engager la responsabilité des sociétés Distribution Franprix et Sedifrais sur ces fondements, étant observé que la validité de la clause d'approvisionnement exclusif n'est pas remise en cause par les appelants.

En toute hypothèse, la Cour constate que les préjudices dont la réparation est demandée ne sont pas établis. La société Distri [Localité 4] ne peut sérieusement réclamer la réparation d'un surcoût de prix appliqué au montant total de ses achats de marchandises pendant l'exécution du contrat sur la base d'une étude comparative de prix limitée aux seuls produits de marque nationale, réduite à une période de comparaison sur un mois en 2018 et entre les seules enseignes Franprix et Système U. Les demandes relatives à la perte de chance de développement, à la perte de valeur du fonds de commerce et aux pertes de salaires des gérances reposent principalement sur des allégations d'ordre général et des évaluations forfaitaires non étayées par une analyse comptable précise et globale permettant d'apprécier tant l'existence des préjudices alléguées que leur évaluation chiffrée. Enfin la dette en compte courant d'associés n'est pas établie.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Distri [Localité 4] Palais ainsi que M et Mme [H] de l'ensemble de leurs demandes formulées à l'encontre des sociétés Distribution Franprix et Sedifrais.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum la société Franprix [Localité 4] Palais, Monsieur [T] [H] et Madame [I] [H] à verser aux sociétés Distribution Franprix et Sedifrais la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Distri [Localité 4] Palais, M. [T] [H] et Mme [I] [H], parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Distri [Localité 4] Palais, M. [T] [H] et Mme [I] [H] seront déboutés de leur demande et condamnés in solidum à verser aux sociétés Distribution Franprix et Sedifrais la somme globale de 8 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la société Distri [Localité 4] Palais, M. [T] [H] et Mme [I] [H] aux dépens d'appel ;

CONDAMNE in solidum la société Distri [Localité 4] Palais, M. [T] [H] et Mme [I] [H] à payer aux sociétés Distribution Franprix et Sedifrais la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.