Cass. com., 25 janvier 2023, n° 21-16.275
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Boutié
Avocats :
SCP Doumic-Seiller, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 mars 2021), la société Banque CIC Ouest (la banque) a accordé des crédits de trésorerie à la société Jean [T], laquelle a émis, au bénéfice de la banque, trois billets à ordre, le premier, le 31 octobre 2013, d'un montant de 50 000 euros à échéance du 30 novembre 2013, les deux derniers, le 30 avril 2014, d'un montant de, respectivement, 25 000 euros et 75 000 euros à échéance du 31 mai 2014. Ces billets ont été avalisés par M. [T].
2. La société Jean [T] ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque a déclaré sa créance le 18 juin 2014 et a assigné M. [T] en exécution de ses engagements de donneur d'aval le 16 mars 2017.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable
Enoncé du moyen
3. M. [T] reproche à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la banque en paiement du billet à ordre du 31 octobre 2013 et de le condamner, en sa qualité d'avaliste de ce billet, à lui payer la somme de 20 000 euros, avec intérêts légaux à compter de l'assignation, alors « qu'en vertu de l'article L. 511-78, alinéa 1, du code de commerce applicable au billet à ordre, toute action résultant de la lettre de change contre l'accepteur se prescrit par trois ans à compter de la date de son échéance ; que l'interruption de la prescription n'ayant, selon l'alinéa 5 du même article, d'effet que contre celui à l'égard duquel l'acte interruptif a été fait, l'admission de la déclaration de créance du porteur d'un billet à ordre au passif du souscripteur ne peut avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription triennale vis-à-vis de l'avaliste ; qu'en relevant, pour dire recevable l'action en paiement de la banque concernant le billet à ordre en date du 31 octobre 2013 à échéance du 30 novembre 2013 à l'encontre de M. [T] en sa qualité d'avaliste, que l'admission de la déclaration de créance de la banque, le 18 juin 2014, au passif de la société Jean [T], souscripteur du billet, avait eu pour effet d'interrompre le délai de prescription vis-à-vis de M. [T], valablement assigné le 16 mars 2017, la cour d'appel a violé les articles L. 511-78 et L. 512-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 2246 du code civil, applicable au donneur d'aval, l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution.
5. Aux termes de l'article 130, devenu L. 511-21, du code de commerce, auquel renvoie l‘article 187, devenu L. 512-4, du même code, le donneur d'aval d'un billet à ordre est tenu de la même manière que celui dont il s'est porté garant.
6. Il en résulte que la déclaration de la créance née d'un billet à ordre au passif de la procédure collective de son souscripteur interrompt la prescription à l'égard du donneur d'aval.
7. Ayant relevé que la banque avait, le 18 juin 2014, déclaré auprès du mandataire liquidateur de la société Jean [T] sa créance née du billet à ordre, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action engagée à l'encontre du donneur d'aval le 16 mars 2017 n'était pas prescrite pour avoir été introduite dans le délai de trois ans.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T] et de rejeter les présentations de la banque contre M. [T] au titre de ces deux billets à ordre, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. [T] n'a pas demandé que soit prononcée la nullité des avals qu'il avait donnés sur les billets à ordre souscrits le 30 avril 2014 ; que, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, il a seulement demandé à la cour de constater la mauvaise foi de la banque dans l'obtention des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014 et, en conséquence, de débouter la banque de sa demande en paiement de la somme de 78 777,91 euros au titre des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017 ; que, dès lors, en prononçant la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T], la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :
10. Aux termes du premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Aux termes du second, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
11. L'arrêt prononce la nullité des avals apposés par M. [T] sur les deux billets à ordre du 30 avril 2014 et rejette en conséquence la demande en paiement de la banque.
12. En statuant ainsi, alors que M. [T] demandait seulement le rejet de la demande en paiement de la banque au titre des deux billets à ordre, sans en solliciter la nullité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il prononce la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T] et rejette les prétentions de la société Banque CIC Ouest contre M. [T] au titre de ces deux billets à ordre, l'arrêt rendu le 9 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.