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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 19 juin 2015, n° 14/19462

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

François-Charles Oberthur (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Picard

Conseillers :

Mme Rossi, M. Boyer

T. com. Paris, 1re ch. A, du 23 sept. 20…

23 septembre 2014

La Sas Francois-Charles Oberthur (FCO) est spécialisée dans la fabrication de moyens de paiement et de documents sécurisés. Elle cédait en 2011 90% de ses activités de carte à puce et documents d'identité (plus des ¾ de son chiffre d'affaire) à un fond d'investissement américain mais conservait son activité d'origine d'impression fiduciaire.

Le capital de FCO est réparti de la sorte :

- Monsieur Jean-Pierre S., le père : 12,61% en pleine propriété et 66,15 % en usufruit

- Chacun des trois enfants, Emmanuèle, Marie et Thomas S. : 7,08% en pleine propriété et 22,05 % en nue-propriété.

Aux termes de l'article 14 des statuts, la société a pour organe de direction le Comité de direction composé du président et des directeurs généraux délégués.

Jusqu'en janvier 2014 Monsieur Jean-Pierre S., était le président de la société et les trois enfants, Emmanuèle, Marie et Thomas S., les directeurs généraux délégués.

Les relations des consorts S. étaient régies par un Pacte de famille signé le 29 décembre 2008. Monsieur Jean-Pierre S. avait le pouvoir de décision finale tant qu'il était le président de la société.

Lors d'une réunion du Comité de direction du 12 avril 2012 Madame Marie S. proposait de réorganiser la gouvernance de FCO par la création d'un Family office. Cette proposition était validée en principe par le Comité mais ses modalités n'étaient pas acceptées et finalement aucune suite ne lui était donnée, les statuts n'étant modifiés.

En novembre 2013 Jean-Pierre et Thomas S. proposaient une nouvelle gouvernance avec la création de deux organes, un Conseil de Famille et un Comité des Sages.

Ce projet était refusé par Mesdames Emmanuèle et Marie S..

Par deux assemblées générales ordinaires des 24 janvier et 13 février 2014, il était pris acte de la démission de Monsieur Jean-Pierre S. de ses fonctions de président. Thomas S. lui succédait et Mesdames Emmanuèle et Marie S. étaient révoquées de leurs fonctions de directeurs généraux délégués. Monsieur Jean-Pierre S. devenait directeur général délégué.

Un tiers, Étienne C., devenait directeur général délégué.

Emmanuèle et Marie S. saisissaient alors le tribunal de commerce afin de contester la régularité des décisions d'assemblée générale ordinaire.

Par jugement en date du 23 septembre 2014, le tribunal de commerce de Paris les a :

- débouté de leur demande de nullité de l'ensemble des délibérations des assemblées générales ordinaires des 24 janvier et 13 février 2014 de la société FCO SAS,

- débouté de leur demande de nullité des décisions postérieures à l'assemblée générale ordinaire du 24 janvier 2014 du Comité de direction de la société FCO SAS.

Le tribunal a également débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal a considéré que la notion de directeur général statutaire, en opposition au directeur général non statutaire n'existait pas dans les statuts et qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne fait mention d'une telle distinction. En revanche, les statuts prévoient que les fonctions de directeur général délégué cessent par révocation adoptée par une décision collective ordinaire et le pacte de famille signé le 29 décembre 2008 comporte une stipulation identique. Enfin, l'article 2 du Pacte précise que les trois enfants resteraient directeurs généraux délégués tant que Jean-Pierre S. resterait président, et cette disposition ne trouvait plus à s'appliquer lors de l'assemblée générale du 24 janvier 2014. Ainsi le tribunal a jugé que la révocation des directeurs généraux délégués était de la compétence de l'assemblée générale ordinaire.

Sur l'abus de majorité le tribunal a considéré que n'étaient pas réunies dans le cas d'espèce les caractéristiques propres à matérialiser un abus de majorité, c'est à dire que la décision prise par la majorité est contraire à l'intérêt général de la société et a été prise dans l'unique dessein de favoriser les intérêts de la majorité au détriment des intérêts de la minorité. Enfin le tribunal n'ayant pas prononcé la nullité des délibérations des assemblées générales des 24 janvier et 13 février 2014, il a affirmé que la composition du Comité de direction était régulière.

Le 24 septembre 2014 Mesdames Emmanuèle et Marie S. interjetaient appel de ce jugement.

Par conclusions transmises par voie électronique le 24 mars 2015, Mesdames Emmanuèle et Marie S. demandent à la Cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 23 septembre 2014 ;

A titre principal,

- Constater que les mandats de Directeur Général Délégué de la société François-Charles Oberthur SAS d'Emmanuèle et Marie S. ont une valeur statutaire ;

- Constater qu'Emmanuèle et Marie S. ne pouvaient en conséquence être révoquées de leurs fonctions de Directeur Général Délégué qu'en procédant à une modification statutaire, donc par une décision de l'Assemblée Générale Extraordinaire de la société François-Charles Oberthur SAS ;

- Dire que l'Assemblée Générale Ordinaire du 24 janvier 2014 n'était pas compétente pour statuer sur la révocation d'Emmanuèle et Marie S. de leurs mandats statutaires de Directeur Général Délégué de la société François-Charles Oberthur SAS ;

A titre subsidiaire,

- Constater que Jean-Pierre et Thomas S. ont violé les termes du pacte de famille signé le 29 décembre 2008 par les quatre membres de la famille S. en recourant à des manœuvres artificielles et frauduleuses uniquement destinées à évincer Emmanuèle et Marie S. de la direction de la société François-Charles Oberthur SAS ;

- Constater que Jean-Pierre et Thomas S. ont exercé leur droit de vote dans l'objectif exclusif de favoriser leurs intérêts au détriment et au préjudice d'Emmanuèle et Marie S. ;

- Constater en conséquence que Jean-Pierre S. et Thomas S. ont utilisé leur droit afin de frauder les droits d'Emmanuèle et Marie S. ;

- Constater qu'ils ont porté atteinte à l'intérêt général de la société dans l'exercice de leur droit de vote;

- Constater en conséquence que les votes émis par Jean-Pierre et Thomas S. lors des délibérations prises par les Assemblées Générales Ordinaires des 24 janvier et 13 février 2014 sont constitutifs d'un abus de majorité ;

En tout état de cause,

- Prononcer la nullité de l'ensemble des délibérations des Assemblées Générales Ordinaires des 24 janvier et 13 février 2014 de la société François-Charles Oberthur SAS ;

- Dire en conséquence, qu'Emmanuèle et Marie S. d'une part et Thomas S. d'autre part n'ont jamais cessé leurs fonctions de Directeur Général Délégué de la société François-Charles Oberthur SAS , que Jean-Pierre S. n'a jamais cessé ses fonctions de Président de cette même société, avec toutes conséquences de droit, et qu'Etienne C. n'a aucun mandat social au sein de la société François-Charles Oberthur SAS ;

- Prononcer la nullité des décisions postérieures à l'Assemblée Générale Ordinaire du 24 janvier 2014 du Comité de direction de la société François-Charles Oberthur SAS alors irrégulièrement composé ;

- Condamner in solidum la société François-Charles Oberthur SAS, Jean-Pierre S. et Thomas S. à payer chacun à Emmanuèle et Marie S. la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dans ses conclusions en date du 15 avril 2015, la société François-Charles Oberthur SAS , intimée, demande à la Cour de :

- Dire les appelantes mal fondées en leur appel,

- Les en débouter,

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 23 septembre 2014,

- Les condamner solidairement à lui verser la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans des conclusions en date du 15 avril 2015, Thomas S., intimé, demande à la Cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 23 septembre 2014 en toutes ses dispositions ;

- Débouter Mesdames Emmanuèle et Marie S. de toutes leurs demandes, fins et moyens ;

- Condamner in solidum Mesdames Emmanuèle et Marie S. à verser à Monsieur Thomas S. la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses conclusions transmises par voie électronique le 15 avril 2015 Monsieur Jean-Pierre S. demande à la cour de :

- Dire recevable mais non fondé l'appel interjeté par Mesdames Emmanuèle et Marie S. contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 23 septembre 2014,

En conséquence,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 23 septembre 2014,

- Débouter Mesdames Emmanuèle et Marie S. de toutes leurs demandes, fins et moyens,

- Condamner in solidum Mesdames Emmanuèle et Marie S. à verser à Monsieur Jean-Pierre S. la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 avril 2015.

A la suite de l'ordonnance de clôture, par conclusions en dates respectives du 30 avril 2015 et du 4 mai 2015, Monsieur Jean-Pierre S. et Monsieur Thomas S. demandent que soient écartées des débats les pièces 71 à 74 communiquées la veille de l'ordonnance de clôture.

Par conclusions transmises le 5 mai 2015 Mesdames Emmanuèle et Marie S. demandent à la cour de :

- Constater que les quatres pièces comuniquées n'appelaient aucune réponse,

- Constater que la communication de ces pièces n'est pas tardive,

- Débouter Jean-Pierre S. et Thomas S. de leur demande de rejet,

- Constater que la communication des conclusions et pièces de Jean-Pierre S., Thomas S. et François-Charles Oberthur SAS est tardive,

- Rejeter des débats les conclusions de Jean-Pierre S., Thomas S. et François-Charles Oberthur SAS communiquées le 15 avril 2015.

SUR CE,

Sur les pièces produites la veille de la clôture

Monsieur Thomas S., Monsieur Jean-Pierre S. et la société François-Charles Oberthur SAS demandent à la cour d'écarter des débats les pièces n°71 à 74 communiquées le 15 avril, soit la veille de l'ordonnance de clôture.

Mesdames Marie et Emmanuèle S. font valoir que ces pièces n'appellent aucune réponse mais ont été produites pour la bonne information de la cour.

La pièce 71 est les comptes de la société Oberthur, la pièce 72 un procès-verbal de constat de Maître D. en date du 8 avril 2015, la pièce 73 une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris en date du 25 mars 2015 et la pièce 74 une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris du 15 avril 2015.

La cour relève que la communication de ces pièces a certes été tardive puisqu'elle est intervenue la veille de l'ordonnance de clôture et que les intimés n'ont pas eu la possibilité de les examiner et éventuellement de les commenter. Cependant ces pièces sont connues des intimés. Il en est ainsi de la pièce 71 évidemment. La pièce 73 est quant à elle commentée dans les dernières écritures de Monsieur Jean-Pierre S.. En tout état de cause ces pièces ne peuvent avoir aucune influence sur les questions soumises aux débats, à savoir la validité de la révocation de leurs mandats de Directeurs Généraux Délégués des appelantes et ne sont que révélatrices du conflit existant entre les parties se manifestant par la multiplication des contentieux introduits devant les tribunaux.

Il convient en conséquence de rejeter la demande des intimés.

Sur la recevabilité des conclusions du 15 avril 2015

La cour relève que les trois intimés ont transmis des conclusions la veille de l'ordonnance de clôture. Ces conclusions sont clairement des réponses aux conclusions du 24 mars 2015 transmises par les appelantes et ne portent pas atteinte à la contradiction des débats, ne soulevant aucun moyen nouveau. Au demeurant, il convient de noter que les appelantes ont attendu plus de deux semaines pour demander le rejet de ces nouvelles conclusions et après que les intimés aient eux-mêmes demandé le rejet des pièces communiquées tardivement.

Ainsi et afin de respecter la contradiction des débats, il convient de rejeter la demande des appelantes de voir écarter des débats ces conclusions.

Sur la compétence de l'Assemblée Générale Ordinaire pour révoquer le mandat de directeur général délégué d'Emmanuèle et Marie S.

Les appelantes soutiennent à titre principal que l'assemblée générale ordinaire de FCO était incompétente pour prononcer leur révocation qui relève d'un régime dérogatoire non applicable à la famille S.. Seule une décision d'une assemblée générale extraordinaire modifiant les statuts pouvait les révoquer. Elles soulignent qu'il convient d'examiner l'ensemble de la situation et non chacun des éléments pris isolément, pour constater que les parties ont souhaité préserver le caractère familial de la direction de la société FCO, ce qui se manifeste par la qualité de directeur général statutaire des enfants de Jean-Pierre S..

La société intimée réplique que la nomination des directeurs généraux délégués dans les statuts ne répondait qu'à l'obligation faite par l'article L 225-16 du Code de commerce de désigner dans les statuts les premiers dirigeants de la société.

Thomas S. se prévaut, lui aussi, de l'article L 225-16 du Code de commerce.

Monsieur Jean-Pierre S. soutient que le moyen développé par les appelantes est en contrariété avec le droit applicable et avec les faits de l'espèce.

L'article L225-16 du code de commerce dispose que « Les premiers administrateurs ou les premiers membres du conseil de surveillance et les premiers commissaires aux comptes sont désignés dans les statuts ».

Aucune disposition législative ou réglementaire n'existe qui distinguerait les directeurs généraux délégués statutaires d'autres, non statutaires.

Il ressort de l'article L 227-5 du code de commerce que, dans les sociétés par actions simplifiées, "Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée", laissant ainsi une grande liberté statutaire à ces sociétés pour fixer leurs règles de gouvernance.

En l'espèce, l'article 13 des statuts stipule que les fonctions des directeurs généraux délégués cessent notamment par la "révocation adoptée par une décision collective ordinaire".

Ce même article précise l'identité du premier président directeur général et l'identité des trois directeurs généraux délégués.

Il n'existe aucune autre disposition dans les statuts qui dérogerait à ces règles et qui s'appliquerait spécifiquement aux membres de la famille S.. Il n'est pas non plus mentionné que ces règles ne concerneraient que les directeurs généraux délégués autre que l'un des enfants S. ou, de façon plus générale, que ceux désignés dans les statuts.

Le Pacte de Famille signé le 29 décembre 2008 précise que « Aux termes de l'article 13 des statuts de FCO SAS, chacun de Mesdames Emmanuelle S., Marie de L. et Monsieur Thomas S. a été nommé Directeur Général Délégué de ladite société, pour une durée indéterminée. »

Le même article 13 prévoit que les fonctions de directeur général délégué peuvent cesser notamment par la révocation adoptée par une décision collective ordinaire.

Ici encore il n'est pas précisé que ce dernier paragraphe ne s'appliquerait pas aux enfants de Monsieur Jean-Pierre S. et le fait qu'il figure dans le Pacte de Famille montre au contraire que cette disposition leur est bien applicable.

La cour considère qu'il n'est nul besoin d'examiner les autres éléments mentionnés par Mesdames Emmanuèle et Marie S., tant la commune intention des parties apparaît clairement dans ces deux documents.

Néanmoins, afin d'être exhaustif il y a lieu de constater que parmi les éléments à prendre en compte selon les appelantes, le projet de gouvernance présenté en novembre 2013 par Jean-Pierre et Thomas S., qui prévoyait expressément l'irrévocabilité des membres du Conseil de Famille, d'une part n'a pas été adopté et d'autre part montre a contrario que l'irrévocabilité n'existait pas préalablement. Quant au préambule des statuts il se contente de vagues intentions générales sans plus de précision.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur la caractérisation d'un abus de majorité

Mesdames Marie et Emmanuèle S. soulèvent à titre subsidiaire l'abus de majorité de Jean-Pierre et Thomas S. dans l'exercice de leur droit de vote lors de l'assemblée générale ordinaire les ayant révoquées de leur mandat. Elles font valoir que la mauvaise foi de Jean-Pierre et Thomas S. est évidente au vu des décisions prises modifiant la gouvernance de la société en 2012. Elles ajoutent que le pacte familial a été violé et qu'elles ont été évincées de la direction de la société du fait de la démission de Jean-Pierre S. alors que celui-ci n'avait pas l'intention de ne plus exercer cette fonction et qu'il conservait sa rémunération. Cette démission constitue une manoeuvre frauduleuse. Jean-Pierre et Thomas S. ont eu l'intention de nuire à leurs filles et soeurs. Elles soutiennent que leur révocation est contraire à l'intérêt général de la société et donc à l'intérêt commun des associés, cet intérêt général ayant été défini par les actionnaires comme exigeant que la direction et la gestion des affaires soient assurées par les membres de la famille. Elles considèrent que les intérêts du groupe et les intérêts familiaux sont interdépendants et leur éviction est donc contraire à cet intérêt. Elles font état en outre d'inquiétudes quant à l'intérêt économique de la société et du groupe, notamment du fait du rachat du Stade Français en 2011alors qu'il était au bord de la faillite.

La société FCO SAS soutient qu'il ne peut y avoir de violation du Pacte de famille, celui-ci ne s'appliquant que « tant que Monsieur Jean-Pierre S. serait Président de FCO SAS » et que les appelantes confondent l'intérêt social et leur propre intérêt. Elle soutient que la famille S. ne doit pas être confondue avec la société FCO SAS.

Thomas S. indique qu'il ne peut seul être l'auteur d'un abus de majorité, que les appelantes n'apportent pas la preuve de ce que la délibération contestée favorise Jean-Pierre S., que la lettre du Pacte de famille a parfaitement été respectée et que ses soeurs n'établissent pas que leur révocation serait contraire à l'intérêt social.

Monsieur Jean-Pierre S. fait valoir que les éléments constitutifs de l'abus de majorité ne sont pas caractérisés, qu'il n'y a a pas eu de "manoeuvres artificielles et frauduleuses" afin de frauder les droits de Marie et Emmanuèle S. et que leur révocation n'est pas contraire à l'intérêt général de la société.

Deux éléments cumulatifs sont nécessaires pour constituer un abus de majorité. La décision doit avoir été prise contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité. Il appartient à celui qui se prévaut d'un abus de majorité de l'établir.

Sur la première condition la cour considère que c'est à juste titre que les premiers juges ont rappelé que la somme des intérêts particuliers de chacun des associés ne s'assimile pas à l'intérêt général. L'intérêt social ne peut être déterminé par le seul intérêt familial, telle la nécessité de maintenir la cohérence familiale, quand bien même l'actionnariat serait uniquement détenu par la famille. Ainsi, la révocation du mandat de deux membres de la famille est insuffisante à établir une contrariété à l'intérêt de la société sauf à considérer que les deux mandataires sociaux étaient indispensables à la bonne marche de la société ce qui n'est pas soutenu en l'espèce. Sur ce point il n'est pas inutile de souligner que Mesdames Marie et Emmanuèle S. ont chacune une autre activité qui les tient éloignées de la France alors que Monsieur Thomas S. assure depuis plusieurs années avec son père la direction opérationnelle quotidienne de l'entreprise.

La cour constate au surplus qu'il est inexact d'affirmer que l'intérêt général de la société a été défini par les actionnaires comme exigeant que la direction et la gestion des affaires soient assurés par les membres de la famille alors que l'article 2 des statuts de FCO SAS, relatif à l'objet de la société a été modifié en 2013 pour ne plus mentionner "le contrôle, la direction stratégique et l'animation commune des membres de la famille S." disposition qui figurait dans les statuts de 2004.

Enfin, il convient de constater que les membres de la famille S. ne s'accordaient plus sur la gouvernance de l'entreprise et sur son projet de développement. En effet, la proposition de Marie S. de créer en 2012 un Family Office avait été finalement de facto rejeté par Messieurs Jean-Pierre et Thomas S. et, de même, la tentative de Messieurs Jean-Pierre et Thomas S. de modifier la gouvernance de l'entreprise en 2013 en y introduisant un Comité des Sages composé de personnes tierces à la famille avait été refusé par Mesdames Marie et Emmanuèle S..

Le tribunal de commerce avait justement relevé que la décision de révocation de Mesdames Marie et Emmanuèle S. s'inscrivait dans le débat sur la stratégie d'investissement des fonds récupérés de la vente de l'activité "carte à puce", les unes souhaitant des investissements financiers et les autres des investissements industriels. Ainsi, la révocation des appelantes n'a pas pour but de favoriser les actionnaires majoritaires mais de faciliter les prises de décision en modifiant la gouvernance de la société confrontée à des intérêts divergents de ses membres.

Il en résulte que l'intérêt social n'imposait pas que Mesdames Emmanuèle et Marie S. exercent un mandat de directeur général délégué et soient membres du Comité de Direction.

Quant au Pacte de famille il est étranger à la société.

En l'absence d'élément qui établirait que les décisions prises lors des assemblées des 24 janvier et 13 février 2014 seraient contraires à l'intérêt de la société FCO SAS ou seraient même dépourvues d'intérêt social, la cour estime qu'il n'y a pas eu en l'espèce abus de majorité.

Pour ce qui concerne la deuxième condition, soit la volonté des actionnaires majoritaires de se procurer un avantage personnel au détriment des minoritaires, la cour rappelle que les conditions sont cumulatives et qu'elle a considéré que la première condition n'était pas remplie. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la seconde condition.

Le jugement rendu par le tribunal de commerce sera en conséquence confirmé.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Monsieur Jean-Pierre S. sollicite le paiement de la somme de 50.000 euros à ce titre.

Monsieur Thomas S. sollicite le paiement de la somme de 25.000 euros à ce titre.

La société FCO SAS sollicite le paiement de la somme de 50.000 euros à ce titre ;

Il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais qu'ils ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens,

Il leur sera en conséquence alloué à chacun la somme de 20.000 euros.

PAR CES MOTIFS,

Déboute Monsieur Jean-Pierre S. et Monsieur Thomas S. de leurs demandes tendant à voir écarter des débats les pièces adverses 71 à 74,

Déboute Madame Emmanuèle S. et Madame Marie S. de leurs demandes tendant à voir écarter des débats les conclusions transmises par Monsieur Jean-Pierre S., Monsieur Thomas S. et la société François-Charles Oberthur SAS le 15 avril 2015,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 23 septembre 2014,

Condamne in solidum Madame Marie S. et Madame Emmanuèle S. à payer à Monsieur Jean-Pierre S. la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne in solidum Madame Marie S. et Madame Emmanuèle S. à payer à Monsieur Thomas S. la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne in solidum Madame Marie S. et Madame Emmanuèle S. à payer à la société François-Charles Oberthur SAS la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne in solidum Madame Marie S. et Madame Emmanuèle S. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.