CA Amiens, ch. économique, 6 avril 2023, n° 22/01943
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fradelex (SC)
Défendeur :
Shree JEE (SAS), Selas MJS Partners (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grévin
Conseillers :
Mme Leroy-Richard, Mme Vannier
Avocats :
Me Robit, Me Delahousse, Me Tany, Me Wallart
DECISION
Suivant acte authentique en date du 4 avril 2012 le bail commercial consenti par la société civile (Sc) Fradelex à M et Mme [C] a été renouvelé.
Le 17 novembre 2017 les consorts [C] ont cédé leur droit au bail à la Sarl Savoy hôtel Jaurès ayant pour gérant M. [M] [W].
Le 12 janvier 2022 la société Fradelex a délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail à la Sarl Savoy hôtel Jaurès portant sur une somme en principal de 17 689,75 €.
Par jugement du 28 janvier 2022 le tribunal de commerce d'Amiens a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la Sarl Savoy hôtel Jaurès et désigné la Selas Mjs Partners en qualité de liquidateur.
La société Fradelex a déclaré une créance auprès du liquidateur judiciaire.
Le liquidateur a publié une offre de reprise du fonds de commerce de la Sarl Savoy hôtel Jaurès dans un journal d'annonce légale (semaine du 23 février au 1er mars 2022), l'offre devant être déposée au plus tard le 25 mars 2022.
Le 3 mars 2022 la Holding Shree Jee a présenté une offre de reprise.
Le 18 mars 2022 le liquidateur de la société Savoy hôtel Jaurès a déposé une requête aux fins d'être autorisé à céder le fonds de commerce.
Le 8 avril 2022 la société Fradelex a présenté une offre.
Lors d'une audience du 12 avril 2022 le liquidateur judiciaire et le représentant de la liquidée ont été entendu.
Par ordonnance du 15 avril 2022 le juge-commissaire a :
- autorisé la vente de gré à gré du fonds de commerce de la liquidée au profit de la holding Shree Jee ou de toute personne physique ou morale située à [Adresse 9] au prix de 55 000 €, net vendeur sans condition suspensive, payable comptant entre les mains du liquidateur, constatation faite qu'une somme de 5 500 € a déjà été versée et que le solde devra être consigné entre les mains du liquidateur à réception de la notification de la présente ordonnance ;
- autorisé la Selas Mjs Partners ès qualités à procéder à la cession de gré à gré dudit fonds au profit de la société Holding Shree Jee domicilée à [Adresse 9] ;
- dit que cette vente se fera suivant les conditions ordinaires et de droit en pareille matière ;
- ordonné la notification au représentant de la liquidée, à la holding Shree Jee et à Fradelex.
Il a également ordonné que cette décision soit notifiée à M. [M] [W], la holding Shree Jee et la société Fradelex.
Par déclaration en date du 21 avril 2022 la Sc Fradelex a interjeté appel de cette ordonnance. Elle a signifié sa déclaration d'appel et l'avis de fixation à bref délai à M. [W] [M] le 8 septembre 2022 par acte remis en l'étude.
M. [W] [M] n'a pas constitué avocat.
Par dernières conclusions remises le 18 mai 2022 signifiées le 17 octobre 2022 à M. [W] [M], elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance dont appel et de débouter en conséquence la Selas Mjs Partners en qualité de liquidateur de la Sarl Savoy hôtel Jaurès et subsidiairement de conditionner la vente de gré à gré aux dispositions contractuelles applicables (engagement personnel du cessionnaire garantissant le paiement des loyers, régularisation de la vente par acte authentique avec participation du notaire de la bailleresse, purge de l'intégralité des créances locatives, antérieures et postérieures à la liquidation judiciaire).
En tout état de cause elle demande de condamner le liquidateur ès qualités au paiement d'une somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles.
Par conclusions remises le 17 juin 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés la société Shree Jee demande à la cour d'infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions, de condamner le liquidateur à restituer la somme de 5 500 € versée à titre d'acompte et de condamner solidairement la société Fradelex et le liquidateur au paiement de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens dont distraction au profit de la Selarl Doré Tany Benitah.
Par conclusions remises le 9 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés le liquidateur demande à la cour de confirmer l'ordonnance dont appel, de condamner la société Fradelex à lui payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 janvier 2023
SUR CE :
La société Fradelex soutient que son recours est recevable en sa qualité de bailleur au motif que l'ordonnance dont appel porte atteinte à ses droits.
Elle soutient qu'elle est bien fondée à en demander l'infirmation au motif que la cession du fonds et par conséquent du droit au bail, telle que prévue dans l'ordonnance, a été rendue en violation de ses droits issus du bail du 26 février 2003 (article 12 du titre 3), qu'elle lui fait perdre son droit à se prévaloir de la clause du bail prévoyant la garantie du preneur en cas de défaillance du cessionnaire et ne prévoit pas la régularisation de l'acte sous forme authentique comme le stipule le bail.
Elle ajoute que la cession doit être conditionnée au paiement des loyers échus à compter du jugement de liquidation judiciaire qui s'élèvent au moins au jour de l'ordonnance à 10 253,85 €.
Elle explique qu'elle a été tenue à l'écart de la cession car elle n'a pas été directement informée de la proposition de la Sas Shree Jee, que la requête aux fins d'être autorisée à céder le fonds de commerce a été déposée 8 jours avant la date d'expiration de présentation des offres de reprise et 10 jours avant qu'elle soit informée de l'existence de l'offre d'acquisition et l'ordonnance dont appel ne lui a été notifiée qu'en sa qualité de candidate à la reprise du fonds et non de bailleur. (offre formulée le 8 avril 2022 à hauteur de 60 000 € mieux disante mais hors délai). Elle précise qu'elle n'a pas été convoquée à l'audience du 12 avril 2022 au cours de laquelle la cession a été abordée.
Subsidiairement pour le cas où le principe de la cession au profit de la Sas Shree JEE était confirmé elle demande qu'elle se fasse dans les termes du bail et conditionnée au paiement de la créance locative antérieure et postérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire.
La Sas Shree Jee demande l'infirmation de l'ordonnance au motif que son consentement a été surpris à défaut pour le liquidateur de lui avoir communiqué les termes du bail. Elle affirme qu'en faisant la proposition d'acquisition du fonds de commerce elle n'a pas entendu prendre les engagements sollicités par le bailleur dont se porter garant de l'arriéré locatif qui met gravement en cause l'économie de la cession.
Elle déclare également que l'ordonnance ne prévoit pas que la cession devra intervenir sous forme authentique et qu'elle n'a pas été tenue informée par le liquidateur du commandement de payer les loyers délivrés contenant le montant des sommes dues.
En conséquence elle demande la restitution de l'acompte.
Le liquidateur ès qualités demande la confirmation de l'ordonnance au motif qu'il a respecté les dispositions des articles L.642-1 à 24 du code de commerce. Il explique que toutes les offres devaient parvenir au plus tard le 25 mars 2022 du fait de la publication de l'offre de cession publiée dans la gazette de la semaine du 23 février au 1er mars 2022.
Aux termes de l'article L.642-19 du code de commerce la cession amiable d'un actif isolé du débiteur placé en liquidation judiciaire doit être autorisée par le juge commissaire.
Aux termes de l'article L 644-2 du code de commerce, par dérogation aux dispositions de l'article L 642-19, lorsque la procédure simplifiée est décidée en application de l'article L 641-2 ou de l'article L641-2-1, le liquidateur procède à la vente des biens mobiliers de gré à gré ou aux enchères publiques dans les quatre mois suivant la décision ordonnant la procédure simplifiée.
A cet égard, il convient de rappeler, par application de l'article L.642-19 du code de commerce, que si la vente d'un bien compris dans l'actif du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l'ordonnance du juge commissaire qui l'autorise, ce n'est qu'à la condition suspensive que cette décision acquière force de chose jugée.
Il est admis que par application combinée des articles L.641-12 et L.642-19 du code de commerce, qu'en cas de liquidation judiciaire, la cession du droit au bail se fait aux conditions prévues par le contrat à la date du jugement d'ouverture, à l'exception de la clause imposant au cédant des obligations solidaires avec le cessionnaire dite de solidarité inversée.
En application de l'article R.642-36-1 du code de commerce le juge commissaire statue sur la vente après avoir recueilli les observations des contrôleurs et entendu ou dûment appelé le débiteur et son conjoint lorsque celui-ci se trouve dans l'une des situations prévues à l'article R.641-30 du code de commerce.
La recevabilité du recours du bailleur n'est pas discutée, son appel est déclaré recevable.
L'ordonnance dont appel n'a pas été rendue en violation des droits de la société Fradelex dans la mesure où la cession du fonds de commerce autorisée par le juge commissaire ne peut être réalisée que dans le respect des termes du bail et plus particulièrement de son article 12 à l'exception de la clause de solidarité inversée réputée non écrite en application de l'article L.641-12 du code de commerce.
La société Fradelex qui a déclaré une créance et fait une proposition de reprise certes hors délai avait connaissance du régime applicable à la cession.
Par ailleurs l'autorisation de vendre de gré à gré le fonds de commerce a été présentée dans le respect du délai de l'article L.644-2 du code de commerce et il importe peu que la requête aux fins d'être autorisée à céder ait été datée antérieurement à l'expiration du délai pour présenter les offres de reprises expirant le 25 mars 2022 dans la mesure où il n'est pas démontré qu'une autre offre ait été formulée dans le délai imparti et étant observé que l'ordonnance dont appel n'a été rendue que le 15 avril 2022 après une audience s'étant tenue le 12 avril 2022.
Il ressort en effet de cette chronologie procédurale que toute autre offre qui serait parvenue au liquidateur judiciaire dans le délai de l'annonce pouvait être examinée le 12 avril 2022.
Par ailleurs il ne résulte pas des textes ni des termes du bail que le preneur devait être agréé par le bailleur ni que ce dernier devait être convoqué à l'audience.
En conséquence les dispositions de l'ordonnance dont appel ne portent pas atteinte aux droits du bailleur.
La société Shree Jee a formulé l'offre de reprise suivante : objet : offre de reprise du fonds de commerce. Je souhaite faire une proposition de rachat du fonds de commerce de l'hôtel Crystal situé à [Localité 8] pour un montant de 55 000 € (éléments corporels et incorporels). Ce rachat sera effectué par la structure Sas à créer, qui serait détenue par notre holding, dont je suis l'associé avec ma femme. Nous avons tous les deux l'expérience de l'hôtellerie, notre holding détenant 100 % de la Sarl Glisyquick depuis plus de cinq ans qui gère l'hôtel Quick palace de [Localité 6]. Dans l'attente de votre réponse, ceci afin de pouvoir préparer un dossier avec notre cabinet d'expertise comptable cerfrance et éventuellement avec notre cabinet juridique Sejef ».
En proposant la reprise des éléments incorporels notamment, le 3 mars 2022, la société Shree Jee dirigée par des professionnels de l'immobilier avait connaissance de la reprise du bail et pouvait au besoin en demander la copie avant de faire une proposition écrite au liquidateur judiciaire dans la mesure où le délai pour formuler les offres n'expirait que le 25 mars 2022.
L'offre est formulée de façon précise et détaillée et le prix proposé, évalué en connaissance de cause par des professionnels de l'hôtellerie dûment assistés de professionnels du chiffre et du droit, de sorte que la société Shree Jee ne peut sérieusement soutenir que son consentement a été surpris.
L'ordonnance dont appel a donc été rendue par le juge commissaire dans les termes de la loi dans le respect des droits de la liquidation judiciaire, du bailleur et du candidat à la reprise.
Elle est en conséquence confirmée en toutes ses dispositions.
L'ordonnance étant confirmée la société Shree Jee est déboutée de sa demande de remboursement de l'acompte.
Il n'y a pas lieu de juger subsidiairement que la cession devra intervenir dans les termes du bail comme le demande l'appelante dans la mesure où elle le sera, à l'exception de la clause de solidarité inversée, dès lors que la cession ne peut intervenir que dans le respect des articles L.641-12 et L.642-19 du code de commerce.
La société Fradelex qui succombe en majorité supporte les dépens d'appel et est condamnée à payer à la Selas Mjs partners en qualité de liquidateur de la société Savoy hôtel Jaurès la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Shree Jee qui succombe également est déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt par défaut rendu par mise à disposition au greffe ;
Déclare recevable le recours de la société Fradelex,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge commissaire rendue le 15 avril 2022 ;
Y ajoutant,
Déboute la société Shree Jee de sa demande de restitution de l'acompte ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande subsidiaire de la société civile Fradelex ;
Déboute la société Shree Jee de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Fradelex payer à la Selas Mjs partners en qualité de liquidateur de la société Savoy hôtel Jaurès la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Fradelex aux dépens d'appel.