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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 26 novembre 2019, n° 19/00019

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hôtel Thermal (SARL)

Défendeur :

Selarl Bouvet et Guyonnet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ficagna

Conseillers :

Mme Fouchard, Mme Real Del Sarte

Avocats :

SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, SCP Ballaloud-Aladel

T. com. Chambéry, du 11 déc. 2018, n° 20…

11 décembre 2018

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Hôtel Thermal exploitait un fonds de commerce d'hôtel-restaurant dans un immeuble situé à Aix-les-Bains appartenant à la SCI du Thermal. Un bail commercial liait les deux sociétés, renouvelé depuis des décennies, le dernier terme étant fixé au 31 décembre 2012. Le loyer annuel était alors de 25.758,57 euros hors charges et hors taxes.

A l'occasion du renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2013, le bailleur a donné congé à la société Hôtel Thermal, avec offre de renouvellement et fixation d'un nouveau loyer annuel à 84.000 euros HT et hors charges.

En l'absence d'accord des parties, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Chambéry a été saisi aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé et, par jugement du 8 septembre 2015, et arrêt rendu par cette cour le 13 juin 2017, partiellement confirmatif, une expertise judiciaire a été ordonnée et la société Hôtel Thermal a été condamnée à payer à la SCI du Thermal un loyer provisionnel de 50.000 euros HT par an, dû à compter du 1er janvier 2013.

Après expertise, par jugement du 24 juillet 2018, assorti de l'exécution provisoire, le juge des loyers commerciaux a fixé le montant du loyer du bail renouvelé à la somme de 78.000 euros HT et hors charges à compter du 1er janvier 2013.

La société Hôtel Thermal a interjeté appel de ce jugement, l'appel est toujours en cours.

Le 6 décembre 2018, la société Hôtel Thermal a déposé au greffe du tribunal de commerce de Chambéry une demande d'ouverture de liquidation judiciaire en indiquant une date de cessation des paiements au 15 novembre 2018.

Par jugement rendu le 11 décembre 2018, le tribunal de commerce a essentiellement :

' ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Hôtel Thermal,

' fixé au 11 juin 2017 la cessation des paiements,

' désigné la SELARL Etude Bouvet & Guyonnet en qualité de mandataire liquidateur,

' désigné la SELARL Jean-Claude Loiseau - Anne Leroy pour réaliser l'inventaire.

Par déclaration du 7 janvier 2019, la société Hôtel Thermal a interjeté appel de ce jugement à l'encontre du ministère public et de la SELARL Bouvet & Guyonnet.

Le mandataire liquidateur n'a pas constitué avocat, mais a adressé à la cour un rapport sur la liquidation judiciaire de la société Hôtel Thermal en date du 9 janvier 2019, puis un rapport complémentaire daté du 9 mars 2019. Il a reçu signification de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelante par actes successifs des 1ers mars et 9 septembre 2019.

L'affaire a été clôturée à la date du 9 septembre 2019 et renvoyée à l'audience du 24 septembre 2019, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 26 novembre 2019.

Par conclusions notifiées le 6 septembre 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Hôtel Thermal demande en dernier lieu à la cour de :

' dire la société Hôtel Thermal recevable et bien fondée en son appel,

' dire la note déposée par la SELARL Bouvet & Guyonnet ès qualités, sans constitution d'avocat, radicalement irrecevable,

' infirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé au 11 juin 2017 sa date de cessation des paiements,

' fixer au 24 juillet 2018 la date de cessation des paiements,

' statuer ce que de droit sur les dépens.

Le ministère public a notifié le 20 septembre 2019 des conclusions écrites, soutenues à l'audience par X…, substitut général, aux termes desquelles il est demandé de déclarer l'appel recevable et de confirmer le jugement déféré fixant la date de cessation des paiements au 11 juin 2017.

MOTIFS ET DÉCISION

1/ Sur la recevabilité des rapports du mandataire judiciaire

La société Hôtel Thermal demande que le rapport déposé par le mandataire judiciaire soit déclaré irrecevable en l'absence de constitution d'avocat devant la cour.

Le ministère public conclut à la recevabilité du rapport et de son actualisation.

En application du dernier alinéa de l'article L. 641-2 du code de commerce, lorsque le tribunal ne dispose pas des éléments lui permettant de vérifier que les conditions de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée sont ou non réunies, le président du tribunal statue au vu d'un rapport sur la situation du débiteur établi par le liquidateur dans le mois de sa désignation.

En l'espèce, le jugement déféré rappelle l'obligation pour le liquidateur d'établir ce rapport.

Le rapport établi le 9 janvier 2019 répond à cette obligation. Il a été dûment communiqué à l'appelante et ne peut donc être écarté des débats, il est une pièce de la procédure de liquidation judiciaire opposable à toutes les parties.

La SELARL Bouvet & Guyonnet a établi un rapport complémentaire le 9 mars 2019, dans lequel le mandataire émet un avis sur le délai de clôture de la procédure et sur la date de cessation des paiements.

Il ne s'agit pas de conclusions, mais bien d'un rapport complémentaire à celui du 9 janvier 2019, et, s'il est exact que le mandataire, n'ayant pas constitué avocat, ne peut formellement demander la confirmation du jugement, il n'en demeure pas moins que ce rapport, encore régulièrement communiqué aux parties, fait partie des pièces de la procédure dont la cour est saisie.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats les deux rapports établis par le mandataire liquidateur.

2/ Sur la date de cessation des paiements

En application de l'article L. 631-8 du code de commerce, le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur. A défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d'ouverture de la procédure.

Elle peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure.

L'état de cessation des paiements est caractérisé lorsque le débiteur est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.

En l'espèce, la société Hôtel Thermal soutient que son état de cessation des paiements résulte exclusivement du jugement du juge des loyers commerciaux du 24 juillet 2018 qui a fixé le loyer dû à la SCI du Thermal à 78.000 euros par an à compter du 1er janvier 2013, soit le triple du loyer antérieur au renouvellement du bail, et qu'ainsi la date de cessation des paiements doit être fixée au plus tôt à cette date.

Le ministère public rappelle que selon les mentions du jugement déféré, Y…, gérant de la société Hôtel Thermal, a déclaré être d'accord pour fixer la date de cessation des paiements à la date retenue par le tribunal, soit le 11 juin 2017.

Il s'appuie également sur le rapport du mandataire liquidateur qui indique que les loyers n'étaient plus payés depuis le 7 novembre 2017, une dette de loyer existant donc avant le jugement du 24 juillet 2018, l'exploitation du fonds de commerce ayant connu des pertes importantes dès le mois de juillet 2017 (206.000 euros), la décision de réévaluation du loyer n'ayant fait qu'aggraver une situation déjà très compromise.

Il résulte de la lecture de l'arrêt rendu par cette cour le 13 juin 2017 que le loyer provisionnel fixé par le jugement du 8 septembre 2015 à 50.000 euros HT a été confirmé, ce loyer provisionnel étant réputé dû à compter de la date de prise d'effet du bail renouvelé, c'est-à-dire le 1er janvier 2013. Le jugement n'a été infirmé qu'en ce qu'il avait prononcé la condamnation de la société Hôtel Thermal à payer à la SCI du Thermal le différentiel de loyer, le juge des loyers commerciaux n'ayant pas le pouvoir de prononcer une telle condamnation.

Pour autant, et conformément aux dispositions de l'article L. 145-57 du code de commerce, le loyer provisionnel de 50.000 euros HT par an était bien dû rétroactivement par la société Hôtel Thermal à compter du 1er janvier 2013 et pendant toute la durée de la procédure, jusqu'à la fixation du loyer par le jugement du 24 juillet 2018, lequel a encore un effet rétroactif et suppose un nouveau compte entre les parties. L'absence de condamnation du preneur en paiement n'a pas pour effet de faire perdre au différentiel de loyer son caractère exigible depuis la date de renouvellement du bail.

Aussi, au 31 décembre 2015, l'arriéré de loyers dû par la société Hôtel Thermal était bien de 74.752,60 euros correspondants, pour l'essentiel, au différentiel entre le loyer ancien et le loyer provisionnel (courriers du bailleur annexés au rapport complémentaire du mandataire). Au cours de l'année 2016 le preneur a apuré une partie de sa dette, mais le solde débiteur s'élève encore à 54.808,35 euros à la date du 7 décembre 2016.

Le 25 avril 2017, la SCI du Thermal a délivré à la société Hôtel Thermal un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail, pour un arriéré dû de 4.731,65 euros TTC, portant exclusivement sur l'année 2017 (pièce nº 3 de l'appelante), la somme de 54.808,35 euros restant due à cette date (non prise en compte dans le commandement à raison de l'appel alors en cours contre le jugement du 8 septembre 2015).

La société Hôtel Thermal a assigné la SCI du Thermal en opposition à ce commandement par acte du 22 mai 2017 (pièce nº 4), mais ne précise pas la suite qui a été donnée à cette opposition, alors que, depuis, l'arrêt du 13 juin 2017 est intervenu, ainsi que le jugement fixant le loyer du bail renouvelé le 24 juillet 2018. Cette opposition n'a pas pour effet de faire perdre au différentiel de loyer son caractère exigible.

La société Hôtel Thermal ne produit aujourd'hui aucune pièce de nature à contredire les éléments comptables figurant dans les rapports du mandataire liquidateur qui permettent de retenir que :

- à compter du mois de novembre 2017, plus aucun loyer n'a été payé, ce que l'appelante ne conteste pas,

- le solde du compte bancaire de la société Hôtel Thermal a enregistré des rejets de paiements et des frais bancaires qui se sont multipliés à partir du mois de septembre 2017, le solde restant constamment débiteur à compter du mois de décembre 2017 pour des sommes allant de 30.000 à 45.000 euros,

- l'hôtel a perdu en 2016 la clientèle du peloton de gendarmerie de renfort en saison touristique (35 chambres pendant 45 jours environ),

- les capitaux propres de la société sont négatifs depuis l'exercice 2015, et pour plus de 200.000 euros en 2017,

- l'actif disponible de la société n'a jamais dépassé les 40.000 euros sur les derniers exercices,

- dès le mois de septembre 2017 la société a cessé de payer la caisse de retraite complémentaire KLESIA, l'arriéré s'élevant à 10.636,77 euros au 31 décembre 2017.

La demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire déposée par la société Hôtel Thermal le 6 décembre 2018 indique que, après un exercice à peine bénéficiaire en 2015 (303 euros), la société a enregistré un résultat net déficitaire de 159.548 euros au 31 octobre 2016 et de 25.498 euros au 31 octobre 2017, pour des chiffres d'affaires réalisés de 742.401 euros en 2016 et de 655.221 euros en 2017.

Si le compte bancaire de la société est redevenu positif en juillet 2018 pour 26.570,42 euros, il convient de souligner que cela ne peut pas avoir pour effet de faire disparaître l'état de cessation des paiements antérieur puisque c'est justement en juillet 2018 qu'est intervenu le jugement fixant le loyer du bail renouvelé à 78.000 euros HT, montant que la société n'était alors évidemment pas en mesure de payer comme elle l'a elle-même reconnu.

Il résulte de ce qui précède que l'état de cessation des paiements était caractérisé dès le 11 juin 2017 comme retenu par le tribunal puisqu'à cette date, l'arriéré de loyers dû, sans même avoir égard au jugement du 24 juillet 2018, était de près de 60.000 euros (en réalité dès le mois d'avril 2017), la dette de loyer n'ayant cessé d'augmenter depuis, les échéances n'étant plus payées à compter du mois de novembre 2017, d'autres dettes s'étant alors ajoutées en augmentant le passif ainsi que rappelé ci-dessus.

A cette même date du 11 juin 2017, l'actif disponible de la société, dont il est acquis qu'il n'a jamais excédé la somme de 40.000 euros (étant souligné que l'appelante ne produit aucun bilan aux débats), ne lui permettait donc pas de faire face à son passif exigible constitué à tout le moins de la dette de loyers de 60.000 euros.

Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Les dépens seront pris en frais privilégiés de procédure collective.

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,

PAR CES MOTIFS

Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les rapports établis par le mandataire liquidateur les 9 janvier et 9 mars 2019,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry le 11 décembre 2018 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit que les dépens de l'appel seront pris en frais privilégiés de procédure collective.