CA Toulouse, 2e ch., 20 juillet 2022, n° 20/03146
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Morning (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Martin de La Moutte, M. Balista
Avocats :
Me Glock, Me Baudouin, Me Thévenot
Exposé du litige :
Le 31 janvier 2017, [C] [Z], employé par la Banque Edel en qualité de directeur commercial, a été nommé directeur général de la société Morning, société créée en 2013, détenue à 91 % par Edel et exerçant son activité dans le domaine des services financiers qui portait sur les envois d'argent dématérialisés et cagnottes en ligne.
[C] [Z] a conservé son emploi au sein de la Banque Edel.
Le 4 avril 2019, la Banque Edel a convoqué [C] [Z] à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire immédiate.
Par courrier recommandé du 8 avril 2019, [C] [Z] a notifié au président de la société Morning sa démission de son mandat de directeur général.
Le 15 avril 2019, l'assemblée générale de la société Morning a révoqué [C] [Z] de ses fonctions.
Par acte du 11 juin 2019, [C] [Z] a assigné la société Morning devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins de dire nulle la délibération du 15 avril 2019 et sa révocation du même jour et de condamner la société Morning à lui verser la somme 120.000 € au titre de son préjudice matériel, moral et réputationnel du fait de sa révocation.
La société Morning a soulevé l'irrecevabilité de la demande de [C] [Z] pour défaut de qualité à agir.
Par jugement du 5 novembre 2020, le tribunal de commerce de Toulouse a :
débouté la société Morning de sa demande de 'n de non-recevoir ;
dit que la décision d'assemblée générale ordinaire du 15 avril 2019 prononçant la révocation de [C] [Z] est nulle et de nul effet ;
débouté [C] [Z] de sa demande de dommages et intérêts ;
condamné la société Morning, par application de l'article 700 du code de procédure civile (cpc), à payer à [C] [Z] la somme de 1.500€ ;
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
condamné la société Morning aux dépens.
Par déclaration en date du 16 novembre 2020, la société Morning a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation des chefs du jugement qui ont :
débouté la société Morning de sa demande de 'n de non-recevoir ;
dit que la décision d'assemblée générale ordinaire du 15 avril 2019 prononçant la révocation de [C] [Z] est nulle et de nul effet ;
condamné la société Morning, par application de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à [C] [Z] la somme de 1.500€ ;
condamné la société Morning aux dépens.
Le 9 mars 2021, [C] [Z] a notifié des conclusions d'appel incident.
Le clôture est intervenue le 21 mars 2022.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 29 décembre 2020 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Morning Sas, société par actions simplifiées au capital de 692.629,51 €, dont le siège social est situé [Adresse 4], inscrite au RCS de Toulouse sous le n° 792 235 061, représentée par son dirigeant en exercice, demandant, au visa de l'article 31 du code de procédure civile, de :
dire et juger que l'appel de la société Morning est recevable et bien fondé ;
y faisant droit, et rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires :
sur la demande en nullité de [C] [Z], infirmer le jugement entrepris en ce qu'il « déboute la société Morning de sa demande de fin de non-recevoir ; dit que la décision d'assemblée générale ordinaire du 15 avril 2019 prononçant la révocation de [C] [Z] est nulle et de nul effet »
statuant à nouveau sur ces points, dire et juger que la demande de nullité de [C] [Z] est irrecevable faute de qualité à agir,
subsidiairement,
dire et juger que la demande de nullité de [C] [Z] est mal fondée ;
par conséquent, l'en débouter,
sur la demande de dommages-intérêts de [C] [Z] :
dire et juger que la demande indemnitaire de [C] [Z] est mal fondée ;
par conséquent, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il : « déboute [C] [Z] de sa demande de dommages et intérêts ;
sur la demande de condamnation à une indemnité d'article 700 du code de procédure civile et aux dépens
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il : « condamne la société Morning, par application de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à [C] [Z] la somme de 1.500 € ; condamne la société Morning aux dépens »
statuant à nouveau sur ces points, condamner [C] [Z] à payer à la société Morning la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner [C] [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les conclusions n°1 notifiées le 9 mars 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de [C] [Z] demandant, au visa des articles 1106, 2207, 1240, 1128 et s. du code civil, 227-9 et 235-1 du code de commerce, 700 et 695 et s. du code de procédure civile, de :
confirmer le jugement rendu le 5 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'il a :
débouté la société Morning de sa demande de fin de non-recevoir,
dit que la décision d'Assemblée Générale du 15 avril 2019 prononçant la révocation de [C] [Z] est nulle et de nul effet, de même que ladite révocation,
condamné la société Morning à payer à [C] [Z] une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du CPC, outre les dépens de 1ère instance
débouter la société Morning de son appel,
infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté [C] [Z] de sa demande de dommages et intérêts après avoir considéré, à tort, que ce dernier ne démontrait pas avoir subi un préjudice du fait de sa révocation
condamner la société Morning à verser à [C] [Z] la somme de 120.000 € en réparation du préjudice matériel, moral et réputationnel subi à raison de sa révocation infondée, abusive et vexatoire,
condamner la société Morning à payer à [C] [Z] une somme complémentaire de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.
Motifs de la décision :
- sur la fin de non recevoir de la société Morning tirée de l'irrecevabilité de [C] [Z] à soulever la nullité de la délibération de l'assemblée générale du 15 avril 2019 faute de qualité à agir :
La SAS Morining invoque les dispositions de l'article 31 du cpc pour dénier la qualité à agir à [C] [Z] en annulation d'une délibération des associés dès lors qu'il n'est pas associé de la société en se fondant sur la jurisprudence qui est attachée au dit article.
En l'espèce, il convient de faire application de l'article spécial prévu à l'article L227-9 du code de commerce.
Les parties s'opposent en appel sur l'interprétation des dispositions de l'article L227-9 du code de commerce relatives aux sociétés par actions simplifiées qui dispose que :
« Les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient.
Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés.
Dans les sociétés ne comprenant qu'un seul associé, le rapport de gestion, les comptes annuels et le cas échéant les comptes consolidés sont arrêtés par le président. L'associé unique approuve les comptes, après rapport du commissaire aux comptes s'il en existe un, dans le délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice.L'associé unique ne peut déléguer ses pouvoirs. Ses décisions sont répertoriées dans un registre. Lorsque l'associé unique, personne physique, assume personnellement la présidence de la société, le dépôt, dans le même délai, au registre du commerce et des sociétés de l'inventaire et des comptes annuels dûment signés vaut approbation des comptes sans que l'associé unique ait à porter au registre prévu à la phrase précédente le récépissé délivré par le greffe du tribunal de commerce.
Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé »
Or, selon l'article 23.2 des statuts de la SAS Morning, « au cours de la vie sociale, le Directeur général sera nommé, renouvelé ou remplacé par une décision collective des associés en assemblée générale ordinaire »
L'article 26 stipule expressément que la révocation des dirigeants relève de la compétence de la collectivité des associés.
En revanche, les statuts ne prévoient pas, comme pour la révocation du président ou pour les membres du conseil de surveillance, une révocation ad nutum du directeur général ni ne précisent les modalités de la révocation de ce dernier.
La cour d'appel en déduit que [C] [Z], en qualité de directeur général non associé, est intéressé au sens de l'article L227-9 du code de commerce à ce que sa révocation ait été décidée dans le respect des statuts de la société et par conséquent, son action en annulation de la délibération de l'assemblée générale du 15 avril 2019, qui a prononcé sa révocation en tant que gérant, est recevable.
Le jugement doit être confirmé de ce chef
- sur la nullité de la délibération du 15 avril 2019 :
[C] [Z] se fonde sur la violation de l'article L235-1 du code de commerce pour dire la délibération nulle à défaut de porter sur un objet certain.
Il rappelle qu'il avait démissionné une semaine avant, le 8 avril 2019, et en déduit que la délibération litigieuse n'avait plus d'objet.
Selon la SAS Morning la nullité demandée n'est pas fondée dès lors que la démission antérieure du gérant, le 8 avril 2019 n'était pas effective à défaut d'avoir été adressée à l'ensemble des actionnaires de la société, « la collectivité des associés » selon le principe de la symétrie entre révocation et démission, à défaut de précision dans les statuts . Or, il n'a pas adressé sa démission à la Banque Edel SNC, un des 5 associés de la société, qui représente 91,4% de la collectivité des associés.
De plus, elle dénonce une démission abusive pour échapper à ses responsabilités ; ses fautes ont été expressément décrites dans l'arrêt de la 3ème chambre civile de la cour du 17 novembre 2020.
Enfin, la décision des associés n'est entachée d'aucune nullité, ayant été rendue en application des articles 23 et 26 des statuts et selon le principe de révocabilité du directeur général sans motif et à défaut de mention contraire dans les statuts .
La cour constate que les statuts ne prévoient pas les conditions de forme de la démission du directeur général.
Selon les obligations du mandataire, l'article 2007 du code civil dispose que « le mandataire peut renoncer au mandat en notifiant au mandant sa renonciation »
En l'espèce, [C] [Z] a écrit par lettre recommandée avec accusé de réception au président de la SAS Morning, le 8 avril 2019, pour l'informer de sa décision de démissionner (pièce 18).
Le président étant le représentant de la SAS Morning, notamment vis à vis des tiers avec pouvoir de préparer toutes les consultations de la collectivité des associés, cette notification a bien été adressée à la société Morning et la démission du directeur général a pris effet dès l'envoi de cette lettre, sans qu'il soit nécessaire que le directeur général notifié sa décision à chacun des associés puisque la société avait encore un représentant en la personne de son président.
Il a été jugé que la démission d'un dirigeant de société qui constitue un acte juridique unilatéral, produit tous ses effets dès lors qu'elle a été portée à la connaissance de la société et qu'elle n'a pas à être acceptée (Com., 22 février 2005, pourvoi n° 03-12.902, Bull. 2005, IV, n° 38 ou com 7 avril 2009 n° 0714626)
Sur le caractère abusif dénoncé de sa démission, il importe peu de connaître le mobile de la démission du directeur général qui peut se rétracter de son mandat à tout moment sauf à engager par ailleurs sa responsabilité sur le plan délictuel mais qui ne prive pas d'effet sa démission.
La démission du directeur général ayant été effective dès le 8 avril 2019, le prononcé de sa révocation par assemblée générale ordinaire le 15 avril 2019 n'avait plus d'objet.
En application de l'article L235-1 du code de de commerce, dans sa version applicable au cas d'espèce, dispose que « La nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d'un vice de consentement ni de l'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs. La nullité de la société ne peut non plus résulter des clauses prohibées par l'article 1844-1 du code civil.
La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats »
La validité d'un contrat dépend de son contenu licite et certain en application de l'article 1128 du code civil.
Le prononcé de sa révocation, alors que le directeur général avait démissionné, est donc nul et de nul effet.
Il convient de confirmer le jugement de ce chef.
- sur la demande de dommages-intérêts de [C] [Z] :
[C] [Z] demande des dommages-intérêts pour faute délictuelle de la SAS Morning en dénonçant une révocation abusive, vexatoire et illégale.
Pour justifier du préjudice subi, il invoque d'une part le caractère brutal de sa révocation par privation de ses accès informatiques, une mise à pied conservatoire dès le 4 avril 2019 et le fait que pour obtenir l'agrément de l' APCR dans son secteur d'activité, l'article L526-8 II du code monétaire et financier dispose que :
« II. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution vérifie également si :
a) Les personnes déclarées comme chargées de la direction effective de l'établissement de monnaie électronique possèdent l'honorabilité ainsi que la compétence et l'expérience nécessaires à leur fonction et requises pour les activités d'émission et de gestion de monnaie électronique »
D'une part, il ne justifie pas précisément du caractère brutal et vexatoire de sa mise à pied dès le 4 avril 2019 ; il se borne à l'affirmer.
D'autre part, le préjudice allégué lié aux effets d'une révocation n'existe plus puisque la révocation prononcée le 15 avril 2019 a été annulée et ne peut avoir aucun effet. L'APCR ne peut donc en avoir connaissance ni en tirer une quelconque conséquence.
A défaut de préjudice établi, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté [C] [Z] de ses demandes de dommages-intérêts.
- sur les demandes annexes :
La SAS Morning qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à [C] [Z] 2.500 euros en application de l'article 700 du cpc.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
- confirme le jugement
- condamne la SAS Morning aux dépens d'appel
- condamne la SAS Morning à payer à [C] [Z] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.